Californie Terre Promise (California, 1947) de John Farrow
PARAMOUNT
Sortie USA : 14 janvier 1947
Premier western du réalisateur d’origine australienne John Farrow,
California est une grosse production de la Paramount, compagnie assez peu prolifique dans le domaine du western, n’en ayant effectivement produit qu’environ un seul par an depuis le début des années 40. Au vu de son budget et de ses ambitions, il est néanmoins étonnant qu’il ne soit pas plus connu dans nos contrées.

A la fin des années 1840. John Trumbo (Ray Milland), déserteur de l’armée américaine, a été embauché par Michael Fabian (Barry Fitzgerald) pour guider son convoi de pionniers, des fermiers venus de l’Est et souhaitant s’installer en Californie pour y faire pousser des pieds de vigne. En route, ils rencontrent Lily Bishop (Barbara Stanwick), une joueuse et femme ‘de mauvaise vie’ chassée de la ville par les bigotes du coin. Malgré lui, John Trumbo est obligé de l’accepter dans le convoi ; leurs relations seront très tendues durant le voyage. Peu après, au milieu de leur parcours, on leur annonce que de l’or a été découvert en Californie ; ce sera désormais chacun pour soi et la caravane se disloque pour ne plus laisser que John et Michael. Arrivés à destination, John retrouve Lily qui est devenu propriétaire d’un Saloon dans une ville sous la coupe d’un ex-trafiquant d’esclave, le Capitaine Pharaoh Coffin (George Coulouris) : « Une pelle me rapporte désormais plus qu’un noir ». Ce dernier a pour ambition, non moins que de gouverner la Californie et pour se faire en prendre la tête par la force, s’opposant pour cette raison à son intégration en tant que nouvel état américain. Ruiné par John lors d’une partie de cartes, Lily décide de se faire épouser par le richissime Pharaoh. Dans le même temps, Michael Fabian accepte de se présenter aux élections en tant que candidat à l’union de la Californie aux USA ; John qui va le soutenir, se trouve donc du coup dans le camp adverse de celui de Lily qu’il a toujours secrètement aimé…

Au vu de ce pitch, on devine aisément les ambitions de cette production de prestige de la Paramount, brasser dans un même film l’aventure épique et la romance sur arrière fond politique et historique. Le confortable budget alloué ne lui a pourtant pas permis de rester dans les annales. Et pour cause, si le film se suit assez agréablement, il ne s’agit pas d’une franche réussite. A force de courir plusieurs lièvres à la fois, le scénariste et le réalisateur ont eu du mal à maintenir l’intérêt tout du long, les ambitions de départ se trouvant un peu anéanties par un trop grand dispersement de l’intrigue mais aussi par un choix moyennement judicieux quant au casting et à des options de mises en scène un chouia prétentieuses.
California débute par un hymne aux bienfaits et merveilles de l’état de Californie sous forme de prologue musical d’une grandiloquence frisant parfois le ridicule ; n’est pas King Vidor qui veut et malgré le lyrisme des images et l’originalité du traitement, ce prélude opératique manque un peu son but ; dès le départ, il donnera probablement à certains l’envie de stopper net. John Farrow réitèrera ce ton volontairement emphatique lors de l’annonce de la découverte de filons d’or en Californie ; de nouveau des chœurs célestes, des gros plans ampoulés et une voix off pompeuse pour nous signifier que l’argent transformait alors les gens les plus simples en monstres d’avidité et d’égoïsme. Les gros plans expressifs sur les visages de ces pionniers ont beau être magnifiquement photographiés, la lourdeur didactique du message vient en quelque sorte annihiler cette recherche plastique.

