Erich Von Stroheim (1885-1957)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Re: Erich Von Stroheim

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Je me permets d'ajouter la thématique de l'amour impossible.

En effet, chaque film nous présente ou nous introduit un amour entre des personnages qui ne connaîtra jamais l'absolu.
Stroheim pousse la thématique à la fois narrativement, les histoires sont parsemées de cet échec amoureux, qui se superpose entre désillusion, tricherie, mensonge, contexte historique ou barrières sociales. Mais le cinéaste l'utilise également formellement avec l'utilisation de profondeurs de champ, de cadre dans le cadre (cf le mariage de McTeague et de Trina en premier plan, avec le cortège funèbre au second plan) ou avec la sémiologie du plan, par exemple :

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Dans La symphonie nuptiale, la séquence où les deux amoureux sont la tête dans les mimosas et les pieds dans la boue la plus visqueuse.
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Message par allen john »

Watkinssien a écrit :Je me permets d'ajouter la thématique de l'amour impossible.

En effet, chaque film nous présente ou nous introduit un amour entre des personnages qui ne connaîtra jamais l'absolu.
Stroheim pousse la thématique à la fois narrativement, les histoires sont parsemées de cet échec amoureux, qui se superpose entre désillusion, tricherie, mensonge, contexte historique ou barrières sociales. Mais le cinéaste l'utilise également formellement avec l'utilisation de profondeurs de champ, de cadre dans le cadre (cf le mariage de McTeague et de Trina en premier plan, avec le cortège funèbre au second plan) ou avec la sémiologie du plan, par exemple :

Dans La symphonie nuptiale, la séquence où les deux amoureux sont la tête dans les mimosas et les pieds dans la boue la plus visqueuse.
Bien sur; Stroheim, en disciple de Griffith, a renouvelé lui aussi les vieux chevaux de bataille du mélo, mais d'une part sa sincérité l'a poussé à orchestrer les barrières avec une invention de tous les instants, tu cites le fameux mariage, et d'autre part sa vision pessimiste le poussait à voir la fange là ou d'autres auraient vu la lumière. En témoigne également la scène célèbre au cours de laquelle Mac fait sa cour à Trina assis sur le collecteur d'égout, sous une pluie battante. Mais ici, plutôt que d'amour impossible, je parlerais d'amour mal barré...
:mrgreen:
Mais en vieillissant, il a aussi fait dans le plus classique, en témoigne sa préparation minutieuse du champ dans Queen Kelly qui allait être le théâtre de la rencontre entre les deux amants: puisque'il disposait d'un contraste suffisamment fort avec les hussards d'un coté et les jeunes orphelines de blanc vétues de l'autre, il a poussé le bucolique de la scène en confectionnant des fleurs absentes des arbres, pour rendre le cadre encore plus beau. Chez lui, le contraste n'était pas intrinsèque au plan ou à la scène, il appartenait au film: ainsi cette vision bucolique trouvait elle son écho négatif dans les scènes boueuses du bordel de Poto-poto.
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Watkinssien
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Re: Erich Von Stroheim

Message par Watkinssien »

Oui, bien évidemment le cadre et le plan ont une valeur intrinsèque, qui illustre à chaque fois l'histoire que Stroheim racontait. C'est d'ailleurs principalement pour cet élément que je considère von Stroheim comme un maître du cinéma ! :)
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Message par someone1600 »

Toujours tres intéressant de te lire Allen John. :D

Je vais connaitre les films par coeur avant meme d'avoir la chance de les voir. :roll:
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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

LES HOMMES

Dr Armstrong, Sepp, Steuben
les trois premiers personnages masculins de Stroheim dans Blind Husbands sont intéressants par leur variété, et par les rapports qu'ils entretiennent: ils sont le drame, et le fait qu'il tourne en apparence autour de Mrs Armstrong ne doit pas nous éloigner du véritable sujet: la loyauté, et le courage des hommes; la loyauté de Sepp, et celle du Docteur à l'égard de celle qu'il tend à négliger. Mais aussi le courage de celui qui fanfaronne et se dégonfle comme une baudruche(Juché au sommet, seul et hésitant, Stroheim ressemble par sa gestuelle à... Stan Laurel, celui d'avant Hardy). Dans ce petit monde, si Steuben et le Docteur apportent une subtilité inédite, Sepp est le plus involontairement ridicule des personnages de l'auteur, et Stroheim ainsi que Gowland feront beaucoup mieux, on le sait.

