Tetro (Francis Ford Coppola - 2009)
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Tetro (Francis Ford Coppola - 2009)
Avant quand Coppola au sommet de sa gloire voulait se débarasser du décorum hollywoodien pour revenir à un film plus épuré et simple ça donnait un pur bijou comme "Rusty James" concis et poignant. Là malgré de vrais beaux moments, on a un peu le syndrome du dernier Gilliam avec un cinéaste en fin de carrière qui se sent obligé de surcharger la mule interprétative, référencielle (la séquence reprise des "Contes d'Hoffman" dont la réinterprétation par Coppola pendant le film fait pâle figure). Une belle relation entre frère rappelant celle de "Rusty James" allié à un rapport à la famille difficile et conflictuel évoquant "Le Parrain", Vincent Gallo et Alden Ehrenreich (belle révélation et ressemblance frappante avec de Di Caprio et Emil Hirsch) offrant de magnifique prestation tout comme Maribel Verdu. Vincent Gallo en génie torturé reniant son talent et le succès offre vraiment une de ses plus belles prestations. Reste quelques idées formelles très "arty" pas vraiment convaincantes notamment dans une dernière partie où une ultime révélation intéressante permet à Coppola de conclure iéalement son film malgré quelques errements. 3,5/6
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Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)

Il commence comme une histoire intime, filmé en noir et blanc, le soir, dans le quartier de La Boca à Buenos Aires en Argentine.


Aucune insistance dans la découverte de ce paysage étranger, de cet univers différend: pas de véritable visite, pas de scène introductrice par laquelle le jeune héros s'intégrerait à ce monde.
Le propos du film est la famille, sujet semble t-il cher au réalisateur.

Comment une famille se constitue, autour d'un couple, dans un univers inconnu et étrange. Tetro est aussi un film sur l'accueil.

Un exemple: une scène de ménage hilarante sur le mode du cinéma italien. Mais que serait Buenos Aires sans cette particularité italienne qui marque tant le caractère des habitants, au point qu'ils nous semblent parler en italien et pas en espagnol...
Un autre exemple: le voyage vers le Sud, les montagnes et les glaciers de la Terre de Feu, des paysages sauvages, le goût du maté, et quelques plans qui montrent l'immensité de cette ville à la fois historique et européenne avec une expansion américaine.
Buenos Aires est un port et la scène d'arrivée du jeune frère, en uniforme de marin, suffit à le rappeler, même si nous ne verrons jamais la mer dans le film.
Un héritage européen, pas seulement italien mais aussi français ou new-yorkais, Buenos Aires est une ville cultivée...La rencontre de Tetro et de Miranda a lieu sur le lieu de tournage d'une émission de radio qui utilise la psychanalyse pour aider les gens. Miranda est docteur (probablement psychiatre) et Buenos Aires est la ville qui compte le plus d'analystes après New York. On a la gaité du Sud, à Buenos Aires, mais on sait aussi s'y prendre la tête comme chez Woody Allen et on aime y discuter littérature aux terrasses des cafés.





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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Grand Coppola qui bizarremment s'est fait assez maltraiter par la presse française, et qui contient des moments de grâce comme lui seul peut nous en donner. Un film que j'aurai envie de revoir qd il sortira en BD (espérons).
Je suis sûr que bcp feront leur mea culpa plus tard.
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Je suis un peu surpris que vous soyez nombreux à dire cela. Je ne regarde pas la télé et je lis seulement la presse écrite disons "classique".odelay a écrit :Grand Coppola qui bizarremment s'est fait assez maltraiter par la presse française
Le film a eu un très bon accueil dans des revues de cinéma comme les Cahiers et Positif (en une chez les deux), et des hebdo ou quotidiens comme Le Nouvel Obs, Le Point, Télérama, Le Figaro, Le Monde (je dis ça de tête mais je pense que c'est bien le cas).
Vous êtes sûr que l'accueil a été mauvais et si oui, où?
Je sais bien que je répond télé quand tu dis "presse", mais est-ce que ce n'est pas justement dans les médias très grand public qu'il aurait eu une mauvaise presse?
Je n'écoute rien (télé mais radio si, et d'après mes souvenirs très bon accueil sur France Inter) et je ne lis pas tout mais j'avais eu l'impression que le film avait été très bien reçu, au contraire.
Bon sinon, la critique c'est aussi nous qui la faisons, donc allez-y si cela semble nécessaire

J'ajouterai quelque chose au sujet de film. J'écrit généralement facilement sur un film que j'ai aimé. Pour celui-ci j'avais beaucoup de mal à exprimer quelque chose de personnel. Je l'ai fait - et vite - surtout parce que j'avais de la peine à voir ce film nouveau et très beau sans topic.
Peut-être - et ce n'est qu'une suggestion - ce film touche t-il si fort à l'acte de création - même minime à notre niveau - que c'est un film qui émeut beaucoup tout en bloquant un peu...T'en pense quoi Roy?

