allen john a écrit :Alligator a écrit : j'avoue que la composition de Gloria Swanson en jeune orpheline et surtout l'éclaboussante prestation de Tully Marshall en un monstrueux et libidineux Jan m'ont complètement sorti du film qui est devenu une source de rires incontrôlables. A se demander si Von Stroheim ne s'est pas évertué à créer ici une sorte de farce fantaisiste et à la sensualité explosive. Comme la culotte que Gloria Swanson jette au visage de Walter Byron : canular ou bouffonade épaisse?
En effet, il est dificile de prendre tout ça au sérieux, mais la composition de Tully Marshall (Qui n'est pas beaucoup plus subtil dans
The Merry Widow) a de toutes façons été captée juste avant l'arrêt brutal du tournage. Le film est bien sur inachevé, mais je te rejoins: d'ailleurs, je suis sur qu'en faisant ce film, Stroheim pastichait
The Merry Widow, un film qu'il détestait.
Je suis troublé, Alligator, par la vivacité de ton jugement. Et dubitatif, Allen John, dont j'admire tant les post, devant ton adhésion sans réserve à ce jugement.
Alligator, Queen Kelly est un film MUET. En noir et blanc. Les acteurs n'ont alors pour s'exprimer que leurs expressions. Ici, il me semble que le jeu de Gloria Swanson est particulièrement sobre, pour l'époque et ses pantomines. Ainsi, dans la scène de la culotte, elle ne se sert que de ses yeux. D'accord, elle n'est plus en âge, depuis longtemps, de jouer une adolescente, sa composition s'en ressent. Mais de tout temps, les films se sont financés sur les stars. Et de tout temps, bien des stars ont eu du mal à entrer dans leur âge. Adjani a largement passé la cinquantaine, Deneuve en a soixante cinq: est-ce qu'elles jouent des rôles de leur âge? De plus, le jeu des comédiens évolue de décennie en décennie, il n'est qu'à voir le jeu "à plat" et "distancé" des comédiens de de la nouvelle vague, aujourd'hui très daté. Il me semble qu'on peut accepter, dans Queen Kelly, la patine d'un jeu remontant à plus de trois quart de siècle.
Enfin, la scène de la culotte me parait bien loin d'un simple canular ou d'une bouffonnerie. Au-delà de l'aspect symbolique (la cohorte de vierge blanche d'un côté, le sabre des officiers de l'autre), elle est, en sus des obsessions érotiques de Stroheim, d'un culot inouï, non seulement pour l'époque, mais pour aujourd'hui: humiliée, folle de rage, la vierge jette son slip à la gueule du jeune cochon! Transpose aujourd'hui: l'adolescente sortant de l'école, d'un côté; le car de flics, bourrés, qui la provoquent, de l'autre. Prévois une bonne vingtaine de champs contre champs, pour bien enfoncer le clou, bien montrer le sadisme des mecs, l'humiliation de la fille. Fais en sorte qu'elle arrache son collant en le jetant à la gueule des flics. Et qu'un flic récupère la culotte avec son flingue. Tu auras tout à la fois:
-protestation des syndicat de police devant l'image dégradante que le réalisateur présente des forces de l'ordre
-protestation des mouvements féministe, devant l'image sexiste que le réalisateur présente d'une gamine
-protestation d'une partie de la presse, devant le complaisance sadique du réalisateur.
-Accessoirement, protestation de l'évêché si la fille sort d'une école catholique.
Et j'exagère à peine...
A toi Allen John, qui connais ton Stroheim comme personne: comment peux-tu ne pas prendre ce film au sérieux? Et abonder dans le sens de la vivacité d'Alligator? Je sais que tu n'aimes pas trop Queen Kelly, si j'en crois ton post qui lui est consacré. Mais enfin, même s'il peut donner le sentiment -et pas à tout le monde- d'être lent; même s'il est inachevé; c'est le moins mutilé des films de Stroheim, puisqu'il fallait monter tout ce qui avait été tourné pour faire le métrage! Les scènes d'ouverture, de la culotte, de l'enlèvement, de l'aprivoisement de Kitty par Wolfram, celles encore du fouet, du suicide, du mariage au bordel, sont hallucinantes -et hallucinées-. Stroheim a écrit The swamp, ce n'est pas parce qu'il reprenait des aspects de Merry Widow qu'il le pastichait: tous les créateurs passent leur temps à se répéter. Dans les multiples versions qui circulent relatives à l'arrêt du tournage, par delà les bagarres de plateaux et les désarrois de Swanson, il y en a une assez prosaïque: c'était absurde de lancer le tournage d'un film muet à très gros budget en 1928, alors que le parlant débarquait!
Dernier point, pour en revenir sinon à Tully Marshall -répugnant à souhait- mais à Swanson: met côte à côte et d'un côté, le jeu de Maud Georges, Zasu Pitts, Mae Busch, Dale Fuller, pour citer quelques unes des comédiennes abonnées aux films de Stroheim; et confronte-les au jeu de Swanson: franchement, le jeu de Swanson ne mérite-t-il pas d'être pris très au sérieux? De toutes ces dames, selon nos critères d'aujourd'hui, n'est-elle pas la plus sobre?
A part ça, l'important c'est d'aimer Stroheim. Un maître. Et continue, Allen John, à écrire sur lui. As-tu pu enfin voir Wedding March?