Network (Sidney Lumet - 1976)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Watkinssien
Etanche
Messages : 17126
Inscription : 6 mai 06, 12:53
Localisation : Xanadu

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Watkinssien »

Federico a écrit :Il faudrait que je le revois mais je suis d'accord sur l'aspect outrancier de certaines séquences et le jeu un peu pénible de Dunaway (actrice qui m'a davantage fasciné dans sa première décennie qu'ensuite). Trop d'excès peut nuire à la dénonciation et Lumet, cinéaste admirable s'il en est, réussit ici moins bien qu'auraient pu le faire disons... un Buñuel ou un Ferreri avec un tel sujet.
Même si finalement, on partage le fait que ce soit un grand film, je ne suis pas d'accord avec ces affirmations.

L'aspect outrancier décrié (que ce soit dans le ton ou dans le jeu de Dunaway) colle parfaitement (encore plus rétrospectivement), car cela anticipe finalement avec les excès télévisuels d'aujourd'hui où les gens du milieu s'enthousiasment sur la folie que procure la vanité de leurs shows. Et pour répondre à l'outrance, on utilise les mêmes armes, seulement dans Network, c'est la vérité qui est amenée, éléphantesque, "hénaurme", absurde. Le jeu de Dunaway est à mon sens parfait, elle assume superbement ce qu'elle se doit d'interpréter : un produit du petit écran, sexy au premier abord puis effroyablement caricaturale, déshumanisée où même l'orgasme se combine avec les chiffres de l'audimat. Le propos a du lourd et pourtant, grâce à la mise en scène impeccable de classicisme de Lumet, c'est d'une évidence dramatique rare et puissante...
Image

Mother, I miss you :(
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Strum »

J'avais moi aussi été un peu décontenancé par la tournure que prend Network à un moment du film, lorsque l'on passe sans crier gare de la satire virtuose à la caricature. Encore aujourd'hui, je ne suis pas persuadé que ce passage fonctionne sans dommage pour le film.

Jusqu'à la scène incroyable et digne de la théorie du complot où le patron (ou l'actionnaire principal, je ne me souviens plus) rencontre dans une quasi-pénombre de cathédrale Peter Finch et lui déclame son credo de capitaliste illuminé, Network reste dans les limites d'une satire d'une formidable audace, mais toujours soucieuse de donner l'illusion qu'il décrit une part de la réalité ou des écarts incontrôlables d'une chaine de télévision. Durant cette première partie, le film va à 100 à l'heure, parvenant à faire vivre une foultitude de personnages différents (les acteurs sont formidables, y compris Dunaway je trouve), qui sont tous comme des moulins à parole animés d'un mouvement perpétuel. On ne compte plus alors les idées du script et de la mise en scène (étonnante scène que celle des personnes criant aux fenêtres), on se laisse porter par ce film si ardent et on y croit. Il faut bien cette énergie de la mise en scène et ces idées d'ailleurs pour rendre passionnant un film où l'on parle autant et si vite.

A partir de la scène de la rencontre du patron et de Peter Finch, le film change de pied. Cela devient si gros qu'on peine à y croire encore, et la mort en direct suivi de la réaction parfaitement anormale des salariés ou dirigeants de la chaine, donne l'impression que le film (ou le script) est un peu parti en vrille dans une sorte de délire incontrôlé.

Je me dis aujourd'hui que cette deuxième partie avait peut-être une autre vocation que celle de renforcer la satire : essayer d'élever le film au-dessus des lacis et des méandres politiques d'une chaine de télévision, en reculant la lorgnette du cinéaste, pour toucher à quelque chose de plus métaphysique, à un discours plus large sur le système où ces gens vivent, système où l'homme n'a plus aucune valeur en tant qu'individu, n'existe plus qu'en tant qu'homme tronc figurant un audimat ou un chiffre, si bien que lorsqu'il meurt, on a oublié qu'un homme est mort et l'on ne retient qu'un chiffre. Comme si cette deuxième partie essayait de lorgner vers Kafka et vers l'absurde (et d'ailleurs la scène de la rencontre entre Finch et le patron/actionnaire a quelque chose de kafkaien, comme la pseudo révélation à la fin du Procès). Quoiqu'il en soit, et même si Network reste un film vraiment étonnant, absolument formidable par instant, je ne suis pas sûr que soit gagné le pari de cette deuxième partie qui semble donc hésiter entre le mouvement effréné de la première et la métaphysique, et ce quelque soit l'interprétation que l'on en tire.

