Hou Hsiao Hsien

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Profondo Rosso »

Alexandre Angel a écrit : 9 mai 21, 20:26 On pense effectivement beaucoup à A brighter summer day sans la violence et la résolution funeste mais avec le même genre d'amplitude romanesque et de raffinement âpre. Le Yang est toutefois plus "visionnaire".
Oui et pui le Yang fait plus le grand écart entre les moments radieux et positif (le rock'n'roll dans les bars, les scènes romantiques) et le tragique quand Hou Hsiao Hsien est plus en zone grise. Et la remontée de topic tombe bien vu Les fleurs de Shangai

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Dans le Shanghaï du XIXe siècle, entre l'opium et le mahjong, les hommes se disputaient les faveurs des courtisanes qu'on appelait les fleurs de Shanghaï. Wang, un haut fonctionnaire qui travaille aux affaires étrangères, partage ses aventures amoureuses entre Rubis et Jasmin...

Les Fleurs de Shanghai est un film charnière dans l’œuvre de Hou Hsiao Hsien. C’est une œuvre où il s’éloigne à la fois de la veine intime de ses films des années 80 (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussière dans le vent (1986)) mais aussi de l’ancrage historique de son cycle suivant sur le passé de Taïwan (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)). Les Fleurs de Shanghai se situe dans un passé plus lointain avec cette Chine continentale de la fin du XIXe siècle, mais si la reconstitution sera certes raffinée et méticuleuse, on s’éloigne de toute préoccupation politico-historique trop marquée (et par conséquent de lien à Taïwan) pour nous plonger dans les méandres d’un monde clos et de ses codes dans une approche stylisée et organique qui annonce les films suivants du réalisateur dont le fameux Millenium Mambo (2001).

Ce dépaysement se ressent même sur des éléments pas forcément perceptibles par le spectateur occidental. Les aléas de financement et coproduction amènent le casting à être composé à la fois de stars hongkongaises (Tony Leung Chiu-wai, Michelle Reis, Carina Lau), d’acteurs taïwanais et habitués de Hou Hsiao Hsien comme Jack Kao et de la japonaise Michiko Hada. Nous ne sommes cependant pas dans les facilités d’un cinéma hollywoodien qui s’essaie à un récit à l’environnement asiatique (Memoir of Geisha qui caste les Chinoises et malaisiennes et Zhang Ziyi, Michelle Yeoh et Gong Li pour jouer des Japonaises, en anglais…). Pour Hou Hsiao Hsien c’est une manière d’accentuer le dépaysement y compris pour les spectateurs locaux puisque les dialogues du film sont dans la langue shanghaienne du XIXe, plus pratiquée désormais et que les acteurs durent apprendre pour certains phonétiquement ou alors être doublés (Hou Hsiao Hsien préfèrera d’ailleurs rendre muet et sous-titrer le segment de Three Times (2005) se situant à la même période historique car n’ayant pas le temps de faire apprendre la langue aux acteur comme ici). C’est donc à une plongée dans l’ailleurs en termes d’atmosphères, de rythme et de rapport humains que nous préparent tous ces artifices et ce dès la scène d’ouverture.