Karamzin, Hughes
Dans Foolish Wives, Karamzin est bien sur l'objet de toutes les attentions, mais les intentions de Stroheim de révéler progressivement Hughes comme un parangon de droiture et fondamentalement "un homme, un vrai", ont été torpillées hélas par la mort du comédien; mais dans Foolish Wives, il opposait clairement le vrai, le solide(Mr Hughes)au factice("A counterfeit", dit un titre final: Karamzin est un rôle). Du reste, la situation castratrice du faux comte(Il n'est pas le maître chez lui, il n'est finalement qu'un employé, et doit partager sa maîtresse avec une femme...)vient sérieusement entamer la masculinité du personnage, qui à force d'être mené par ses attributs génitaux finira à l'égout.

Mac, Marcus
Mac, le centre de Greed, est bien sur trop bête pour comprendre ce qui arrive autour de lui, mais il est aussi sentimental(L'oiseau, sa force de caractère qui se révèle à la perspective de"gagner" Trina... mais surtout incapable de penser à long terme: "I've got her", dit-il, lorsqu'il a obtenu un baiser de Trina, et il ne fera plus rien pour la garder. Il ne comprend pas les changements, et ne peut comprendre qu'il lui faille se battre de temps en temps pour conserver sa femme. Mais Marcus, lui, souffre d'un excès d'intelligence: il aime son copain("For life", dit il lorsqu'il lui abandonne Trina)mais va laisser la rancoeur s'installer au point de se délester de tout sentiment. Et lorsque il n' a plus que cela, il utilise des moyens déloyaux: la dénonciation de Mac pour exercice illégal du métier de dentiste est un geste que Mac n'aurait as pu imaginer. Ces deux là, pour résumer, ils ne font qu'un.

Mirko, Danilo, Franz, Wolfram
Lorsqu'on observe d'un oeil distrait ses films, les princes de l'oeuvre de Stroheim sont considérés comme une entité à part entière, et pourtant ils sont tous différents. (J'ai exclu de cette liste Nicki, puisque je n'ai toujours pas vu The Wedding march) Les deux premiers, comme Mac et Marcus, sont à nouveau les deux uniques pièces d'un puzzle, et se complètent d'autant que c'est souligné en permanence par la mise en scène, le rang des personnages, leur costumes, et le fait que finalement l'un ne va pas sans l'autre: partout ou Danilo se trouve, Mirko n'est pas loin; une façon de rappeler que derrière tout homme il y a un cochon qui sommeille? Il est vrai qu'avec Mirko, on est arrivé à bon porc. :uhuh:
Franz est joué par Norman Kerry, il n'ya donc pas grand chose de subtil à en tirer, mais il s'agit d'un effort de Stroheim pour construire un personnage plus complexe, qui incorpore des passages, des évolutions, qui attire la sympathie tout en ayant des mauvaises habitudes, etc... La fin le montre plus humain, grâce à son parcours, justement.
Quant à Wolfram, le peu de choses dont on dispose sur lui font de son personnage un homme-objet, en même temps qu'un enième variation sur le personnage de Franz Von Hohenegg. A propos de Franz Von Hohenegg, y aurait-il un Germaniste qui puisse nous dire s'il ya la-dedans un jeu de mots sur "Sans" egg? Egg pouvant être un symbole de progéniture, ou plus encore un symbole ironique de masculinité...
Dernière modification par allen john le 20 juil. 08, 13:28, modifié 1 fois.
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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