N'empêche qu'on peine à trouver en ce moment un film équivalent dans le cinéma américain des studios par son ambition, son originalité, ses stars et sa volonté de décrire le monde qui nous entoure (quitte à passer par la satire).
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Lord Henry »

Image
"Comment ça la caméra n'était pas branchée?"
Image
Bugsy Siegel
Accessoiriste
Messages : 1674
Inscription : 1 sept. 07, 17:42
Localisation : Flamingo Hotel

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Bugsy Siegel »

Je commence à soupçonner Lord Henry d'avoir envoyé des "Ce qu'ils auraient pu dire" à Ciné-Télé-Revue dans les années 80. :lol:
on faisait queue devant la porte des WC comme au ciné lors du passage de l'Atlantide à l'écran. Jean Ray, Hôtel de Famille, 1922
Federico
Producteur
Messages : 9462
Inscription : 9 mai 09, 12:14
Localisation : Comme Mary Henry : au fond du lac

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Federico »

Zut, je n'arrive pas à mettre la souris sur une photo de la "bed scene" avec Dunaway et Holden (whizzz Faye "on top"). J'avais une légende/dialogue toute trouvée... :wink:
Spoiler (cliquez pour afficher)
Lui : Carlitta, ce serait bien pour ma campagne si on programmait un bébé, non ?
Elle : Oh oui, mon choupinet d'amour et je pourrais en faire un album...
Dernière modification par Federico le 5 mai 11, 18:57, modifié 1 fois.
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
Alligator
Réalisateur
Messages : 6629
Inscription : 8 févr. 04, 12:25
Localisation : Hérault qui a rejoint sa gironde
Contact :

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Alligator »

riqueuniee a écrit :A ce propos, il y eut Le gouffre aux chimères (Wilder, 1951), où un journaliste (interprété par Kirk Douglas) retardait un sauvetage (un homme coincé dans une grotte) par ambition, pour transformer cet accident en fait d'ampleur nationale et ainsi (re)devenir une vedette. Avec tout le cirque maintenant habituel autour de cet endroit (le titre original est d'ailleurs the big carnival).
Encore plus ancien, il y eut l'Homme de la rue (Capra, 1941), même si ce film n'est pas qu'une critique des media.
Un homme dans la foule de Kazan aborde également le problème sous l'angle de la manipulation par un présentateur/prêcheur.
7swans
Nuits de Sheen...
Messages : 7694
Inscription : 17 févr. 06, 18:50

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par 7swans »

Pour info : On retrouve le film de Lumet sur Netflix France, qui vient enfin d'ajouter un bon film à son catalogue.
Comme les Notting Hillbillies : "Missing...Presumed Having a Good Time (on Letterboxd : https://letterboxd.com/ishenryfool/)"
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22223
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Supfiction »

Un film inégale mais dont le propos est d'une étonnante actualité. Certaines grandes tirades d'Howard Beale semblent avoir été écrites aujourd'hui.
Strum a écrit : N'empêche qu'on peine à trouver en ce moment un film équivalent dans le cinéma américain des studios par son ambition, son originalité, ses stars et sa volonté de décrire le monde qui nous entoure (quitte à passer par la satire).
Fight club (1999)ne traite pas des médias mais c'est certainement le film américain dont l'ambition et le propos se rapprochent le plus de ce Network.
Je citerai également Bulworth (1998) de Warren Beatty dans un registre plus léger.
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6181
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Thaddeus »