Un groupe d’homme festoient dans une maison close, leurs courtisanes juchées debout derrière eux comme des trophées ornementaux et participant à leurs jeux à boire. Cependant deux d’entre eux dont Wang (Tony Leung Chiu-wai) quitte bientôt l’assemblée pour rejoindre leur courtisane attitrée qui les attends dans ses quartiers. Après leur départ, les restants déplorent alors ou se moquent des rapports conflictuels et passionnés que les absents entretiennent avec leur courtisanne. En effet si les circuits qui amènent les femmes à être courtisanes (généralement orpheline vendues à des maisons closes et éduquées en vu de leur future vocation) obéissent à des codes de soumissions patriarcaux, la question se fait plus complexe parmi les plus populaires d’entre elles dans le rapport au client. Même si des sentiments sincères peuvent naître et aboutir au mariage, les prémices commerciaux de la relation ne s’estompent jamais réellement. La jalousie supposée masque plutôt la concurrence commerciale quand Rubis (Michiko Hada) reproche à Wang de fréquenter Jasmin (Vicky Wei), nouvelle venue. Elle invoque le manque à gagner qu’implique son exclusivité à Wang alors qu’il va voir ailleurs, et ses dettes non remboursées par ce dernier. Cette dépendance est pourtant plus contrastée quand on comprendra que ce lien essentiellement « pécuniaire » est entretenu et voulut par Rubis alors que Wang souhaitait épouser. A l’opposé on trouve une farouche volonté d’indépendance chez d’autres comme la déterminée Emeraude (Michelle Reis) évite toute proximité amoureuse avec le client pour tenter de racheter sa liberté. On oscille ainsi dans des interactions intime à un carrefour entre soumission et/ou prolongation du modèle (la vieille patronne qui continue d’avoir des aventures avec de jeunes amants, Jade jeune courtisane prête au suicide passionnelle) et volonté de s’en émanciper, le choix se faisant dans ce qui sera le plus lucratif. On sera d’ailleurs frappé par la quasi-absence de sensualité, de tendresse et de proximité physique, l’oubli se fait dans les volutes d’opium plutôt que les bras de l’autre dans cette atmosphère flottante.

Le film est adapté (sur un scénario de la fidèle Chu Tien-wen) d’un roman de Han Bangqing, auteur qui vécu à cette période et retranscrivit dans son ouvrage des situations dont il fut témoin puisqu’il était lui-même un visiteur assidu des maisons de plaisirs. Hou Hsiao Hsien reprend la narration du livre, dépourvu de fil rouge narratif et passant d’une situation à l’autre par les fondus au noir. Visuellement cela s’illustre comme une suite de tableaux dont les soubresauts sentimentaux passent par les nuances de la photo de Mark Lee Ping Bin, les compositions de plan où la disposition des personnages, le travail de texture entre le décor (qui renforce le côté vase-clos en ne faisant jamais distinguer si l’on est de nuit ou le jour) et les costumes, expriment par l’image toute la complexité des rapports entre les personnages. Les trous sur l’évolution de certaines relations sont comblés furtivement par un dialogue, mais c’est bien l’écrin formel qui est le moteur émotionnel de Hou Hsiao Hsien. Comme dans Millenium Mambo à venir, les notions de dominant/dominé sont plus complexes, à la fois pour les femmes entre elles (leur surnom désignant presque pour toutes un bijou, donc la brillance narcissique autant que la possession) et face à des hommes bourreaux comme victimes (la mélancolie finale de Wang) du monde qu’ils ont conçu. 5/6
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Profondo Rosso
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Profondo Rosso »

Nouvelle vidéo Eastasia consacrée à Hou Hsiao Hsien

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Jeremy Fox
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Jeremy Fox »

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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Profondo Rosso »

Cheerful Wind (1981)

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Xiao Xinhui travaille comme assistante photographe sur le tournage d’une publicité. À cette occasion, elle fait la rencontre de Gu Jintai, un aveugle dont elle s’éprend alors qu’elle vient d’entamer une liaison avec le réalisateur qui l’emploie. Lorsque ce dernier lui propose de lui faire visiter l’Europe, la jeune femme, hésitante, devra choisir entre l’amour et son rêve le plus cher…