Car oui les éclairages nocturnes de Ray Rennahan sont somptueux, certains panoramiques dont celui voyant la file interminable des chariots au début sont splendides, rappelant des images de
La Piste des Géants de Raoul Walsh notamment lorsque l’on voit les chariots descendre les falaises attachés à des cordes. Mais John Farrow, conscient de son talent, en fait parfois trop ; avant même Hitchcock et Welles, il nous concocte quelques longs plans séquences virtuoses dont un s’étirant sur plus d’une dizaine de minutes lors de la scène du bal dans l’hacienda. Mais au lieu de nous émerveiller, celui-ci semble faire s’éterniser la scène plus qu’elle ne le méritait et casse un peu le rythme qui, malgré les innombrables péripéties, ne nous semblait déjà plus trop nerveux. Bref, à trop vouloir en faire sans que ça ne serve à autre chose qu’à se regarder filmer, le cinéaste rate l’occasion qui lui était donné en restant modeste de réaliser une ample fresque mémorable surtout au vu des multiples possibilités du scénario. Scénario qui nous fait le cadeau de nous offrir un des ‘méchants’ les plus intéressants que nous ait donné le western jusqu’à présent, le personnage de Pharaoh, homme politique que ses rêves de grandeur empirique détruiront ; ancien esclavagiste hanté par ses démons et les fantômes de noirs brutalisés, il eut une enfance malheureuse sous la coupe d’un père alcoolique et violent. Tous ces aspects de sa personnalité rendent Pharaoh parfois foncièrement attachant ; sa maladresse et sa réelle tendresse envers Lily renforcent encore sa sympathie. Malheureusement, une grosse erreur dans la distribution empêchera une plus grande empathie du spectateur à son égard. En effet, George Coulouris qui l’interprète est un acteur assez inconsistant. C’est d’autant plus dommage qu’Albert Dekker se trouve de la partie mais ne s’est vu attribuer qu’un second rôle sans conséquence alors qu’à l’époque il s’agissait probablement du comédien le plus à même de tenir ce rôle de Pharaoh. De même, Ray Milland a beau être un formidable comédien de films noir, il se révèle ici assez terne surtout quand il se retrouve en face d’une Barbara Stanwick en revanche éclatante de vigueur et de beauté dont la première apparition fait étrangement penser à celle de Claire Trevor dans
Stagecoach de John Ford. Superbement mise en valeur dans la peau d’un protagoniste assez complexe, elle porte le film sur ses épaules aux côtés d’un Barry Fitzgerald (acteur fétiche de John Ford, inoubliable dans
Qu’elle était verte ma Vallée) lui aussi plutôt inspiré en porte parole de l'unification de la Californie aux USA.
Donc, même si le film un peu statique ne tient pas toutes ses promesses, nous trouvons néanmoins pas mal d’occasions de nous réjouir à commencer l’interprétation de Barbara Stanwick, une photographie très recherchée, rehaussée par la beauté du technicolor, des cadrages assez originaux, de très beaux plans (notamment celui suivant la débandade du convoi, la plaine étant jonchée de tous les objets délaissés par les pionniers), des paysages bien mis en valeur, des dialogues franchement bien écrits et une réflexion plutôt captivante sur les intérêts de la Californie à trouver son indépendance ou à entrer dans le giron de la grande Amérique. La première demi-heure rappelant les grands westerns des années 30 narrant l’avancée des chariots à travers les étendues sauvages du continent américain (
La Piste des Géants déjà cité en est l’exemple le plus mémorable) était même franchement excellente avec notamment la première confrontation dans l’intimité entre John et Lily ; des punchlines qui fusaient et une verve assez nouvelle de la part de Barbara Stanwick qui affirmait d’emblée l’originalité, la modernité et la nouveauté de son personnage. Il faut l’avoir entendu dire à Ray Milland après qu’il ait cru qu’elle le faisait venir dans son chariot pour l’attirer dans ses bras, «
je vous jetterais à bas de votre cheval et vous enfoncerais la tête dans la boue » pour se rendre compte du caractère de la dame en question qui ne se laissera jamais démonter pour notre plus grand plaisir. Dès l’arrivée en Californie, le film devenait tout de suite moins enthousiasmant mais comportait encore assez de bonnes séquences pour ne jamais nous ennuyer malgré tout. Le final très convenu montrait également les limites de l'ambition épique et la volonté de sérieux de départ. L’exemple type du film comportant une multitude de bonnes choses qui ont du mal à s’harmoniser pour former un tout cohérent et entièrement satisfaisant. En l’état, un western sympathique nous proposant une histoire encore assez neuve, ce qui n’est déjà pas si mal.
