"DOGVILLE": passionnante interview de LVT
Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky
"DOGVILLE": passionnante interview de LVT
Le casting de rêve:
Nicole Kidman, Paul Bettany, Stellan Skarsgard, Lauren Bacall, James Caan, Ben Gazzara, Chloé Sevigny, Jeremy Davies, Patricia Clarkson, Philip Baker Hall, John Hurt, Udo Kier, Harriet Andersson, Jean-Marc Barr...
Le synopsis :
Une belle fugitive, Grace (Nicole Kidman), poursuivie par des gangsters, arrive dans la commune isolée de Dogville. Encouragés par Tom (Paul Bettany), qui s'est autoproclamé porte-parole de la ville, les habitants consentent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler pour eux. Lorsqu'un avis de recherche est lancé contre elle, les gens de Dogville s'estiment en droit d'exiger une compensation, vu le risque qu'ils courent à l'abriter. La pauvre Grace apprend ainsi à ses dépens que la bonté est relative. Mais elle garde un secret, un secret fatal, qui fera regretter à Dogville d'avoir montré les dents…
L'interview:
"Deux choses m'ont inspiré quand j'ai écrit Dogville. Tout d'abord, lorsque j'étais à Cannes avec "Dancer in the Dark", des journalistes américains ont critiqué le fait que je fasse un film sur les Etats-Unis sans y avoir jamais mis les pieds. Cela m'a irrité car, autant que je me souvienne, ils n'étaient jamais allés à Casablanca quand ils ont fait "Casablanca". J'ai trouvé ça injuste et j'ai décidé de faire d'autres films situés en Amérique. Ça, c'est la première chose.
Ensuite, j'ai écouté "Pirate Jenny", la chanson de "L'opéra de Quat'sous" de Bertolt Brecht. C'est une chanson très forte, dont le thème de vengeance m'a beaucoup plu.
Il fallait trouver un endroit isolé pour ce film, vu que "Pirate Jenny" se passe dans une ville reculée. J'ai décidé de situer Dogville dans les Montagnes Rocheuses car, quand on n'y est jamais allé, ça paraît fantastique. Quelles montagnes ne sont pas "rocheuses" ? Cela signifie-t-il que celles-ci le sont particulièrement ? On dirait un nom sorti tout droit d'un conte de fées. J'ai aussi décidé que l'histoire se passerait pendant la crise de 29, car l'atmosphère m'a parue appropriée.
Les vieilles photos en noir & blanc prises par le gouvernement américain pendant cette période m'inspiraient, mais je n'ai jamais caressé l'idée de faire ce film en noir & blanc. C'est une autre façon de placer un filtre entre soi et le public, une façon de styliser. Quand on fait un film avec un côté étrange (on ne voit que les marques des maisons au sol, par exemple) tout le reste doit être "normal". Si l'on superpose trop d'éléments, cela éloigne davantage le public du film. Il est important de ne pas aborder trop de choses en même temps, pour ne pas faire fuir les gens. Je travaille un peu comme dans un laboratoire, je fais des expériences. Et quand on fait une expérience, on ne peut pas changer plus d'une donnée à la fois.
On m'a dit que cela rappellerait "Our Town" aux Américains. Pendant le tournage, quelqu'un m'a donné la pièce de Wilder. Mais je ne pense pas qu'il y ait de similitudes. Cela ne veut pas dire que je n'ai été inspiré par rien, au contraire. Par exemple, certaines pièces de théâtre que j'ai vues à la télévision dans les années 70 m'ont inspiré, en particulier "Nicholas Nickleby" par la Shakespeare Company. C'était extrêmement stylisé, avec participation du public et toutes ces choses qu'on faisait dans les années 70, mais quand je la revois aujourd'hui, ça fonctionne encore très bien. C'était très populaire quand j'étais jeune. On prenait une œuvre théâtrale qu'on situait dans un autre environnement. C'était parfois très abstrait. Je ne suis pas fou du théâtre au théâtre, mais à la télévision ou au cinéma, c'est vraiment quelque chose qu'on a envie de voir.
