David Wark Griffith (1875-1948)
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Re: David Wark Griffith
Bach films proposent 3 Griffith dans ses nouveautés : La Guerre des sexes, Le Pauvre amour (True Heart Susie) et America
http://www.bachfilms.com/?PHPSESSID=d5d ... a5aa564522
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Re: David Wark Griffith
Je ne sais pas du tout ce que valent les copies, mais s'il y a un choix à faire: Le pauvre amour (En Anglais dans le snob: True Heart Susie). Lillian Gish dans une comédie tendre. Non, un argument encore plus simple: Lillian GishFatalitas a écrit :Bach films proposent 3 Griffith dans ses nouveautés : La Guerre des sexes, Le Pauvre amour (True Heart Susie) et America
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Re: David Wark Griffith
His trust/His trust fulfilled(1910)
C’est à la fin de 1910 que Griffith se lance dans cette histoire mélodramatique dont il entend bien faire son premier film de deux bobines. Le format est déjà expérimenté, dans un contexte peu favorable : la plupart des compagnies Américaines freinent autant que possible afin de ne pas dépasser le film d’une bobine, dans le but de ne pas effrayer un public de masse dont on se dit qu’il n’a aucun pouvoir de concentration. Les films Européens d’une longueur supérieure sont encore considérés comme trop sophistiqués ; le plus souvent, ils sont distribués en bobines séparées, lorsqu’ils sont montrés au grand public, mais c’est assez rare. Pas de chance pour les gens de la Biograph, c’est ce modèle que Griffith s’est fixé : il veut, lui aussi, raconter des histoires plus longues. Mais il choisit, pour cette première expérience, un sujet Américain, plus prudemment, et c’est tout naturellement qu’il se tourne une fois de plus, vers la guerre civile. Le (Ou les) film(s) obtenu(s)ainsi représentent la première des trois étapes vers le long métrage pour le futur auteur de The Birth of a nation. Griffith tourne les deux parties en séquence, en novembre 1910, et propose de sortir le tout en une séance. La Biograph n’accepte pas, mais si un intertitre annonce dès le départ du premier film que les deux œuvres sont bien séparées, et peuvent être vues indépendamment l’une de l’autre, on ne peut qu’en douter.
L’histoire racontée est cousue de fil blanc, et concerne une famille Sudiste dont le père part à la guerre. Il confie sa femme et son fils à son esclave George, un « House slave » qui doit être plus ou moins l’équivalent d ’un majordome. A la mort de l’officier, George se sacrifie toujours plus pour protéger la famille, notamment lorsque la plantation est pillée. Il les accueille dans sa cabane lorsque la maison est incendiée par les yankees, et se chargera de l’éducation de la petite une fois l’épouse morte de chagrin, d’humiliation, et d’épuisement...
Le propos de Griffith est de raconter du bon gros mélo qui tache, tout en faisant passer un message sur la fidélité du bon noir et ces braves esclaves qui ont tout sacrifié pour le bien-être de leurs maîtres ; en gros il s’agit de sa vision de la tolérance, mais la vision des noirs en « Black face » qui applaudissent et gesticulent en roulant des yeux le départ de leurs tortionnaires vers la guerre, ou s’enfuient à la vision des diables bleus dont on sait qu’officiellement, ils étaient justement là pour libérer les esclaves, tout cela rend le message problématique. En tout cas, même en situant le point de vue du coté sudiste, on est en pleine Case de l’oncle Tom. Par contre, tout le film (His trust) prend bien le Majordome George pour héros. Sinon, que de gros sabots !
Les différences entre les deux parties (La première se clôt sur l’arrivée de la famille ruinée dans la cabane) tiennent dans le choix des décors : beaucoup d’extérieurs dans His trust, uniquement des intérieurs, et peu nombreux dans His trust fulfilled. Sinon, bien sur, la première partie se situe en temps de guerre, et permet à Griffith d’assurer ce qui est son forte, les scènes de bataille vigoureuses et fédératrices. Mais la deuxième partie s’éternise, et donne le sentiment s’être un étirement forcé ; bref : à vouloir tenter de ménager le public, et à montrer patte blanche en convoquant toutes les grosses ficelles, Griffith a tout raté : non seulement le film est sorti en deux parties en janvier 1911, mais en plus il est très médiocre, surtout vu en continuité : tout pousse à croire que Griffith a choisi de simplifier à l’extrême ses propos, lui qui avait abordé ce même thème avec une réelle sophistication dans les autres films. Néanmoins, il a posé les premiers jalons d’une évolution qui lui permettra finalement de raconter des histoires plus longues, de le faire accepter par ses commanditaires, et par le public, qui ne s’en est jamais plaint. Quant à l’année 1910, il serait erroné de croire que Griffith n’y ait tourné que des films sur la guerre civile.
Re-à suivre.
C’est à la fin de 1910 que Griffith se lance dans cette histoire mélodramatique dont il entend bien faire son premier film de deux bobines. Le format est déjà expérimenté, dans un contexte peu favorable : la plupart des compagnies Américaines freinent autant que possible afin de ne pas dépasser le film d’une bobine, dans le but de ne pas effrayer un public de masse dont on se dit qu’il n’a aucun pouvoir de concentration. Les films Européens d’une longueur supérieure sont encore considérés comme trop sophistiqués ; le plus souvent, ils sont distribués en bobines séparées, lorsqu’ils sont montrés au grand public, mais c’est assez rare. Pas de chance pour les gens de la Biograph, c’est ce modèle que Griffith s’est fixé : il veut, lui aussi, raconter des histoires plus longues. Mais il choisit, pour cette première expérience, un sujet Américain, plus prudemment, et c’est tout naturellement qu’il se tourne une fois de plus, vers la guerre civile. Le (Ou les) film(s) obtenu(s)ainsi représentent la première des trois étapes vers le long métrage pour le futur auteur de The Birth of a nation. Griffith tourne les deux parties en séquence, en novembre 1910, et propose de sortir le tout en une séance. La Biograph n’accepte pas, mais si un intertitre annonce dès le départ du premier film que les deux œuvres sont bien séparées, et peuvent être vues indépendamment l’une de l’autre, on ne peut qu’en douter.
L’histoire racontée est cousue de fil blanc, et concerne une famille Sudiste dont le père part à la guerre. Il confie sa femme et son fils à son esclave George, un « House slave » qui doit être plus ou moins l’équivalent d ’un majordome. A la mort de l’officier, George se sacrifie toujours plus pour protéger la famille, notamment lorsque la plantation est pillée. Il les accueille dans sa cabane lorsque la maison est incendiée par les yankees, et se chargera de l’éducation de la petite une fois l’épouse morte de chagrin, d’humiliation, et d’épuisement...
Le propos de Griffith est de raconter du bon gros mélo qui tache, tout en faisant passer un message sur la fidélité du bon noir et ces braves esclaves qui ont tout sacrifié pour le bien-être de leurs maîtres ; en gros il s’agit de sa vision de la tolérance, mais la vision des noirs en « Black face » qui applaudissent et gesticulent en roulant des yeux le départ de leurs tortionnaires vers la guerre, ou s’enfuient à la vision des diables bleus dont on sait qu’officiellement, ils étaient justement là pour libérer les esclaves, tout cela rend le message problématique. En tout cas, même en situant le point de vue du coté sudiste, on est en pleine Case de l’oncle Tom. Par contre, tout le film (His trust) prend bien le Majordome George pour héros. Sinon, que de gros sabots !
Les différences entre les deux parties (La première se clôt sur l’arrivée de la famille ruinée dans la cabane) tiennent dans le choix des décors : beaucoup d’extérieurs dans His trust, uniquement des intérieurs, et peu nombreux dans His trust fulfilled. Sinon, bien sur, la première partie se situe en temps de guerre, et permet à Griffith d’assurer ce qui est son forte, les scènes de bataille vigoureuses et fédératrices. Mais la deuxième partie s’éternise, et donne le sentiment s’être un étirement forcé ; bref : à vouloir tenter de ménager le public, et à montrer patte blanche en convoquant toutes les grosses ficelles, Griffith a tout raté : non seulement le film est sorti en deux parties en janvier 1911, mais en plus il est très médiocre, surtout vu en continuité : tout pousse à croire que Griffith a choisi de simplifier à l’extrême ses propos, lui qui avait abordé ce même thème avec une réelle sophistication dans les autres films. Néanmoins, il a posé les premiers jalons d’une évolution qui lui permettra finalement de raconter des histoires plus longues, de le faire accepter par ses commanditaires, et par le public, qui ne s’en est jamais plaint. Quant à l’année 1910, il serait erroné de croire que Griffith n’y ait tourné que des films sur la guerre civile.
Re-à suivre.
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Re: David Wark Griffith
1910 (Suite et fin)
Parallèlement à ses productions orientées vers l’évocation folklorique du souvenir de la Guerre, Griffith continue son exploration des genres qu’il a déjà parcourus, en poursuivant le raffinement de son style, et en particulier de sa direction d’acteurs. A ce titre, The Usurer (Aout 1910) est exemplaire : dans ce film social qui reprend le même message que A corner in wheat, on sent le metteur en scène d’autant plus à l’aise qu’il a choisi de faire un film plus narratif, dont les comparaisons entre les différentes strates de la société sont dotées de plus de cohérence: l’histoire concerne un usurier qui, ayant précipité la ruine d’un certain nombre de familles, est enfermé par mégarde au milieu de ses richesses, et n’a plus qu’à attendre la mort par asphyxie. Les victimes nous sont présentées justement par leur rapport avec l’usurier, dont les messagers vont répandre la mauvaise nouvelle d’un foyer à l’autre, autorisant du même coup la narration à passer d’une famille, d’une misère à l’autre, tout en nous présentant l’insolente richesse dans laquelle vivent l’usurier et ses amis. Le montage est également utilisé à des fins plus critiques encore, lors de la mort de l’usurier : un plan de quelques secondes inséré dans la séquence nous rappelle le suicide d’un homme (Walthall) à cause de sa ruine. L’excellence du jeu des acteurs, très posé et naturaliste, contribue efficacement à la réussite de ce film-pamphlet.
Pour deux autres films, on retrouve Mary Pickford, très présente dans les films de l’époque, et dont Griffith s’était aperçu qu’il pouvait largement se reposer sur elle. Mais on voit aussi une innovation de taille dans l’œuvre de Griffith : les films sont en effet tournés lors d’un voyage en Californie, ou le climat, la luminosité, et le folklore local vont inspirer le metteur en scène. Les deux premiers exemples ainsi tournés en de plus radieux endroits seront The unchanging sea (Tourné en mars) et Ramona(tourné en avril). Le premier fait partie d’une série de films adaptés de poèmes (After many years, 1908, ou encore Pippa Passes, 1909, en sont deux exemples), et est remarquable par l’austérité de son histoire, réduite à l’essentiel : un pécheur, jeune marié, disparait lors d’un naufrage. Secouru ailleurs, il est amnésique, et ne peut revenir chez lui. Son épouse devenue mère reste 20 ans à l’attendre, jusqu’au jour ou l’homme revenu par hasard voit tous ses souvenirs lui revenir. Picturalement, le film est dominé par une image : celle de l’épouse, de dos, contemplant la mer reléguée au fond de l’écran. Cette même composition est utilisée de toutes sortes de façons : lors du départ initial de son mari, elle est, parmi d’autres femmes à l’avant-plan, un élément du décor pendant que l’action se joue dans la barque à l’arrière-plan, qui va bientôt chavirer, loin des regards. Par un léger recadrage, la caméra se déplace vers la gauche afin de ne plus cadrer que l’épouse parmi ceux qui reste, nous permet de comprendre que désormais, c’est son point de vue (L’épouse qui reste tandis que l’homme est en mer) qui prime. Les plans du naufrage sont d’une grande efficacité, Bitzer ayant planté son trépied dans l’eau, et captant trois corps rejetés par les vagues ; L’un d’entre eux est le mari, désormais amnésique. Les acteurs sont moyens, un peu trop grandiloquents, mais les plans sont composés de façon innovante, avec beaucoup de figuration à l’avant-plan, et un effet d’autant plus réaliste. Ici Pickford joue la fille du couple (Linda Arvidson et Arhur Johnson, deux acteurs récurrents depuis 1908), et a peu à faire, sinon être jolie et rougir lorsqu’un beau la regarde avec insistance.
Un mois après, Griffith confie à l’actrice le rôle principal de Ramona. L’enjeu est de taille : d’une part, il s’agit d’une adaptation littéraire, ce que le générique met en avant de façon très claire. Ensuite, le roman était justement situé en Californie, dans le milieu des Indiens Navajos ; enfin, le décor du sud de la Californie, inspire tant Griffith qu’on peut dire qu’il laisse les lieux et les acteurs faire l’essentiel du travail : Alessandro (Henry B. Walthall), un jeune Navajo, tombe amoureux de Ramona, une jeune femme d’origine Espagnole. La famille de celle-ci multiplie les tentatives d’intimidation (Dont une expédition punitive dans le village Navajo) mais rien n’y fait : Ramona et Alessandro se marient, peu de temps après que la jeune femme ait appris qu’elle a du sang Indien. Une fois mariés, les blancs se liguent définitivement contre les deux amants, et le film finit tragiquement. Les décors de sierras arides, magnifiquement utilisés, accentuent la solitude et le tragique destin de Ramona et Alessandro. Il est dommage que Walthall, décidément, ait du mal à ne pas cabotiner ; de plus il est difficile de croire en sa jeunesse dans ce film, contrairement à Mary Pickford en objet de toutes les convoitises. Bien différente de la femme-enfant qu’elle aura tendance à jouer répétitivement, elle est ici très solide. Quant au propos, différent des autres films « Indiens » de Griffith, il est situé dans le temps par le biais du roman (Situé en 1840 à peu près), plus réaliste du fait de la présence des Navajos dans le film, et des décors Californiens ; les blancs, il est vrai Espagnols, sont à plusieurs reprises pointés du doigt comme de véritables méchants, en passant par la destruction d’un village, ce qui correspondrait assez bien au type de pratiques subies par les Indiens locaux en Californie tout au long du 19e siècle.
Parallèlement à ses productions orientées vers l’évocation folklorique du souvenir de la Guerre, Griffith continue son exploration des genres qu’il a déjà parcourus, en poursuivant le raffinement de son style, et en particulier de sa direction d’acteurs. A ce titre, The Usurer (Aout 1910) est exemplaire : dans ce film social qui reprend le même message que A corner in wheat, on sent le metteur en scène d’autant plus à l’aise qu’il a choisi de faire un film plus narratif, dont les comparaisons entre les différentes strates de la société sont dotées de plus de cohérence: l’histoire concerne un usurier qui, ayant précipité la ruine d’un certain nombre de familles, est enfermé par mégarde au milieu de ses richesses, et n’a plus qu’à attendre la mort par asphyxie. Les victimes nous sont présentées justement par leur rapport avec l’usurier, dont les messagers vont répandre la mauvaise nouvelle d’un foyer à l’autre, autorisant du même coup la narration à passer d’une famille, d’une misère à l’autre, tout en nous présentant l’insolente richesse dans laquelle vivent l’usurier et ses amis. Le montage est également utilisé à des fins plus critiques encore, lors de la mort de l’usurier : un plan de quelques secondes inséré dans la séquence nous rappelle le suicide d’un homme (Walthall) à cause de sa ruine. L’excellence du jeu des acteurs, très posé et naturaliste, contribue efficacement à la réussite de ce film-pamphlet.