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Terre Damnée (Copper Canyon, 1950) de John Farrow
PARAMOUNT
Avec Ray Milland, Hedy Lamarr, MacDonald Carey, Mona Freeman, Harry Carey Jr, Frank Faylen, Hope Emerson
Scénario : Johnathan Latimer d'après une histoire de Richard English
Musique : Daniele Amfitheatrof
Photographie : Charles Lang
Une production Mel Epstein pour la Paramount
Sortie USA : 15 novembre 1950
Semaine riche en western que celle du 15 novembre 1950 puisque
Copper Canyon est le troisième à être sorti ce jour-ci avec
Kansas Raiders (Kansas en Feu) de Ray Enright et
Rio Grande de John Ford. Les amateurs ne devaient pas savoir où donner de la tête mais malheureusement tous les films n’étaient pas du même niveau et le western Paramount s’est avéré, contrairement aux deux autres, bien banal et ennuyeux. A propos de
California (Californie, Terre Promise, le précédent western signé John Farrow, j’écrivais «
le scénariste et le réalisateur ont eu du mal à maintenir l’intérêt tout du long, les ambitions de départ se trouvant un peu anéanties par un trop grand dispersement de l’intrigue mais aussi par des options de mises en scène un chouia prétentieuses… John Farrow, conscient de son talent, en fait parfois trop.» Finalement on aurait bien aimé au moins pouvoir en dire autant de sa deuxième incursion dans le genre mais malheureusement, pour
Terre Damnée, le cinéaste a abdiqué toute inventivité et n’a pas eu ne serait-ce qu’une toute petite idée originale de mise en scène. J’écrivais également, puisque l’acteur était déjà de la partie dans
California : «
Ray Milland a beau être un formidable comédien de films noir, il se révèle ici assez terne». Sur ce point rien a changé ; il ne semblait encore pas fait pour se balader dans l’Ouest américain. De plus, on ne peut plus parler d’un grand dispersement de l’intrigue, cette dernière s’avérant bien médiocre et convenue sans même cette fois la moindre ambition au départ.

Au lendemain de la Guerre de Sécession, d’anciens sudistes exploitent des mines de cuivre dans le Nevada. Mais, dans cette petite ville de Coppertown, ils sont rançonnés par les notables et homme de loi unionistes qui leur achètent leur marchandise à vil prix quant ils ne la dérobent pas. Une délégation de ces mineurs spoliés vient trouver Johnny Carter (Ray Milland), un artiste de music hall spécialisé dans le tir au couteau et au pistolet. Ils sont persuadés qu’il s’agit d’un ex-colonel sudiste recherché par l’armée des États-Unis pour lui avoir dérobé la somme de 20.000 dollars et qui, au vu de sa réputation héroÏque, pourrait leur venir en aide. Si son identité ne fait aucun doute, Johnny Carter fait semblant de ne pas comprendre, préférant désormais empocher l’argent récolté lors de ses tournées et faire un brin de cour à Lisa Rochelle (Hedy Lamarr), la propriétaire du saloon où il vient se produire ("You know, personally, I think there are only three things worth living for: fine guns, good horses and beautiful women"). Cette pulpeuse jeune femme est également courtisée par Lane Travis (MacDonald Carey), l’adjoint corrompu du shérif qui semble tenir la ville sous sa coupe. Ne pouvant plus cacher sa véritable identité, celle du Colonel Desmond, Johnny finit par proposer un plan aux mineurs leur permettant de convoyer leur chargement à une ville voisine où ils pourraient le vendre correctement. Le groupe ne se doute pas qu’il cache en son sein un espion qui s’empresse d’avertir Travis. Alors que ses hommes tendent un piège aux mineurs, un mystérieux cavalier masqué vient les contrarier et faire échouer leur traquenard…

Si l'histoire contenait pourtant tous les éléments pour accoucher d'une attractive série B, le scénario qui en a été tiré, souvent invraisemblable, pivote plus souvent du côté de la série Z. Le virage vers
The Lone Ranger se situant aux 2/3 du film aurait été sympathique si le film avait possédé la naÏveté, la fraîcheur et l’enthousiasme de certains sérials, ce qui est loin d’être la cas. Jonathan Latimer avait pourtant écrit de très bons scripts, notamment pour le film noir :
La Clé de verre (The Glass Key) de Stuart Heisler ou
La Grande Horloge (The Big Clock) du même John Farrow. Mais concernant
Copper Canyon, rien de bien nouveau sous le soleil du western excepté ce personnage de tireur d'élite saltimbanque interprété par Ray Milland. Avec un humour pince-sans-rire et un second degré constant dans ses répliques, il aurait pu tirer le film vers le haut mais ça ne se produit pas car le comédien prouve une fois encore qu'il n'était pas très à son aise dans le genre (mais ça pourrait changer par la suite). Sinon, une intrigue bien sage et sans grande surprise qui vient rarement nous sortir de notre torpeur d'autant que la mise en scène se révèle aussi amorphe que le scénario. Molle et sans rythme, elle ne nous encourage guère à nous raccrocher à quoi que ce soit !