J'ai aussi été inspiré, jusqu'à un certain point, par Bertolt Brecht et son style de théâtre, très simple et dépouillé. Ma théorie est qu'on oublie vite qu'il n'y a pas de maisons. Du coup, on invente la ville mais, surtout, on se concentre plus sur les personnages. Les maisons ne sont pas là pour vous distraire et au bout d'un moment, cela ne manque plus au spectateur avec qui un accord tacite a été passé que les décors n'arriveront jamais.
Que répondre à ceux qui disent que ce n'est pas du cinéma ? Ils ont peut-être raison. Mais on ne peut pas dire non plus que c'est de l'anti-cinéma. A mes débuts, j'ai fait des films très "filmiques". Le problème est que c'est devenu trop facile – il suffit d'acheter un ordinateur et on a du cinéma. Vous avez des armées déchaînées dans des montagnes, des dragons… Il suffit d'appuyer sur un bouton. Le côté "filmique", c'était bien avec Kubrick, quand il attendait pendant deux mois la bonne lumière dans le dos de Barry Lyndon qui arrivait à cheval vers nous. Je trouvais ça magnifique. Mais si on attend juste deux secondes et qu'un enfant derrière son ordinateur les remplit… c'est une autre forme d'art, sûrement, mais cela ne m'intéresse pas. Je ne vois plus les armées dans la montagne, mais seulement l'adolescent derrière son écran qui se dit : "On va arranger ça, on va ajouter des ombres et dénaturer un peu les couleurs". C'est très bien fait, mais ça ne me touche pas du tout. On se sent manipulé à un degré auquel je ne veux pas être manipulé.
C'est peut-être parce que je suis plus âgé. Quand j'étais jeune, j'aurais sûrement trouvé ces images de synthèse fantastiques. Maintenant, avec l'âge, je dois être têtu. Voilà pourquoi je reviens vers les vieilles valeurs, les vieilles vertus. Si l'on est assez têtu, n'importe quoi peut avoir sa propre esthétique. Il y a une limite à la beauté des images dans un film. Si c'est trop beau, j'ai envie de vomir. En fait, c'est comme si je regardais un tour de magie. Quand un magicien fait un tour avec des pièces de monnaie, on est fasciné. Mais s'il déplace la tour Eiffel, on se dit : "Et alors ?".
"Dogville" se situe en Amérique, mais une Amérique vue à travers mon regard. Je ne me suis pas restreint en me disant, "Il faudrait que je fasse telle ou telle recherche". Ce n'est ni un film scientifique, ni un film historique. C'est un film d'émotion. Bien sûr, on parle des Etats-Unis, mais aussi de n'importe quelle petite ville dans le monde.
J'ai écrit le scénario en danois en demandant au traducteur anglais d'essayer de garder un peu le langage danois, de ne pas rendre ça trop parfait. C'est mon côté Kafka, je suppose, j'aime bien conserver cet œil étranger. Par exemple, j'aimerais beaucoup voir un film sur le Danemark fait par quelqu'un qui n'y est jamais allé. Un Japonais ou un Américain. Cette personne serait le miroir de ce que le Danemark représente quand on y est jamais allé. Dans mes films "américains", je reflète l'information qui me parvient et les sentiments que ça m'inspire. Bien sûr, ce n'est pas la vérité puisque je n'y suis jamais allé (même si j'en sais plus sur les Etats-Unis que les gens qui ont fait Casablanca en savaient sur Casablanca). Evidemment, un Japonais faisant un film sur le Danemark n'aurait pas le même genre d'informations que moi à sa disposition parce que 90% des programmes de télévision au Danemark sont des productions américaines. Il aurait des recherches à faire et je trouve que ça donnerait un film intéressant.