Pour deux autres films, on retrouve Mary Pickford, très présente dans les films de l’époque, et dont Griffith s’était aperçu qu’il pouvait largement se reposer sur elle. Mais on voit aussi une innovation de taille dans l’œuvre de Griffith : les films sont en effet tournés lors d’un voyage en Californie, ou le climat, la luminosité, et le folklore local vont inspirer le metteur en scène. Les deux premiers exemples ainsi tournés en de plus radieux endroits seront The unchanging sea (Tourné en mars) et Ramona(tourné en avril). Le premier fait partie d’une série de films adaptés de poèmes (After many years, 1908, ou encore Pippa Passes, 1909, en sont deux exemples), et est remarquable par l’austérité de son histoire, réduite à l’essentiel : un pécheur, jeune marié, disparait lors d’un naufrage. Secouru ailleurs, il est amnésique, et ne peut revenir chez lui. Son épouse devenue mère reste 20 ans à l’attendre, jusqu’au jour ou l’homme revenu par hasard voit tous ses souvenirs lui revenir. Picturalement, le film est dominé par une image : celle de l’épouse, de dos, contemplant la mer reléguée au fond de l’écran. Cette même composition est utilisée de toutes sortes de façons : lors du départ initial de son mari, elle est, parmi d’autres femmes à l’avant-plan, un élément du décor pendant que l’action se joue dans la barque à l’arrière-plan, qui va bientôt chavirer, loin des regards. Par un léger recadrage, la caméra se déplace vers la gauche afin de ne plus cadrer que l’épouse parmi ceux qui reste, nous permet de comprendre que désormais, c’est son point de vue (L’épouse qui reste tandis que l’homme est en mer) qui prime. Les plans du naufrage sont d’une grande efficacité, Bitzer ayant planté son trépied dans l’eau, et captant trois corps rejetés par les vagues ; L’un d’entre eux est le mari, désormais amnésique. Les acteurs sont moyens, un peu trop grandiloquents, mais les plans sont composés de façon innovante, avec beaucoup de figuration à l’avant-plan, et un effet d’autant plus réaliste. Ici Pickford joue la fille du couple (Linda Arvidson et Arhur Johnson, deux acteurs récurrents depuis 1908), et a peu à faire, sinon être jolie et rougir lorsqu’un beau la regarde avec insistance.
Un mois après, Griffith confie à l’actrice le rôle principal de Ramona. L’enjeu est de taille : d’une part, il s’agit d’une adaptation littéraire, ce que le générique met en avant de façon très claire. Ensuite, le roman était justement situé en Californie, dans le milieu des Indiens Navajos ; enfin, le décor du sud de la Californie, inspire tant Griffith qu’on peut dire qu’il laisse les lieux et les acteurs faire l’essentiel du travail : Alessandro (Henry B. Walthall), un jeune Navajo, tombe amoureux de Ramona, une jeune femme d’origine Espagnole. La famille de celle-ci multiplie les tentatives d’intimidation (Dont une expédition punitive dans le village Navajo) mais rien n’y fait : Ramona et Alessandro se marient, peu de temps après que la jeune femme ait appris qu’elle a du sang Indien. Une fois mariés, les blancs se liguent définitivement contre les deux amants, et le film finit tragiquement. Les décors de sierras arides, magnifiquement utilisés, accentuent la solitude et le tragique destin de Ramona et Alessandro. Il est dommage que Walthall, décidément, ait du mal à ne pas cabotiner ; de plus il est difficile de croire en sa jeunesse dans ce film, contrairement à Mary Pickford en objet de toutes les convoitises. Bien différente de la femme-enfant qu’elle aura tendance à jouer répétitivement, elle est ici très solide. Quant au propos, différent des autres films « Indiens » de Griffith, il est situé dans le temps par le biais du roman (Situé en 1840 à peu près), plus réaliste du fait de la présence des Navajos dans le film, et des décors Californiens ; les blancs, il est vrai Espagnols, sont à plusieurs reprises pointés du doigt comme de véritables méchants, en passant par la destruction d’un village, ce qui correspondrait assez bien au type de pratiques subies par les Indiens locaux en Californie tout au long du 19e siècle.
Dernière modification par allen john le 4 nov. 08, 17:12, modifié 1 fois.
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Re: David Wark Griffith
Tu as deja pensé écrire un livre ? Tes propos sont passionnant en tout cas.
J'aimerais pouvoir écrire ainsi sur les films que je vois. Mais je ne suis pas tres bon en analyse...

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Re: David Wark Griffith
The Lonedale operator (1911)
Structuré en trois actes, ce petit film à suspense n’est petit que par la taille : 17 minutes. Sinon, il a tout du classique. Il concerne les aventures d’une jeune fille (Blanche Sweet), dont le père est télégraphiste dans une gare et le fiancé conduit une locomotive. Elle remplace son père, on lui confie la paie des ouvriers de la mine proche, et des vagabonds l’attaquent… un scénario classique pour Griffith, qui lui permet de développer le suspense et de montrer une jeune femme soutenir un siège contre des bandits sans scrupules.
Les trois actes sont une des surprises de ce film ; la structure est très adroite, avec des passages inattendus compte tenu du peu de temps dont le film dispose : la première partie prend le temps d’exposer la relation antre l’héroïne, l’apparemment fragile Blanche Sweet, et son cheminot de fiancé. Lors de leur rencontre, tous deux se rapprochent de la caméra, et Bitzer capte dans ses moindres détails l’expression de la jeune femme, et la délicatesse du jeu de l’actrice est impressionnante : on sait quelles simagrées il demandera à Mae Marsh de jouer dans Intolerance pour lui demander d’interpréter la jeunesse. Le lyrisme de Griffith s’exprime ici dans les choix de décors pour l’idylle : la campagne et la nature, bien sur, avec un passage à l’ombre d’un arbre dont les feuilles viennent cacher partiellement le visage de la jeune femme. A la fin de la première partie, le fiancé part en locomotive, et le père demande à sa fille de le remplacer, ce qu’elle fait illico.
La deuxième partie est une deuxième exposition, quasi documentaire : la paye des ouvriers arrive et doit être acheminée jusqu’à la gare de l’histoire. C’est bien sur le fiancé qui amène le colis, et lorsqu’il décharge la paie du train, elle l’aide. A l’arrière-plan, on aperçoit les vagabonds qui sortent discrètement de sous le train, et vont se cacher derrière la gare. La dernière partie, celle du drame, peut se jouer, et le train part, laissant la frêle jeune femme seule avec les bandits, l’argent et son destin…
Il est inutile de résumer la dernière partie qui coule de source, si ce n’est en disant qu’il y a du montage parallèle (plutôt que le téléphone, c’est bien sur le télégraphe qui sert de lien entre les différents protagonistes), que les bandits utilisent un bélier improvisé (un banc) pour enfoncer la porte, que Blanche Sweet a de la ressource, et que bien sur c’est très excitant.
Ce court métrage est une réussite totale, qui mérite bien sa réputation, et qui fera l’année suivante l‘objet d’un excellent remake par Griffith lui-même, The girl and her trust. Un film, en tout cas, qui confirme que si Griffith aura parfois tendance à stéréotyper ses personnages féminins, il savait aussi leur confier des rôles particulièrement actifs, sans tomber dans la caricature. Qu’il me soit permis ici de révéler la conclusion, après le dénouement : les bandits, encadrés par les forces de l’ordre, s’inclinent avec panache devant la jeune femme, qui rit de bon cœur. Blanche Sweet joue ici un personnage précurseur des grandes héroïnes de serial…
Structuré en trois actes, ce petit film à suspense n’est petit que par la taille : 17 minutes. Sinon, il a tout du classique. Il concerne les aventures d’une jeune fille (Blanche Sweet), dont le père est télégraphiste dans une gare et le fiancé conduit une locomotive. Elle remplace son père, on lui confie la paie des ouvriers de la mine proche, et des vagabonds l’attaquent… un scénario classique pour Griffith, qui lui permet de développer le suspense et de montrer une jeune femme soutenir un siège contre des bandits sans scrupules.
Les trois actes sont une des surprises de ce film ; la structure est très adroite, avec des passages inattendus compte tenu du peu de temps dont le film dispose : la première partie prend le temps d’exposer la relation antre l’héroïne, l’apparemment fragile Blanche Sweet, et son cheminot de fiancé. Lors de leur rencontre, tous deux se rapprochent de la caméra, et Bitzer capte dans ses moindres détails l’expression de la jeune femme, et la délicatesse du jeu de l’actrice est impressionnante : on sait quelles simagrées il demandera à Mae Marsh de jouer dans Intolerance pour lui demander d’interpréter la jeunesse. Le lyrisme de Griffith s’exprime ici dans les choix de décors pour l’idylle : la campagne et la nature, bien sur, avec un passage à l’ombre d’un arbre dont les feuilles viennent cacher partiellement le visage de la jeune femme. A la fin de la première partie, le fiancé part en locomotive, et le père demande à sa fille de le remplacer, ce qu’elle fait illico.
La deuxième partie est une deuxième exposition, quasi documentaire : la paye des ouvriers arrive et doit être acheminée jusqu’à la gare de l’histoire. C’est bien sur le fiancé qui amène le colis, et lorsqu’il décharge la paie du train, elle l’aide. A l’arrière-plan, on aperçoit les vagabonds qui sortent discrètement de sous le train, et vont se cacher derrière la gare. La dernière partie, celle du drame, peut se jouer, et le train part, laissant la frêle jeune femme seule avec les bandits, l’argent et son destin…
Il est inutile de résumer la dernière partie qui coule de source, si ce n’est en disant qu’il y a du montage parallèle (plutôt que le téléphone, c’est bien sur le télégraphe qui sert de lien entre les différents protagonistes), que les bandits utilisent un bélier improvisé (un banc) pour enfoncer la porte, que Blanche Sweet a de la ressource, et que bien sur c’est très excitant.
Ce court métrage est une réussite totale, qui mérite bien sa réputation, et qui fera l’année suivante l‘objet d’un excellent remake par Griffith lui-même, The girl and her trust. Un film, en tout cas, qui confirme que si Griffith aura parfois tendance à stéréotyper ses personnages féminins, il savait aussi leur confier des rôles particulièrement actifs, sans tomber dans la caricature. Qu’il me soit permis ici de révéler la conclusion, après le dénouement : les bandits, encadrés par les forces de l’ordre, s’inclinent avec panache devant la jeune femme, qui rit de bon cœur. Blanche Sweet joue ici un personnage précurseur des grandes héroïnes de serial…
Dernière modification par allen john le 11 déc. 08, 21:46, modifié 2 fois.
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Re: David Wark Griffith
Merci. "Un bon éditeur est un éditeur qui médite" (Philippe Geluck)someone1600 a écrit :Tu as deja pensé écrire un livre ? Tes propos sont passionnant en tout cas.
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Re: David Wark Griffith
Enoch Arden (1911)
Deuxième étape vers le long métrage, Enoch Arden est un remake du court métrage After many years, adapté du même poème de Alfred Tennyson, tourné dans le New Jersey et sorti à l’automne 1908. La deuxième version (Juin 1911) bénéficie d’un tournage en Californie, et s’étale luxueusement sur deux bobines complètes.
Le film nous conte l’histoire d’un homme, Enoch Arden, qui laisse sa famille pour suivre « une opportunité » impliquant un voyage en mer. Il fait naufrage, est se réfugie sur une île lointaine, pendant que son épouse Annie Lee l’attend. Les années passent, et Philip ray, un ancien rival de Enoch pour le cœur d’Annie, revient constamment à la charge. Enfin, poussée par ses enfants, elle accepte et trouve finalement un nouveau bonheur, alors que Enoch, secouru après 20 ans, revient au pays et découvre l’insupportable vérité.
La lenteur du film est calculée, non que Griffith cherche à gagner du temps, mais il soigne particulièrement le rythme du film dans le but de laisser libre cours à l’une de ses obsessions: il s’agit ici de famille d’une part, et Griffith prend bien le soin de nous la montrer, d’en faire le cadre même du film. D’autre part, Griffith nous montre la psychologie des deux personnages principaux: Annie Lee et Enoch Arden. Après un prologue, dans lequel il nous montre la cour des deux hommes, et le choix d’Annie favorable à Enoch, Griffith prend bien soin de limiter toutes ses scènes présentant le bonheur familial à un seul décor, la caméra étant systématiquement au même endroit : dans un salon, ou une pièce de vie, face à une fenêtre plus ou moins entrouverte. La première fois que l’on voit cet endroit, c’est à la suite d’un intertitre annonçant le mariage ; puis on voit le même décor, avec l’arrivée des trois enfants. C’est une fois de plus dans ce lieu qu’Enoch annonce son départ à son épouse, etc. Deux autres endroits figés et symboliques sont représentés dans le film : l’endroit ou l’on verra les deux hommes faire leur cour au début, une plage avec des rochers, l’endroit ou Enoch a déclaré sa flamme, là ou Annie viendra souvent attendre son mari d’une part, et la plage exotique où se réfugiera Enoch sur son île déserte : ces deux endroits sont des repères, un ancrage pour le spectateur; Griffith craint-il de perdre son public dans ces trente-trois minutes, ou veut-il symboliser l’immobilisme émotionnel dans lequel les trois personnages vont rester durant 20 ans? En plus d’utiliser ces décors-bannières, Griffith utilise le montage pour lier Annie Lee avec Enoch, constamment, un peu de la façon dont 11 ans plus tard Murnau reliera Hutter et sa femme dans Nosferatu, mais en, le faisant de façon moins explicite : lors d’une visite inquiète à la plage, peu de temps après le départ de son mari, Annie regarde la mer, et Griffith coupe au naufrage, puis revient à Annie. On se demande si le montage nous montre deux actions parallèle ou si il y est question du point de vue de l'épouse qui craint pour son mari, jusqu’au moment ou un moment de panique d’Annie Lee nous renseigne: la tempête est peut-être réelle, mais Annie Lee l’a sentie, ou ressentie; la répétition de ce motif de montage permet de façon très claire d’expliquer le refus obstiné de se remarier de l’héroïne, et sans doute d’apporter une explication poétique à la survie de Enoch Arden : tous ses compagnons meurent après quelques mois sur l’île, mais lui reste vivant 20 années durant.
Cette dimension psychologique, ce lien d’amour entre les deux êtres, est complété par leur situation au centre de la cellule familiale, décidément un espace hautement Griffithien : Lors du départ d’Enoch, le plan symbolique du salon, cadrant toute la famille, est interrompu par un gros plan, qui ne comprend sue les époux et leur dernier-né, un rapprochement qui n’a rien d’anodin en 1911, alors que la plupart des plans sont coupés par un autre cadre, dans un montage parallèle, et non par un recadrage. Cette insistance rend d’autant plus douloureuse pour le public (Qui lui, a eu les deux points de vue constamment) la peine d’Enoch qui revient et constate. Un autre gros plan est utilisé ici, lorsqu’Enoch assiste éberlué au nouveau bonheur de son épouse : il espionne la maison de Philip Ray, et s’approche de la fenêtre ; des plans successifs de la nouvelle famille et de son bonheur insolent sont ensuite monté en parallèle avec un plan plus rapproché d’Enoch, qui réagit, gesticule dans la tradition Griffithienne, et finalement se résigne.
La volonté de Griffith de rendre le cadre ultra-lisible, au point de limiter les décors, a le défaut de rendre le film un peu ennuyeux. Les péripéties, les développements ajoutés par Griffith a son adaptation initiale ne suffisent pas toujours, et comme les péripéties sont souvent annoncées par les intertitres avant d’être montrées, ça n’arrange pas les choses. De plus, es choix de ne pas nous montrer le naufrage, sinon par son dénouement (Les hommes qui se débattent dans l’eau) est assez surprenant : un intertitre nous dit juste « La tempête », comme si elle était inévitable Pour Griffith, qui a déjà traité le sujet en 1908, qui a depuis réalisé The unchanging sea, qui nous présente des familles constamment en butte aux éléments, sans doute allait-elle de soi. De toutes façons, son propos était ailleurs, et le cinéma en 1911 avait encore beaucoup à apprendre avant de se précipiter au devant de toute tempête, de tout cataclysme, de tout incendie…
Le film est un succès mitigé, manquant singulièrement de rythme et de piquent surtout après la vision de The Lonedale operator; mais on l’a vu avec His Trust, dans le but de faire passer un film long aussi bien auprès du public que des pontes de la American Biograph, le metteur en scène s’arme encore de prudence. D’ailleurs, pour sa troisième étape vers le long métrage (Judith of Bethulia, 1913), Griffith choisira de copier une recette éprouvée, celle des films à grand spectacle Italiens. Pour l’heure, même décevant, ce Enoch Arden ambitieux et cohérent est malgré sa prudence une heureuse surprise, qui n’aura pas de suite avant deux ans, puisque Griffith ne reviendra au format de deux bobines qu’en 1913 avec Oil and water.
Deuxième étape vers le long métrage, Enoch Arden est un remake du court métrage After many years, adapté du même poème de Alfred Tennyson, tourné dans le New Jersey et sorti à l’automne 1908. La deuxième version (Juin 1911) bénéficie d’un tournage en Californie, et s’étale luxueusement sur deux bobines complètes.