Si ! Nous trouvons bien ici et là, sans s’y attendre, quelques plans fulgurants notamment lors des fusillades, un chatoyant Technicolor aux couleurs très chaudes qui rehausse les intérieurs, qui fait briller les costumes d'Hedy Lamarr et les chemises de MacDonald Carey, de beaux paysages (malheureusement pas forcément bien mis en valeur), le joli minois de Mona Freeman, un Harry Carey Jr qui semble tout droit échappé d'un des derniers films de John Ford et une interprétation assez réjouissante de MacDonald Carey en 'Bad Guy' de service (après ses excellentes prestations dans
Streets of Laredo et
Comanche Territory, le comédien continue à nous prouver que son jeu était tout à fait honorable et qu'il est dommage qu'il soit aujourd'hui à ce point oublié). Mais c'est bien à peu près tout ce que l'on peut retenir de ce western pataud et peu subtil dans lequel même Hedy Lamarr semble s'ennuyer ; il faut dire que sa romance est bien improbable. La comédienne est par ailleurs bien mal desservie par la maquilleuse qui, non contente d'avoir transformée Hope Emerson en travesti (sic !), nous gâche parfois la beauté d'une des actrices les plus charmantes qui ait été durant les décennies précédentes.

Avec un budget qui paraît conséquent, un cinéaste plutôt bien considéré et des comédiens chevronnés, on aurait pu au moins s’attendre à un film rigoureux et plaisant ainsi qu’à de bonnes séquences d’action ; mais pour cela il n’aurait pas fallu un tel manque de conviction dans la mise en scène, une telle inanité du scénario et un montage à l’emporte pièce. Résultat, même le final mouvementé parait bâclé, brouillon et sans ampleur jusqu’au duel final grandement attendu mais qui se termine aussi banalement que le reste du film. Sans charme (à l’image des girls du saloon qui chantent comme des casseroles et qui ne dansent guère mieux) mais la beauté de la photographie concoctée par Charles Lang et l’interprétation réjouissante de MacDonald Carey arrivent à sauver le film de la totale médiocrité. La Paramount fera vite oublier ce ratage en sortant un autre et meilleur western dans les derniers jours de l’année ; le prochain qui nous concerne, deuxième incursion d'Alan Ladd dans le genre après le superbe
Whispering Smith.