En plus des innombrables programmes américains à la télévision danoise, on a pas mal de nouvelles, parce que l'Amérique est la plus grande puissance du monde.
Il y a aussi beaucoup de critiques. Dans ma jeunesse, il y avait de grandes manifestations contre la Banque Mondiale et la Guerre du Vietnam, on jetait tous des pierres sur les ambassades. Ou plutôt sur une ambassade… Maintenant, je ne jette plus de pierres. Je me borne à taquiner.
Enfant, j'ai appris que si on était fort, il fallait aussi être juste et bon, mais on ne voit pas ça en Amérique. J'aime beaucoup les Américains que je rencontre individuellement, mais là il s'agit de l'image d'un pays que je ne connais pas et que pourtant je ressens. Je ne crois pas que les Américains soient plus mauvais que les autres, mais je ne les trouve pas non plus moins pires que les états voyous dont Mr Bush a tant parlé. Je pense que les gens sont plus ou moins les mêmes partout. Que dire de l'Amérique ? Le pouvoir corrompt. C'est un fait. Encore une fois, ils sont si puissants que je peux les taquiner, car je ne peux pas faire de mal à l'Amérique, n'est-ce pas ?
L'idée qui sous-tend la façon dont Grace est traitée par les habitants de la ville est qu'il est dangereux de se présenter aux autres comme un cadeau. Le pouvoir donné aux gens sur un individu les corrompt. Si vous vous en remettez aux autres, ça ne peut pas marcher. Il y a des limites. Les habitants de Dogville étaient sans histoires jusqu'à ce que Grace arrive, comme l'Amérique serait un très beau pays s'il n'y avait que des millionnaires jouant au golf. Ce serait une société merveilleuse, pacifique, mais d'après ce que je sais, ce n'est pas le cas. Malheureusement, il y a aussi beaucoup de perdants là-bas.
Quand on invente un personnage, on prend quelqu'un qu'on connaît et on le replace dans un autre contexte. Les gens de Dogville sont tous danois, ce sont des gens qui existent. Ensuite, vous prenez votre propre personne et vous la répartissez entre deux ou trois personnages qui portent l'histoire (en l'occurrence, Tom et Grace). Je peux défendre tous les personnages du film, mais Grace et Tom sont ceux qui me correspondent le mieux, jusqu'à un certain point.
Cela signifie-t-il que je me reconnais dans Tom ? Oh, oui. Les gens ont très souvent d'excellentes intentions au début, surtout les artistes, mais ensuite, en devenant de plus en plus importants, leur cause passe au deuxième plan. Parfois, ils la perdent même complètement de vue. Ce n'est pas très agréable, ni très flatteur, mais à mon avis ce n'est pas loin de la vérité. Il fait de gros efforts, mais n'arrive jamais à avoir la fille… Il est même le seul à ne pas l'avoir…
Grace n'est absolument pas une héroïne. C'est un être humain, avec de très bonnes intentions, mais un être humain quand même. Ça donne peut-être l'impression que je martyrise les femmes, mais en fait ces personnages ne sont pas seulement des femmes, ce sont aussi des parties de moi. C'est très intéressant de travailler avec des femmes. Elles m'incarnent bien. Elles me dépeignent bien et je me sens en phase avec elles.
Certaines personnes croient que je n'aime pas les femmes, ce qui est faux évidemment. C'est plutôt avec les hommes que j'ai des problèmes. C'est la même chose qu'avec un cerf. Le vieux mâle aux grands bois a toutes les femelles autour de lui et il a un mal fou à tenir les jeunes mâles à l'écart. Ils essaient tous de pisser sur lui, juste un peu, pour marquer leur territoire. Pour une raison ou une autre, dans mon petit cercle, tout le monde est autorisé à pisser sur moi… C'est très bien, mais c'est fatigant… Je n'arrête pas de regarder autour de moi en disant "Bon, qui a fait ça !?" alors qu'un jeune est en train de pisser dans mon dos. Voilà le problème que j'ai avec les hommes. Les femmes ne font pas ça. Mais si vous arrivez à affronter ça, vous pouvez avoir des rapports formidables avec d'autres hommes.