Cheerful Wind est le second du trio de film sentimentaux qui inaugure la filmographie de Hou Hsiao Hsien, suivant Cute Girl (1981) et précédent Green Green Grass of Home (1982). Bien que le réalisateur renie par la suite ce début de carrière, on y trouve plusieurs éléments clés de ses réussites plus personnelles à venir. Tout au long de ces trois films, Hou Hsiao Hsien doit employer comme acteurs principaux Kenny Bee et Fong Fei-fei, respectivement stars de la pop hongkongaise et taïwanaise. Cette expérience déterminera le choix fréquent par la suite d'avoir des acteurs non-professionnels, d'échapper à cette superficialité initiale pour plus d'authenticité. Il en joue déjà au sein de l'intrigue même du film et notamment la scène d'ouverture. L'histoire s'ouvre un instant faussement naturaliste où l'on observe des enfants jouer en campagne, avant que l'envers du décor se révèle et nous fasse comprendre qu'il s'agit du tournage d'une publicité pour la lessive. Xiao Xinhui (Fong Fei-fei) est assistante photographe sur le plateau et justement s'en éclipse régulièrement pour capturer une réalité plus vraie. C'est dans une de ses pérégrinations qu'elle va tomber sous le charme de Gu Jintai (Kenny Bee), un jeune aveugle se fondant parfaitement dans cet environnement. La facticité et la véracité se confondent tout au long de cette introduction, à travers les interactions entre les personnages (Xiao Xinhui se pensant fixée par Gu Jintai avant de comprendre qu'il est aveugle) mais aussi les manipulations de l'équipe de tournage pour guider la promotion de leur produit.

Xiao Xinhui et Gu Jintai se retrouvent par la suite à Taipei et se rapprochent progressivement. Xiao Xinhui oscille entre ses aspirations artistiques, ses rêves d'ailleurs et une réalité qui la rattrape. Les deux ont une dimension touchante lors de ses pérégrinations avec Gu Jintai quand elle lui fait découvrir sa passion pour la photo, et lorsque celui-ci l'introduit à son quotidien d'aveugle notamment la lecture d'ouvrages pour des associations. Cependant ces facettes ont plutôt tendance à s'opposer pour la jeune femme dont on devine en filigrane la nature anticonformiste, en concubinage alors que sa famille espère des fiançailles traditionnelles, où quand institutrice remplaçante elle choisit des dessins au lieu de slogans en guise de décoration de l'école conçues par les enfants - élément important dans le contexte de dictature encore active à Taïwan. Xiao Xinhui en tombant amoureuse d'un homme "simple" est donc partagée entre ses penchants modernes et une tradition qu'elle fuit. Tout cela est cependant traité à travers la tonalité de bluette du film et de manière très légère, ponctuée régulièrement de ritournelles pop et de micro-scènes clippesques. Hou Hsiao Hsien parvient néanmoins à mettre en place son esthétique notamment dans les environnements ruraux. Les longs plans larges, le travail de la photo sur la brume matinale et la verdure annoncent déjà les atmosphères introspectives de Poussières dans le vent (1986) tandis que le monde de l'enfance exploré dans Green Green Grass of Home et Un été chez grand-père (1984) se déploie déjà de manière plaisante ici.

L'enjeu amoureux se développe de façon relativement originale puisque le triangle amoureux n'existe pas réellement, il s'agit plutôt de l'hésitation de Xiao Xinhui entre l'union prématurée du mariage avec Gu Jintai et ses rêves d'Europe. La fin ouverte évite d'ailleurs toute convention en laissant le couple libre de son destin. Hou Hsio Hsien jongle habilement avec les contraintes de production pour une bluette plus intéressante qu'elle n'en a l'air, même si dans ce contexte Green Green Grass of Home sera une plus grande réussite. 4/6
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Addis-Abeba
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Addis-Abeba »

Profondo Rosso a écrit : 26 déc. 21, 21:24 Cheerful Wind (1981)

pour une bluette plus intéressante qu'elle n'en a l'air.

