Richard Brooks (1912-1992)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Phnom&Penh
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Phnom&Penh »

yaplusdsaisons a écrit :Voilà où nous mènent les chimères de l'investigation érudite A mon avis cette double source que tu dévoiles ajoute plus de cohérence quant au traitement du film que de réelle beauté à l'arrivée (je précise que j'ai trouvé ce film la plupart du temps très beau).
Oui, je charge un peu la barque, tout content que je suis de ma découverte du rapport entre le personnage de Van Johnson / Charles Wills (le héros de Babylon Revisited n'est ni journaliste ni écrivain) et la vie d'Elliot Paul :) . Pas seulement les petites histoires d'époque, la vie de patachon, mais aussi l'amertume de l'écrivain à qui on renvoit ses manuscrits, la nostalgie et le thème du "rentrer chez soi" d'un américain expatrié.

Je reconnais que le film n'est pas un chef d'oeuvre, mais, en revanche, je trouve que le scénario est vraiment très talentueux dans sa façon de s'inspirer d'une intrigue de Fitzgerald, d'une part, d'une atmosphère inspirée par un autre écrivain, Elliot Paul, pour livrer à la fin une histoire typiquement hollywoodienne années 50...mais l'adjectif formidable est sans doute un peu exagéré :mrgreen:

Sur la fin, gros spoiler:
Spoiler (cliquez pour afficher)
je pense que la grosse erreur est d'avoir utilisé la même petite fille, de cinq ans environ, alors que le père est censé revenir plus d'un an après les évènements racontés. En prendre une autre, plus âgée, aurait d'ailleurs rendu les "retrouvailles" moins évidentes, et donc plus crédibles. Sans parler du happy end où les oncle et tante décident finalement de confier à nouveau la petite fille au père, à la sortie d'un bistro le soir venu, sans même une valise...d'autant que le père n'est pas du genre à lui dire de penser à bien se couvrir quand il fait frais :mrgreen: Mais bon, c'est la magie du cinéma :wink:
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Alligator »

Elmer Gantry (Richard Brooks, 1960) :

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autres captures ici
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Mazette, qu'il est long! Piouuuu.... 2h30 ou 40, qui n'en finissent pas. Non qu'il soit mauvais, loin de là même, il n'aurait pas été dur de trouver la demi-heure à enlever, quelques longueurs par-ci, par-là.

Mais ce qui m'a frappé très vite, c'est que le parcours d'Elmer est quasi identique à celui de Larry dans "A face in the crowd" de Kazan. C'est pratiquement le même film, l'histoire d'un cynique, d'un charlatan, un bonimenteur qui par sa capacité à capter l'attention d'un auditoire manipule son monde comme personne. La fin est beaucoup moins corrosive ici, plus hollywoodienne et politiquement correcte. D'ailleurs, elle diminue d'autant plus la portée du film, jusque là fin et racé. Le film finit presque dans une sorte de guimauve bien pensante qui rassurera les bonnes âmes chrétiennes. Amen. "A face in the crowd" allait jusqu'au bout de son raisonnement afin de démontrer l'absurdité et l'incohérence, la forfaiture du personnage.

Ici, Lancaster (Elmer) propose un caractère peut-être tout aussi faux-cul dans la majeure partie du film, plein de contradictions mais au final aussi piégé par lui même que les autres. Il finit par croire au discours qu'il débite, au personnage qu'il se construit. C'est ce qui est le plus intéressant. Il finit par se laisser gober par son propre mensonge. Lancaster parvient généralement à doser la part de ferveur et celle de la fausseté pour nous offrir une prestation complètement crédible et une émotion bien réelle, finalement beaucoup plus intense et concrète que celle d'Andy Griffith dans "A face in the crowd" noyé dans la parabole de sa folie. Ici le personnage de Lancaster n'est ni bon ni mauvais, il demeure très humain avec ses forces et ses faiblesses, ni plus ni moins. Le film ne juge pas.