Le film nous conte l’histoire d’un homme, Enoch Arden, qui laisse sa famille pour suivre « une opportunité » impliquant un voyage en mer. Il fait naufrage, est se réfugie sur une île lointaine, pendant que son épouse Annie Lee l’attend. Les années passent, et Philip ray, un ancien rival de Enoch pour le cœur d’Annie, revient constamment à la charge. Enfin, poussée par ses enfants, elle accepte et trouve finalement un nouveau bonheur, alors que Enoch, secouru après 20 ans, revient au pays et découvre l’insupportable vérité.
La lenteur du film est calculée, non que Griffith cherche à gagner du temps, mais il soigne particulièrement le rythme du film dans le but de laisser libre cours à l’une de ses obsessions: il s’agit ici de famille d’une part, et Griffith prend bien le soin de nous la montrer, d’en faire le cadre même du film. D’autre part, Griffith nous montre la psychologie des deux personnages principaux: Annie Lee et Enoch Arden. Après un prologue, dans lequel il nous montre la cour des deux hommes, et le choix d’Annie favorable à Enoch, Griffith prend bien soin de limiter toutes ses scènes présentant le bonheur familial à un seul décor, la caméra étant systématiquement au même endroit : dans un salon, ou une pièce de vie, face à une fenêtre plus ou moins entrouverte. La première fois que l’on voit cet endroit, c’est à la suite d’un intertitre annonçant le mariage ; puis on voit le même décor, avec l’arrivée des trois enfants. C’est une fois de plus dans ce lieu qu’Enoch annonce son départ à son épouse, etc. Deux autres endroits figés et symboliques sont représentés dans le film : l’endroit ou l’on verra les deux hommes faire leur cour au début, une plage avec des rochers, l’endroit ou Enoch a déclaré sa flamme, là ou Annie viendra souvent attendre son mari d’une part, et la plage exotique où se réfugiera Enoch sur son île déserte : ces deux endroits sont des repères, un ancrage pour le spectateur; Griffith craint-il de perdre son public dans ces trente-trois minutes, ou veut-il symboliser l’immobilisme émotionnel dans lequel les trois personnages vont rester durant 20 ans? En plus d’utiliser ces décors-bannières, Griffith utilise le montage pour lier Annie Lee avec Enoch, constamment, un peu de la façon dont 11 ans plus tard Murnau reliera Hutter et sa femme dans Nosferatu, mais en, le faisant de façon moins explicite : lors d’une visite inquiète à la plage, peu de temps après le départ de son mari, Annie regarde la mer, et Griffith coupe au naufrage, puis revient à Annie. On se demande si le montage nous montre deux actions parallèle ou si il y est question du point de vue de l'épouse qui craint pour son mari, jusqu’au moment ou un moment de panique d’Annie Lee nous renseigne: la tempête est peut-être réelle, mais Annie Lee l’a sentie, ou ressentie; la répétition de ce motif de montage permet de façon très claire d’expliquer le refus obstiné de se remarier de l’héroïne, et sans doute d’apporter une explication poétique à la survie de Enoch Arden : tous ses compagnons meurent après quelques mois sur l’île, mais lui reste vivant 20 années durant.
Cette dimension psychologique, ce lien d’amour entre les deux êtres, est complété par leur situation au centre de la cellule familiale, décidément un espace hautement Griffithien : Lors du départ d’Enoch, le plan symbolique du salon, cadrant toute la famille, est interrompu par un gros plan, qui ne comprend sue les époux et leur dernier-né, un rapprochement qui n’a rien d’anodin en 1911, alors que la plupart des plans sont coupés par un autre cadre, dans un montage parallèle, et non par un recadrage. Cette insistance rend d’autant plus douloureuse pour le public (Qui lui, a eu les deux points de vue constamment) la peine d’Enoch qui revient et constate. Un autre gros plan est utilisé ici, lorsqu’Enoch assiste éberlué au nouveau bonheur de son épouse : il espionne la maison de Philip Ray, et s’approche de la fenêtre ; des plans successifs de la nouvelle famille et de son bonheur insolent sont ensuite monté en parallèle avec un plan plus rapproché d’Enoch, qui réagit, gesticule dans la tradition Griffithienne, et finalement se résigne.
La volonté de Griffith de rendre le cadre ultra-lisible, au point de limiter les décors, a le défaut de rendre le film un peu ennuyeux. Les péripéties, les développements ajoutés par Griffith a son adaptation initiale ne suffisent pas toujours, et comme les péripéties sont souvent annoncées par les intertitres avant d’être montrées, ça n’arrange pas les choses. De plus, es choix de ne pas nous montrer le naufrage, sinon par son dénouement (Les hommes qui se débattent dans l’eau) est assez surprenant : un intertitre nous dit juste « La tempête », comme si elle était inévitable Pour Griffith, qui a déjà traité le sujet en 1908, qui a depuis réalisé The unchanging sea, qui nous présente des familles constamment en butte aux éléments, sans doute allait-elle de soi. De toutes façons, son propos était ailleurs, et le cinéma en 1911 avait encore beaucoup à apprendre avant de se précipiter au devant de toute tempête, de tout cataclysme, de tout incendie…
Le film est un succès mitigé, manquant singulièrement de rythme et de piquent surtout après la vision de The Lonedale operator; mais on l’a vu avec His Trust, dans le but de faire passer un film long aussi bien auprès du public que des pontes de la American Biograph, le metteur en scène s’arme encore de prudence. D’ailleurs, pour sa troisième étape vers le long métrage (Judith of Bethulia, 1913), Griffith choisira de copier une recette éprouvée, celle des films à grand spectacle Italiens. Pour l’heure, même décevant, ce Enoch Arden ambitieux et cohérent est malgré sa prudence une heureuse surprise, qui n’aura pas de suite avant deux ans, puisque Griffith ne reviendra au format de deux bobines qu’en 1913 avec Oil and water.
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Re: David Wark Griffith
1911
En 1911, Griffith prolonge l’expérience de 1910, et passe l’été dans le New Jersey, et l’hiver en Californie, ce qui lui permet de bénéficier des cieux plus cléments et de continuer à étendre le champ de ses productions. Il va désormais pouvoir s’attaquer à ce qu’on appellera plus tard le western, par exemple. Il continue à raffiner les genres qui lui ont réussi, et atteint un degré de perfection qui impressionne par sa science du montage, de l’enchevêtrement d’évènements et la lisibilité de l’ensemble.
Pour citer ceux qui nous sont accessibles, le drame social est représenté par un film dans la lignée de The usurer ou A corner in wheat, avec toujours le même message d’impatience sociale: What shall we do with our old? (Tourné dans l’est) qui pose (Comme l’indique le titre) la question de la place des personnes agées dans la société. Le constat est amer, comme avec les deux autres film précités.
La guerre civile est à nouveau bien présente, en particulier avec Swords and hearts, et The Battle, tous les deux tournés dans le New Jersey. Le premier est l’histoire mélodramatique d’un soldat sudiste ruiné dont la fiancée l’oublie à l’issue de la guerre pour se jeter dans les bras du premier officier nordiste venu. Il se consolera avec une jeune femme pauvre, qui l’a sauvé durant la guerre et qui l’a toujours aimé ; le second, plus intéressant, est l’histoire d’un lâche, qui retrouve son courage face au danger et sauve la mise de ses camarades, entrainant l’issue heureuse de la bataille dans laquelle ils sont engagés ; le film montre clairement que si sa fiancée ne s’était pas moquée de lui à la première manifestation de sa lâcheté, il n’aurait jamais trouvé le courage nécessaire. Le meilleur des deux est The battle, mais tous les deux sont très bien mis en scène, avec cette solide dose d’excitation et de suspense permise par la présence des batailles. Les deux partagent cette idée typique de la production Griffithienne consacrée à la guerre civile, à savoir que si ce sont les hommes qui sont censés s’illustrer au front, l’esprit de la cause est incarné par les femmes, pour le meilleur et pour le pire. On retrouve Blanche Sweet dans The battle, en pasionaria de la cause Unioniste (Pour changer), et le film est remarquable pour le style impressionniste utilisé par Griffith pour figurer la violence des conflits : d’une part, le court métrage bénéficie d’une impressionnante figuration, mais le metteur en scène choisit les angles de prise de vue, le dosage de fumée , et les mouvements de foule non pour la lisibilité de la manœuvre mais pour l’effet produit : la technique sera la même pour Birth of a nation, avec des vues d’ensemble en prime. Le racisme est présent dans Swords and hearts, avec un final atroce : le bon esclave observe son maître ruiné avec son nouvel amour, et va déterrer un coffret plein d’argent des ruines de la plantation, afin de leur fournir de quoi partir sur des bases plus saines … Suite de quoi le maitre donne sans plus d’atermoiements une bêche à son ancien esclave, qui part travailler sans barguigner.
The last drop of water est l’un des premiers westerns de Griffith , rendus donc possibles par le déplacement en Californie. Ce film simple mais efficace nous conte le départ d’une caravane de colons vers l’ouest, et le sacrifice de l’un d’entre eux, qui en donnant son ultime ration d’eau à un camarade rend possible la découverte d’un puits par ce dernier, qui va pouvoir ramener de nouvelles provisions d’eau à la caravane assiégée par des indiens. Mentionnons également le triangle amoureux, entre un ancien amoureux éconduit, Blanche Sweet et un alcoolique, mais aussi une intervention taritara de la cavalerie, et on a à peu près tous les ingrédients du film, tourné dans des décors parfaitement idoines, dont l’inévitable désert du sud Californien.
Enfin, The miser’s heart (New Jersey), sorti en novembre, est une impressionnante somme, et un film très excitant à regarder ; le suspense y est à son comble, et on se réjouit d’y voir dans un rôle secondaire mais parfaitement défini, Bobby Harron. L’histoire de ce Cœur d’avare se situe dans un petit immeuble dont le rez-de chaussée est occupé par une femme malade et sa fille de trois ou quatre ans. Celle-ci passe ses journées dans la cage d’escalier (Dans laquelle se situe la principale série de plans du film, une manière symbolique de nous situer le film dans cette Amérique de 1911 ou l’ascension reste l’enjeu principal d’une vie de citoyen, et la condition de la réussite), ou elle est repérée par un vieil homme qui habite à l’étage, seul avec des sommes considérables malgré son apparent modestie. Il prend pitié d’elle, et ils passent du temps ensemble; des bandits s’introduisent chez le vieil homme, le prennent en otage et décident d’utiliser la petite pour faire pression sur le vieil homme. C’est en voyant la petite en danger que l’homme s’aperçoit de son affection pour elle; ils sont sauvés par l’intervention d’un vagabond qui a des problèmes avec la police, et qui se couche le soir avec la satisfaction du devoir accompli, pendant que le vieil homme va donner de l’argent à la famille de la petite pour en sauver la mère. Les qualités de ce film, outre sa richesse (Tout cela est réglé en 16 minutes), sont l’authenticité de ses décors urbains, qui vont bientôt être une grande source d’inspiration pour le Griffith de Musketeers of Pig Alley ou Intolerance, la qualité de son interprétation, le rythme toujours parfait, et l’intrusion d’un suspense crapuleux d’une grande efficacité : les bandits tiennent la petite fille, attachée, au bout d’une corde, et montrent au vieil homme qu’ils vont lentement brûler la corde, et précipiter sa chute, si l’avare ne leur révèle pas la combinaison du coffre. Un gros plan de la corde et de la flamme appuie leur propos… Le suspense est appuyé par un montage qui implique les bandits et le vieil homme, les visions de la petite fille dans sa position inconfortable, le vagabond qui l’aperçoit, les policiers qui viennent à la rescousse, et le garçon de courses (Harron) qui a reconnu le vagabond comme étant un voleur à la tire auquel il a déjà eu à faire. Ouf ! Pour finir sur ce film essentiel, Donald Crisp y joue l’un des policiers. Son rôle n’est que de la figuration, mais il est parfait, tout comme dans What shall we do with our old?, ou il joue également ce rôle, en figuration intelligente (A l’avant-plan, avec des regards qui commentent l’action).
En 1911, Griffith prolonge l’expérience de 1910, et passe l’été dans le New Jersey, et l’hiver en Californie, ce qui lui permet de bénéficier des cieux plus cléments et de continuer à étendre le champ de ses productions. Il va désormais pouvoir s’attaquer à ce qu’on appellera plus tard le western, par exemple. Il continue à raffiner les genres qui lui ont réussi, et atteint un degré de perfection qui impressionne par sa science du montage, de l’enchevêtrement d’évènements et la lisibilité de l’ensemble.
Pour citer ceux qui nous sont accessibles, le drame social est représenté par un film dans la lignée de The usurer ou A corner in wheat, avec toujours le même message d’impatience sociale: What shall we do with our old? (Tourné dans l’est) qui pose (Comme l’indique le titre) la question de la place des personnes agées dans la société. Le constat est amer, comme avec les deux autres film précités.
La guerre civile est à nouveau bien présente, en particulier avec Swords and hearts, et The Battle, tous les deux tournés dans le New Jersey. Le premier est l’histoire mélodramatique d’un soldat sudiste ruiné dont la fiancée l’oublie à l’issue de la guerre pour se jeter dans les bras du premier officier nordiste venu. Il se consolera avec une jeune femme pauvre, qui l’a sauvé durant la guerre et qui l’a toujours aimé ; le second, plus intéressant, est l’histoire d’un lâche, qui retrouve son courage face au danger et sauve la mise de ses camarades, entrainant l’issue heureuse de la bataille dans laquelle ils sont engagés ; le film montre clairement que si sa fiancée ne s’était pas moquée de lui à la première manifestation de sa lâcheté, il n’aurait jamais trouvé le courage nécessaire. Le meilleur des deux est The battle, mais tous les deux sont très bien mis en scène, avec cette solide dose d’excitation et de suspense permise par la présence des batailles. Les deux partagent cette idée typique de la production Griffithienne consacrée à la guerre civile, à savoir que si ce sont les hommes qui sont censés s’illustrer au front, l’esprit de la cause est incarné par les femmes, pour le meilleur et pour le pire. On retrouve Blanche Sweet dans The battle, en pasionaria de la cause Unioniste (Pour changer), et le film est remarquable pour le style impressionniste utilisé par Griffith pour figurer la violence des conflits : d’une part, le court métrage bénéficie d’une impressionnante figuration, mais le metteur en scène choisit les angles de prise de vue, le dosage de fumée , et les mouvements de foule non pour la lisibilité de la manœuvre mais pour l’effet produit : la technique sera la même pour Birth of a nation, avec des vues d’ensemble en prime. Le racisme est présent dans Swords and hearts, avec un final atroce : le bon esclave observe son maître ruiné avec son nouvel amour, et va déterrer un coffret plein d’argent des ruines de la plantation, afin de leur fournir de quoi partir sur des bases plus saines … Suite de quoi le maitre donne sans plus d’atermoiements une bêche à son ancien esclave, qui part travailler sans barguigner.
The last drop of water est l’un des premiers westerns de Griffith , rendus donc possibles par le déplacement en Californie. Ce film simple mais efficace nous conte le départ d’une caravane de colons vers l’ouest, et le sacrifice de l’un d’entre eux, qui en donnant son ultime ration d’eau à un camarade rend possible la découverte d’un puits par ce dernier, qui va pouvoir ramener de nouvelles provisions d’eau à la caravane assiégée par des indiens. Mentionnons également le triangle amoureux, entre un ancien amoureux éconduit, Blanche Sweet et un alcoolique, mais aussi une intervention taritara de la cavalerie, et on a à peu près tous les ingrédients du film, tourné dans des décors parfaitement idoines, dont l’inévitable désert du sud Californien.