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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
C'est vrai que c'était plus mitigé dans la presse populaire genre Studio, Première, Excessif ou même Brazil malgré sa couverture (on avait deux avis dont le meilleur ne mettait que 3 étoiles sur 5). Maintenant il s'agissait de mensuels qui sont parus en premier et qui ont donné cette impression dès le départ alors qu'il vrai que la tendance a été inversées avec les hebdos, et les quotidiens et certains mensuels qui sont sortis après les autres. Je suis allé voir sur Allo Ciné l'avis de l'ensemble de la presse et finalement il s'en sort bien avec 2,8 sur 4. Quant au box office, le film a fait presque le même nombre de spectateur pour sa 2ème semaine que lors de la 1ère. On en arrive à environ 200 000 entrées en 15 jours ce qui me semble être correct.
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Un film qui m'a beaucoup marqué...même si j'avais toujours été sur la réserve par rapport au cinéma de Coppola, j'en attendais beaucoup au vu des thématiques abordées. Et au final, j'ai été souvent bouleversé.
Tu fais bien, Phnom&Penh, d'évoquer longuement Buenos Aires dans ton texte...grâce à l'appréhension d'un cadre tout sauf artificiel, Coppola offre au film des respirations, des moments d'euphorie désordonnés, indispensables pour se lier à la recherche des protagonistes. Dès l'introduction, on entre dans une intimité, un univers, à la suite de Bennie. Et l'on s'attache à ses pas.
Pour le reste, j'ai été beaucoup touché par l'évocation des contes d'Hoffmann, et la manière dont Coppola évoque la figure d'Olympia désarticulée...dimension qui peu à peu prend sens au sein du récit, jusqu'à représenter un sommet dramatique (mon seul regret vient des flash-back en couleurs, qui déçoivent sur le plan plastique...alors que précisément, les séquences "dansées" offrent une intensité flamboyante). Et le lien familial est saisi par un regard d'une grande puissance...dès l'apparition d'une lumière aveuglante lors du générique, il est question de retrouver une vision, de combler une blessure et un manque. Pour incarner cette lutte, Vincent Gallo exprime une magnifique présence cinématograhique, entre une démarche brisée et une force de vie d'une beauté rare. Face à lui, l'abnégation et la sensibilité d'Alden Ehrenreich offrent un contrepoint mémorable, alors que Maribel Verdu est saisissante dans son dévouement.
Tu fais bien, Phnom&Penh, d'évoquer longuement Buenos Aires dans ton texte...grâce à l'appréhension d'un cadre tout sauf artificiel, Coppola offre au film des respirations, des moments d'euphorie désordonnés, indispensables pour se lier à la recherche des protagonistes. Dès l'introduction, on entre dans une intimité, un univers, à la suite de Bennie. Et l'on s'attache à ses pas.
Pour le reste, j'ai été beaucoup touché par l'évocation des contes d'Hoffmann, et la manière dont Coppola évoque la figure d'Olympia désarticulée...dimension qui peu à peu prend sens au sein du récit, jusqu'à représenter un sommet dramatique (mon seul regret vient des flash-back en couleurs, qui déçoivent sur le plan plastique...alors que précisément, les séquences "dansées" offrent une intensité flamboyante). Et le lien familial est saisi par un regard d'une grande puissance...dès l'apparition d'une lumière aveuglante lors du générique, il est question de retrouver une vision, de combler une blessure et un manque. Pour incarner cette lutte, Vincent Gallo exprime une magnifique présence cinématograhique, entre une démarche brisée et une force de vie d'une beauté rare. Face à lui, l'abnégation et la sensibilité d'Alden Ehrenreich offrent un contrepoint mémorable, alors que Maribel Verdu est saisissante dans son dévouement.

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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Apparemment, le film s'est fait récemment démonter par Le Masque et la Plume. Je n'ai pas écouté l'émission, mais je serais curieux de connaître leurs arguments...
Sinon, ce Alden Ehrenreich, s'il déconne pas trop dans la suite de sa carrière, ça peut être un futur grand (en espérant que les comparaisons avec Brando et Di Caprio ne lui fassent pas trop gonfler le melon).
Sinon, ce Alden Ehrenreich, s'il déconne pas trop dans la suite de sa carrière, ça peut être un futur grand (en espérant que les comparaisons avec Brando et Di Caprio ne lui fassent pas trop gonfler le melon).
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Ah parce que d'habitude ils en ont ?!Ratatouille a écrit :Apparemment, le film s'est fait récemment démonter par Le Masque et la Plume. Je n'ai pas écouté l'émission, mais je serais curieux de connaître leurs arguments...