Image



Le message, c'est le médium


Tout commence le 23 septembre 1974 — un lundi. Les sondages indiquant qu’il ne cesse de perdre en audience, le présentateur vieillissant du journal télévisé d’UBS, Howard Beale, est licencié avec un préavis de quinze jours. Son ami et directeur des informations, Max Schumacher, est chargé de lui apprendre la mauvaise nouvelle. Les deux hommes prennent à cette occasion une fameuse cuite pendant laquelle ils se remémorent quelques souvenirs d’anciens combattants des temps glorieux de la "grande" télévision. Le lendemain, au cours de son émission, Beale informe les téléspectateurs de son renvoi et leur annonce qu’il se suicidera à l’antenne une semaine plus tard. En régie bavardent sans broncher, accoutumés à la routine des actualités, le responsable d’édition et sa secrétaire. Seuls ceux que leur métier condamnent à écouter entendent ce funeste teasing. La scripte faire part de la menace sans être comprise tant elle demeure imperturbable (pour cause : si elle restait coite ou s’affolait, ce serait une mauvaise scripte) ; l’opérateur du son doit abandonner son pupitre pour donner l’alarme. Pépite d’humour noir, ce croquis des comportements professionnels, aux frontières de l’observation clinique et de la charge caricaturale, définit bien la crédibilité et la saveur particulière de Network. Sans négliger la présence au générique d’une conseillère du petit écran, Lynn Klugman, force est de rappeler que le film est signé par deux anciens hommes de l’art : Sidney Lumet et son scénariste Paddy Chayefsky. Avec ce portrait au vitriol (donc défigurant) d’une télévision charognarde, déshumanisante, affamée de sensationnel, cette réflexion acerbe sur la démagogie, le pouvoir de l’image et la dictature de l’Audimat, le réalisateur pénètre l’antre de la bête et proclame la fin d’un mythe américain. Mythe nourri (comme tous les autres) de réalité et de fantasmes, de vérité et de mensonge, celui du journaliste capable de lutter victorieusement contre les injustices des pouvoirs.


Image


Pour apprécier pleinement la vigueur incisive du propos, peut-être faut-il remonter dans le temps et revenir aux sources d’un tel héritage. En 1952, encore auréolé du prestige que lui avaient valu ses reportages radiophoniques pour CBS depuis Londres sous les bombes allemandes, Edward R. Murrow passait à l’information télévisée avec See it Now. Le 9 mars 1954, il osait s’y attaquer de façon retentissante au chasseur de sorcières communistes, le (tristement) célèbre sénateur Joseph McCarthy. En même temps et les années suivantes s’affirmaient ces autres reporters que l’on peut apercevoir sur les écrans de contrôle de Network ou dont Beale et Schumacher égrènent respectueusement les noms : John Chancellor, Walter Cronkite, Chet Huntlye, David Brinkley, Harry Reasoner, Howard K. Smith, chantres d’une information éclairée qui contribuèrent à orienter les réactions de l’opinion publique américaine face à la guerre du Vietnam, à des présidents ou vice-présidents comme Lyndon Johnson, Spiro Agnew, Gerald Ford, Richard Nixon. Aux héros de la presse écrite, dont Bogart fut par exemple l’incarnation dans Bas les Masques de Richard Brooks, était venu réellement se joindre dans les années cinquante un Ed Murrow. Ces temps sont désormais révolus : la télévision n’est plus qu’une machine à fabriquer des vedettes passagères qu’elle rejette dans le néant après les avoir siphonnées, et Beale que l’avatar journalistique d’Un Homme dans la Foule d’Elia Kazan. La dégradation des réseaux trouve sa cause profonde dans la perte par leurs organismes de leur indépendance économique. L’éviction du journaliste indépendant résulte de la disparition des libres entreprises, désormais intégrées à de vastes ensembles. La vrai maître d’UBS se révèle vite être, non ses vieux dirigeants Nelson Chaney et Edward Rudy, mais un jeune vice-président, Frank Hackett, homme-lige placé à la tête de la chaîne par le conglomérat qui en a pris le contrôle afin d’en tirer un bénéfice maximum.