DOUBLES ET DUALITE
Mirko/Danilo, ou comment Stroheim réussit à triompher de la difficulté imposée par le studio qui réclamait un prince sympathique pour John Gilbert dans The Merry Widow là ou Stroheim voulait une ordure rampante. C’est le même principe que le dédoublement de Don Frollo dans le Notre-Dame de Paris de Wallace Worsley : Hugo a fait un méchant prètre, mais la censure n’aurait jamais accepté. Pourtant, avec Stroheim, il y a une toute autre raison : ses personnages, en particulier masculins, vont par deux, dans des combinaisons liées à l’intrigue, liées à des nécessités ponctuelles, ou liées à des obsessions personnelles. On songe bien sur à Marcus/Mac Teague dans Greed, mais aussi à Steuben/Armstrong dans Blind Husbands(Triangle amoureux) ou Armstrong et Sepp dans le même film : Armstrong indifférent à son épouse et Sepp attentif, qui va remettre le Docteur dans le droit chemin. Les personnages féminins vont aussi par deux, mais de façon plus antagonistes : l’abominable comtesse Gisela, dans The Merry-go-round, fait écho à la frèle Mitzi, et bien sur Patricia Kelly retrouvbe son double démoniaque dans la reine folle dans Queen Kelly, dont on peut relever l'amalgame du titre au passage. Un couple intéressant, du moins dans la version de Greed voulue par Stroheim, est celui formé par Maria et Trina: la femme de ménage va devenir le modèle de Trina, au point pour celle-ci d’emménager dans le taudis de Zerkow une fois que celui-ci aura tué son épouse folle… Et bien sur, un vrai couple est formé dans Foolish Wives par les « comtesses » Olga et Vera Petchnikoff. L’avantage, finalement, de ces paires est de rendre une vision plus complexe de l’humanité, d’étendre le zoo humain… Ce système de double est aussi utilisé pour des évènements qui se font écho au sein d’un même film, ou des lieux : le palais/le bordel pour les films Européens, les bas fonds/la villa Amorosa, dans Foolish Wives, etc…

UN MONDE PARALLELE

Une chose que Renoir a retenu de l’œuvre de celui qu’il considérait comme son maître, c’est la représentation attendrie des amours ancillaires. Bien sur, les personnages Stroheimiens, de Foolish Wives (Karamzin et la bonne) en Blind Husbands (Steuben et une femme de chambre) se sont toujours retrouvés dans cette tradition crapuleuse, mais cet aspect est plus riche encore qu’il n’y parait : c’est toute la complexité d’un monde parallèle, avec sa débrouille, sa vie intérieure, et ses angoisses (Le suicide de Dale Fuller dans Foolish Wives donne une dimension tragique au personnage qui l’éloigne des intrigues salaces), et qui est partie intégrante des films ; par l’utilisation de tous ces petits personnages, obscurs, sdans grade, et affairés à leur vraie vie, le spectateur est ainsi rappelé à l’ordre par l’auteur : attention, il y a une vie à l’extérieur des intrigues de palais et des mélodrames! Le talent de Stroheim a été en plus de ne pas se contenter de l’aspect décoratif de ces silhouettes(Ce que faisait Rex Ingram par exemple), mais de leur donner un réalisme troublant : qu’on songe au sparadrap de Lon Poff dans Greed lorsqu’il apporte le gain de Trina… Ou la fierté d’Allemend et d’Américain du père de Trina, un rôle plus que secondaire, mais qui type si clairement le milieu dont est issu le personnage joué par Zasu Pitts. Et dans la Veuve Joyeuse, c’est un de ces personnages apparemment secondaires qui va tuer Mirko à la fin. Dans Greed, cette faune parallèle envahit l’écran, et donne au film une réalité peu commune, y compris dans la version courte du film. Les prostituées dans l’œuvre sont un autre de ces exemples, d’autant qu’elle étaient généralement authetiques, mais on pet aussi souligner les ordonnances des officiers John Gilbert, Stroheim, ou Norman Kerry : leur importance comme aide des héros, devant participer à divers rituels, et apportant occasionnellement un contrepoint cocasse, n’est plus à démontrer. Sydney Bracy y était souvent employé, mais on retrouvera aussi souvent ce type de personnage et ce type de représentation ........ chez Ford.
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Re: Erich Von Stroheim

Message par Watkinssien »

Toujours passionnant à te lire, allen john ! :wink:

Sinon, c'est sûrement hors-sujet mais voici un lien où Erich von Stroheim parle de l'importance du film Citizen Kane, c'est en anglais, mais c'est indéniablement intéressant, car il parle de ce film et de son cinéaste comme d'un idéal, comme quelque chose qu'il aurait toujours voulu avoir. Même s'il parle du film de Welles, on sent poindre un discours vraiment personnel sur l'importance d'être un cinéaste qui contrôle entièrement son oeuvre.
Ce texte date de 1941, soit l'année de la sortie du film de Welles.

