Truffaut Chocolat a écrit : ↑16 janv. 22, 20:37
C’est aussi une comédie à la Shining
parce que tu as un mec qui passe le plus clair de son temps à essayer de tromper sa femme et qui n’y arrive pas. Dit comme ça, ça sonne comme une histoire drôle ashkénaze et ça me fait bien marrer de voir les choses sous cet angle.
Entre le premier arc (celui où Bill tente par tous les moyens de se venger d’Alice - waouh, elle lui a juste avouée qu’une fois elle avait été tentée par un autre homme
) et le second (où tel un détective privée à la petite semaine il revient sur les lieux d’un crime qu’il n’a pas commis) jamais ô grand jamais la possibilité que le couple se sépare est ne serait-ce qu'envisagée. Le couple tout court n'est même pas abordé en fait.
L'angle de la comédie, je l'ai utilisé aussi auprès de personnes qui étaient réticentes, parce que Kubrick est un "Maître", un "Démiurge", un "Génie", donc son cinéma serait forcément réservé à une caste de cinéphiles, trop imposant pour le commun des mortels, trop distant, pas accessible (et en plus ça dure deux heures et demi).
Alors c'est bon de rappeler en effet que Tom Cruise y est un parfait crétin, accepté dans la haute société uniquement parce que c'est toujours utile d'avoir un médecin sous le coude, dont l'imaginaire érotique est aussi pauvre que la représentation qu'il se fait de l'infidélité de sa femme, et qui passe deux heures à essayer de tirer son coup sans y parvenir, le pauvre petit chéri infoutu de pimenter sa vie sexuelle (et merci de laisser les orgies bourgeoises à la vraie bourgeoisie, toi tu retournes faire les achats de Noël avec ta femme, fuck).
Mais cet argument vaut seulement pour rassurer les personnes qui ne se considèrent pas comme des cinéphiles, qui croient que Kubrick n'est pas fait pour elles, qui n'osent pas s'y coltiner... ou qui pensent plus simplement que c'est un truc intello et qu'elles vont s'y faire chier. Et concernant
Eyes Wide Shut, ce serait très réducteur de n'y voir que ça, non ?
Attention également, on prend le risque d'aggraver notre cas, puisqu'on fait partie de cette élite snob qui rit de choses qu'elle est la seule à trouver drôles et à saisir ("ha ha ha, ce
Shining, quelle poilade ! mais bon, tu peux pas comprendre...").
C'est toujours bon de rappeler qu'il y a de l'humour chez Kubrick (pas toujours subtil, certes, son cinéma n'étant pas spécialement un modèle de légèreté), que même dans un space-opera métaphysique comme
2001 il peut y avoir des gags discrets (la lecture des instructions aux toilettes en cas de besoin urgent, ça ne doit pas être évident). Et c'est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles
Eyes Wide Shut n'aurait pas droit à ses galons de classique : pour un réalisateur réputé pour signer LE film définitif dans chaque genre qu'il aborde, son ultime monument n'a rien de monumental, rien de définitif, et il est même franchement trivial.
Pour un cinéaste à la main aussi lourde, faire sa sortie sur un film aussi léger le rend encore plus touchant pour moi.
(Et non je ne le juge pas à travers le prisme de l'ultime oeuvre posthume. Même s'il avait enchaîné sur son projet de SF, la parenthèse
Eyes Wide Shut garderait cet aspect touchant, ça resterait à mes yeux le Kubrick le moins intimidant.)