
En cinéaste obsédé par l'idée de toujours réintégrer ses multiples références stylistiques et cinéphiliques, Martin Scorsese a trouvé avec Kundun le projet cadeau idéal. Celui d'un film qui parle à la fois de renaissance et de spiritualité, ou les images, bien qu'issus de toute une Histoire du cinéma, prennent un gout de redécouverte totale, de pureté rare. Comme si le spectateur devenait le Dalaï Lama découvrant ses images dans sa salle de cinéma.
L'ouverture du film est saisissante à ce niveau: devant la composition de sable qui apparait à l'écran, on a l'impression d'être un aveugle percevant pour la première fois de sa vie les couleurs. La musique de Phiip Glass évoque une spiritualité forte, mais son minimalisme associé à ses premières images donne l'impression de venir littéralement au monde.
Le premier plan "charnel" du film est un oeuil d'enfant, celui par lequel presque tout le film sera vu... Comme on a découvert les couleurs, on découvre ici la lumière, l'humanité, la vie... Toujours la sensation, lié à celle de ce petit Kundun, de tout déjà connaitre et de tout redécouvrir. De ce fait, le traitement visuel de Kundun (orchestré par l'incroyable Roger Deakins) évoque à la fois une sensation de souvenirs mélancoliques liés à une virginité de regard... Regarder à travers une robe rouge, observer le déroulement des diverses cérémonies (voir le passage du rat).

Comme la renaissance ne se passe pas sans accroc, ce Dalaï Lama là sera celui qui vivra la fin de son monde, son passage forçé à voir différemment. Il se joue un véritable film avec l'invasion chinoise: et Scorsese n'a pas à montrer une pyrotechnie d'explosion comme un Jean Jacques Annaud pour faire faire comprendre qu'à la pureté de regard se substitue celle d'un cinéaste en devenir: pour le Kundun, une seule goutte de sang prend son poid de violence insupportable.
On passed'un homme qui ne découvre plus totalement, mais voit en contre-champs un univers particuliers que les autres ne perçoivent pas. Pour Scorsese, c'est l'histoire d'apprentissage idéale mème si elle aussi un assez triste (et la longue fuite finale est un véritable feu d'artifice vis à vis de la pureté perdue) ... La perte de ces toutes premières images exprime le drame d'une nation et de l'homme qui l'incarne hors du temp: une main vient effacer la peinture de sable du générique.
Le Dalaï Lama, au dernier plan, est juché dérrière sa lunette. Toujours avec cette foi de regarder, mais aussi avec la sensation de savoir ce qu'il y à dérrière cette montage, une image de montagne qui fut la toute première du film. Du coups, ce dernier "shot" résonne avant tout comme la sensation de voir un homme passé dérrière une caméra. Portant le poid d'un peuple en exil, avec rôle de le raconter, c'est sans doute aussi ce qu'est devenu cet homme, aussi bien qu'un réalisateur s'identifiant à son récit.
6/6