Jean Simmons habite une pieuse femme qui a fait prendre tout son sens à sa vie dans la prédication. Elle lui donne une ampleur parfois que sa frêle constitution ne prédisposait pas à imaginer. Face à elle surgit Lula Bains (Shirley Jones) superbe blonde à la poitrine et au menton altiers. On notera qu'entre la sainte et la pute, il n'existe pas d'alternative à la figure de la féminité. Témoin de ce drame, Arthur Kennedy en journaliste vertueux et athée reste parfait de sobriété.

En somme un film intéressant mais beaucoup trop long et dont la distribution est l'atout majeur.
beb
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par beb »

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bruce randylan
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par bruce randylan »

La chevauchée sauvage (bite the bullet - 1975)
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J’en avais un bon souvenir mais ce tardif et deuxième visionnage (après plus de 10 ans) me laisse une impression des plus mitigée. Les problèmes se font surtout ressentir dans la deuxième moitié qui enchaine les fautes de goût, les facilités, les incohérences et surtout un manque flagrant d’implication, de conviction et de courage tout simplement.
Il est loin le temps où Brooks était l’un des réalisateurs les plus engagés du cinéma américain et se permettait de livrer des films sans concessions avec une vision d’une rare acuité sur ses personnages. Ici, il n’ose pas choisir entre ses différents personnages pour un dénouement consensuel à la réalisation manquant cruellement d’intensité, de panache et de mordant.

On avait pourtant envie d’y croire au début avec ses différents protagonistes de marginaux, d’outsiders et d’exclus (une femme, un écolo, un noir, un vieux etc.) mais qui deviennent de plus en plus « rocambolesques » au fur et à mesure. On touche le point de non retour dans la sous-intrigue sur le mari évadé qui deviendrait presque irrespectueux envers la psychologie des personnages.
Mon intérêt s'est montré de plus en plus diffus pour céder donc à une certaine irritation.
On trouve tout de même ici ou là de quelques sursauts témoignant de la présence de Brooks à la caméra (comme cette mort très émouvante d’un concurrent en quête de gloire et dont on ne connaitra même pas le nom)
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Federico »

bruce randylan a écrit :La chevauchée sauvage (bite the bullet - 1975)
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J’en avais un bon souvenir mais ce tardif et deuxième visionnage (après plus de 10 ans) me laisse une impression des plus mitigée. Les problèmes se font surtout ressentir dans la deuxième moitié qui enchaine les fautes de goût, les facilités, les incohérences et surtout un manque flagrant d’implication, de conviction et de courage tout simplement.
Il est loin le temps où Brooks était l’un des réalisateurs les plus engagés du cinéma américain et se permettait de livrer des films sans concessions avec une vision d’une rare acuité sur ses personnages. Ici, il n’ose pas choisir entre ses différents personnages pour un dénouement consensuel à la réalisation manquant cruellement d’intensité, de panache et de mordant.