Film d’immeubles, de bureaux, de studios, Network use brillamment du cadre, de l’encadrement, de la boîte finalement, afin de souligner l’omniprésence de la petite lucarne dans la vie quotidienne. Lumet ne quitte guère les lieux clos pour développer une dramaturgie serrée dont l’action progresse d’abord via l’évolution des rapports entre les personnages et ce qu’ils véhiculent (l’amitié et l’éthique de Max, l’ambition narcissique de Diana, les délires mystiques de plus en plus tonitruants d’Howard). Personnages déterminés par la situation qu’ils tentent de dominer ou qui les domine, voués à un univers dont ils ne sont plus que les reflets, et dont les actes sont motivés par un crédo mortifère : gagner toujours plus d’argent, jusqu’à l’infarctus pour les businessmen, jusqu’au rachat par les investisseurs arabes pour les chaînes télévisées. Ce n’est pas un hasard si la plaisanterie sur le pont des suicidés qui ouvre le film revient en leitmotiv. Seul Max échappe à cette perversion. D’où sa rupture avec Diana quand il lui reproche lucidement de faire de leur liaison le scénario d’un banal feuilleton sur le thème cent fois rebattu du mari, de l’épouse et de la maîtresse, avec happy end de rigueur. Mais personne ne se reconnaît dans son écœurement. "Chez ces gens-là", comme le montre avec une verve sarcastique ce moraliste de Lumet, on ne fait plus de sentiment. On cite des chiffres, on guette des indices de satisfaction, on vend de la sensation, on obéit à des groupes financiers qui se prennent (à raison) pour des divinités. En témoigne cette séquence-phare, baignant dans un singulier climat de rêve éveillé, où Arthur Jensen, le président de CAA, convertit l’imprécateur histrionnant en héraut de l’économie de marché. Beale semble rapetisser sous l’emprise des clairs-obscurs, tétanisé par la tirade du grand patron. Dans l’immense et écrasante salle de réunion, dans la pénombre du Saint des Saints, il reçoit extasié la bonne nouvelle : The world is a business. Et puisque le monde est ainsi, la télévision, ce "nirvana du pauvre" comme l’appelait Chandler, règne. Elle tisse une toile dans laquelle tout le monde est pris.


Image


Comme la vie contient la mort, la politique dégénère en spectacle et le spectacle en cliché. Avec son show d’un genre nouveau, modèle d’opportunisme sans scrupules, Diana Christensen entend ramener la guérilla urbaine à un western rentable ou aux bonnes vieilles histoires de racket. Son prénom même est significatif : à cette déesse de la chasse qui rêve d’exorciser les culpabilités collectives, la formidable (et oscarisée) Faye Dunaway prête un maniérisme anguleux et un débit de mitraillette. Elle souffre d’orgasme précipité comme d’autres d’éjaculation précoce, porte ironiquement le Christ en son nom et espère trouver des prophètes pour sa religion, télé-réalité avant l’heure, saturée de montage-choc, de ralentis, de musiques, de people éphémères. Les chaînes sont devenues des produits achetés par des consortiums, donc des branches d’industries investissant dans le temps disponible et les outils de relations publiques. Les producteurs de la vieille garde, attachés aux contenus (Schumacher et ses collaborateurs) s’opposent au propriétaire (Jensen), à son représentant (Hackett) et à la nouvelle génération (Christensen), ne vivant eux que dans une course hystérique à la concurrence. Cette personnification de la pyramide télévisuelle allégorise un rapport de forces qui s’opère au niveau national et même international, tel un jeu d’échecs dont Beale n’est que le fou. Par une nuit zébrée d’éclairs, les téléspectateurs ouvrent leurs fenêtres pour hurler ses mots de révolte : "I am mad as hell, I’m not going to take it any more." Mais ce cri devient instantanément slogan, se vide de toute signification autre que commerciale. Messie charlatanesque de la majorité silencieuse, Howard est l’héritier des marchands de bibles et de potions magiques d’autrefois. Sa recette décline la manie typiquement américaine de la confession. Nixon déjà, à l’orée des années cinquante, avait joué son va-tout en un discours aussi larmoyant qu’efficace. En accusant le réseau qui l’emploie, Beale fait grimper les taux d’écoute. Manipulé par son boss, il manipule son auditoire, accroît sa dépendance prostrée au récepteur.