Nicole a dit qu'elle voulait travailler avec moi, j'ai donc écrit le rôle de Grace pour elle ou, plutôt, l'image que j'avais d'elle. J'ai découvert que c'était une très bonne actrice. C'était intéressant de choisir quelqu'un qui a surtout joué des personnages froids et de la laisser faire autre chose. Et puis, c'est intrigant de prendre une star de Hollywood et de la mettre dans un film comme celui-ci. Ça attirera peut-être un public différent que celui qu'on aurait eu, à condition qu'ils ne soient pas effrayés par le fait qu'il n'y a que des acteurs sur un sol tout noir…
Je m'en sors mieux avec les acteurs qui me font confiance, mais cette confiance est difficile à obtenir. Je ne sais pas très bien pourquoi j'en ai besoin. Peut-être que je n'ai pas confiance en moi ? Nicole m'a immédiatement fait confiance, ce que j'ai trouvé formidable. Paul Bettany aussi, mais comme c'est un homme, j'ai eu plus de mal… Il est très bon. C'est tentant de continuer à travailler avec des gens que vous connaissez déjà, mais c'est aussi amusant de travailler avec de nouvelles personnes.
J'ai toujours eu envie de travailler avec Ben Gazzara. C'est un héros pour moi depuis "Meurtre d'un Bookmaker Chinois", entre autres. C'est la directrice de casting qui a suggéré Lauren Bacall, elle a été choisie pour son talent et pas parce que c'est Lauren Bacall. James Caan est un formidable acteur, c'est vrai qu'on l'associe facilement à des rôles de gangsters depuis "Le Parrain", mais c'est avant tout un très bon acteur.
Dogville est surtout un film et je suis satisfait de la forme, du contenu et des acteurs de ce film. Je sais qu'il n'est pas très "branché", mais je suis assez fier de ne pas être, d'esprit, aussi vieux que je me sens."
Voilà pourquoi "DOGVILLE" est un des films que j'attends le plus cette année.
Nicole Kidman, Paul Bettany, Stellan Skarsgard, Lauren Bacall, James Caan, Ben Gazzara, Chloé Sevigny, Jeremy Davies, Patricia Clarkson, Philip Baker Hall, John Hurt, Udo Kier, Harriet Andersson, Jean-Marc Barr...
Le synopsis :
Une belle fugitive, Grace (Nicole Kidman), poursuivie par des gangsters, arrive dans la commune isolée de Dogville. Encouragés par Tom (Paul Bettany), qui s'est autoproclamé porte-parole de la ville, les habitants consentent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler pour eux. Lorsqu'un avis de recherche est lancé contre elle, les gens de Dogville s'estiment en droit d'exiger une compensation, vu le risque qu'ils courent à l'abriter. La pauvre Grace apprend ainsi à ses dépens que la bonté est relative. Mais elle garde un secret, un secret fatal, qui fera regretter à Dogville d'avoir montré les dents…
L'interview:
"Deux choses m'ont inspiré quand j'ai écrit Dogville. Tout d'abord, lorsque j'étais à Cannes avec "Dancer in the Dark", des journalistes américains ont critiqué le fait que je fasse un film sur les Etats-Unis sans y avoir jamais mis les pieds. Cela m'a irrité car, autant que je me souvienne, ils n'étaient jamais allés à Casablanca quand ils ont fait "Casablanca". J'ai trouvé ça injuste et j'ai décidé de faire d'autres films situés en Amérique. Ça, c'est la première chose.
Ensuite, j'ai écouté "Pirate Jenny", la chanson de "L'opéra de Quat'sous" de Bertolt Brecht. C'est une chanson très forte, dont le thème de vengeance m'a beaucoup plu.