Enfin, The miser’s heart (New Jersey), sorti en novembre, est une impressionnante somme, et un film très excitant à regarder ; le suspense y est à son comble, et on se réjouit d’y voir dans un rôle secondaire mais parfaitement défini, Bobby Harron. L’histoire de ce Cœur d’avare se situe dans un petit immeuble dont le rez-de chaussée est occupé par une femme malade et sa fille de trois ou quatre ans. Celle-ci passe ses journées dans la cage d’escalier (Dans laquelle se situe la principale série de plans du film, une manière symbolique de nous situer le film dans cette Amérique de 1911 ou l’ascension reste l’enjeu principal d’une vie de citoyen, et la condition de la réussite), ou elle est repérée par un vieil homme qui habite à l’étage, seul avec des sommes considérables malgré son apparent modestie. Il prend pitié d’elle, et ils passent du temps ensemble; des bandits s’introduisent chez le vieil homme, le prennent en otage et décident d’utiliser la petite pour faire pression sur le vieil homme. C’est en voyant la petite en danger que l’homme s’aperçoit de son affection pour elle; ils sont sauvés par l’intervention d’un vagabond qui a des problèmes avec la police, et qui se couche le soir avec la satisfaction du devoir accompli, pendant que le vieil homme va donner de l’argent à la famille de la petite pour en sauver la mère. Les qualités de ce film, outre sa richesse (Tout cela est réglé en 16 minutes), sont l’authenticité de ses décors urbains, qui vont bientôt être une grande source d’inspiration pour le Griffith de Musketeers of Pig Alley ou Intolerance, la qualité de son interprétation, le rythme toujours parfait, et l’intrusion d’un suspense crapuleux d’une grande efficacité : les bandits tiennent la petite fille, attachée, au bout d’une corde, et montrent au vieil homme qu’ils vont lentement brûler la corde, et précipiter sa chute, si l’avare ne leur révèle pas la combinaison du coffre. Un gros plan de la corde et de la flamme appuie leur propos… Le suspense est appuyé par un montage qui implique les bandits et le vieil homme, les visions de la petite fille dans sa position inconfortable, le vagabond qui l’aperçoit, les policiers qui viennent à la rescousse, et le garçon de courses (Harron) qui a reconnu le vagabond comme étant un voleur à la tire auquel il a déjà eu à faire. Ouf ! Pour finir sur ce film essentiel, Donald Crisp y joue l’un des policiers. Son rôle n’est que de la figuration, mais il est parfait, tout comme dans What shall we do with our old?, ou il joue également ce rôle, en figuration intelligente (A l’avant-plan, avec des regards qui commentent l’action).
Dernière modification par allen john le 11 déc. 08, 21:47, modifié 1 fois.
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Re: David Wark Griffith
1912 : films de genre
Après avoir réalisé un certain nombre de pamphlets, depuis A corner in wheat, Griffith va calmer le jeu et concentrer cette nouvelle année à sortir et produire des films apparemment moins ambitieux, mais qui vont lui permettre d’explorer plus avant les genres et les thèmes qui lui sont chers. La maîtrise déjà impressionnante de son art est à son comble durant cette année cruciale, ce qui fait qu’un grand nombre de films sont justement disponibles. En voici quatre, de quatre genres différents, sortis en ce début d’année.
Le premier, For his son (Tourné au studio dans le New Jersey), est un mélodrame assez inclassable, probablement impensable aujourd’hui, tant la naïveté de propos semble dépassée. Elle l’était déjà en 1920… Un médecin dont le fils oisif réclame constamment de l’argent invente une boisson à base de cocaïne, qui lui rapporte tant qu’il peut donner à son fils une somme considérable. Celui-ci dépense bientôt tout cet argent… en « Dopokoke », la boisson fatale qui va bien sur le rendre vite accro à la cocaïne. Devenu une épave, il meurt, montrant à son père que son inconséquence peut avoir des répercussions dramatiques sur la vie d’autrui. Pour un film qui s’aventure sur le terrain mal connu à l’époque de la drogue, ce film est raté, même s’il se laisse regarder plaisamment. Le ton moralisateur ne résiste pas à l’analyse : pourquoi nous présenter des drogués comme des « Victimes » (Un intertitre utilise bravement le mot) pour nous présenter le héros qui se vante de son affliction en montrant une seringue à sa fiancée ? La cible éventuelle, Coca-Cola, dont la composition légendairement secrète provoquait à ses débuts les spéculations les plus délirantes. On a oublié ce film de Griffith, mais Coca-Cola est toujours là…
The sunbeam, tourné en décembre 1911 au studio dans le New Jersey et à New York, est pour sa part une comédie charmante, bien loin des grotesqueries produites par Mack Sennett, déjà à la BIograph à cette époque. Il nous montre une facette délicate et socialement attentive de la comédie, dans laquelle l’observation attendrie des petites gens joue un grand rôle, et dans laquelle l’intrusion du drame peut jouer un rôle déterminant. D’une certaine façon, il s’agit d’un précurseur de tout un pân du cinéma Américain, qui serait assez bien représenté par Raoul Walsh (The strawberry blonde, par exemple). Le film bénéficie en outre d’une belle interprétation, de décors savamment utilisés(Uniquement des intérieurs, dont la maîtrise renvoie à The miser’s heart, un film avec lequel The sunbeam à de nombreux points communs : il nous conte comment dans une petite maison une petite fille va devenir le trait d’union entre deux personnages d’âge mur, un homme sévère et une dame acariâtre, qui sont tous deux voisins de palier. L’essentiel de la comédie est fourni par un groupe d’enfants farceurs, qui réussissent à immobiliser la femme chez l’homme, avec la petite fille, en installant un placard sur la porte, prévenant que les deux adultes sont atteints d’une fièvre contagieuse. Le final permet au drame de reprendre ses droits, puisque les deux adultes, en voulant raccompagner la petite, découvre le corps de sa mère sans vie : ils vont se marier et l’adopter…
The mender of nets est un film tourné en Californie en janvier 1912. Ceci s’explique dans la mesure ou le lieu de l’action est un petit village de pêcheurs, au bord de mer. Toute l’action se déroule au bord de l’eau : une jeune raccommodeuse de filets (Mary Pickford, de retour brièvement chez Griffith) tombe amoureuse d’un jeune homme, qui fut fiancé à une autre. Celle-ci ne lui pardonne pas cette trahison, et s’en ouvre à son frère. Celui-ci décide de punir l’homme, mais Mary, en s’interposant à la dernière minute, va sauver l’homme… et découvrir la vérité. Peu à dire, si ce n’est que le découpage très au point suit fidèlement la tradition de suspense établie par le metteur en scène, et qu Mary Pickford n’est pas la seule légende du cinéma muet présente sur ce film : la rivale est jouée par Mabel Normand, mélodramatique en diable, mais assez convaincante toutefois.
The girl and her trust (Janvier 1911), enfin, est un remake de The Lonedale operator. Tourné en Californie, il bénéficie du service rendu à Griffith par une ligne de chemin de fer de Santa Fe qui laissait le metteur en scène utiliser ses installations pour se faire de la publicité. La justification de refaire le film tient principalement dans l’expansion du drame ; là ou le film initial prenait son temps pour exposer les personnages, ici l’action part bille en tête, et les mésaventures de l’héroïne avec les vagabonds s’étendent tant en termes de métrage(10 minutes environ) qu’au niveau géographique : une fois qu’ils ont saisi le magot, les vagabonds s’enfuient, et la jeune télégraphiste(C’est son métier ici, contrairement au film précédent) les poursuit et se retrouve prise en otage sur un chariot. Le final est une poursuite bien excitante. Le principal intérêt du film réside sans doute dans le tempérament aventureux du metteur en scène qui cherche à étendre son champ d’action en profitant des circonstances : le chemin de fer lui permet ici des plans de toute beauté, suivant une locomotive dans sa course folle depuis une voiture ; le chemin de fer ne va pas tarder à devenir le moyen de locomotion numéro un des héros cinématographiques de tout poil… Une curiosité pour finir : le moyen utilisé par l’héroïne pour gagner du temps fonctionne réellement : enfermée dans son bureau, à la merci des bandits, elle a des munitions mais pas d’arme. Elle pose une balle dans la serrure, la frappe avec un burin, provoque une détonation qui fait croire à ses agresseurs qu’elle est armée. Est-ce bien raisonnable ?
Après avoir réalisé un certain nombre de pamphlets, depuis A corner in wheat, Griffith va calmer le jeu et concentrer cette nouvelle année à sortir et produire des films apparemment moins ambitieux, mais qui vont lui permettre d’explorer plus avant les genres et les thèmes qui lui sont chers. La maîtrise déjà impressionnante de son art est à son comble durant cette année cruciale, ce qui fait qu’un grand nombre de films sont justement disponibles. En voici quatre, de quatre genres différents, sortis en ce début d’année.
Le premier, For his son (Tourné au studio dans le New Jersey), est un mélodrame assez inclassable, probablement impensable aujourd’hui, tant la naïveté de propos semble dépassée. Elle l’était déjà en 1920… Un médecin dont le fils oisif réclame constamment de l’argent invente une boisson à base de cocaïne, qui lui rapporte tant qu’il peut donner à son fils une somme considérable. Celui-ci dépense bientôt tout cet argent… en « Dopokoke », la boisson fatale qui va bien sur le rendre vite accro à la cocaïne. Devenu une épave, il meurt, montrant à son père que son inconséquence peut avoir des répercussions dramatiques sur la vie d’autrui. Pour un film qui s’aventure sur le terrain mal connu à l’époque de la drogue, ce film est raté, même s’il se laisse regarder plaisamment. Le ton moralisateur ne résiste pas à l’analyse : pourquoi nous présenter des drogués comme des « Victimes » (Un intertitre utilise bravement le mot) pour nous présenter le héros qui se vante de son affliction en montrant une seringue à sa fiancée ? La cible éventuelle, Coca-Cola, dont la composition légendairement secrète provoquait à ses débuts les spéculations les plus délirantes. On a oublié ce film de Griffith, mais Coca-Cola est toujours là…
The sunbeam, tourné en décembre 1911 au studio dans le New Jersey et à New York, est pour sa part une comédie charmante, bien loin des grotesqueries produites par Mack Sennett, déjà à la BIograph à cette époque. Il nous montre une facette délicate et socialement attentive de la comédie, dans laquelle l’observation attendrie des petites gens joue un grand rôle, et dans laquelle l’intrusion du drame peut jouer un rôle déterminant. D’une certaine façon, il s’agit d’un précurseur de tout un pân du cinéma Américain, qui serait assez bien représenté par Raoul Walsh (The strawberry blonde, par exemple). Le film bénéficie en outre d’une belle interprétation, de décors savamment utilisés(Uniquement des intérieurs, dont la maîtrise renvoie à The miser’s heart, un film avec lequel The sunbeam à de nombreux points communs : il nous conte comment dans une petite maison une petite fille va devenir le trait d’union entre deux personnages d’âge mur, un homme sévère et une dame acariâtre, qui sont tous deux voisins de palier. L’essentiel de la comédie est fourni par un groupe d’enfants farceurs, qui réussissent à immobiliser la femme chez l’homme, avec la petite fille, en installant un placard sur la porte, prévenant que les deux adultes sont atteints d’une fièvre contagieuse. Le final permet au drame de reprendre ses droits, puisque les deux adultes, en voulant raccompagner la petite, découvre le corps de sa mère sans vie : ils vont se marier et l’adopter…
The mender of nets est un film tourné en Californie en janvier 1912. Ceci s’explique dans la mesure ou le lieu de l’action est un petit village de pêcheurs, au bord de mer. Toute l’action se déroule au bord de l’eau : une jeune raccommodeuse de filets (Mary Pickford, de retour brièvement chez Griffith) tombe amoureuse d’un jeune homme, qui fut fiancé à une autre. Celle-ci ne lui pardonne pas cette trahison, et s’en ouvre à son frère. Celui-ci décide de punir l’homme, mais Mary, en s’interposant à la dernière minute, va sauver l’homme… et découvrir la vérité. Peu à dire, si ce n’est que le découpage très au point suit fidèlement la tradition de suspense établie par le metteur en scène, et qu Mary Pickford n’est pas la seule légende du cinéma muet présente sur ce film : la rivale est jouée par Mabel Normand, mélodramatique en diable, mais assez convaincante toutefois.
The girl and her trust (Janvier 1911), enfin, est un remake de The Lonedale operator. Tourné en Californie, il bénéficie du service rendu à Griffith par une ligne de chemin de fer de Santa Fe qui laissait le metteur en scène utiliser ses installations pour se faire de la publicité. La justification de refaire le film tient principalement dans l’expansion du drame ; là ou le film initial prenait son temps pour exposer les personnages, ici l’action part bille en tête, et les mésaventures de l’héroïne avec les vagabonds s’étendent tant en termes de métrage(10 minutes environ) qu’au niveau géographique : une fois qu’ils ont saisi le magot, les vagabonds s’enfuient, et la jeune télégraphiste(C’est son métier ici, contrairement au film précédent) les poursuit et se retrouve prise en otage sur un chariot. Le final est une poursuite bien excitante. Le principal intérêt du film réside sans doute dans le tempérament aventureux du metteur en scène qui cherche à étendre son champ d’action en profitant des circonstances : le chemin de fer lui permet ici des plans de toute beauté, suivant une locomotive dans sa course folle depuis une voiture ; le chemin de fer ne va pas tarder à devenir le moyen de locomotion numéro un des héros cinématographiques de tout poil… Une curiosité pour finir : le moyen utilisé par l’héroïne pour gagner du temps fonctionne réellement : enfermée dans son bureau, à la merci des bandits, elle a des munitions mais pas d’arme. Elle pose une balle dans la serrure, la frappe avec un burin, provoque une détonation qui fait croire à ses agresseurs qu’elle est armée. Est-ce bien raisonnable ?
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Re: David Wark Griffith
1912 : La femme Griffithienne
A la lumière des nouveaux courts métrages sotris par la Biograph en cette année 1912, il est probablement le moment d’une petite récapitulation, non pas dans le seul but d’aller en arrière, mais pour reprendre le fil de nos investigations, en s’intéressant, en particulier à la place de la femme dans l’œuvre de Griffith. En effet, les films les plus intéressants parmi les courts auxquels nous avons accès donnent à la gent féminine une portion plus que majeure, faisant des personnages féminins non seulement les héroïnes de ses films (The Lonedale Operator, The girl and her trust), mais aussi l’objet de la convoitise (The sealed room, Ramona, The mender of nets) ou tout simplement le centre d’intérêt principal (Les œuvres consacrées à la guerre civile fourmillent de personnages féminins cruciaux, dont les actions symbolisent le cadre familial et maternel (Soit un rôle traditionnel pour la femme dans la fiction Victorienne), mais aussi dont les initiatives dépassent ce cadre réducteur pour reprendre un flambeau délaissé par les hommes (Swords and hearts, The house with closed shutters). Ajoutons à ces constatations le fait que le star-system à la Griffith est d’inspiration largement féminine, puisque la première de ses stars, Mary Pickford, a été surnommée The BIograph Girl par ses fans alors qu’ils n’en connaissaient pas encore le nom. Mary Pickford, en acceptant des offres concurrentes de Griffith, a beaucoup fait pour que qoit reconnue l’importance de l’acteur, et a permis à Griffith d’expérimenter d’autres actrices et acteurs, mais là encore, les femmes dominent: si James Kirkwood, Wilfred Lucas et Henry B. Walthall sont présents dans de nombreux Film BIograph, il me semble que les efforts en termes de direction d’acteurs ont été dirigés en particulier vers les actrices, Claire McDowell, Mary Pickford et surtout Dorothy Bernard et Blanche Sweet, les héroïnes respectives de The girl and her trust d’une part, The Lonedale Operator d’autre part. En 1912, Griffith a plus que jamais besoin des femmes : elles l’inspirent, et en retour il leur permet sans doute de faire dans leur métier des pas de géant(es) en leur offrant un cadre très favorable : a cette époque, Griffith et Bitzer n’ont plus aucune hésitation à rapprocher la caméra. Les actrices travaillent désormais dans une grande subtilité, les expressions n’ont plus besoin de geste démesuré pour porter. En plus de tout cela , le thème du siège, très utilisé par griffith dans ses thrillers, lui permet d’accentuer son observation de la femme en conditions extrêmes, en raffinant toujours son propos : voir à ce titre l’évolution de The Lonedale Operator en The girl and her trust, dont l’ouverture du cadre permet un enrichissement de l’action. Dans la même optique, le metteur en scène va revenir à sa Lonely Villa en 1912, avec The unseen enemy, mais auparavant, il va faire un pur film de femmes, cru et gonflé, précurseur d’œuvres aussi importantes que Greed, Treasure of the Sierra Madre ou The wind, et dans lequel il va confronter trois de ses actrices au désert:The female of the species. Dans ce petit drame situé en plein désert, c’est le chaos qui nous est d’abord présenté : une mine désormais improductive ayant fermé, quatre personnes, les derniers, doivent partir : un couple (Charles west et Claire McDowell), la sœur (Mary Pickford) de l’épouse et une troisième femme (Dorothy Bernard). Très vite, le mari va succomber lors de leur traversée littérale du désert, et le sentiment d’abandon, ajouté à des crises de jalousie, ressenti par sa veuve vont attiser la mésentente entre les trois femmes ; désormais détentrices de l’autorité puisque l’une d’entre elles a « hérité d’un pistolet par le décès de son mari, elles vont projeter de se débarrasser de la troisième femme. Un évènement lointain va leur permettre de regagner une part d’humanité : lorsqu’un couple d’Indiens errants va rencontrer deux prospecteurs blancs, ceux-ci vont abattre l’homme alors qu’il tentait de leur voler de l’eau pour sa femme. Celle-ci va succomber peu après, et Claire McDowell va entendre l’enfant pleurer au loin au moment ou elle s’apprêtait à tuer Dorothy Bernard. L’enfant va redonner une raison de vivre aux trois femmes, mère plutôt qu’épouses dans ce monde ou l’homme n’est pas suffisamment solide pour rester en vie, et leur permettre de survivre au désert. Le dernier intertitre, situé juste avant un plan, dans lequel les trois femmes sortent du cadre, est assez clair: « Womankind »: une humanité réduite à la femme ; ce pourrait être le titre du film, tant les efforts de Griffith pour se débarrasser des hommes sont évidents. Ils sont éliminés littéralement (L’Indien, le mari) ou par le scénario : les deux cow-boys qui tuent l’Indien disparaissent aussitôt du film. Les actrices sont remarquables, peu maquillées, et servies par une caméra toujours plus proche. Pickford fait assez peu de choses, mais soutient Mcd Dowell avec un jeu de regards assez intense. Elle fait presque cruelle parfois, en tout cas très endurcie ; McDowell est la moins convaincante, quant à Dorothy Bernard, qui joue la moins solide et la plus solitaire des trois, elle a le redoutable honneur de devour jouer la quasi folie, et il est frappant de voir son visage blanc balayé de ses longs cheveux : on voit parfois Lillian Gish en Letty Mason (The wind, Sjöström, 1928). Ce n’est pas un petit compliment… Pour finir sur ce film, on pourrait faire une remarque sur la représentation éminemment freudienne de l’autorité par une arme, mais cela serait probablement redondant. Malgré tout ça va totalement dans le sens du film. Mais laissons Freud de coté, il reviendra dès le paragraphe suivant, et il aura des choses à dire!