http://www.fredcamper.com/M/VonStroheim.html
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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

Excellent article, que j'avais déja quelque part, il faudrait que je recherche. Ca a du paraitre dans un "Voix off" de Positif. Amusant détail: la composition d'un plan de Greed est parait-il reproduite par Welles dans la scène de la séparation de Kane d'avec sa femme avant les élections. A vos DVD!
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Re: Erich Von Stroheim

Message par Watkinssien »

Si Greed existait en DVD, je le ferais volontiers.

Mais Welles admirait von Stroheim et ce fut réciproque.
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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

LIEUX
Dès son premier long métrage Blind Husbands, Stroheim choisit de camper l’action dans des endroits bien particuliers : un petit hôtel, dont nous voyons la salle à manger, les chambres, et la cour pour toute la première partie. Ensuite le gîte et ses chambres vont occuper une majeure part du deuxième acte, et enfin la montagne elle-même est le théâtre de la fin des opérations. D’une part, on monte, c’est évident, et le pinacle du titre souhaité est également le climax du film. Mais il y a autre chose : les lieux à la fois publics et privés vont être dans toute l’œuvre les décors privilégiés, et Stroheim, s’il introduit le quotidien dans ses films(Les nombreux réveils, les couchers, et les petits déjeuners abondent, du moment qu’ils apportent quelque chose à l'intrigue, ou la caractérisation), il laissera à d’autres (Ozu, ou le King Vidor de The Crowd, qui nous montre les premières toilettes du cinéma Américain en 1927) le soin de centrer leurs films sur le foyer. L’humain de Stroheim se doit d’être en représentation, qu’elle soit mondaine (les décors Parisiens de The Devil’s passkey, semble-t-il ; Foolish Wives, les festivités de The Merry Widow, ou encore le dîner de Queen Kelly) ou plus souterraine (les innombrables bordels, les cercles de jeu dans Foolish Wives, et le magnifique hôtel-lupanar-maison de rendez-vous de The Merry Widow).
Dernière modification par allen john le 21 juil. 08, 19:17, modifié 2 fois.
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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

LE NOUVEAU MONDE
Il est malaisé de voir, dans les films sauvegardés de Stroheim, la part d’Américanisme qui s’y trouve, mais une chose est sure: le choix de partir, de s’installer aux Etats-Unis est un geste qu’en 1920 le metteur en scène ne pouvait pas regretter. Certains de ses films nous donnent, en creux ou de façon plus explicite, des preuves de cet attachement à l’Amérique, à sa civilisation, sa modernité et ses valeurs, ainsi qu’à ses gens. Les plus évidents dans cette catégorie sont le diptyque Blind Husbands / Foolish Wives, avec ses héros Américains confrontés au mâle Européens (Ainsi qu’aux femmes, dans le deuxième de ces films) dans toute sa, hum, splendeur. On pourrait sans doute ajouter à ces exemples le film perdu The Devil’s passkey, dont les principaux protagonistes étaient également des Américains en villégiature dans la vieille Europe, et on constaterait à quel point ce détail était important aux yeux de l’auteur. Si le début des deux films oppose un couple Américain en crise, dont le mari est semble-t-il indifférent à son épouse, la conclusion tourne invariablement à l’avantage des maris, justement, qui font ce qu’ils ont à faire, par opposition aux personnages campés par Stroheim, qui sous des oripeaux fantastiques, se révèlent lâches, menteurs et impuissants. Au-delà de la réflexion facile sur l’être et le paraître, le match est clairement une façon de confronter une Amérique tranquille, moderne et civilisée, et une Europe vidée de sa substance, dont les valeurs creuses sonnent faux et dont les membres les plus voyants sont décadents. L’officier Américain qui ne dira pas un mot pour révéler la raison qui l’empêche de ramasser les affaires de Mrs Hugues est la preuve du respect dont, au final de Foolish wives, Stroheim fait preuve à l’égard de son pays d’adoption. Dans The Merry Widow, un écho de cette situation se retrouve lorsque les artistes Américains sont confrontés à une troupe de soldats d’opérette; et Sally O’Hara est d’origine Irlandaise, mais elle est surtout Américaine, et elle va devenir dans le film la planche de salut du petit royaume de Monteblanco, lorsque le Baron Sadoja, le très décadent et très perverti financier de la couronne va offrir à sa triste vie de turpitudes un final grandiose en ayant une crise cardiaque en pleine nuit de noces… Sinon, dans son scénario pour The Merry-go-round, l’auteur enterre sans appel l’empire Austro-hongrois et nous montre les protagonistes, débarrassés de leur hiérarchie sociale encombrante, qui peuvent désormais s’aimer sans barrières, tout comme d’ailleurs Sally et « Just plain Danilo Petrovitch » dans The Merry Widow.
Il est dommage que Stroheim n’ait pu plus avant s’intéresser à son pays d’adoption et en faire le théâtre de plus de films. Si on peut remarquer que Greed propose une vision sociale critique à l’égard de l’obsession de l’argent, héritée de Norris, la caméra de Stroheim en liberté dans la Californie de 1923 a fourni une image de l’Amérique magnifique, avec l’une des plus belles villes du continent comme on ne l’avait pas vue encore au cinéma, et le contraste saisissant entre les paysages rocailleux et boisés de la mine Big Dipper d’une part, et la désolation fascinante mais mortelle de Death Valley. A voir le film, on plonge un peu plus dans une fascination à l’égard des Etats-Unis, fascination qui n'était pas servile, le film en fournit décidément l'éclatante preuve.
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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