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Vaquero (Ride, Vaquero, 1953) de John Farrow
MGM
Avec Robert Taylor, Anthony Quinn, Ava Gardner, Howard Keel, Jack Elam, Ted De Corsia, Rex Lease
Scénario : Frank Fenton
Musique : Bronislau Kaper
Photographie : Robert Surtees (Ansco Color)
Un film produit par Stephen Ames pour la MGM
Sortie USA : 15 juillet 1953
Ce fut dans le milieu des années 70, étant enfant, un des premiers westerns à m’avoir fait tomber amoureux du genre notamment grâce au mystérieux personnage peu loquace joué par Robert Taylor que je trouvais alors (et toujours d’ailleurs) d’une grande classe (un peu vêtu de la même manière que son
Billy le Kid en 1941) et à qui je rêvais de m’identifier ; aujourd’hui, ce western ne me fait plus guère vibrer, John Farrow ayant une fois de plus gâché un beau sujet et une distribution en or massif. D’ailleurs la belle Ava ne s’est pas du tout entendu avec son metteur en scène et Robert Taylor a toujours dit qu’il s’agissait d’un de ses plus mauvais films ; en comparaison de ses quatre westerns précédents (dont le sublime
La Porte du diable), on peut le comprendre même si ça peut sembler exagéré !
Imbrication de citations :
«
A propos de California (Californie, Terre Promise), le précédent western signé John Farrow, j’écrivais : « le scénariste et le réalisateur ont eu du mal à maintenir l’intérêt tout du long, les ambitions de départ se trouvant un peu anéanties par un trop grand dispersement de l’intrigue mais aussi par des options de mises en scène un chouia prétentieuses… John Farrow, conscient de son talent, en fait parfois trop. »
Finalement on aurait bien aimé au moins pouvoir en dire autant de sa deuxième incursion dans le genre mais malheureusement, pour Terre Damnée (Copper Canyon), le cinéaste a abdiqué toute inventivité et n’a pas eu ne serait-ce qu’une toute petite idée originale de mise en scène » écrivais-je donc cette fois à propos de son deuxième western. Cette troisième tentative que représente
Vaquero finit d’entériner ce fait : John Farrow, plutôt à l’aise dans le film noir, ne l’était pas du tout dans le western ! Au vu de ses deux premiers essais, soit il eut trop d’ambition soit il n’en eut pas assez.
Vaquero combine les deux : l’histoire originale et son postulat de départ auraient pu donner lieu à un grand film mais la fadeur du scénario de Frank Fenton (qui venait de nous octroyer celui très mauvais de
The Wild North - Au Pays de la peur de Andrew Marton) et le manque de conviction de la mise en scène accouchent d’un résultat très peu captivant même si pas non plus catastrophique.

Au Texas près de la frontière mexicaine. La Guerre de Sécession vient de prendre fin, ce qui n’est pas du goût du leader des desperados mexicains qui tient la région sous sa coupe, Jose Esqueda (Anthony Quinn). Il craint que les soldats, de retour des combats, viennent à nouveau s’occuper de leur cas et ne souhaite pas que la région vienne être envahie par les vaincus voulant se réinstaller, amenant avec eux loi et civilisation : ces trop grands changements risquent de faire péricliter son influence et sa domination. Avec l’aide du tireur d’élite Rio (Robert Taylor), son frère de lait, il décide de brûler tous les ranchs qui s’érigeraient en ces contrées. King Cameron (Howard Keel), ancien colonel sudiste, arrive dans la région avec justement la ferme intention de construire un domaine imposant destiné à l’élevage. Il est accompagné de sa charmante épouse, Cordelia (Ava Gardner). A peine installé sur place, il décide de ne pas se laisser faire par Esqueda, tentant même convaincre (sans succès) ses concitoyens de l’aider à le chasser de la région. Esqueda ne se laisse pas démonter non plus et détruit à deux reprises les constructions dressées par Cameron. Lors d’un raid, Rio est blessé par Cameron qui le conduit dans son ranch afin de le soigner. Il réussit même à le persuader d’abandonner sa vie de hors-la-loi et de devenir son associé ; la beauté de Cordelia n’est probablement pas étrangère à son acceptation alors même que la jeune femme a en retour du mal à lui faire confiance. Elle change d’avis le jour où elle apprend que Rio vient de sauver la vie de son époux ; elle tombe même sous le charme de l’ex-Outlaw…

Dommage que la mise en scène de John Farrow ne brille d'aucun éclat particulier et que le scénario soit aussi plat ou décousu (on laisse parfois des personnages principaux sur le carreau pendant de bons quart d’heure) car au travers de cette belle histoire d’amour et d’amitié encastrée dans une plus traditionnelle intrigue de rivalité entre deux camps pour s’accaparer des terres, nous aurions pu facilement avoir un très grand film lyrique et romantique. Car, si
Vaquero entre dans la lignée de ces films tels
Duel au soleil (Duel in the Sun) de King Vidor ou de
The Furies d’Anthony Mann, il ne possède pas la flamboyance plastique du premier ni la puissance dramatique du second. Contrairement à ses aînés, il s’avère esthétiquement bien trop terne, rythmiquement bien trop mou pour nous tenir en haleine ou en éveil tout du long. Si les intentions étaient de livrer un film au baroque flamboyant, il n’en est malheureusement rien dans les faits ! Le film avance sans à coups, sans véritable tension. Les relations attachantes et (ou) ambigües entre Rio et Esqueda (on peut penser à de l’homosexualité même si on le réfute à deux ou trois reprises durant le courant du film au profit d’une forte amitié fraternelle), entre Rio et Cordelia (un adultère en suspens), entre Rio et Cameron (un immense respect mutuel) font partie de ce que l’on trouve de plus intéressant dans ce film de John Farrow. Mais que de passions exacerbées pour un résultat qui manque singulièrement de chaleur !