Il fallait trouver un endroit isolé pour ce film, vu que "Pirate Jenny" se passe dans une ville reculée. J'ai décidé de situer Dogville dans les Montagnes Rocheuses car, quand on n'y est jamais allé, ça paraît fantastique. Quelles montagnes ne sont pas "rocheuses" ? Cela signifie-t-il que celles-ci le sont particulièrement ? On dirait un nom sorti tout droit d'un conte de fées. J'ai aussi décidé que l'histoire se passerait pendant la crise de 29, car l'atmosphère m'a parue appropriée.
Les vieilles photos en noir & blanc prises par le gouvernement américain pendant cette période m'inspiraient, mais je n'ai jamais caressé l'idée de faire ce film en noir & blanc. C'est une autre façon de placer un filtre entre soi et le public, une façon de styliser. Quand on fait un film avec un côté étrange (on ne voit que les marques des maisons au sol, par exemple) tout le reste doit être "normal". Si l'on superpose trop d'éléments, cela éloigne davantage le public du film. Il est important de ne pas aborder trop de choses en même temps, pour ne pas faire fuir les gens. Je travaille un peu comme dans un laboratoire, je fais des expériences. Et quand on fait une expérience, on ne peut pas changer plus d'une donnée à la fois.
On m'a dit que cela rappellerait "Our Town" aux Américains. Pendant le tournage, quelqu'un m'a donné la pièce de Wilder. Mais je ne pense pas qu'il y ait de similitudes. Cela ne veut pas dire que je n'ai été inspiré par rien, au contraire. Par exemple, certaines pièces de théâtre que j'ai vues à la télévision dans les années 70 m'ont inspiré, en particulier "Nicholas Nickleby" par la Shakespeare Company. C'était extrêmement stylisé, avec participation du public et toutes ces choses qu'on faisait dans les années 70, mais quand je la revois aujourd'hui, ça fonctionne encore très bien. C'était très populaire quand j'étais jeune. On prenait une œuvre théâtrale qu'on situait dans un autre environnement. C'était parfois très abstrait. Je ne suis pas fou du théâtre au théâtre, mais à la télévision ou au cinéma, c'est vraiment quelque chose qu'on a envie de voir.
J'ai aussi été inspiré, jusqu'à un certain point, par Bertolt Brecht et son style de théâtre, très simple et dépouillé. Ma théorie est qu'on oublie vite qu'il n'y a pas de maisons. Du coup, on invente la ville mais, surtout, on se concentre plus sur les personnages. Les maisons ne sont pas là pour vous distraire et au bout d'un moment, cela ne manque plus au spectateur avec qui un accord tacite a été passé que les décors n'arriveront jamais.
Que répondre à ceux qui disent que ce n'est pas du cinéma ? Ils ont peut-être raison. Mais on ne peut pas dire non plus que c'est de l'anti-cinéma. A mes débuts, j'ai fait des films très "filmiques". Le problème est que c'est devenu trop facile – il suffit d'acheter un ordinateur et on a du cinéma. Vous avez des armées déchaînées dans des montagnes, des dragons… Il suffit d'appuyer sur un bouton. Le côté "filmique", c'était bien avec Kubrick, quand il attendait pendant deux mois la bonne lumière dans le dos de Barry Lyndon qui arrivait à cheval vers nous. Je trouvais ça magnifique. Mais si on attend juste deux secondes et qu'un enfant derrière son ordinateur les remplit… c'est une autre forme d'art, sûrement, mais cela ne m'intéresse pas. Je ne vois plus les armées dans la montagne, mais seulement l'adolescent derrière son écran qui se dit : "On va arranger ça, on va ajouter des ombres et dénaturer un peu les couleurs". C'est très bien fait, mais ça ne me touche pas du tout. On se sent manipulé à un degré auquel je ne veux pas être manipulé.