On avait pourtant envie d’y croire au début avec ses différents protagonistes de marginaux, d’outsiders et d’exclus (une femme, un écolo, un noir, un vieux etc.) mais qui deviennent de plus en plus « rocambolesques » au fur et à mesure. On touche le point de non retour dans la sous-intrigue sur le mari évadé qui deviendrait presque irrespectueux envers la psychologie des personnages.
Mon intérêt s'est montré de plus en plus diffus pour céder donc à une certaine irritation.
On trouve tout de même ici ou là de quelques sursauts témoignant de la présence de Brooks à la caméra (comme cette mort très émouvante d’un concurrent en quête de gloire et dont on ne connaitra même pas le nom)
Revu également cette semaine mais il me plaît bien, malgré ses petites faiblesses (en réalité, j'en vois surtout une flagrante, cf + bas), ce western "fin d'une ère" où les cow-boys ne sont déjà presque plus que des figures de musée. La mort de Ben Johnson est effectivement le plus beau moment du film. J'aime bien aussi le personnage d'amoureux des chevaux joué par Hackman, ses relations amicales avec le Mexicain (le titre français complètement à côté de la plaque ne rend pas hommage au titre original qui évoque la longue souffrance de cet homme affligé d'un atroce abscès dentaire et qui se fait faire une couronne de fortune). Effet 70's, il y est souvent question de drogues (pilules d'héroïne calmantes contre les rages de dents, Hackman qui s'empoisonne d'un mélange de laudanum et de whisky). L'amusement un peu enfantin de revoir Coburn chevaucher une moto comme dans Il était une fois la révolution. Et Candice Bergen est très bien elle aussi, renouvelant le standard de la prostituée brave fille chère au western.
C'est vrai que Brooks semble s'être un peu mis en vacances dans la dernière partie (la poursuite des prisonniers enfuis aurait méritée d'être coupée et certains personnages restent trop flous) et qu'il a fait bien mieux.
Bon, le gros blème, c'est Jan-Michael Vincent, aussi insupportable en jeune chien fou que dans sa soudaine reconversion en gentil p'tit gars qui dit "Oui M'sieur ! Bien m'dame !". Il était temps de laisser tomber le grand cinoche pour faire joujou avec un hélico supersonique. :wink:
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Federico »

Je ne suis jamais très à l'aise avec les classements et je n'ai pas vu tous les films de Brooks et certains pas revus depuis un bail mais pour me limiter lâchement à un top 5, je mettrais :

1. The happy ending (découvert au CDM il y a 1 ou 2 ans, c'est une mer-veille !)
2. Doux oiseau de jeunesse
3. De sang froid
4. La dernière chasse
5. Bas les masques

Et il y a de très grands moments dans quelques autres (l'interprétation inoubliable de Burl Ives dans La chatte sur un toît brûlant), l'affrontement mutuellement admiratif entre Sidney Poitier et Glen Ford dans Graine de violence, la dégringolade de Diane Keaton dans A la recherche de Mr Goodbear...)
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Julien Léonard »

Je suis en pleine redécouverte de ce génial metteur en scène, et pour le moment je suis enchanté de ce que je vois. La dernière chasse, Doux oiseau de jeunesse, et surtout Les professionnels (une sucrerie merveilleuse)... Du bonheur ! Hâte de poursuivre.
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Major Dundee
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Major Dundee »

Federico a écrit :Je ne suis jamais très à l'aise avec les classements et je n'ai pas vu tous les films de Brooks et certains pas revus depuis un bail mais pour me limiter lâchement à un top 5, je mettrais :

1. The happy ending (découvert au CDM il y a 1 ou 2 ans, c'est une mer-veille !)
2. Doux oiseau de jeunesse
3. De sang froid
4. La dernière chasse
5. Bas les masques

Et il y a de très grands moments dans quelques autres (l'interprétation inoubliable de Burl Ives dans La chatte sur un toît brûlant), l'affrontement mutuellement admiratif entre Sidney Poitier et Glen Ford dans Graine de violence, la dégringolade de Diane Keaton dans A la recherche de Mr Goodbear...)
Le mien :

1. Graine de violence
2. De sang froid
3. La dernière chasse
4. La chatte sur un toit brûlant
5. Le carnaval des dieux

J'en avais déjà fait un et je m'aperçois que j'ai fait sortir "Les professionnels" pour faire entrer "De sang froid" que j'ai revu à la hausse.
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par jacques 2 »

Revu "les professionnels" : quel film et quel casting ... :o :D

Quand je pense que certains pensent que Stallone a eu une idée brillante ou un concept novateur avec sa réunion de gros bras dans son nullissime "Expendables", je trouve cela aberrant ... :mrgreen:

Alors qu'ici, on avait vraiment une réunion de vrais "durs" (Burt Lancaster, Lee Marvin, Woody Strode, Robert Ryan, Jack Palance : excusez du peu) mais aussi et surtout de grands acteurs avec une épaisseur humaine (donc pas besoin d'en faire des tonnes) qui jouent dans un film qui raconte - de main de maître - une histoire : bref, du grand cinéma indémodable qui n'a vraiment pas pris une ride ...
Bien autre chose que la pelloche stéroïdée et réalisée avec des moufles par ce bourrin sans âme de Stallone avec en guise d'épaisseur, les muscles boostés à la gonflette ... :uhuh:
Dernière modification par jacques 2 le 7 nov. 10, 11:52, modifié 1 fois.
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par jacques 2 »

A part cela, à propos de Richard Brooks, pourriez vous svp me dire si le dvd de "la dernière chasse" est de qualité ?
Car il me tente beaucoup, cet excellent film vu il y a bien longtemps ... :wink:
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Major Dundee
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Major Dundee »

jacques 2 a écrit :A part cela, à propos de Richard Brooks, pourriez vous svp me dire si le dvd de "la dernière chasse" est de qualité ?
Car il me tente beaucoup, cet excellent film vu il y a bien longtemps ... :wink:
Désolé, je ne peux pas t'aider, je ne possède pratiquement pas de DVD du commerce (juste des enregistrements TV).
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Julien Léonard »

jacques 2 a écrit :A part cela, à propos de Richard Brooks, pourriez vous svp me dire si le dvd de "la dernière chasse" est de qualité ?
Car il me tente beaucoup, cet excellent film vu il y a bien longtemps ... :wink:
Le DVD zone 2 sorti chez nous propose une belle image, assez soignée. Couleurs, compression... Idéal. Si ce n'est que le master est 4/3. Du coup, avec le scope respecté du film, le DVD fait un effet timbre poste sur une TV LCD 16/9. Dommage (et un peu chiant quand même ! :twisted: ), mais en l'état le DVD n'est pas non plus une catastrophe. A toi de voir.
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par jacques 2 »

Merci à tous deux ... :wink:
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Nestor Almendros »

A LA RECHERCHE DE MR GOODBAR (1977)

Vraiment très content de l'avoir revu. En 2005, j'étais resté sur une impression mitigée mais j'avais senti une réelle importance de l'oeuvre. J'ai essayé d'être cette fois plus attentif et de comprendre ce qui m'avait déstabilisé à l'époque. En le revoyant hier j'ai eu le sentiment de voir un grand film, un classique méconnu de l'époque, avec le sentiment de ne pas l'avoir totalement compris malgré tout.

SPOILERS
C'est d'abord, à mon avis, un film très audacieux qui raconte son époque en même temps qu'il porte un regard très aiguisé sur la société. L'héroine fait partie de ce mouvement d'émancipation féminine propre aux années 70. Elle assume une indépendance farouche tant matérielle que spirituelle et ne conduit résolument pas sa vie telle que la société américaine la conçoit. Elle s'éloigne des bases religieuses (inculquées par ses parents) et des relations amoureuses: dans les deux cas il s'agit en quelque sorte d'une déception vécue qui la pousse à se protéger des désillusions futures en évitant le sujet. Elle s'est rendue compte que la religion (qui envahissait sa famille) donnait des résultats biaisés: les parents sont comme enfermés dans leurs croyances et leurs habitudes, trompeuses la plupart du temps. La société cache derrière une respectabilité amenée par la culture religieuse des penchants moins avouables, elle bride les personnalités là où l'héroine cherche l'épanouissement personnel. Le cas de la soeur (Tuesday Weld) est un bon exemple: elle reste la petite fille parfaite de ses parents alors qu'elle a une vie complètement dissolue (mariage raté, sexualité "déviante" pour la société). Les déceptions de l'héroïne touchent également les histoires de coeur: les hommes qui l'ont attiré (notamment le professeur) ne se sont jamais montrés à la hauteur des attentes: lâches, inconstants, machos éventuellement (là encore on parle de la place de la femme dans la société). Elle cherche donc les aventures sans lendemain.

