À propos du "Petit soldat" du "plus con des Suisses pro-Chinois" (dixit Debord), cet article paru dans "Positif" en juin 1963, sous la plume de Gérard Legrand (cité dans "La Nouvelle Vague" de Jean Douchet, coéd. Cinémathèque Française / Hazan, 1998, p. 267). Outrancier, peut-être, mais juste sur le fond....
Noirâtre, informe, ridicule...
(...) Alertés pr une vétilleuse censure, nous avons cru que M. Godard avait tourné un film fasciste. Il n'a fait que déverser une poubelle dans une autre. À bout de souffle, mis à part le talent de ses interprètes, est, en comparaison, "construit" à gros boulons. Bluff pour bluff, M. Godard récite – en le nommant – une page de Cocteau, mais s'attribue sans autre procès une admirable page de Nietzsche, qu'il détourne de son sens en la faisant glisser le long d'un immeuble où, paraît-il, on torture. Il est vrai que M. Nietzsche n'est plus là pour crier au génie devant ce rond-de-cuir affolé de gélatine, également privé d'intelligence et de générosité, de violence et de candeur. (...) Noirâtre, informe, ridicule au-delà du bavardage et de la "photo", le Petit Soldat, ce n'est déjà plus le mépris, c'est l'ennui : la mort sans phrases.
Ajoutons à cela les forts relents d'anarchisme de droite véhiculés par ce film, et par le personnage interprété par Michel Subor :
"Je n'aime pas les Arabes parce que je n'aime pas le désert, ni le colonel Lawrence. Encore moins la Méditerranée, et Albert Camus. (...) Et puis les Arabes sont paresseux."
Je ne résiste pas à citer cet autre article de "Positif", signé Louis Seguin et paru à la sortie d'"A bout de souffle" en avril 1960... Jubilatoire.
Le plus fabriqué des films
Tous les copains, et même quelques autres, s'y sont mis. Comme Georges Sadoul, enfoncez-vous le bien dans la tête : "Que de talent ! Que de brio ! Que de métier !" De même qu'il y a dans À bout de souffle des assassins prédestinés et des indicateurs par vocation, de même Jean-Luc Godard est un cinéaste-né. Le travail, l'apprentissage, il laisse cela aux autres. Il est le doué, l'élu, le jeune héros de la race des Seigneurs.
Ceci dit, À bout de souffle n'en reste pas moins le plus fabriqué, le plus truqué des films, et les recettes en sont des plus simplistes. Vous faites dire une chose à vos héros puis, un peu plus tard, le contraire, et vous n'avez plus qu'à présenter ce mauvais paradoxe comme l'ambiguïté même de la vie. De même pour le style. Vous suivez "objectivement" vos personnages par de "vertigineux" mouvements d'appareil tout en vous gardant soigneusement de raccorder les diverses étapes de leurs parcours. Le film prend un aspect chaotique que vous présentez comme la vivacité même du génie.
Assurer enfin, comme le metteur en scène et le critique "communiste" plus haut cité, que le héros de ce film est, amélioré et mis au goût du jour, le hors-la-loi de Quai des brumes est une aberration. Le déserteur des années 30 participait à une mythologie peut-être factice mais recommandable puisque de gauche. Le voyou de 1960, qui dit aimer la police, et sa petite amie qui, selon Godard, accomplit sa personnalité en le dénonçant aux flics, participent d'une autre mythologie, au moins aussi artificielle et parfaitement haïssable puisque de droite. L'anarchiste Gabin était du bois dont se faisaient les combattants des Brigades internationales ; l'anarchiste Belmondo est de ceux qui écrivent : "Mort aux Juifs !" dans les couloirs du métro, en faisant des fautes d'orthographe.