C'est peut-être parce que je suis plus âgé. Quand j'étais jeune, j'aurais sûrement trouvé ces images de synthèse fantastiques. Maintenant, avec l'âge, je dois être têtu. Voilà pourquoi je reviens vers les vieilles valeurs, les vieilles vertus. Si l'on est assez têtu, n'importe quoi peut avoir sa propre esthétique. Il y a une limite à la beauté des images dans un film. Si c'est trop beau, j'ai envie de vomir. En fait, c'est comme si je regardais un tour de magie. Quand un magicien fait un tour avec des pièces de monnaie, on est fasciné. Mais s'il déplace la tour Eiffel, on se dit : "Et alors ?".
"Dogville" se situe en Amérique, mais une Amérique vue à travers mon regard. Je ne me suis pas restreint en me disant, "Il faudrait que je fasse telle ou telle recherche". Ce n'est ni un film scientifique, ni un film historique. C'est un film d'émotion. Bien sûr, on parle des Etats-Unis, mais aussi de n'importe quelle petite ville dans le monde.
J'ai écrit le scénario en danois en demandant au traducteur anglais d'essayer de garder un peu le langage danois, de ne pas rendre ça trop parfait. C'est mon côté Kafka, je suppose, j'aime bien conserver cet œil étranger. Par exemple, j'aimerais beaucoup voir un film sur le Danemark fait par quelqu'un qui n'y est jamais allé. Un Japonais ou un Américain. Cette personne serait le miroir de ce que le Danemark représente quand on y est jamais allé. Dans mes films "américains", je reflète l'information qui me parvient et les sentiments que ça m'inspire. Bien sûr, ce n'est pas la vérité puisque je n'y suis jamais allé (même si j'en sais plus sur les Etats-Unis que les gens qui ont fait Casablanca en savaient sur Casablanca). Evidemment, un Japonais faisant un film sur le Danemark n'aurait pas le même genre d'informations que moi à sa disposition parce que 90% des programmes de télévision au Danemark sont des productions américaines. Il aurait des recherches à faire et je trouve que ça donnerait un film intéressant.
En plus des innombrables programmes américains à la télévision danoise, on a pas mal de nouvelles, parce que l'Amérique est la plus grande puissance du monde.
Il y a aussi beaucoup de critiques. Dans ma jeunesse, il y avait de grandes manifestations contre la Banque Mondiale et la Guerre du Vietnam, on jetait tous des pierres sur les ambassades. Ou plutôt sur une ambassade… Maintenant, je ne jette plus de pierres. Je me borne à taquiner.
Enfant, j'ai appris que si on était fort, il fallait aussi être juste et bon, mais on ne voit pas ça en Amérique. J'aime beaucoup les Américains que je rencontre individuellement, mais là il s'agit de l'image d'un pays que je ne connais pas et que pourtant je ressens. Je ne crois pas que les Américains soient plus mauvais que les autres, mais je ne les trouve pas non plus moins pires que les états voyous dont Mr Bush a tant parlé. Je pense que les gens sont plus ou moins les mêmes partout. Que dire de l'Amérique ? Le pouvoir corrompt. C'est un fait. Encore une fois, ils sont si puissants que je peux les taquiner, car je ne peux pas faire de mal à l'Amérique, n'est-ce pas ?
L'idée qui sous-tend la façon dont Grace est traitée par les habitants de la ville est qu'il est dangereux de se présenter aux autres comme un cadeau. Le pouvoir donné aux gens sur un individu les corrompt. Si vous vous en remettez aux autres, ça ne peut pas marcher. Il y a des limites. Les habitants de Dogville étaient sans histoires jusqu'à ce que Grace arrive, comme l'Amérique serait un très beau pays s'il n'y avait que des millionnaires jouant au golf. Ce serait une société merveilleuse, pacifique, mais d'après ce que je sais, ce n'est pas le cas. Malheureusement, il y a aussi beaucoup de perdants là-bas.