Conséquence elle se retrouve seule. Pas forcément solitaire (elle l'est finalement un peu sans se l'avouer) mais poussée en marge de la société avec une vie sociale assez pauvre. Au grand jour elle aide autrui (via les malentendants) mais la nuit elle s'émancipe de façon moins avouable. Il est très rare de voir dans le cinéma US une sexualité aussi crûment abordée: ce personnage féminin assume totalement sa recherche de plaisir au détriment de relations sentimentales. La Femme prend le dessus, prend sa vie (et son corps) en main, quitte à déplaire. Le film va très loin dans la démonstration de liberté que le personnage semble assumer. On montre un sexe débridé et des pratiques qui ont tendance à se populariser (le porno, l'échangisme). En même temps, elle en est aussi victime: il se dégage du film non pas un jugement mais une sorte de relativisme car les milieux fréquentés, les hommes rencontrés, la font courir à sa perte. Il plane tout au long du film une impression morbide que le final exploitera.

Ce final est d'ailleurs marquant: par la violence soudaine (et poussée) et par un certain désespoir, aussi. Il est aussi tragique que mélancolique. Ce parcours semble se terminer presque logiquement. Il y a ce "do it!" étrange qui ferait presque penser qu'elle attend ce geste fatal pour la délivrer d'une existence qui la lasse. Elle a pourtant quelques clés en main, ce James qui l'aime et lui fait la cour avec respect mais qui ne l'intéresse pas. On a l'impression, dans ce final, qu'elle cherchait inconsciemment cette issue extrême. C'est troublant. En même temps, il se dégage de cette fin des relents moralisateurs implicites et contradictoires: elle a eu ce qu'elle méritait en fréquentant ces endroits de perdition, en n'adoptant pas le profil type de l'américaine bien assimilée dans la société. Il y a aussi l'idée du sexe dangereux: les pratiques débridées ne mènent à rien de bon. Le tueur est un déstabilisé homosexuel: là aussi c'est très ambigu en même temps que "logique" car c'est un marginal de la société (comme elle) qui lui donne la mort.

C'est un très bon cru de Richard Brooks. Bien qu'ayant évolué dans un cinéma plus classique il s'adapte ici à son époque et réalise un film moderne et audacieux sur le fond et pertinent sur la forme, à ne pas montrer à tous les publics. Il gère très bien les nombreux fantasmes ou rêves de l'héroine. Il conduit bien son récit. J'en reparle encore, parce que la séquence est cruciale et que son impact est immense: le final est d'une efficacité redoutable, les idées de mise en scène sautent aux yeux du spectateur. Un bon exemple de twist final marquant.
Impossible de terminer sans parler de l'excellente prestation de Diane Keaton. C'était une période faste pour elle (avec ANNIE HALL de Woddy Allen). Elle porte le film avec maestria et conviction, assumant comme son héroine une image qui pouvait la nuire. C'est d'ailleurs, probablement, l'un de ses meilleurs films et l'une de ses meilleures (si ce n'est la meilleure) prestation.

J'en ressors donc assez conquis, vous l'avez vu, en même temps que le film me laisse parfois perplexe, qu'il me reste encore des choses à y découvrir.

Encore une diffusion pertinente de Patrick Brion au Cinéma de Minuit, espace quasi-unique d'audace et d'originalité dans un paysage hertzien complètement abandonné. C'était plutôt à Arte de diffuser ce genre de film. Mais bon...
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Federico »

Revu aussi dimanche dernier. Un film culotté avec également un parti pris audacieux dans le montage (la représentation des scènes fantasmées par la jeune femme donne vraiment l'impression d'être dans sa tête). L'éclairage stroboscopique final est un peu lourd mais le plan ultime sur le visage de Diane Keaton (prodigieuse) en médaillon est absolument déchirant.
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