The unseen enemy est un de ces thrillers comme Griffith en produisait presque sans réfléchir, avec ses héros assiégés, son héros qui rameutait de l’aide, son téléphone, unique lien entre le dedans et le dehors, et ses moyens de locomotion en pagaille qui servait à sauver tout le monde. Il ne fait pas exception à la règle : tout le monde est sauvé à la fin. Alors, pourquoi en parler? Sans doute que l’arrivée des Soeurs Gish est un évènement suffisant en soi, pourtant il entraîne plus de déception que de satisfaction; non qu’elles jouent mal: ce sont les sœur Gish, enfin! Non, c’est plutôt Griffith qui nous déçoit a posteriori. Il croyait dur comme fer que des deux, le génie, c’était Dorothy, pas Lillian, et il s’est employé à donner à Dorothy le beau rôle et des tonnes de choses à faire, et à Lillian, rien ou presque. Cette situation durera quelques mois avant que Griffith ne se rende compte de sa bourde… Mais n’anticipons pas. Ce film nous conte donc la lamentable histoire de deux jeunes sœurs, orphelines depuis peu, et dont le frère vient apporter une somme d’argent, mise en coffre sous les yeux torves d’une femme de ménage louche… Celle-ci va téléphoner à des bandits de sa connaissance, qui vont profiter du fait que les deux jeunes filles sont seules pour venir dérober l’argent, pendant que les deux filles, apeurées, contactent leur frère par téléphone, pendant qu’elles ont enfermées. Le dispositif de la maison assiégée est ici complexe, avec d’abord une menace qui vient de la maison elle-même, avec la complicité de la domestique, le déplacement, par rapport au modèle de The lonely Villa, du centre d’intérêt des bandits : les deux sœurs sont dans une pièce et le magot dans la pièce ou sont les bandits ; la cerise sur le gâteau, c’est un petit espace par lequel les deux pièces communiquent : il permet aux bandits de passer un bras avec une arme, qui tire en aveugle quelques coups de feu : ici, à la vision de ce trou dans le mur dont dépasse une forme phallique( et chargée) se situerait une inévitable lecture Freudienne, mais celle-ci a probablement besoin d’un coup de pouce supplémentaire: retournons en arrière, et ajoutons un personnage: au début du film, les deux jeune fille sont dehors, et Bobby Harron intervient : il joue le petit ami (Un gentil benêt) de Dorothy. Celle-ci lui refuse un baiser au moment de le voir partir pour ses études, et il s’en va tout penaud. Lors du siège, donc, avec Lillian toute traumatisée qui se réfugie dans ses bras, Dorothy décide de tenter le tout pour le tout, et s’approche du fameux trou dans le mur, lentement, en rassemblant tout son courage. La caméra reste cadrée sur Lillian, ce qui fait que Dorothy dépasse bientôt du cadre. Le plan suivant nous montre l’action élargie, et Dorothy qui s’approche du trou, dans le but de saisir l’arme sans doute, mais le bras surgit brusquement, et elle renonce, apeurée. A ce moment, Griffith coupe et nous montre, deux secondes durant, le gentil fiancé. A la fin du film, les deux amoureux, une fois les filles sauvées, s’échangeront enfin un chaste mais décisif baiser. Ouf! Le siège d’une maison, nous dit Griffith, n’est pas que l’atteinte çà la famille ; du reste, avec des parents décédés, une domestique traitresse, et un frère qui est trop grand pour rester à la maison, cette famille est réduite aux deux jeune filles. Les connotations sexuelles de ce film vont donc particulièrement droit au but, et apportent rétrospectivement à toutes ces scènes de maisons assiégées, d’enfermement et de femmes qui prennent les armes, l’initiative, et le taureau par les cornes une lecture sans ambiguïté. Il est dommage que Griffith n’ait pas eu mieux à faire de Lillian Gish, qui se contente de rester à l’écart pendant la scène de flirt entre Harron et Dorothy, et qui contrairement à sa sœur a peu d’accessoires pour soutenir son jeu ; quant on sait l’usage qu’elle saura faire de tout accessoire possible et imaginable dans ses films ultérieurs, c’est vraiment dommage. Mais ce n’est que partie remise…
A la lumière des nouveaux courts métrages sotris par la Biograph en cette année 1912, il est probablement le moment d’une petite récapitulation, non pas dans le seul but d’aller en arrière, mais pour reprendre le fil de nos investigations, en s’intéressant, en particulier à la place de la femme dans l’œuvre de Griffith. En effet, les films les plus intéressants parmi les courts auxquels nous avons accès donnent à la gent féminine une portion plus que majeure, faisant des personnages féminins non seulement les héroïnes de ses films (The Lonedale Operator, The girl and her trust), mais aussi l’objet de la convoitise (The sealed room, Ramona, The mender of nets) ou tout simplement le centre d’intérêt principal (Les œuvres consacrées à la guerre civile fourmillent de personnages féminins cruciaux, dont les actions symbolisent le cadre familial et maternel (Soit un rôle traditionnel pour la femme dans la fiction Victorienne), mais aussi dont les initiatives dépassent ce cadre réducteur pour reprendre un flambeau délaissé par les hommes (Swords and hearts, The house with closed shutters). Ajoutons à ces constatations le fait que le star-system à la Griffith est d’inspiration largement féminine, puisque la première de ses stars, Mary Pickford, a été surnommée The BIograph Girl par ses fans alors qu’ils n’en connaissaient pas encore le nom. Mary Pickford, en acceptant des offres concurrentes de Griffith, a beaucoup fait pour que qoit reconnue l’importance de l’acteur, et a permis à Griffith d’expérimenter d’autres actrices et acteurs, mais là encore, les femmes dominent: si James Kirkwood, Wilfred Lucas et Henry B. Walthall sont présents dans de nombreux Film BIograph, il me semble que les efforts en termes de direction d’acteurs ont été dirigés en particulier vers les actrices, Claire McDowell, Mary Pickford et surtout Dorothy Bernard et Blanche Sweet, les héroïnes respectives de The girl and her trust d’une part, The Lonedale Operator d’autre part. En 1912, Griffith a plus que jamais besoin des femmes : elles l’inspirent, et en retour il leur permet sans doute de faire dans leur métier des pas de géant(es) en leur offrant un cadre très favorable : a cette époque, Griffith et Bitzer n’ont plus aucune hésitation à rapprocher la caméra. Les actrices travaillent désormais dans une grande subtilité, les expressions n’ont plus besoin de geste démesuré pour porter. En plus de tout cela , le thème du siège, très utilisé par griffith dans ses thrillers, lui permet d’accentuer son observation de la femme en conditions extrêmes, en raffinant toujours son propos : voir à ce titre l’évolution de The Lonedale Operator en The girl and her trust, dont l’ouverture du cadre permet un enrichissement de l’action. Dans la même optique, le metteur en scène va revenir à sa Lonely Villa en 1912, avec The unseen enemy, mais auparavant, il va faire un pur film de femmes, cru et gonflé, précurseur d’œuvres aussi importantes que Greed, Treasure of the Sierra Madre ou The wind, et dans lequel il va confronter trois de ses actrices au désert:The female of the species. Dans ce petit drame situé en plein désert, c’est le chaos qui nous est d’abord présenté : une mine désormais improductive ayant fermé, quatre personnes, les derniers, doivent partir : un couple (Charles west et Claire McDowell), la sœur (Mary Pickford) de l’épouse et une troisième femme (Dorothy Bernard). Très vite, le mari va succomber lors de leur traversée littérale du désert, et le sentiment d’abandon, ajouté à des crises de jalousie, ressenti par sa veuve vont attiser la mésentente entre les trois femmes ; désormais détentrices de l’autorité puisque l’une d’entre elles a « hérité d’un pistolet par le décès de son mari, elles vont projeter de se débarrasser de la troisième femme. Un évènement lointain va leur permettre de regagner une part d’humanité : lorsqu’un couple d’Indiens errants va rencontrer deux prospecteurs blancs, ceux-ci vont abattre l’homme alors qu’il tentait de leur voler de l’eau pour sa femme. Celle-ci va succomber peu après, et Claire McDowell va entendre l’enfant pleurer au loin au moment ou elle s’apprêtait à tuer Dorothy Bernard. L’enfant va redonner une raison de vivre aux trois femmes, mère plutôt qu’épouses dans ce monde ou l’homme n’est pas suffisamment solide pour rester en vie, et leur permettre de survivre au désert. Le dernier intertitre, situé juste avant un plan, dans lequel les trois femmes sortent du cadre, est assez clair: « Womankind »: une humanité réduite à la femme ; ce pourrait être le titre du film, tant les efforts de Griffith pour se débarrasser des hommes sont évidents. Ils sont éliminés littéralement (L’Indien, le mari) ou par le scénario : les deux cow-boys qui tuent l’Indien disparaissent aussitôt du film. Les actrices sont remarquables, peu maquillées, et servies par une caméra toujours plus proche. Pickford fait assez peu de choses, mais soutient Mcd Dowell avec un jeu de regards assez intense. Elle fait presque cruelle parfois, en tout cas très endurcie ; McDowell est la moins convaincante, quant à Dorothy Bernard, qui joue la moins solide et la plus solitaire des trois, elle a le redoutable honneur de devour jouer la quasi folie, et il est frappant de voir son visage blanc balayé de ses longs cheveux : on voit parfois Lillian Gish en Letty Mason (The wind, Sjöström, 1928). Ce n’est pas un petit compliment… Pour finir sur ce film, on pourrait faire une remarque sur la représentation éminemment freudienne de l’autorité par une arme, mais cela serait probablement redondant. Malgré tout ça va totalement dans le sens du film. Mais laissons Freud de coté, il reviendra dès le paragraphe suivant, et il aura des choses à dire!
The unseen enemy est un de ces thrillers comme Griffith en produisait presque sans réfléchir, avec ses héros assiégés, son héros qui rameutait de l’aide, son téléphone, unique lien entre le dedans et le dehors, et ses moyens de locomotion en pagaille qui servait à sauver tout le monde. Il ne fait pas exception à la règle : tout le monde est sauvé à la fin. Alors, pourquoi en parler? Sans doute que l’arrivée des Soeurs Gish est un évènement suffisant en soi, pourtant il entraîne plus de déception que de satisfaction; non qu’elles jouent mal: ce sont les sœur Gish, enfin! Non, c’est plutôt Griffith qui nous déçoit a posteriori. Il croyait dur comme fer que des deux, le génie, c’était Dorothy, pas Lillian, et il s’est employé à donner à Dorothy le beau rôle et des tonnes de choses à faire, et à Lillian, rien ou presque. Cette situation durera quelques mois avant que Griffith ne se rende compte de sa bourde… Mais n’anticipons pas. Ce film nous conte donc la lamentable histoire de deux jeunes sœurs, orphelines depuis peu, et dont le frère vient apporter une somme d’argent, mise en coffre sous les yeux torves d’une femme de ménage louche… Celle-ci va téléphoner à des bandits de sa connaissance, qui vont profiter du fait que les deux jeunes filles sont seules pour venir dérober l’argent, pendant que les deux filles, apeurées, contactent leur frère par téléphone, pendant qu’elles ont enfermées. Le dispositif de la maison assiégée est ici complexe, avec d’abord une menace qui vient de la maison elle-même, avec la complicité de la domestique, le déplacement, par rapport au modèle de The lonely Villa, du centre d’intérêt des bandits : les deux sœurs sont dans une pièce et le magot dans la pièce ou sont les bandits ; la cerise sur le gâteau, c’est un petit espace par lequel les deux pièces communiquent : il permet aux bandits de passer un bras avec une arme, qui tire en aveugle quelques coups de feu : ici, à la vision de ce trou dans le mur dont dépasse une forme phallique( et chargée) se situerait une inévitable lecture Freudienne, mais celle-ci a probablement besoin d’un coup de pouce supplémentaire: retournons en arrière, et ajoutons un personnage: au début du film, les deux jeune fille sont dehors, et Bobby Harron intervient : il joue le petit ami (Un gentil benêt) de Dorothy. Celle-ci lui refuse un baiser au moment de le voir partir pour ses études, et il s’en va tout penaud. Lors du siège, donc, avec Lillian toute traumatisée qui se réfugie dans ses bras, Dorothy décide de tenter le tout pour le tout, et s’approche du fameux trou dans le mur, lentement, en rassemblant tout son courage. La caméra reste cadrée sur Lillian, ce qui fait que Dorothy dépasse bientôt du cadre. Le plan suivant nous montre l’action élargie, et Dorothy qui s’approche du trou, dans le but de saisir l’arme sans doute, mais le bras surgit brusquement, et elle renonce, apeurée. A ce moment, Griffith coupe et nous montre, deux secondes durant, le gentil fiancé. A la fin du film, les deux amoureux, une fois les filles sauvées, s’échangeront enfin un chaste mais décisif baiser. Ouf! Le siège d’une maison, nous dit Griffith, n’est pas que l’atteinte çà la famille ; du reste, avec des parents décédés, une domestique traitresse, et un frère qui est trop grand pour rester à la maison, cette famille est réduite aux deux jeune filles. Les connotations sexuelles de ce film vont donc particulièrement droit au but, et apportent rétrospectivement à toutes ces scènes de maisons assiégées, d’enfermement et de femmes qui prennent les armes, l’initiative, et le taureau par les cornes une lecture sans ambiguïté. Il est dommage que Griffith n’ait pas eu mieux à faire de Lillian Gish, qui se contente de rester à l’écart pendant la scène de flirt entre Harron et Dorothy, et qui contrairement à sa sœur a peu d’accessoires pour soutenir son jeu ; quant on sait l’usage qu’elle saura faire de tout accessoire possible et imaginable dans ses films ultérieurs, c’est vraiment dommage. Mais ce n’est que partie remise…
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Re: David Wark Griffith
1912 : deux jeunes femmes en conflit
La richesse hallucinante de l’œuvre Griffithienne en 1912 ne passait pas seulement par le spectaculaire; The painted lady, réalisé en aout à New York avec Blanche Sweet et The new York hat, de l’automne 1912 à New York également avec Mary Pickford, s’apparentent à la chronique de mœurs, et mettent tous deux en scène les conséquences potentiellement destructrices de rapports minés entre des pères et leurs filles. Le premier prend la forme d’une tragédie et le second celle d’une comédie plus tendre.