Je viens d'en voir trois presque coup sur coup, bien d'accord sur celui-ci, agréable surprise, c'est très frais, la musique superbe, j'ai l'impression de plus aimer ses films de jeunesse.
J'ai par contre trouvé très chiant, insipide au possible La fille du Nil, je comprend facilement que l'on puisse trouver HHH parfois fort surestimé. Je n'ai personnellement trouvé aucun intérêt dans cette histoire.
Un peu plus intéressant son Poussière dans le vent, sans être pour moi une grande réussite, le manque de charisme des interprètes, l'histoire finalement assez basique, et rarement touchante, ne m'ont pas transporté.
Je me disais souvent pendant le film que j'avais déjà vu tout ça, en tellement, tellement, plus captivant et plus réaliste, il y a fort longtemps chez Ozu.
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Addis-Abeba
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Addis-Abeba »

Par rapport à justement Cheerful Wind, Cute girl son premier film est tout aussi agréable, plein de vie, là encore avec une BO très entrainante. C'est étonnant comme il s'est tourné ensuite vers un cinéma beaucoup plus austère: à ce titre son Les Garçons de Fengkuei fait trois ans plus tard et d'un ennui incommensurable, les personnages principaux sont mal définis, joués par des interprètes transparents dont les péripéties agacent plus qu'elles ne passionnent. HHH est vraiment un réalisateur difficile à cerner.

Je pense revoir un jour son Millenium Mambo mais surtout pour son actrice principale.
Motivé pour voir The assassin mais aussi forcément un peu inquiet, Hou Hsiao-Hsien qui fait un Wu Xia Pan avec Shu Qi, ca intrigue :o
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Demi-Lune
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Demi-Lune »

Hou Hsiao-hsien et le cinéma, ce serait bel et bien fini. Selon ce média, le réalisateur serait malade, atteint de démence, et aurait pris sa retraite.
The assassin serait donc son dernier film. Un point final involontaire, mais que l'on pourra vraisemblablement compter désormais parmi les plus belles "sorties" du cinéma.
World of Reel a écrit :Last year, I had reported that master filmmaker Hou Hsiao-Hsien was gravely ill. A person I had spoken to believed we would never see another Hou film again due to his being diagnosed with early on-set dementia.

I only, mistakenly, got this news last year after inquiring about the 76-year-old Taiwanese auteur’s long-in-development film “Shulan River.” Location scouting had begun in 2022 and then the project went silent.

IndieWire has confirmed that the filmmaker is now retired, via film scholar Tony Rayns’ introduction to a screening of his 1985 film “A Time to Live and a Time to Die” at the Garden Cinema in London on October 23. This breaks my heart.

We hadn’t heard from Hou since his 2015 wuxia epic “The Assassin.” Then, very late in 2022, there was news that his long-developing drama “Shulan River” was finally beginning location scouting (via IONCINEMA).

Along with the late Edward Yang, I’ll always associate Hou as one of the guiding forces of the Taiwanese New Wave in the 1980s.

Hou’s best-known films include “A City of Sadness,” “Flowers of Shanghai,” and “The Puppetmaster.” His style is as arthouse as it gets, but there’s a real beauty to his images that just sucks you right into its frames.
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Jack Carter »

:(
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par locktal »

Triste nouvelle effectivement pour HHH :cry: :cry: :cry: . Atteint de démence :? (comme Bruce Willis ?).

J'aurai tant aimé visionné ce Shulan river, avec a priori ses deux acteurs fétiches Shu Qi et Chang Chen... J'espère qu'un(e) autre cinéaste talentueux(se) reprendra ce projet, mais cela ne sera jamais la même chose que si cela avait été réalisé par HHH.

Donc le magnifique The assassin sera son testament cinématographique (cela dit, beau film de fin de carrière)...

Merci à lui pour nous avoir offert parmi les plus beaux films de la fin de XXème siècle et du début XXIe siècle (je pense notamment à La cité des douleurs, Un temps pour vivre un temps pour mourir, Poussière dans le vent, Le maître de marionnettes, Goodbye south goodbye, Les fleurs de Shanghai, Millennium mambo ou encore Three times).
"Vouloir le bonheur, c’est déjà un peu le bonheur"
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