MELO
Héritier de Griffith, attaché aux formes artistiques du 19e siècle, Stroheim a toujours eu dans ses films le coeur d'une midinette. Mais cet attachement aux formes mélodramatiques est venu par vagues successives, et s'est mélangé de façon originale aux ingrédients plus épicés pour lesquels il est sans doute plus connu. Si ses premiers films sont concentrés sur la provocation et le scandale, il n'en reste pas moins qu'en leur centre, il y a deux couples qui réappreennent à s'aimer. C'est seulement au moment ou le romantique et le romanesque auront été rejetés au profit de la vérité et de l'authenticité, aussi banale soit-elle (Ni le Dr Armstrong ni Mr Hugues ne ressemblent à Steve Mc Queen ou Clark Gable). A partir de Merry-go-round, Stroheim brouille les cartes, et fait de son fripon Franz Von Hohenegg un soudard matiné de fleur bleue, qui va abandonner ses manières de hussard poour les beaux yeux de la pure Mitzi. Lui emboîtant le pas dans Greed, le grand, gros et viril McTeague, entre deux borborygmes, prend le temps d'embrasser son oiseau, comme Lillian Gish dans l'oeuvre intégrale de Griffith... C'est par contre seul que McTeague célèbre les deux moments les plus paroxystiques de sa relation avec Trina: le baiser volé sous anesthésie, et le triomphe tiède d'avoir embrassé Trina et obtenu un second rendez-vous, à l'arrête de Tramway, sous la pluie... Avec The Merry Widow, Stroheim finit de plonger complètement dans le mélodrame baroque, et va s'acharner à définir toujours plus précisément les lieux, les moments et les circonstances de se rencontres amoureuses: l'étrange couple de musiciens nus pour John gilbert et Mae murray, les arbres en fleur éclatant d'un blanc délirant pour lui-même et Fay wray, ou bien sur les pommiers en fausse fleur dans la campagne pour Walter Byron et Gloria Swanson. Ses films sont désormais construits sur les amours, généralement impossibles. Et pourtant, dans les intentions de l'auteur telles qu'on les connait par le scénario de ces films, aussi bien dans The Merry Widow, The Wedding March que dans Queen Kelly, l'amour triomphe toujours... Alors, Stroheim "méchant" et "cynique"?
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Message par allen john »

LA NATURE, LES ELEMENTS
Un symboliste acharné comme lui ne pouvait évidemment pas passer à cotés d’une telle manne. Ainsi Erich Von Stroheim a-t-il dès son premier films eu recours aux éléments symboliques de la nature et de la météo, quitte à les travestir un peu ; Et bien sur, il a eu recours à ce grand purificateur, le feu, aussi souvent que possible…

