Pacific Express (Union Pacific, 1939) de Cecil B. DeMille
PARAMOUNT
Sortie USA : 27 avril 1939
Après la Fox, la United Artists et la Warner, le studio à la montagne étoilée allait à son tour, en avril 1939, proposer son western de prestige de l’année. Le fait historique narré est le même que celui du
Cheval de Fer (
The Iron Horse) de John Ford, à savoir la construction entre 1860 et 1869 du premier chemin de fer transcontinental Est-Ouest aux Etats-Unis. Alors que La Central Pacific et ses travailleurs chinois s’avançait du Pacifique (la Californie) vers l’Est franchissant les Montagnes rocheuses, L’Union Pacific, surtout constitué d’ouvriers Irlandais, démarrait son périple à partir du Mississippi pour aller à sa rencontre à travers les plaines. Il fallut neuf années pour arriver à bout de ce chantier titanesque ; neuf années au parcours semé d’embûches durant lesquelles les deux compagnies luttèrent de vitesse car le gouvernement octroyait les crédits en fonction du kilométrage de voies posées. La jonction eut lieu le 10 mai 1869 à Promontary Point dans l’Utah. Les derniers rails furent scellées à l’aide de clous d’or et d’argent ; les locomotives 119 et Jupiter purent alors symboliquement rouler jusqu’à se rejoindre sous les vivats de la foule en délire. Une date historique et une célèbre photographie déjà mise en mouvement par John Ford en 1924 et que Cecil B. DeMille refera vivre pour clôturer son film. Pour les séquences ‘documentaires’, le président de l’Union Pacific prêta au cinéaste les meilleurs poseurs de voie de sa compagnie ; leur virtuosité était telle que ces scènes les voyant travailler furent utilisées par le gouvernement à des fins militaires d’entrainement durant la Seconde Guerre Mondiale. Dommage que ces moments soient trop vite expédiés dans le courant du film car le réalisateur n’a décidément pas son pareil lorsqu’il s’agit de sublimer les travaux physiques et difficiles (il le prouvera encore dans
Sous le plus Grand Chapiteau du Monde) ; on regrettait déjà que John Ford ne s’appesantisse pas plus longuement sur de tels instants, DeMille les expédiera encore plus rapidement !
Comme pour
The Plainsman, Cecil B. DeMille se lance donc à nouveau dans la fresque historique à grand spectacle mêlant faits réels à une intrigue romanesque qui voit deux hommes amoureux d’une même femme.
Ces deux hommes, ce sont Jeff Butler (Joel McCrea), chargé de surveiller la bonne marche de l’équipe de construction, et Dick Allen (Robert Preston), le bras droit de Campeau (Brian Donlevy), escroc chargé par de vils spéculateurs de ralentir l’avancée de la compagnie afin que la concurrente la prenne de vitesse et se récupère ainsi la majorité des crédits. Pour se faire, avec son casino roulant, il sème le désordre parmi les ouvriers, les soulant et les poussant à la révolte contre des patrons mauvais payeurs (et pour cause, Campeau et sa bande dévalisent les trains amenant la paie). La femme qui attire leurs égards n’est autre que la fille du machiniste de la locomotive, la jolie Mollie Monahan (Barbara Stanwyck). En plus de devoir lutter contre les sabotages perpétrés par la bande de canailles de Campeau, l’Union Pacific devra combattre les mauvaises conditions météorologiques, les obstacles naturels ainsi que les attaques indiennes.

Cette entreprise gigantesque qui débuta au début la Guerre de Sécession fut combattue en haut lieu, les dignitaires souhaitant que les fonds du gouvernement servent à autre chose de plus pressant comme la fabrication d’armes. Comme dans
The Plainsman, le cinéaste débute d’ailleurs son film par une réunion en haut lieu à propos des enjeux financiers, Ulysses S. Grant remplaçant ici Abraham Lincoln. Les conflits d’intérêts sont alors évoqués, les spéculateurs véreux apparaissant sans plus tarder dans les coulisses afin que les enjeux dramatiques soient clairement définis dès le départ ; des ouvriers vont devoir fournir des efforts surhumains qui seront systématiquement sabordés par un groupe de tenanciers de casinos peu scrupuleux. Juste avant, le générique avait été fait sur le même modèle que le film précédent, à savoir dans un style emphatique et promettant du grand spectacle. Grand spectacle qui est au rendez-vous, le budget alloué au cinéaste ayant été utilisé à bon escient ; nous assisterons tour à tour à d’efficaces séquences d’action comme la bagarre dans le train après qu’un indien ait été pris pour cible comme un lapin, la traversée d’un pont enflammé, le déraillement du train et le siège par les indiens qui s’ensuit, l’avancée du convoi ferroviaire à travers les montagnes enneigées, la poursuite à cheval de Robert Preston par Joel McCrea…

Mais, contrairement à son western précédent, le suspense est moindre faute à un scénario qui peine à nous rendre les personnages attachants, leur écriture étant bien trop uniforme et monocorde, nous sentant du fait moins impliqués dans ce qui peut leur arriver ; il suffit de comparer les séquences de siège des deux films pour s’en rendre compte, la première s’avérant intensément dramatique, la seconde même si plus spectaculaire, bien moins prenante. Etonnant d’ailleurs de la part d’Ernest Haycox qui venait d’écrire le scénario de
Stagecoach qui au contraire brillait par sa capacité de nous avoir fait éprouver de l’empathie pour tous ses protagonistes. Etonnant aussi quant on sait que le trio est interprété par trois excellents acteurs, Robert Preston s’étant fait le spécialiste de ce type de rôle de ‘Bad Guy’ pas spécialement méchant. Il leur manque à tous (ainsi qu’aux seconds rôles) un supplément d’âme et le duo Joel McCrea/Barbara Stanwyck, trop mécanique, est loin de posséder la prestance et le charme de celui formé par Gary Cooper/ Jean Arthur.

Une fresque historique efficace mais qui d’une part évacue un peu trop facilement certaines vérités peu reluisantes (le massacre des indiens en cours de route pour pouvoir sécuriser le chantier) alors que les séquences du début laissaient présager une prise de position vite oubliée, d’autre part un peu trop bavarde et trop légère de ton pour convaincre totalement. Parfois plus proche de Lucky Luke que du cheval de fer. Mais malgré mes griefs, n’hésitez pas à vous forger votre propre opinion car il suffit de lire la plupart des historiens et critiques de cinéma pour constater que la majorité pense le contraire à propos des deux premiers westerns du cinéaste, le second étant dans l’ensemble bien mieux considéré que le premier auquel je trouve pour ma part bien plus de charme.