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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
+1 !Jericho a écrit :Ah parce que d'habitude ils en ont ?!Ratatouille a écrit :Apparemment, le film s'est fait récemment démonter par Le Masque et la Plume. Je n'ai pas écouté l'émission, mais je serais curieux de connaître leurs arguments...
Sinon, le film de Coppola m'a vraiment ému. Le seul petit bémol, c'est qu'il filme (remarquablement) des problèmes familiaux qu'il a déjà filmés (encore plus remarquablement) avant.
Mais j'arrête là de faire la fine bouche. Coppola parvient à séduire par la lucidité et la ludicité de sa mise en scène, dont chaque cadre ressemble à une application de jeune cinéaste débutant mais ultra doué, amenant ainsi une modestie touchante et une simplicité bienvenue.
Et les comédiens sont formidables.

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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
+1Ratatouille a écrit : Sinon, ce Alden Ehrenreich, s'il déconne pas trop dans la suite de sa carrière, ça peut être un futur grand (en espérant que les comparaisons avec Brando et Di Caprio ne lui fassent pas trop gonfler le melon).
Son interview dans le dernier Brazil montre qq 'un d'intéressant et qui semble être réellement modeste. Maintenant, cela va-t-il durer? En tout cas il est une belle présence et sait surtout ne pas en faire trop (ce qui est je pense la meilleure attitude à adopter face à un bulldozer comme V. Gallo).
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Perso, j'ai adoré Tetro. Un film magnifique que j'ai hâte de revoir. Vivement la sortie dvd !!
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Vu samedi soir :
Curieusement, une des toutes premières images de Tetro (celle du papillon de nuit attiré et comme prisonnier de la lumière) m'a fait penser à l'avant-dernier film de Coppola, L'Homme sans âge, conte faustien où un homme était prisonnier de sa condition. Toutefois, alors que L'Homme sans âge peinait à émouvoir, parce que n'étaient pas réunies les conditions d'une empathie pour le personnage principal (qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait), Tetro est un magnifique mélodrame familial où l'on est si touché par le destin de Tetro que l'on finit au bord des larmes.
Tetro raconte l'histoire d'un homme, Tetro, à la fois victime et prisonnier d'un secret de famille. Victime, il a fui un père tyrannique et un secret de famille qu'il ne peut affronter. Prisonnier, il n'arrive pas à transmuer ce secret familial en création artistique alors qu'il se rêve écrivain. En artiste maitre de son art et de ses possibilités techniques, Coppola joue des formats et des variations de luminosité pour nous le dire : alors que le film est filmé en scope et en noir et blanc, les flashbacks relatant les scènes de la vie passée de Tetro sont en couleurs, car elles l'ont marqué à jamais : ce sont des couleurs brûlantes, comme de fers rouges le marquant de brûlures dont la douleur est toujours vive. Ces images du passé sont en format standard 1:85. Parce le reste du film est en scope (2:35), ce format 1:85 a des allures de prison étroite ; c'est que Tetro repense si souvent à ce passé que l'on voit bien que malgré les allures de poète urbain qu'il se donne, il est pareil à un prisonnier dans sa cellule. Tetro n'est pas sorti de ce passé ; il ne sert à rien de le fuir comme il l'a fait, car le présent n'est que le passé penché sur l'avenir.
Au moment où commence le film, Tetro vit à Buenos Aires avec une femme qui l'aime. Son frère, Bennie, vient le retrouver. Bennie est joué par Alden Ehrenreich, un jeune acteur débutant qui est prodigieux. Son visage, gracile et mouvant, passant facilement du rire aux larmes, s'oppose au visage hiératique et immobile de Vincent Gallo qui joue au début Tetro comme un homme condamné. Mais Coppola ne filme pas le présent du film en format scope par hasard. Le scope et sa largeur généreuse s'opposent aussi au passé immuable de Tetro, et traduisent l'espoir d'un présent qui n'est pas figé et que la volonté peut modifier, qui coule glorieux et sans fin à gauche et à droite de l'écran, comme si le scope pouvait recouvrir à l'instar d'un fleuve les souvenirs du passé. Peu à peu, Bennie va sauver Tetro par amour pour lui, le pousser à accepter son passé (c'est-à-dire à s'accepter lui-même) et à accepter sa famille. Car accepter sa famille, c'est aussi être capable de lui opposer un autre visage, têtu et fort, afin de ne pas répéter les erreurs du père, afin de montrer qu'une famille peut être autre chose qu'une assemblée de larbins soumis à la terreur d'un pater familias tout puissant.