Blind Husbands
Si les montagnes du Nord de la Californie ne sont décidément pas les Alpes, leur ascension est l’un des clous du très classique premier film de Stroheim, le lieu ou les destins se scellent, les choix drastiques s’imposent, et les lâches se révèlent…

Foolish wives
Lors de son escapade avec Mrs Hugues, Karamzin doit subir les assauts fougueux de la pluie, du vent, de la foudre… Apparemment, selon Maude George qui regarde cyniquement les nuages s’amonceler, il comptait là-dessus, mais la nature ne transige pas : elle lui amène un prêtre, qui va arriver, on le sait, à temps au refuge, et empêcher le séducteur d’achever ses noirs desseins.
Par ailleurs c’est par le feu que la bonne, jouée par Dale Fuller, choisit de purifier l’âme tortueuse de Sergei Karamzin. Son geste fou va alors déclencher tout le reste du film, désormais le destin a repris la main, et les trois bandits ne parviennent plus à garder le contrôle de la situation…

Merry-go-round
On peut bien sur attribuer à l’horrible Rupert Julian l’absence dans ce films d’un élément probant, ou considérer qu’après tout l’orang-outang joue avec suffisamment de naturel le messager du destin… A moins que l’orang-outang ne soit Julian lui-même… C’est certainement ça !

Greed
Lors des retrouvailles de Mac et Trina près du collecteur d’égout, les éléments se déchaînent pour leur dire de ne pas aller plus loin : à nouveau la pluie et le vent. Mais aucun d’entre eux ne comprend le message, et ils se marieront quand même…
Le soleil, bien sur, devient le juge suprême du film, celui qui a le dernier mot, lorsque Mac découvre que l’homme qu’il vient de tuer s’est attaché à lui avec des menottes, et que la caméra s’éloigne(En fait elle ne s’éloigne pas, mais des plans successifs s’éloignent du lieu de l’action pour les laisser mourir…)

The Merry Widow
L’eau et la fange dans laquelle Mirko ne veut surtout pas marcher au début du film est un avant-goût de la mare de boue dans laquelle il tombe, mortellement blessé… Bien fait.

Queen Kelly
Si Walter Byron croit devoir utiliser le feu pour faire sortir Kelly de sa tanière, c’est par l’eau que celle-ci tente de mettre fin à ses jours. C’est un échec, et elle part bientôt pour Poto-Poto, ou elle sera à nouveau submergée par le plus Stroheimiens des éléments, la boue…