The painted lady est une expérience en matière d’introspection, un film en quatre parties dans lequel une jeune femme découvre, à l’âge de s’épanouir et de tenter de séduire, qu’elle aurait peut-être plus de chance en amour si elle se maquillait. Son père, un vieux grincheux puritain, est résolument contre; lors d’une fête, elle rencontre un homme qui la séduit par sa délicatesse, et elle s’entretient avec lui, notamment, des affaires de son père. Peu de temps après, elle voit un cambrioleur qui s’est introduit chez elle, et le tue. Elle découvre alors qu’il ‘agit de l’homme qu’elle prend pour son petit ami. Les félicitations de son père pour avoir sauvé la situation n’y font rien, elle sombre dans la dépression, la folie, et meurt à la fin, sur le lieu de son unique rencontre amoureuse… Critique amère et sans appel du conservatisme, ce film est remarquable par sa subtilité ; lors des derniers films, on a vu que la caméra s’approchait de plus en plus ; si ici aucun gros plan ne vient rompre l’élégance visuelle du film, la caméra reste en permanence à un petite distance de l’action ; l’essentiel se situe à l’intérieur des personnages. La métamorphose de Blanche Sweet, d’adolescente fragile en femme traumatisée, est assez convaincante, même si l’intériorisation lui semble difficile : on sent le poids des indications simultanées de Griffith qui, n’en doutons pas, dirigeait de la voix l’actrice au fur et à mesure. La dernière partie, après l’accident, est malgré tout la plus poignante, lorsqu’elle s’invente des rencontres avec le seul homme qui se soit intéressé à elle, et qu’elle vient de tuer. Pour la dernière « rencontre », elle se libère définitivement de l’influence de son père en se maquillant… Le décor est utilisé de façon métaphorique, d’abord par la description comme toujours minutieuse de l’intérieur aisé dans lequel la jeune fille vit avec son père, un environnement qui est assimilé à la situation d’enfermement dans lequel vit la jeune fille. Ensuite, un détail des scènes finales a son importance : Griffith et Bitzer, lors de ces scènes dans lesquelles la jeune femme s’échappe par l’esprit des barrières imposées par son père, ont cadré les plans de manière à incorporer une barrière bien réelle, sur laquelle la jeune femme s’appuiera une dernière fois avant de mourir. Le film possède en permanence cette élégance et cette justesse, mais on peut aussi remarquer que le drame central du film est assimilable au résultat d’une pénétration du cambrioleur dans la maison, d’un viol auquel décidément la jeune fille répond par l’utilisation d’une arme : c’est seulement après l’avoir tué qu’elle découvre son agresseur… Un film Freudien une fois de plus, noir, et d’une impressionnante portée : on est loin, ici, du suspense et de la légèreté de The girl and her trust. Pour finir sur ce film, on peut voir parmi les figurants, les acteurs Griffithiens polyvalents de l’époque : Lionel Barrymore, Claire McDowell, Bobby Harron, Lillian Gish…
The New York hat part d’une situation assez proche de celle du film précédent, puisqu’il nous expose pour commencer le décès de la mère de Mary Pickford. Elle laisse à son pasteur (Lionel Barrymore) une mission secrète : puisqu’elle a réussi, malgré la dictature de son mari, à mettre un peu d’argent de coté, elle lui demande d’acheter des petits cadeaux pour égayer la vie de sa fille, car elle sait que celle-ci ne va pas rigoler tous les jours avec son père puritain : Il est barbu. Il va donc s’exécuter, assez maladroitement, et lui acheter un chapeau fripon. Du coup, la ville entière ne va plus parler que du scandale, et lorsque la vérité éclate, la communauté va condamner les commères, et le père va s’adoucir, autorisant du même coup une idylle entre le pasteur et sa fille. Dans ce qui reste une comédie, l’utilisation réaliste du New York de tous les jours est aussi efficace que dans le film précédent, et le jeu de Mary Pickford, s’il annonce un peu par les habits, la coiffure et le maquillage très léger les (Trop) jeunes filles pour lesquelles elle deviendra bientôt célèbre, est toujours très sérieux: lorsqu’elle pleure à chaudes larmes face à la confusion qui est la sienne, elle est troublante et sincère. Une façon pour l’actrice et le metteur en scène, conjointement, de rappeler que si l’ironie est ici dirigée contre les conservatismes et le commérage, la situation de la jeune fille est réelle, et n’a rien de risible. Un bel exemple d’avancée dans des films qui échappent à la caricature facile, mais aussi un avantage de Mary Pickford sur Blanche Sweet, dont le jeu était apparemment piloté en permanence par Griffith, via le sempiternel mégaphone. Avec son autre star, il n’a nul besoin de cela, et elle excelle du début à la fin de ce film, dans lequel la nombreuse figuration est une fois de plus luxueuse : Les sœurs Gish, dont Lillian en insupportable commère à l’arrière-plan, qui pouffe méchamment à chaque apparition de Mary, Harron, les autres femmes dont on a déjà parlé, les Kate Bruce, Claire Mc Dowell, Dorothy Bernard en vendeuse, etc…
La richesse hallucinante de l’œuvre Griffithienne en 1912 ne passait pas seulement par le spectaculaire; The painted lady, réalisé en aout à New York avec Blanche Sweet et The new York hat, de l’automne 1912 à New York également avec Mary Pickford, s’apparentent à la chronique de mœurs, et mettent tous deux en scène les conséquences potentiellement destructrices de rapports minés entre des pères et leurs filles. Le premier prend la forme d’une tragédie et le second celle d’une comédie plus tendre.
The painted lady est une expérience en matière d’introspection, un film en quatre parties dans lequel une jeune femme découvre, à l’âge de s’épanouir et de tenter de séduire, qu’elle aurait peut-être plus de chance en amour si elle se maquillait. Son père, un vieux grincheux puritain, est résolument contre; lors d’une fête, elle rencontre un homme qui la séduit par sa délicatesse, et elle s’entretient avec lui, notamment, des affaires de son père. Peu de temps après, elle voit un cambrioleur qui s’est introduit chez elle, et le tue. Elle découvre alors qu’il ‘agit de l’homme qu’elle prend pour son petit ami. Les félicitations de son père pour avoir sauvé la situation n’y font rien, elle sombre dans la dépression, la folie, et meurt à la fin, sur le lieu de son unique rencontre amoureuse… Critique amère et sans appel du conservatisme, ce film est remarquable par sa subtilité ; lors des derniers films, on a vu que la caméra s’approchait de plus en plus ; si ici aucun gros plan ne vient rompre l’élégance visuelle du film, la caméra reste en permanence à un petite distance de l’action ; l’essentiel se situe à l’intérieur des personnages. La métamorphose de Blanche Sweet, d’adolescente fragile en femme traumatisée, est assez convaincante, même si l’intériorisation lui semble difficile : on sent le poids des indications simultanées de Griffith qui, n’en doutons pas, dirigeait de la voix l’actrice au fur et à mesure. La dernière partie, après l’accident, est malgré tout la plus poignante, lorsqu’elle s’invente des rencontres avec le seul homme qui se soit intéressé à elle, et qu’elle vient de tuer. Pour la dernière « rencontre », elle se libère définitivement de l’influence de son père en se maquillant… Le décor est utilisé de façon métaphorique, d’abord par la description comme toujours minutieuse de l’intérieur aisé dans lequel la jeune fille vit avec son père, un environnement qui est assimilé à la situation d’enfermement dans lequel vit la jeune fille. Ensuite, un détail des scènes finales a son importance : Griffith et Bitzer, lors de ces scènes dans lesquelles la jeune femme s’échappe par l’esprit des barrières imposées par son père, ont cadré les plans de manière à incorporer une barrière bien réelle, sur laquelle la jeune femme s’appuiera une dernière fois avant de mourir. Le film possède en permanence cette élégance et cette justesse, mais on peut aussi remarquer que le drame central du film est assimilable au résultat d’une pénétration du cambrioleur dans la maison, d’un viol auquel décidément la jeune fille répond par l’utilisation d’une arme : c’est seulement après l’avoir tué qu’elle découvre son agresseur… Un film Freudien une fois de plus, noir, et d’une impressionnante portée : on est loin, ici, du suspense et de la légèreté de The girl and her trust. Pour finir sur ce film, on peut voir parmi les figurants, les acteurs Griffithiens polyvalents de l’époque : Lionel Barrymore, Claire McDowell, Bobby Harron, Lillian Gish…
The New York hat part d’une situation assez proche de celle du film précédent, puisqu’il nous expose pour commencer le décès de la mère de Mary Pickford. Elle laisse à son pasteur (Lionel Barrymore) une mission secrète : puisqu’elle a réussi, malgré la dictature de son mari, à mettre un peu d’argent de coté, elle lui demande d’acheter des petits cadeaux pour égayer la vie de sa fille, car elle sait que celle-ci ne va pas rigoler tous les jours avec son père puritain : Il est barbu. Il va donc s’exécuter, assez maladroitement, et lui acheter un chapeau fripon. Du coup, la ville entière ne va plus parler que du scandale, et lorsque la vérité éclate, la communauté va condamner les commères, et le père va s’adoucir, autorisant du même coup une idylle entre le pasteur et sa fille. Dans ce qui reste une comédie, l’utilisation réaliste du New York de tous les jours est aussi efficace que dans le film précédent, et le jeu de Mary Pickford, s’il annonce un peu par les habits, la coiffure et le maquillage très léger les (Trop) jeunes filles pour lesquelles elle deviendra bientôt célèbre, est toujours très sérieux: lorsqu’elle pleure à chaudes larmes face à la confusion qui est la sienne, elle est troublante et sincère. Une façon pour l’actrice et le metteur en scène, conjointement, de rappeler que si l’ironie est ici dirigée contre les conservatismes et le commérage, la situation de la jeune fille est réelle, et n’a rien de risible. Un bel exemple d’avancée dans des films qui échappent à la caricature facile, mais aussi un avantage de Mary Pickford sur Blanche Sweet, dont le jeu était apparemment piloté en permanence par Griffith, via le sempiternel mégaphone. Avec son autre star, il n’a nul besoin de cela, et elle excelle du début à la fin de ce film, dans lequel la nombreuse figuration est une fois de plus luxueuse : Les sœurs Gish, dont Lillian en insupportable commère à l’arrière-plan, qui pouffe méchamment à chaque apparition de Mary, Harron, les autres femmes dont on a déjà parlé, les Kate Bruce, Claire Mc Dowell, Dorothy Bernard en vendeuse, etc…
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Re: David Wark Griffith
1912 : Du film social au film de gangster
On l’a vu, en cette année 1912, chez Griffith, désormais l’exploration des possibilités émotionnelles, le développement des genres ont supplanté le message à caractère social, au point ou l’observation des petites gens, y compris avec tendresse, débouche désormais sur une comédie (The sunbeam) ou un film à suspense (The miser’s heart) ; cette même année, il va infléchir plus avant cette tendance en créant un nouveau genre pour ses films, mêlant son sens de l’observation, un semblant de message social, son incomparable sens du suspense, son génie de l’utilisation de l’espace et le talent désormais solide et éprouvé de ses plus grands acteurs. Ce faisant, il va sortir, et je pèse mes mots, ce que j’estime être son chef-d’œuvre absolu : The musketeers of Pig Alley. Trois autres films s’offrent à notre regard par de diverses parutions : The narrow road, One is business, the other crime et The burglar’s dilemma. Autant de film « sociaux » qui ne remettent pas trop en cause l’ordre établi, mais sont riches en personnages aux motivations de plus en plus complexes.
The narrow road ressemble presque à un film à message : il y est question de l’étroite et inconfortable route qu’un ancien forçat doit prendre au sortir de la prison : le droit chemin. Et bien sur, la tentation, la force de l’habitude, les mauvaises fréquentations et éventuellement les nécessités économiques étant ce quelles sont, c’est définitivement un chemin difficile à prendre. Sur ce principe, Griffith réalise un film impeccable mais sans génie : un prisonnier libéré promet de filer droit, mais l’initiative crapuleuse d’un autre forçat va lui mettre des bâtons dans les roues, ainsi qu’à son épouse. Le principal mérite de ce film qui se termine par la vision d’un ancien criminel fier de pouvoir désormais exercer une profession légitime est de confronter Mary Pickford, excellente mais un peu effacée en épouse au lourd fardeau à un acteur d’autant plus rare qu’il mourra jeune : Elmer Booth (1882 – 1915) qui sera tué dans le fameux accident qui faillira avoir la peau de Tod Browning. Précurseur de James Cagney, sa photogénie splendide, son visage malléable, la sureté du geste et le pouvoir de ses yeux, en plus de son coté mauvais garçon naturel, en faisaient l’acteur idéal. Si on ajoute qu’il écrivait aussi, il est clair que sa présence dans l’équipe de la Biograph à cette époque a sans doute été déterminante pour l’arrivée du genre dans le canon Griffithien… Sinon, le message, si message il y a, est bien pâle par rapport à la dénonciation de A corner in wheat. Force reste à la loi, on retrouvera une certaine ambigüité avec les Musketeers of Pig Alley, et surtout avec Intolerance.
One is business, the other crime, seul des quatre films touné en Californie (En février 1912) contient l’essentiel de son “message” dans le titre : Griffith décide commencer son film par deux mariages, semble-t-il aisés tous les deux. Seulement l’un des couples va tomber dans les ennuis, puis la pauvreté. Le pli est pris, et Griffith continue de nous les présenter en parallèle, mais c’est justifié par l’intrigue : ils vont se rencontrer. L’intrigue est centrée autour de la décision douteuse que l’homme riche (Edwin August) a prise : il a accepté un pot-de –vin, à l’insu de son épouse (Blanche Sweet). Elle le découvre le jour ou l’homme pauvre (Charles West) s’introduit chez elle pour voler l’enveloppe d’argent du pot-de-vin. Elle décide de laisser partir le cambrioleur qui retourne vers son épouse (Dorothy Bernard). Elle met le mari face à ses responsabilités ; celui-ci décide de rendre l’argent et d’aider le couple pauvre à s’insérer. Le scénario n’est pas, on le remarque, des plus révolutionnaires. Le traitement est intéressant pourtant : apparemment détachée et frivole, l’épouse jouée par Blanche Sweet va non seulement être le pivot de l’intrigue, mais l’essentiel passe par son point de vue. Le montage est utilisé ici moins pour le suspense (La tentative du cambrioleur se tient en un plan) que pour effectuer le parallèle entre les destinées des deux couples et pour souligner les tourments intérieurs : ainsi lorsque le cambrioleur repart chez lui, il nous est montré dans sa cabane, accueilli par son épouse. Blanche Sweet et Edwin August, quant à eux, ont droit à leur espace privétif, séparés dans la maison par une cloison ET par le montage. Pour finir avec ce film somme toute mineur, ajoutons que Griffith permet à Blanche Sweet (Il est vrai qu’elle joue une riche oisive, donc elle a le temps) d’user de toute sa séduction: robe décolletée, "déshabillé" 1912 pas trop vaporeux quand même. Elle illumine l’écran, on ne voit qu’elle : c’est le but. Précisons que sinon, son jeu est irréprochable, et le serait d'ailleurs y compris si elle était habillée d'un sac de patates.
The burglar’s dilemma est un autre genre de film qui échappe au pamphlet : ici, le suspense retrouve droit de cité. Les acteurs du film sont nombreux, et on retrouve dans les rôles principaux Henry B. Walthall, de retour à la BIograph, et qui bénéficie ici d’une direction parfaite, et Lionel Barrymore . Bobby Harron est le cambrioleur du titre ; Harry Carey, déjà aperçu dans diverses silhouettes, joue un gangster qui force la main du jeune Bobby ; enfin, les femmes font ici tapisserie, elle serviront néanmoins : Barrymore, un homme à qui tout réussit (Argent, femmes : Lillian Gish, entre autres), s’attire la jalousie de son frère Walthall. Un jour, celui-ci explose et frappe son aîné qui s’écroule inconscient. Persuadé d’avoir tué son frère, le jaloux (Le faible, nous dit Griffith dans un intertitre) va se cacher, au moment ou un cambrioleur réticent s’introduit dans la maison. Comprenant le parti qu’il peut tirer de la situation, le frère va chercher la police, et celle-ci confronte bien vite le malfrat, dans une séquence que le jeu de Bobby Harron, juvénile mais déjà génial, transforme : il se comprend très vite le piège dans lequel il est tombé, et est parfaitement convaincant dans ses dénégations. Lorsque le frère assommé se réveille, Harron comprend qu’il échappe à la chaise, et le grand frère pardonne le jaloux. Le titre du film se justifie par le dernier plan, dans lequel Harron qui sort de prison refuse de replonger, et est soutenu contre son ex-patron par la police, qui l’aide à filer droit. Le suspense ici est intéressant dans la mesure ou c’est un bandit (Ni volontaire ni doué, admettons) qui s’attire la sympathie du public, mais aussi par la complexité du dispositif mis en place par Griffith : de Walthall et sa panique d’avoir tué son frère à Harron et cette obligation dans laquelle il s’est fourré d’aller effectuer un cambriolage, en ajoutant le transfert des soupçons sur le plus jeune, c’est un échafaudage qui est, heureusement, réussi.