Malgré tout, une belle histoire d'amitié entre les deux personnages antagonistes et éminemment contrastés interprétés par Anthony Quinn (composition magistrale qui découle un peu de son rôle dans
Viva Zapata de Kazan) et Robert Taylor, le premier sanguinaire et inquiétant mais aussi truculent et picaresque à souhait, voire même parfois touchant (son style de jeu rappelle un peu celui de Wallace Beery), le second au contraire impassible, grave et peu volubile. «
Tu es étrange Rio ; tu n’as aucun vice. Ni le vin, ni les femmes ni une parole de trop. Une balle dans le cœur ne te tuerais pas ! » dira même Esqueda un peu excédé par le sérieux de Rio. De belles relations s’établissent également entre Rio et Cameron, ce dernier d’une droiture telle qu’elle risque de lui couter la vie : «
Tu es bêtement fier ; mourir par fierté, c’est idiot » lui dira Rio. Rio qui s’avère finalement le pivot central de ce quatuor, celui qui sera tiraillé entre sa loyauté envers Esqueda, son respect envers Cameron et son amour pour l’épouse de son bienfaiteur. Une situation conflictuelle qui est le véritable cœur du film, le conflit entre Cameron et Esqueda étant relégué en arrière plan. On retrouve aussi l’aspect religieux qui a toujours tenu à cœur au cinéaste, ici par l’intermédiaire du prêtre interprété sans trop de conviction par un Kurt Kasznar sous utilisé, tout comme Jack Elam dans le rôle du bras droit d’Esqueda.
Sinon, de fulgurants éclairs de violence, quelques répliques cinglantes (“
Can you imagine a smile on Barton’s face? ” - “
It’s the only place where a smile could be ugly.”, Barton étant joué par Jack Elam), un score correct de Bronislau Kaper mélangeant éléments symphoniques et motifs exotiques à la mexicaine et surtout un casting quatre étoiles constitué, en plus du duo Quinn/Taylor, d'un Howard Keel que je n'attendais pas aussi à l'aise dans le western et d'une Ava Gardner au sommet de sa beauté (le couple avait déjà été réuni deux ans plus tôt dans l’un des chefs-d’œuvre de George Sidney,
Show Boat). A l'actif de John Farrow tout de même, quelques très beaux plans comme celui en haute contre plongée voyant tous les hors la loi se réunir en arrivant des quatre coins de l'écran et une mise en scène plus vigoureuse lorsqu'il s'agit de filmer la violence, ce qui donne quelques séquences formidablement tendues notamment dans la dernière demi-heure avec une ultime scène dans le saloon assez intense.
Un western psychologique et anti-spectaculaire dont le scénario aurait mérité d’être développé et enrichi et qui aurait gagné à bénéficier de plus de lyrisme dans sa réalisation mais qui, en l'état, se révèle néanmoins honnête même si au final très conventionnel et assez fade.