Bennie pose les bonnes questions à Tetro, qui le rejette au début comme le père de Tetro rejetait Tetro en qui il voyait un rival : "pourquoi me traites-tu comme cela ? Je n'ai pas accepté les règles que tu m'imposes." Grâce à Bennie, Tetro va mener et gagner un double combat : le premier, c'est de devenir artiste. A nouveau, c'est par les images et le cadre plutôt que par les dialogues, que Coppola montre cela : au fur et à mesure que le film se déroule, les flashbacks extraits du passé s'effacent du film pour céder la place aux images mentales de l'artiste. Alors que la première référence à Powell et Pressburger est un simple extrait des Contes d'Hoffman (Coppelia, le premier segment), les références suivantes sont des chorégraphies de Coppola/Tetro inspirés des Contes d'Hoffmann et aussi des Chaussons Rouges et non plus simplement reproduites par lui. Idée simple mais forte qui dit la transformation d'un spectateur rêveur en artiste utilisant les matérieux de ses souvenirs pour créer son monde à lui. Bennie, véritable pierre philosophale, aura permis cette transmutation du plomb et du négatif des souvenirs de Tetro en or et en positif. Le second combat que va mener Tetro, auquel on s'attend moins, mais que le film finit par nous révéler, c'est le combat d'un père apprenant le métier de père, et tachant de ne pas reproduire par mimétisme les erreurs commises dans sa propre famille. En acceptant que lui et Bennie partagent le titre d'auteurs de la pièce tirée des souvenirs de Tetro, ce dernier accepte qu'un membre de sa famille soit son égal et brise ainsi la malédiction de la rivalité qui empêchait sa famille d'être une vraie famille.
Très beau film, certainement l'un des plus beaux que j'ai vus pour l'année 2009, dans la tradition classique du cinéma, où les cadrages et le langage pur de la caméra et de l'image reprennent toute leur importance (alors que tant de films contemporains abusent de mouvements de caméra inutiles comme le regrette Coppola dans ses dernières interviews), Tetro de Coppola aurait mérité un meilleur accueil public et critique, en particulier aux Etats-Unis.
Curieusement, une des toutes premières images de Tetro (celle du papillon de nuit attiré et comme prisonnier de la lumière) m'a fait penser à l'avant-dernier film de Coppola, L'Homme sans âge, conte faustien où un homme était prisonnier de sa condition. Toutefois, alors que L'Homme sans âge peinait à émouvoir, parce que n'étaient pas réunies les conditions d'une empathie pour le personnage principal (qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait), Tetro est un magnifique mélodrame familial où l'on est si touché par le destin de Tetro que l'on finit au bord des larmes.
Tetro raconte l'histoire d'un homme, Tetro, à la fois victime et prisonnier d'un secret de famille. Victime, il a fui un père tyrannique et un secret de famille qu'il ne peut affronter. Prisonnier, il n'arrive pas à transmuer ce secret familial en création artistique alors qu'il se rêve écrivain. En artiste maitre de son art et de ses possibilités techniques, Coppola joue des formats et des variations de luminosité pour nous le dire : alors que le film est filmé en scope et en noir et blanc, les flashbacks relatant les scènes de la vie passée de Tetro sont en couleurs, car elles l'ont marqué à jamais : ce sont des couleurs brûlantes, comme de fers rouges le marquant de brûlures dont la douleur est toujours vive. Ces images du passé sont en format standard 1:85. Parce le reste du film est en scope (2:35), ce format 1:85 a des allures de prison étroite ; c'est que Tetro repense si souvent à ce passé que l'on voit bien que malgré les allures de poète urbain qu'il se donne, il est pareil à un prisonnier dans sa cellule. Tetro n'est pas sorti de ce passé ; il ne sert à rien de le fuir comme il l'a fait, car le présent n'est que le passé penché sur l'avenir.
Au moment où commence le film, Tetro vit à Buenos Aires avec une femme qui l'aime. Son frère, Bennie, vient le retrouver. Bennie est joué par Alden Ehrenreich, un jeune acteur débutant qui est prodigieux. Son visage, gracile et mouvant, passant facilement du rire aux larmes, s'oppose au visage hiératique et immobile de Vincent Gallo qui joue au début Tetro comme un homme condamné. Mais Coppola ne filme pas le présent du film en format scope par hasard. Le scope et sa largeur généreuse s'opposent aussi au passé immuable de Tetro, et traduisent l'espoir d'un présent qui n'est pas figé et que la volonté peut modifier, qui coule glorieux et sans fin à gauche et à droite de l'écran, comme si le scope pouvait recouvrir à l'instar d'un fleuve les souvenirs du passé. Peu à peu, Bennie va sauver Tetro par amour pour lui, le pousser à accepter son passé (c'est-à-dire à s'accepter lui-même) et à accepter sa famille. Car accepter sa famille, c'est aussi être capable de lui opposer un autre visage, têtu et fort, afin de ne pas répéter les erreurs du père, afin de montrer qu'une famille peut être autre chose qu'une assemblée de larbins soumis à la terreur d'un pater familias tout puissant.