Venons-en au court métrage le plus épique de Griffith, l’un des plus célèbres aussi : The musketeers of Pig Alley , tourné en octobre 1912 et dont le scénario n’a une fois de plus pas peur d’entremêler savamment les histoires et les personnages ; un jeune couple, un musicien (Walter Miller)et sa femme (Lillian Gish), vivent dans des conditions précaires à Manhattan, dans un immeuble fréquenté par une bande de malfrats dirigés par Elmer Booth et Harry Carey. Le musicien s’en va pour faire fortune, et lorsqu’il revient, il est agressé et volé. IL part à la recherche de la bourse d’argent qu’on lui a subtilisée, et pendant ce temps, son épouse un peu frivole va se laisser plus ou moins draguer par un malfrat d’une bande rivale (Alfred Paget). C’est le gangster joué par Booth qui va sortir la jeune femme des griffes du dragueur, et cet évènement va entraîner une guerre des gangs, dont Booth et ses amis vont sortir vainqueurs. A la fin, le musicien profite de la confusion pour reprendre son argent, et le jeune couple fournit un alibi au gangster. Bien que l’histoire soit accomplie, que tout soit en place et que dans l’ensemble tout soit rentré dans l’ordre (Le gangster a procédé à un massacre, mais il a un code : il aurait pu tenter de séduire la femme du musicien, mais ne l’a pas fait, même s’il désapprouve du choix douteux qu’elle a fait. Cet homme qui possède une morale !) , le dernier plan est fascinant, et riche en mystère et en confusion : alors que le policier qui voulait l’arrêter laisse Booth seul dans la cage d’escalier de l’immeuble, une main apparait à droite, avec des billets de banque. Quelqu’un confie donc cet argent avec pour mission (La main esquisse un geste très clair en ce sens) de le donner ensuite au policier. Le fondu final laisse le spectateur sur ce mystère. Une manière de déplacer le point de vue sur ce qui reste un film vaguement immoral (les héros se comportent tous en dehors de la loi) vers un faux commentaire vaguement critique ? une façon d(ouvrir sur la vraisemblance d’une histoire dans laquelle on peut voir l’influence d’une mafia ? Un commentaire critique, voire franchement satirique sur la corruption de la police New Yorkaise ? Le manque de solution est finalement la meilleure façon de laisser le spectateur en chercher une. Du reste, la réaction de Booth est géniale : il se gratte la tête, à la fois surpris et très amusé par l’offrande qu’on lui demande de faire passer…
Le génie de ce film ambigu est dans sa mise en scène, dans sa complexité qui n’est pas même un obstacle à sa réussite. Si le tournage en pleine rue est souvent évoqué, c’est malgré tout une figuration et un sens de la composition qui doivent plus à Griffith qu’aux passants qu’on voit ici à l’œuvre. On peut penser aussi à Feuillade: ces beuglants New-Yorkais infestés de gangsters interlopes (Carey, au maquillage charbonneux et à la casquette blanche est tout droit sorti d’un Fantomas) trouveront une rime avec les bars d’apaches dans lesquels s’ébattront Musidora et sa clique dans Les vampires quatre ans plus tard. Et puis, il ya la guerre des gangs, annoncée par une suite de plans splendides : en terrain neutre (Une salle de danse) les gangs se jaugent, mais ne vont pas plus loin. Chaque gang suit son leader et sort, lentement, prenant le temps d’occuper l’espace. Un plan commence par la description des « activités « de la bande de Booth dans son quartier général : un terrain vague entre deux maisons, puis ils sortent du champ par la droite ; à ce moment précis, l’autre bande intervient et les gangsters s’installent derrière des tonneaux (Fantomas, encore !) et autres objets : un seul plan pour unifier les deux gangs dans la lutte pour le territoire… Un autre plan voit Booth et ses sbires arriver, et Booth, en longeant un mur situé à droite de la caméra, s’approche de celle-ci autant qu'il soit possible de le faire, toujours sur la droite, jusqu’à ce que son visage, et ses yeux parfaitement expressifs, emplissent un bon quart du cadre. Derrière lui, les seconds couteux menés par Carey ne font pas tapisserie pour autant. Plan sublime, qui en dit long sur le fait que ces gars-là ne rigolent pas: la tuerie qui s’ensuit en témoigne.
Un regret ? Oui, bien sur : comme d’habitude jusqu’ici, le rôle dévolu à Lillian Gish laisse encore à désirer: c’est pour l’instant une ravissante idiote, une délurée prête à tromper son mari (Un violoniste : c’est-à-dire un nigaud ou un poète, ou les deux…). Griffith se rattrapera, Lillian aussi… Elle a droit, par contre, a un petit truc rigolo : lorsque son mari se fait attaquer dans le hall d’entrée de l’immeuble, elle l’entend, et va voir ce qu’il se passe. Un plan sonore, donc, avec une réaction parfaitement équilibrée : pas de regard caméra, de main utilisée en écouteur, ni d’intertitre «Ah ça ! Que se passe-t-il ?». Ca rattrape un peu, déjà.
On l’a vu, en cette année 1912, chez Griffith, désormais l’exploration des possibilités émotionnelles, le développement des genres ont supplanté le message à caractère social, au point ou l’observation des petites gens, y compris avec tendresse, débouche désormais sur une comédie (The sunbeam) ou un film à suspense (The miser’s heart) ; cette même année, il va infléchir plus avant cette tendance en créant un nouveau genre pour ses films, mêlant son sens de l’observation, un semblant de message social, son incomparable sens du suspense, son génie de l’utilisation de l’espace et le talent désormais solide et éprouvé de ses plus grands acteurs. Ce faisant, il va sortir, et je pèse mes mots, ce que j’estime être son chef-d’œuvre absolu : The musketeers of Pig Alley. Trois autres films s’offrent à notre regard par de diverses parutions : The narrow road, One is business, the other crime et The burglar’s dilemma. Autant de film « sociaux » qui ne remettent pas trop en cause l’ordre établi, mais sont riches en personnages aux motivations de plus en plus complexes.
The narrow road ressemble presque à un film à message : il y est question de l’étroite et inconfortable route qu’un ancien forçat doit prendre au sortir de la prison : le droit chemin. Et bien sur, la tentation, la force de l’habitude, les mauvaises fréquentations et éventuellement les nécessités économiques étant ce quelles sont, c’est définitivement un chemin difficile à prendre. Sur ce principe, Griffith réalise un film impeccable mais sans génie : un prisonnier libéré promet de filer droit, mais l’initiative crapuleuse d’un autre forçat va lui mettre des bâtons dans les roues, ainsi qu’à son épouse. Le principal mérite de ce film qui se termine par la vision d’un ancien criminel fier de pouvoir désormais exercer une profession légitime est de confronter Mary Pickford, excellente mais un peu effacée en épouse au lourd fardeau à un acteur d’autant plus rare qu’il mourra jeune : Elmer Booth (1882 – 1915) qui sera tué dans le fameux accident qui faillira avoir la peau de Tod Browning. Précurseur de James Cagney, sa photogénie splendide, son visage malléable, la sureté du geste et le pouvoir de ses yeux, en plus de son coté mauvais garçon naturel, en faisaient l’acteur idéal. Si on ajoute qu’il écrivait aussi, il est clair que sa présence dans l’équipe de la Biograph à cette époque a sans doute été déterminante pour l’arrivée du genre dans le canon Griffithien… Sinon, le message, si message il y a, est bien pâle par rapport à la dénonciation de A corner in wheat. Force reste à la loi, on retrouvera une certaine ambigüité avec les Musketeers of Pig Alley, et surtout avec Intolerance.
One is business, the other crime, seul des quatre films touné en Californie (En février 1912) contient l’essentiel de son “message” dans le titre : Griffith décide commencer son film par deux mariages, semble-t-il aisés tous les deux. Seulement l’un des couples va tomber dans les ennuis, puis la pauvreté. Le pli est pris, et Griffith continue de nous les présenter en parallèle, mais c’est justifié par l’intrigue : ils vont se rencontrer. L’intrigue est centrée autour de la décision douteuse que l’homme riche (Edwin August) a prise : il a accepté un pot-de –vin, à l’insu de son épouse (Blanche Sweet). Elle le découvre le jour ou l’homme pauvre (Charles West) s’introduit chez elle pour voler l’enveloppe d’argent du pot-de-vin. Elle décide de laisser partir le cambrioleur qui retourne vers son épouse (Dorothy Bernard). Elle met le mari face à ses responsabilités ; celui-ci décide de rendre l’argent et d’aider le couple pauvre à s’insérer. Le scénario n’est pas, on le remarque, des plus révolutionnaires. Le traitement est intéressant pourtant : apparemment détachée et frivole, l’épouse jouée par Blanche Sweet va non seulement être le pivot de l’intrigue, mais l’essentiel passe par son point de vue. Le montage est utilisé ici moins pour le suspense (La tentative du cambrioleur se tient en un plan) que pour effectuer le parallèle entre les destinées des deux couples et pour souligner les tourments intérieurs : ainsi lorsque le cambrioleur repart chez lui, il nous est montré dans sa cabane, accueilli par son épouse. Blanche Sweet et Edwin August, quant à eux, ont droit à leur espace privétif, séparés dans la maison par une cloison ET par le montage. Pour finir avec ce film somme toute mineur, ajoutons que Griffith permet à Blanche Sweet (Il est vrai qu’elle joue une riche oisive, donc elle a le temps) d’user de toute sa séduction: robe décolletée, "déshabillé" 1912 pas trop vaporeux quand même. Elle illumine l’écran, on ne voit qu’elle : c’est le but. Précisons que sinon, son jeu est irréprochable, et le serait d'ailleurs y compris si elle était habillée d'un sac de patates.
The burglar’s dilemma est un autre genre de film qui échappe au pamphlet : ici, le suspense retrouve droit de cité. Les acteurs du film sont nombreux, et on retrouve dans les rôles principaux Henry B. Walthall, de retour à la BIograph, et qui bénéficie ici d’une direction parfaite, et Lionel Barrymore . Bobby Harron est le cambrioleur du titre ; Harry Carey, déjà aperçu dans diverses silhouettes, joue un gangster qui force la main du jeune Bobby ; enfin, les femmes font ici tapisserie, elle serviront néanmoins : Barrymore, un homme à qui tout réussit (Argent, femmes : Lillian Gish, entre autres), s’attire la jalousie de son frère Walthall. Un jour, celui-ci explose et frappe son aîné qui s’écroule inconscient. Persuadé d’avoir tué son frère, le jaloux (Le faible, nous dit Griffith dans un intertitre) va se cacher, au moment ou un cambrioleur réticent s’introduit dans la maison. Comprenant le parti qu’il peut tirer de la situation, le frère va chercher la police, et celle-ci confronte bien vite le malfrat, dans une séquence que le jeu de Bobby Harron, juvénile mais déjà génial, transforme : il se comprend très vite le piège dans lequel il est tombé, et est parfaitement convaincant dans ses dénégations. Lorsque le frère assommé se réveille, Harron comprend qu’il échappe à la chaise, et le grand frère pardonne le jaloux. Le titre du film se justifie par le dernier plan, dans lequel Harron qui sort de prison refuse de replonger, et est soutenu contre son ex-patron par la police, qui l’aide à filer droit. Le suspense ici est intéressant dans la mesure ou c’est un bandit (Ni volontaire ni doué, admettons) qui s’attire la sympathie du public, mais aussi par la complexité du dispositif mis en place par Griffith : de Walthall et sa panique d’avoir tué son frère à Harron et cette obligation dans laquelle il s’est fourré d’aller effectuer un cambriolage, en ajoutant le transfert des soupçons sur le plus jeune, c’est un échafaudage qui est, heureusement, réussi.
Venons-en au court métrage le plus épique de Griffith, l’un des plus célèbres aussi : The musketeers of Pig Alley , tourné en octobre 1912 et dont le scénario n’a une fois de plus pas peur d’entremêler savamment les histoires et les personnages ; un jeune couple, un musicien (Walter Miller)et sa femme (Lillian Gish), vivent dans des conditions précaires à Manhattan, dans un immeuble fréquenté par une bande de malfrats dirigés par Elmer Booth et Harry Carey. Le musicien s’en va pour faire fortune, et lorsqu’il revient, il est agressé et volé. IL part à la recherche de la bourse d’argent qu’on lui a subtilisée, et pendant ce temps, son épouse un peu frivole va se laisser plus ou moins draguer par un malfrat d’une bande rivale (Alfred Paget). C’est le gangster joué par Booth qui va sortir la jeune femme des griffes du dragueur, et cet évènement va entraîner une guerre des gangs, dont Booth et ses amis vont sortir vainqueurs. A la fin, le musicien profite de la confusion pour reprendre son argent, et le jeune couple fournit un alibi au gangster. Bien que l’histoire soit accomplie, que tout soit en place et que dans l’ensemble tout soit rentré dans l’ordre (Le gangster a procédé à un massacre, mais il a un code : il aurait pu tenter de séduire la femme du musicien, mais ne l’a pas fait, même s’il désapprouve du choix douteux qu’elle a fait. Cet homme qui possède une morale !) , le dernier plan est fascinant, et riche en mystère et en confusion : alors que le policier qui voulait l’arrêter laisse Booth seul dans la cage d’escalier de l’immeuble, une main apparait à droite, avec des billets de banque. Quelqu’un confie donc cet argent avec pour mission (La main esquisse un geste très clair en ce sens) de le donner ensuite au policier. Le fondu final laisse le spectateur sur ce mystère. Une manière de déplacer le point de vue sur ce qui reste un film vaguement immoral (les héros se comportent tous en dehors de la loi) vers un faux commentaire vaguement critique ? une façon d(ouvrir sur la vraisemblance d’une histoire dans laquelle on peut voir l’influence d’une mafia ? Un commentaire critique, voire franchement satirique sur la corruption de la police New Yorkaise ? Le manque de solution est finalement la meilleure façon de laisser le spectateur en chercher une. Du reste, la réaction de Booth est géniale : il se gratte la tête, à la fois surpris et très amusé par l’offrande qu’on lui demande de faire passer…
Le génie de ce film ambigu est dans sa mise en scène, dans sa complexité qui n’est pas même un obstacle à sa réussite. Si le tournage en pleine rue est souvent évoqué, c’est malgré tout une figuration et un sens de la composition qui doivent plus à Griffith qu’aux passants qu’on voit ici à l’œuvre. On peut penser aussi à Feuillade: ces beuglants New-Yorkais infestés de gangsters interlopes (Carey, au maquillage charbonneux et à la casquette blanche est tout droit sorti d’un Fantomas) trouveront une rime avec les bars d’apaches dans lesquels s’ébattront Musidora et sa clique dans Les vampires quatre ans plus tard. Et puis, il ya la guerre des gangs, annoncée par une suite de plans splendides : en terrain neutre (Une salle de danse) les gangs se jaugent, mais ne vont pas plus loin. Chaque gang suit son leader et sort, lentement, prenant le temps d’occuper l’espace. Un plan commence par la description des « activités « de la bande de Booth dans son quartier général : un terrain vague entre deux maisons, puis ils sortent du champ par la droite ; à ce moment précis, l’autre bande intervient et les gangsters s’installent derrière des tonneaux (Fantomas, encore !) et autres objets : un seul plan pour unifier les deux gangs dans la lutte pour le territoire… Un autre plan voit Booth et ses sbires arriver, et Booth, en longeant un mur situé à droite de la caméra, s’approche de celle-ci autant qu'il soit possible de le faire, toujours sur la droite, jusqu’à ce que son visage, et ses yeux parfaitement expressifs, emplissent un bon quart du cadre. Derrière lui, les seconds couteux menés par Carey ne font pas tapisserie pour autant. Plan sublime, qui en dit long sur le fait que ces gars-là ne rigolent pas: la tuerie qui s’ensuit en témoigne.