Quand on invente un personnage, on prend quelqu'un qu'on connaît et on le replace dans un autre contexte. Les gens de Dogville sont tous danois, ce sont des gens qui existent. Ensuite, vous prenez votre propre personne et vous la répartissez entre deux ou trois personnages qui portent l'histoire (en l'occurrence, Tom et Grace). Je peux défendre tous les personnages du film, mais Grace et Tom sont ceux qui me correspondent le mieux, jusqu'à un certain point.
Cela signifie-t-il que je me reconnais dans Tom ? Oh, oui. Les gens ont très souvent d'excellentes intentions au début, surtout les artistes, mais ensuite, en devenant de plus en plus importants, leur cause passe au deuxième plan. Parfois, ils la perdent même complètement de vue. Ce n'est pas très agréable, ni très flatteur, mais à mon avis ce n'est pas loin de la vérité. Il fait de gros efforts, mais n'arrive jamais à avoir la fille… Il est même le seul à ne pas l'avoir…
Grace n'est absolument pas une héroïne. C'est un être humain, avec de très bonnes intentions, mais un être humain quand même. Ça donne peut-être l'impression que je martyrise les femmes, mais en fait ces personnages ne sont pas seulement des femmes, ce sont aussi des parties de moi. C'est très intéressant de travailler avec des femmes. Elles m'incarnent bien. Elles me dépeignent bien et je me sens en phase avec elles.
Certaines personnes croient que je n'aime pas les femmes, ce qui est faux évidemment. C'est plutôt avec les hommes que j'ai des problèmes. C'est la même chose qu'avec un cerf. Le vieux mâle aux grands bois a toutes les femelles autour de lui et il a un mal fou à tenir les jeunes mâles à l'écart. Ils essaient tous de pisser sur lui, juste un peu, pour marquer leur territoire. Pour une raison ou une autre, dans mon petit cercle, tout le monde est autorisé à pisser sur moi… C'est très bien, mais c'est fatigant… Je n'arrête pas de regarder autour de moi en disant "Bon, qui a fait ça !?" alors qu'un jeune est en train de pisser dans mon dos. Voilà le problème que j'ai avec les hommes. Les femmes ne font pas ça. Mais si vous arrivez à affronter ça, vous pouvez avoir des rapports formidables avec d'autres hommes.
Nicole a dit qu'elle voulait travailler avec moi, j'ai donc écrit le rôle de Grace pour elle ou, plutôt, l'image que j'avais d'elle. J'ai découvert que c'était une très bonne actrice. C'était intéressant de choisir quelqu'un qui a surtout joué des personnages froids et de la laisser faire autre chose. Et puis, c'est intrigant de prendre une star de Hollywood et de la mettre dans un film comme celui-ci. Ça attirera peut-être un public différent que celui qu'on aurait eu, à condition qu'ils ne soient pas effrayés par le fait qu'il n'y a que des acteurs sur un sol tout noir…
Je m'en sors mieux avec les acteurs qui me font confiance, mais cette confiance est difficile à obtenir. Je ne sais pas très bien pourquoi j'en ai besoin. Peut-être que je n'ai pas confiance en moi ? Nicole m'a immédiatement fait confiance, ce que j'ai trouvé formidable. Paul Bettany aussi, mais comme c'est un homme, j'ai eu plus de mal… Il est très bon. C'est tentant de continuer à travailler avec des gens que vous connaissez déjà, mais c'est aussi amusant de travailler avec de nouvelles personnes.
J'ai toujours eu envie de travailler avec Ben Gazzara. C'est un héros pour moi depuis "Meurtre d'un Bookmaker Chinois", entre autres. C'est la directrice de casting qui a suggéré Lauren Bacall, elle a été choisie pour son talent et pas parce que c'est Lauren Bacall. James Caan est un formidable acteur, c'est vrai qu'on l'associe facilement à des rôles de gangsters depuis "Le Parrain", mais c'est avant tout un très bon acteur.