Enfin je me suis laissé dire que Zasu Pitts déclenchait par dépit amoureux un incendie dans Walking Down Broadway.
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EROS
Il est inévitable qu’on en passe par là, et vu la réputation de l’auteur, il doit même sembler étonnant qu’on y ait jusqu’ici assez peu fait allusion. Stroheim, débutant en 1919 et finissant sa carrière de créateur en 1932, est inévitablement lié à l’ascension d’une institution d’auto-censure comme le Code. Son incapacité à atténuer ses audaces n’est pas la seule raison de sa fin prémarurée de carrière, mais elle y a sensiblement contribué.
Erotisme
Présent dans ses films, l’érotisme Stroheimien n’est pas seulement une épice ajoutée pour appater le client, mais une représentation de mœurs, et un ensemble de signes conscients, évidents et qui ajoutent au portrait de l’humanité selon Stroheim. Ce n’est pas toujours de bon goût, c’est parfois un peu tiré par les cheveux, mais c’est partie intégrante de la réflexion. Un exemple : le décor de Queen Kelly, fait de statues, peintures, représentations érotiques diverses, omniprésentes. L’effet est triple: les poses plus que suggestives et la nudité des statues soulignent ce qui se passe vraiment dans l’esprit de la Reine, ensuite les statues vont plus loin que les acteurs, accompagnant, ou guidant notre imagination ; et enfin, c’est un commentaire, au même titre que la présence du Decameron au chevet de la Reine nous informe de son intérêt pour la chose: oui, nous dit Stroheim, il existe des adultes qui s’intéressent à ces choses. Là est le propos novateur, car il se garde de juger: c’est un constat. Le goût pour l’érotisme est aussi un trait de Danilo, dont le rire d’enfant à la vision de photos cochonnes au début de The Merry Widow vaut toutes les absolutions. On est donc à des années lumière de l’érotisme à la DeMille qui fait semblant de juger pour mieux avoir des prétextes de montrer.
Nudité
Le nu n’est pas aussi fréquent dans les films de Stroheim que sa réputation (et les délires Sadouliens) ne veulent nous faire croire. Néanmoins, les films jouent avec la suggestion de la nudité aussi souvent que possible, et d’une façon parfois inventive, notamment dans Foolish Wives ou ce n’est pas la nudité qui est mise en évidence, mais la concupiscence de celui qui regarde, par l’utilisation d’un miroir de poche, un accessoire que Sergius Karamzin semble utiliser surtout à des fins érotiques, même s’il renvoie également à son égocentrisme. La nudité, c’est aussi la jeune fille dans la coupe géante de Punch (?) dans The Merry-go-round, manifestement nue, mais on ne verra pas trop les détails que nous ne saurions voir. La nudité publique est ici assurément un symbole soit de prostitution, soit un signe de partage érotique (les officiers autour de la table sont nombreux). Le nu public est un signe que Stroheim utilise ailleurs, avec dans The Devil's passkey la Belle Odera (Mae Busch) qui effectue un strip-tease dans sa loge (Ou du moins c’est ce qu’on en dit aujourd’hui que le film est perdu), ou encore la célèbre scène de Queen Kelly qui voit déambuler Seena Owen, uniquement habillée d’un chat blanc Angora. La longueur du tournage de ces plans a été douloureuse pour l’actrice, mais le résultat, au-delà du titillage, est probant : oui, cette femme est folle, et oui, elle est bien privée de la moindre goutte de pudeur. Le message passe…
La scène de nu de Trina dans Greed est sans doute celle qui pose le plus de problême et qui montre que même un génie peut aller trop loin : Trina se déshabille(Sans rien montrer dans les copies en circulation) et s’allonge sur ses pièces d’or. La notion de nudité est pour le spectateur seul, puisque cette fois aucun personnage n’en profite, mais la scène est un commentaire trop excessivement masturbatoire pour être honnête.
Perversion
Comment s’en étonner? Ce qui motive les plus fripons des personnages, les sales petites manies cochonnes, les horreurs imprononçables, les perversions les plus abominables sont bien présentes, mais elles ont le plus souvent valeur de symbole de corruption ou de décadence (Sadoja dans The Merry Widow) , et sont liées à des personnages qui montrent cette perversion par des défauts physiques : Sadoja, infirme de partout, au visage halluciné (Paralysie faciale ?) est bien sur un fétichiste du pied, et Jan (Encore Tully Marshall) dans Queen Kelly est également affligé d’un handicap. On peut dire aussi que certains acteurs ont été choisis en fonction de leur apparence physique : Josephine Crowell, la reine au physique ingrat dans The Merry Widow qui parle si crûment de sexe à Danilo, à l’air d’en connaître un rayon…
La sexualité existe, Stroheim l'a rencontrée
Pour finir, le message principal des films de Stroheim, c’est l’affirmation de la sexualité sous toutes ses formes: commentaire parfois moral lorsqu’il s’agit de dénoncer l’hypocrisie par exemple de Gisela dans The Merry-go-round, qui trompe son fiancé avec un palefrenier (Voir pour cela Herman G. Weinberg, la séquence a disparu du film, mais une photo a été prise) ; un simple constat : oui, la reine dans Queen Kelly a une sexualité généreuse et abondante, oui, les deux « cousines » de Sergius Karamzin sont homosexuelles, et oui, Mrs Hugues aussi bien que Mrs Armstrong aimeraient bien que leurs maris respectifs s’occupent d’elles. La sexualité représentée avec tant de franchise, sans pour autant qu’il faille en pousser des hauts cris, c’est sans doute l’un des apports les plus importants de Erich Von Stroheim.
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http://digitalgallery.nypl.org/nypldigi ... Num=&pos=1

2 photos de The devil's passkey(Non, on ne l'a pas retrouvé à Buenos Aires, et encore moins dans un entrepôt sous un faux nom)
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