Bennie pose les bonnes questions à Tetro, qui le rejette au début comme le père de Tetro rejetait Tetro en qui il voyait un rival : "pourquoi me traites-tu comme cela ? Je n'ai pas accepté les règles que tu m'imposes." Grâce à Bennie, Tetro va mener et gagner un double combat : le premier, c'est de devenir artiste. A nouveau, c'est par les images et le cadre plutôt que par les dialogues, que Coppola montre cela : au fur et à mesure que le film se déroule, les flashbacks extraits du passé s'effacent du film pour céder la place aux images mentales de l'artiste. Alors que la première référence à Powell et Pressburger est un simple extrait des Contes d'Hoffman (Coppelia, le premier segment), les références suivantes sont des chorégraphies de Coppola/Tetro inspirés des Contes d'Hoffmann et aussi des Chaussons Rouges et non plus simplement reproduites par lui. Idée simple mais forte qui dit la transformation d'un spectateur rêveur en artiste utilisant les matérieux de ses souvenirs pour créer son monde à lui. Bennie, véritable pierre philosophale, aura permis cette transmutation du plomb et du négatif des souvenirs de Tetro en or et en positif. Le second combat que va mener Tetro, auquel on s'attend moins, mais que le film finit par nous révéler, c'est le combat d'un père apprenant le métier de père, et tachant de ne pas reproduire par mimétisme les erreurs commises dans sa propre famille. En acceptant que lui et Bennie partagent le titre d'auteurs de la pièce tirée des souvenirs de Tetro, ce dernier accepte qu'un membre de sa famille soit son égal et brise ainsi la malédiction de la rivalité qui empêchait sa famille d'être une vraie famille.
Très beau film, certainement l'un des plus beaux que j'ai vus pour l'année 2009, dans la tradition classique du cinéma, où les cadrages et le langage pur de la caméra et de l'image reprennent toute leur importance (alors que tant de films contemporains abusent de mouvements de caméra inutiles comme le regrette Coppola dans ses dernières interviews), Tetro de Coppola aurait mérité un meilleur accueil public et critique, en particulier aux Etats-Unis.
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
J'ai l'émission, mais je me rappelle surtout de l'avis de Michel CIment, qui avait été très déçu de voir ce que Coppola était devenu, comparant ce film à L'homme sans âge. Les autres chroniques parlaient du film comme d'un "ratage passionnant", seul Jérome Garcin avait aimé, le trouvant "bouleversant".Ratatouille a écrit :Apparemment, le film s'est fait récemment démonter par Le Masque et la Plume. Je n'ai pas écouté l'émission, mais je serais curieux de connaître leurs arguments...
Pour ma part, je ne suis pas allé voir ce film, à cause d'une distribution un peu trop légère (et les séances qui se déroulent pendant les heures de travail, c'est moyen).
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Personnellement je n'ai pas du tout aimé ce film. Je dirais même que je m'y suis ennuyé.
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Re: Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
bonsoir à vous tous...
j'ai vu hier Tetro... très beau film, images glacées en noir et blanc, admirable lumière... acteurs généreux, touchants...scénario dense... y'a du fellini dans ce film classique, étrange sensation entre le début, lorsqu'on pense voir un pt film..sans grand relief, et puis au fur et à mesure on se laisse dépasser par l'histoire ... la mise en scène... et on se dit, qu'on est en train de voir un chef d'oeuvre, un film qui va grandir, vieillir... se bonifier...
un film qui reste en mémoire ...merci l'artiste...

j'ai vu hier Tetro... très beau film, images glacées en noir et blanc, admirable lumière... acteurs généreux, touchants...scénario dense... y'a du fellini dans ce film classique, étrange sensation entre le début, lorsqu'on pense voir un pt film..sans grand relief, et puis au fur et à mesure on se laisse dépasser par l'histoire ... la mise en scène... et on se dit, qu'on est en train de voir un chef d'oeuvre, un film qui va grandir, vieillir... se bonifier...
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