Un regret ? Oui, bien sur : comme d’habitude jusqu’ici, le rôle dévolu à Lillian Gish laisse encore à désirer: c’est pour l’instant une ravissante idiote, une délurée prête à tromper son mari (Un violoniste : c’est-à-dire un nigaud ou un poète, ou les deux…). Griffith se rattrapera, Lillian aussi… Elle a droit, par contre, a un petit truc rigolo : lorsque son mari se fait attaquer dans le hall d’entrée de l’immeuble, elle l’entend, et va voir ce qu’il se passe. Un plan sonore, donc, avec une réaction parfaitement équilibrée : pas de regard caméra, de main utilisée en écouteur, ni d’intertitre «Ah ça ! Que se passe-t-il ?». Ca rattrape un peu, déjà.
Dernière modification par allen john le 11 déc. 08, 21:48, modifié 1 fois.
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Re: David Wark Griffith
Friends / The lesser evil (1912)
Deux petits films pour finir ce panorama (très fourni par l'édition DVD de l'année 1912): Ni l'un ni l'autre ne sera du même niveau que The musketeers of Pig Alley, et ils témoignent surtout du fait que l'équipe Griffith était une unité très occuppée, qui avait beaucoup de travail et de la pellicule à impressionner. Ca ne pouvait pas marcher à tous les coups. Friends est un western, versé dans le folklore traditionnel: une ville de mineurs, avec son saloon, ou travaille Mary Pickford (A quoi?); elle croit filer le parfait amour avec un Henry B. Walthall qui a la bougeotte (Au propre, comme au figuré: l'acteur ne tient pas en place dans le film)et décide de partir en la laissant. Elle accepte la proposition d'un prospecteur (Lionel Barrymore) qui la demande en mariage, avant de devoir le regretter lorsque Walthall revient en arrière et se rend compte qu'il arrive trop tard... Malgré les efforts de Walthall et Barrymore pour exister dans ce film, Griffith concentre l'essentiel de la charge émotionnelle sur le personnage de Pickford. Le plan d'ouverture et le plan de fin sont d'ailleurs de ces gros plans "détachés" qui définissent un personnage plus qu'une action, et nous présentent l'héroïne dans toute sa mélancolie: il est malaisé durant la vision d'interpréter ce premier plan qui ne situe rien en apparence, mais la répétition du motif à la fin du film, après la résolution de l'intrigue nous permet de recoler efficacement les morceaux: il s'agit ici du tourment de cette jeune femme dont la vie vient peut-être de sebriser. Une fois de plus, la femme et son malheur sont au centre du film, avec une Mary Pickford encore habilitée à jouer les adultes au destin triste... Plus pour longtemps! La copie dans un état lamentable nous rappelle que les films de Griffith, préservés dès les années 30, 40, et 50, ont souffert de n'être conservé que sur pellicule 16mm pour beaucoup d'entre eux, voire sur tirage papier pour les plus malchanceux: The Narrow Road, par exemple ou encore The adventures of Dollie. BIen sur, on ne peut que se réjouir de leur conservation, mais il est regrettable que de meilleurs moyens n'aient été utilisés pour sauver ces chefs d'oeuvre.
Revenons à des sujets ô combien moins lourds: L'autre film est un étrange objet, aux limites du compréhensible: Blanche Sweet, la petite amie d'un pêcheur (Edwin August, assez plat), est kidnappée par de vils marins (Menés par Alfred Paget qui nous fait un peu son Ernest Torrence), et de nombreuses péripéties un peu gratuites s'ensuivent. Le film est au mieux distrayant, mais on sent ici la mécanique qui tourne franchement à vide. Vivement 1913!
Deux petits films pour finir ce panorama (très fourni par l'édition DVD de l'année 1912): Ni l'un ni l'autre ne sera du même niveau que The musketeers of Pig Alley, et ils témoignent surtout du fait que l'équipe Griffith était une unité très occuppée, qui avait beaucoup de travail et de la pellicule à impressionner. Ca ne pouvait pas marcher à tous les coups. Friends est un western, versé dans le folklore traditionnel: une ville de mineurs, avec son saloon, ou travaille Mary Pickford (A quoi?); elle croit filer le parfait amour avec un Henry B. Walthall qui a la bougeotte (Au propre, comme au figuré: l'acteur ne tient pas en place dans le film)et décide de partir en la laissant. Elle accepte la proposition d'un prospecteur (Lionel Barrymore) qui la demande en mariage, avant de devoir le regretter lorsque Walthall revient en arrière et se rend compte qu'il arrive trop tard... Malgré les efforts de Walthall et Barrymore pour exister dans ce film, Griffith concentre l'essentiel de la charge émotionnelle sur le personnage de Pickford. Le plan d'ouverture et le plan de fin sont d'ailleurs de ces gros plans "détachés" qui définissent un personnage plus qu'une action, et nous présentent l'héroïne dans toute sa mélancolie: il est malaisé durant la vision d'interpréter ce premier plan qui ne situe rien en apparence, mais la répétition du motif à la fin du film, après la résolution de l'intrigue nous permet de recoler efficacement les morceaux: il s'agit ici du tourment de cette jeune femme dont la vie vient peut-être de sebriser. Une fois de plus, la femme et son malheur sont au centre du film, avec une Mary Pickford encore habilitée à jouer les adultes au destin triste... Plus pour longtemps! La copie dans un état lamentable nous rappelle que les films de Griffith, préservés dès les années 30, 40, et 50, ont souffert de n'être conservé que sur pellicule 16mm pour beaucoup d'entre eux, voire sur tirage papier pour les plus malchanceux: The Narrow Road, par exemple ou encore The adventures of Dollie. BIen sur, on ne peut que se réjouir de leur conservation, mais il est regrettable que de meilleurs moyens n'aient été utilisés pour sauver ces chefs d'oeuvre.
Revenons à des sujets ô combien moins lourds: L'autre film est un étrange objet, aux limites du compréhensible: Blanche Sweet, la petite amie d'un pêcheur (Edwin August, assez plat), est kidnappée par de vils marins (Menés par Alfred Paget qui nous fait un peu son Ernest Torrence), et de nombreuses péripéties un peu gratuites s'ensuivent. Le film est au mieux distrayant, mais on sent ici la mécanique qui tourne franchement à vide. Vivement 1913!
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Re: David Wark Griffith
House of darkness (1913)
Réalisé en mars 1913 en Californie, ce film montre Griffith s’attachant à rendre compte d’un type d’évènement qu’il a peut-être lu dans un journal, au rayon des faits-divers, ou d’une théorie médicale glanée au hasard d’un magazine : comment la musique peut être utilisée à des fins thérapeutiques dans des institutions psychiatriques. On peut ouvrir donc ici l’éternel débat du cinéma tiraillé entre noble (Le désir de faire avancer la science d’une part, et le désir d’éduquer, toujours présent chez un réformateur comme Griffith) et le trivial (Utiliser le suspense pour faire passer la pilule). Le film n’est pas totalement satisfaisant d’un point de vue narratif, avec une entrée en matières qui louche vraiment du coté didactique, mais la partie plus proprement réservée au suspense est comme toujours plutôt réussie : un homme dépressif, rendu enragé par le surmenage, a des accès de violence incontrôlable, que seule la musique semble pouvoir calmer; un jour qu’il a échappé à la vigilance de ses gardes-infirmiers (Ils ressemblent plus à des policiers selon moi), il s’introduit avec une arme chez un médecin et menace sa femme. Celle-ci adoucit l’homme et lui prend son arme grâce à un air de piano. L’attaque de la jeune femme est emplie de motifs Griffithiens: le déséquilibré s’introduit dans le salon de la jeune femme (Claire McDowell), au moment ou celle-ci joue avec une chatte (C’est une « Ecaille de tortue », donc une femelle) : une jeune femme qui joue avec un animal, l’éternel symbole de l’innocence et de la douceur féminine chez David Wark Griffith, et par-dessus le marché l’habituelle menace au cœur du foyer. La scène est ancrée sur un plan général, mais des plans rapprochés de la jeune femme et de sa réaction au moment ou elle sent une présence d’une part, mais aussi des gros plans de ses mains se posant sur le piano permettent à l’ensemble de respirer, et de souligner le principal axe du propos : le rôle de la musique. Même si celui-ci est rendu explicite par une intertitre, l’image se suffit à elle-même. Une autre tendance Griffithienne décidément courante dans ce film, c’est l’apparition d’un prologue, au cours duquel le médecin courtise, séduit et se marie avec la jeune femme. C’est somme toute inutile au propos, à moins qu’il s’agisse de capter la clientèle féminine plus efficacement en nous donnant à connaitre le couple. On retrouve ce type de prologue dans de nombreux films (The last drop of water, Enoch Arden, etc), et on le retrouvera aussi dans Birth of a nation. Ce qui est enfin le plus frappant, dans cette œuvre intéressante mais à la cohésion un peu chaotique, c’est la représentation générique du déséquilibre mental, je me garde d’utiliser le terme de folie : un plan nous montre les femmes pensionnaires d’une institution (Le film parle, lui, d’ « Asylum »), dans un parc. Chacune d’entre elles s’est vue assigner une consigne de jeu par le metteur en scène, là ou on aurait pu imaginer une scène hâtivement tournée, réglée au mégaphone : allez, hop ! délirez ! Vous, là, un peu plus de bave, à gauche ! Ouf ! on échappe à cela, le cinéma continue donc de progresser vers la subtilité, même si Charles Hill Mailes, le patient déséquilibré, joue avec un peu plus de tonnage mélodramatique. Sinon, le scénario du film est crédité à un certain Jere F. Looney. Ca ne s’invente pas.
Death’s marathon (1913)
Le titre du film est clair : il est question ici de ces fameuses courses contre la mort, de ces moments ou il importe de faire vite pour sauver un personnage. Une fois de plus, Griffith prend du temps pour raconter la vie sentimentale de ses protagonistes afin de pouvoir provoquer plus efficacement la sympathie, en particulier, du public féminin : cette fois, c’est Blanche Sweet qui doit choisir entre Walthall et Wilfred Lucas. Elle choisit le dandy Walthall, mais elle s’aperçoit bien vite avoir fait le mauvais choix : il découche, joue, perd, boit, et va même voler l’argent de la firme ou il travaille (Avec Lucas) pour financer ses soirées de poker. A la fin, l’épouse inquiète reçoit la visite du collègue de son mari qui l’informe que celui-ci a commis une grave faute, et le téléphone retentit : le mari, une arme à la main, téléphone à son épouse pour lui dire adieu. Pour une fois, je ne dirai rien de l’issue de la chose, mais on se doute de ce qui suit. Décidément, la technique est bien au point, et la combinaison téléphone-véhicules est une bonne base… Par ailleurs, le film est aussi centré sur le personnage féminin, avec une scène durant laquelle Griffith utilise le miroir pour accentuer la solitude de Blanche Sweet : le miroir est au fond d’une pièce. A l’avant-plan, Blanche Sweet dit au revoir à son mari, qui la toise d’une façon trop condescendante pour être honnête. Une fois seule, elle se dirige vers le fond de la pièce et s’écroule sur un sofa, en pleurant. C’est le reflet dans le miroir qui nous renseigne sur cet évènement : l’héroïne est désormais habituée à dissimuler ses sentiments et sa frustration à son mari, mais le miroir nous renseigne sur les tourments de son âme. …Fichtre!
En attendant, c’en est pour l’instant fini des courts métrages d’une bobine.
Réalisé en mars 1913 en Californie, ce film montre Griffith s’attachant à rendre compte d’un type d’évènement qu’il a peut-être lu dans un journal, au rayon des faits-divers, ou d’une théorie médicale glanée au hasard d’un magazine : comment la musique peut être utilisée à des fins thérapeutiques dans des institutions psychiatriques. On peut ouvrir donc ici l’éternel débat du cinéma tiraillé entre noble (Le désir de faire avancer la science d’une part, et le désir d’éduquer, toujours présent chez un réformateur comme Griffith) et le trivial (Utiliser le suspense pour faire passer la pilule). Le film n’est pas totalement satisfaisant d’un point de vue narratif, avec une entrée en matières qui louche vraiment du coté didactique, mais la partie plus proprement réservée au suspense est comme toujours plutôt réussie : un homme dépressif, rendu enragé par le surmenage, a des accès de violence incontrôlable, que seule la musique semble pouvoir calmer; un jour qu’il a échappé à la vigilance de ses gardes-infirmiers (Ils ressemblent plus à des policiers selon moi), il s’introduit avec une arme chez un médecin et menace sa femme. Celle-ci adoucit l’homme et lui prend son arme grâce à un air de piano. L’attaque de la jeune femme est emplie de motifs Griffithiens: le déséquilibré s’introduit dans le salon de la jeune femme (Claire McDowell), au moment ou celle-ci joue avec une chatte (C’est une « Ecaille de tortue », donc une femelle) : une jeune femme qui joue avec un animal, l’éternel symbole de l’innocence et de la douceur féminine chez David Wark Griffith, et par-dessus le marché l’habituelle menace au cœur du foyer. La scène est ancrée sur un plan général, mais des plans rapprochés de la jeune femme et de sa réaction au moment ou elle sent une présence d’une part, mais aussi des gros plans de ses mains se posant sur le piano permettent à l’ensemble de respirer, et de souligner le principal axe du propos : le rôle de la musique. Même si celui-ci est rendu explicite par une intertitre, l’image se suffit à elle-même. Une autre tendance Griffithienne décidément courante dans ce film, c’est l’apparition d’un prologue, au cours duquel le médecin courtise, séduit et se marie avec la jeune femme. C’est somme toute inutile au propos, à moins qu’il s’agisse de capter la clientèle féminine plus efficacement en nous donnant à connaitre le couple. On retrouve ce type de prologue dans de nombreux films (The last drop of water, Enoch Arden, etc), et on le retrouvera aussi dans Birth of a nation. Ce qui est enfin le plus frappant, dans cette œuvre intéressante mais à la cohésion un peu chaotique, c’est la représentation générique du déséquilibre mental, je me garde d’utiliser le terme de folie : un plan nous montre les femmes pensionnaires d’une institution (Le film parle, lui, d’ « Asylum »), dans un parc. Chacune d’entre elles s’est vue assigner une consigne de jeu par le metteur en scène, là ou on aurait pu imaginer une scène hâtivement tournée, réglée au mégaphone : allez, hop ! délirez ! Vous, là, un peu plus de bave, à gauche ! Ouf ! on échappe à cela, le cinéma continue donc de progresser vers la subtilité, même si Charles Hill Mailes, le patient déséquilibré, joue avec un peu plus de tonnage mélodramatique. Sinon, le scénario du film est crédité à un certain Jere F. Looney. Ca ne s’invente pas.
Death’s marathon (1913)
Le titre du film est clair : il est question ici de ces fameuses courses contre la mort, de ces moments ou il importe de faire vite pour sauver un personnage. Une fois de plus, Griffith prend du temps pour raconter la vie sentimentale de ses protagonistes afin de pouvoir provoquer plus efficacement la sympathie, en particulier, du public féminin : cette fois, c’est Blanche Sweet qui doit choisir entre Walthall et Wilfred Lucas. Elle choisit le dandy Walthall, mais elle s’aperçoit bien vite avoir fait le mauvais choix : il découche, joue, perd, boit, et va même voler l’argent de la firme ou il travaille (Avec Lucas) pour financer ses soirées de poker. A la fin, l’épouse inquiète reçoit la visite du collègue de son mari qui l’informe que celui-ci a commis une grave faute, et le téléphone retentit : le mari, une arme à la main, téléphone à son épouse pour lui dire adieu. Pour une fois, je ne dirai rien de l’issue de la chose, mais on se doute de ce qui suit. Décidément, la technique est bien au point, et la combinaison téléphone-véhicules est une bonne base… Par ailleurs, le film est aussi centré sur le personnage féminin, avec une scène durant laquelle Griffith utilise le miroir pour accentuer la solitude de Blanche Sweet : le miroir est au fond d’une pièce. A l’avant-plan, Blanche Sweet dit au revoir à son mari, qui la toise d’une façon trop condescendante pour être honnête. Une fois seule, elle se dirige vers le fond de la pièce et s’écroule sur un sofa, en pleurant. C’est le reflet dans le miroir qui nous renseigne sur cet évènement : l’héroïne est désormais habituée à dissimuler ses sentiments et sa frustration à son mari, mais le miroir nous renseigne sur les tourments de son âme. …Fichtre!
En attendant, c’en est pour l’instant fini des courts métrages d’une bobine.