Bien au-delà de ça, vraiment ? Le vertige que tu prêtes à cette vision du film s'installe déjà devant la portée d'une telle entreprise. Si tu étires cette "question du regard" et ces "images mentales" au-delà de leur référent (c'est-à-dire : le thème de la vanité, ce que j'appelais un peu plus haut la comédie que l'on se joue à soi-même et aux autres... avec tout le succès que l'on peut en espérer !) et dont je persiste à voir l'apothéose dans les cinq dernières minutes du film, à vue de nez ton étude assume le risque de détailler le film en motifs géométriques, réassemblés ensuite en une sorte de palais de glace par le jeu d'une critique structuraliste. En l'état j'y vois deux avantages, et deux limites :ed a écrit : ↑27 févr. 21, 19:39Bien au-delà de ça. Le film n'est habité que de personnages qui posent un filtre sur la réalité, qui la déforment par leur regard orienté (le fameux "strabisme idéologique" du juge), à tel point qu'on ne sait jamais dans le film ce qui est vrai ou pas. Au début du film, les parents de la victime disent un truc du genre "l'imagination, c'est mieux que la réalité", toute la suite ne vient qu'illustrer cette assertion. J'en suis à un point où je suis prêt à défendre la théorie que la quasi intégralité du film n'est composée que d'images mentales, de fantasmes (dont le personnage de Santenocito, trop gasmanien pour être vrai)- j'ai un texte en réserve qui développe cette idée. Vu ainsi, le film est vertigineux, il est surtout très risien, dans la mesure où la question du "regard" est la problématique centrale de son cinéma des années 70 (Parfum de femme évidemment, mais aussi Âmes perdues, Le sexe fou, Telefoni Bianchi et tant d'autres).Jean-Pierre Festina a écrit : ↑27 févr. 21, 10:34
Tu parles de la scène finale par exemple, avec le personnage de Gassman en chimère monstrueuse de l'imagination de Tognazzi ?
- C'est une démarche qui a donné de fabuleuses oeuvres comme le livre sur David Lynch par Michel Chion : au lieu de proposer des interprétations et en affectant de relever au petit bonheur des éléments réguliers dans l'oeuvre du cinéaste, le livre crée un entrelacs de thèmes et de motifs fragmentaires en apparence mais dont la complexité ajoute au plaisir de l'oeuvre et lui donne une sorte de cohérence seconde. On n'est pas loin du travail du musicien de film qui ne jouerait pas une partition "redondante" mais au contraire choisirait d'insister sur un aspect particulier du film, voire d'en inventer un en contrepoint. Mais Lynch lui-même n'est pas avare de ces jeux de piste et de spéculation de l'imagination, au lieu que l'optique moraliste de Risi resserre impitoyablement l'objet de son étude sur la misère nos petites personnes.
A ce propos, l'idée des images mentales est terriblement séduisante, et je me suis surpris à reconsidérer le film à partir de cet élément, non sans bénéfice : j'y reviendrai sans aucun doute. Mais que cela soit le fait de certains personnages (celui de Tognazzi surtout, me trompe-je ?) et pas d'autres me semble réducteur : pourrais-tu me citer un film où Gassman n'est pas trop gassmanien pour être vrai ? Lui aussi imagine, comme on l'entend dans un passage en voix-off. Les regards réciproques du juge et de l'industriel se fabriquent leur propre fantasme de l'autre : l'un voit un petit juge miteux assis en face de lui, l'autre voit se dresser un industriel décadent, et chacun avilit mentalement l'autre à loisir. Pour moi c'est la comédie de nos prétentions et de nos frustrations qui se joue ici.
- Ceci posé, dans le cas précis de Au nom du peuple italien et de sa perfection formelle qui est évidente (c'est juste que le film m'ennuie - pour l'instant !), l'idée s'impose qu'une grande oeuvre recèle toujours une petite part un peu abstraite, et il n'y a guère d'instant où nous ne réclamons semi-consciemment une forme à un film, en particulier dans le désordre apparent d'une comédie. Rien ne nous oblige à prendre Risi au pied de la lettre lorsqu'il se prétend humble artisan du film populaire (un jour, je parlerai - sérieusement - de la rigueur quasi-bressonnienne de Claude Zidi ! ) Mais c'est malmener la volonté d'un artiste que de donner une exégèse qui ne soit pas "dans le ton" de son oeuvre. Dans ton cas, c'est un peu différent : nul doute que tu auras le tact et l'intelligence nécessaires à cette entreprise mais je redoute toujours le moment où la sourde cruauté du critique surdoué révèle les coutures de l'oeuvre. Pour ma part, superficiel je suis, superficiel je reste