Dogville est surtout un film et je suis satisfait de la forme, du contenu et des acteurs de ce film. Je sais qu'il n'est pas très "branché", mais je suis assez fier de ne pas être, d'esprit, aussi vieux que je me sens."
Voilà pourquoi "DOGVILLE" est un des films que j'attends le plus cette année.
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- Overdosed on Gamma-ray
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je trouve justement que dans ces deux films il n'y a pas saturation. Mais là il me semble que LVT visait plus les films comme SW ou LOTR (qui deviennent très laid parfois)Philip Marlowe a écrit :J'ai eu ce sentiment récemment avec Loin du Paradis et avec certaines images de DollsLars von Trier a écrit :Il y a une limite à la beauté des images dans un film. Si c'est trop beau, j'ai envie de vomir.(mais ça ne m'empêchera pas d'aller le voir).
Tout ce que je sais, c'est qu'aucun décor n'a été construit pour le film...Matt Murdock a écrit :Il n'y a aucun décor ou c'est simplement les maisons qui sont absentes ? c'est en extérieur ? en intérieur ? Dans le noir ?
Ensuite, je ne sais pas si ce sera entièrement dans le noir ou en décors naturels, mais ça risque bien d'être surprenant.
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- Overdosed on Gamma-ray
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Surprenant, je suis d'accord avec toi.Bill Harford a écrit :Tout ce que je sais, c'est qu'aucun décor n'a été construit pour le film...Matt Murdock a écrit :Il n'y a aucun décor ou c'est simplement les maisons qui sont absentes ? c'est en extérieur ? en intérieur ? Dans le noir ?
Ensuite, je ne sais pas si ce sera entièrement dans le noir ou en décors naturels, mais ça risque bien d'être surprenant.
Je trouve juste un peu dommage qu'on en sache pas plus avant d'y aller, du coup je ne sais pas si je dois y aller car le film ne peut très bien ne pas me plaire.
Je n'aime donc pas cette démarche qui force en quelque sorte le spectateur a aller au cinéma...
Moi, je m'en fous mais je pense a beaucoup de monde qui vont, si je puis dire, se sentir "pris en otage" sur le fait d'y aller ou pas.
Enfin, cela à le merite d'être original et de resté dans la mouvance de ce qu'a fait Lars Von Trier jusqu'a maintenant.
Attends, on en saura un peu plus quand il sortira le 21 Mai en même temps que sa présentation à Cannes... D'ici là, c'est normal que le secret sur ce film soit préservé. Même la bande-annonce est mystérieuse.Matt Murdock a écrit : Je trouve juste un peu dommage qu'on en sache pas plus avant d'y aller, du coup je ne sais pas si je dois y aller car le film ne peut très bien ne pas me plaire.
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Oui, tu as sans doute raison. A l'heure d'Internet, préserver le mystère d'un film est une bonne chose. On en sait toujours trop et toujours trop tôt.Bill Harford a écrit :Attends, on en saura un peu plus quand il sortira le 21 Mai en même temps que sa présentation à Cannes... D'ici là, c'est normal que le secret sur ce film soit préservé. Même la bande-annonce est mystérieuse.Matt Murdock a écrit : Je trouve juste un peu dommage qu'on en sache pas plus avant d'y aller, du coup je ne sais pas si je dois y aller car le film ne peut très bien ne pas me plaire.

J'aime bien y aller à l'arrache au cinéma... Sans rien savoir du film. on en sait déjà pas mal finalement rien qu'avec l'affiche. On a forcément entendu parler un petit peu de l'histoire ici ou là.
Ca me suffit. Ca me fait penser à quelqu'un qui n'avait pas aimer du tout, La 25ème Heure parce qu'il s'attendait à un film sur le 11/09... Ca laisse réfléchir.
Ca me suffit. Ca me fait penser à quelqu'un qui n'avait pas aimer du tout, La 25ème Heure parce qu'il s'attendait à un film sur le 11/09... Ca laisse réfléchir.
- Billy Budd
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