Notoirement soucieux de plausibilité, le cinéaste multiplie les symboles, les signes, les repères, les clins d’œil. En Laureen Hobbs, la militante communiste, on identifie sans peine la figure d’Angela Davis. Derrière l’obscure Armée œcuménique de Libération se cache l’Armée de Libération symbionaise, qui avait enlevé Patty Hearst (elle-même jouée par la fille de Cronkite). Et c’est le suicide en direct d’une animatrice, deux ans avant la réalisation du long-métrage, qui sert de support à celui annoncé de Beale. Le regard posé sur les Black Panthers et autres groupuscules de gauche réclamés par Diana stigmatise le cynisme absolu des corporations qui neutralisent les énergies révolutionnaires et détournent ceux qui s’en réclament au seul profit du système dominant. Une décennie après Marshall MacLuhan, le temps est à la critique marxiste envisageant la sphère médiatique comme bras armé du capital. La mise à mort de Beale, abattu sur ordre de la direction d’UBS, fait basculer le film vers d’étranges abysses. Son réalisme n’exclue nullement l’idée pour le moins inquiétante qui envahit l’écran : la télévision est l’une des puissances occultes qui régissent en toute impunité l’ordre du monde. Il n’est que de voir la réunion des cadres supérieurs de la chaîne, décrétant comme n’importe quel ordre du jour la nécessité de l’élimination du speaker, pour s’en convaincre. En accentuant sa banalité (si l’on peut dire) et en lui refusant l’alibi de la fiction, Lumet signale cette scène non plus comme possible mais comme probable. L’œuvre laisse alors derrière elle les sordides intrigues de couloir de la télévision, ses coups bas, sa vulgarité goguenarde, sa roublardise crue, pour la dénoncer comme composante active du pouvoir. Vingt-deux ans plus tard, Peter Weir la démystifiera à sa manière avec le vertigineux Truman Show. L’avènement d’Internet est depuis venu supplanter cette entité à la fois sacrée et diabolique : d’autres canaux audiovisuels, d’autres formes d’asservissement des masses se sont imposés. Malgré les efforts de David Fincher, le grand film sur ces nouveaux réseaux sociaux reste encore à faire. Raison de plus pour admirer la force rageuse, la clairvoyance et l’actualité toujours brûlante du passionnant pamphlet de Sidney Lumet.


Image
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25426
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par AtCloseRange »

En te lisant on pourrait croire à un pamphlet anticapitaliste somme toute attendu mais Chayefsky n'épargne pas non plus la pseudo-Angela Davis et les activistes prêts à rapidement oublier leur combat pour l'argent et la célébrité médiatique.
Je voudrais aussi mentionner mes deux scènes préférées du film: le weekend en amoureux au bord de la mer de Holden et Dunaway avec toutes les images attendues dans un film romantique sauf que les dialogues se réduisent à un monologue de Dunaway sur son travail (superbe travail de montage) et la séparation de Holden avec sa femme jouée par Beatrice Straight qui gagnera l'Oscar du second rôle pour cette unique scène (elle a une autre moitié de scène mais presque anecdotique).
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6181
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Thaddeus »

Bien sûr, le film s'attache de toute évidence à dépeindre le mécanisme corrupteur de la télévision et la manière dont il dégrade inexorablement les idéologies. J'aime aussi comment il articule la rencontre entre deux stars hollywoodiennes chacune fortement symbolique. D'un côté William Holden, vedette du Hollywood classique remis en selles grâce à La Horde Sauvage, de l'autre Faye Dunwaway, icône absolue du Nouvel Hollywood en tant qu'inoubliable Bonnie Parker. L'amour est bien au rendez-vous entre les deux mais les failles et les ruptures ne tardent pas. Celle-ci n'est pas provoquée par la jeune femme moderne mais par le vieux briscard, en des termes empreints de suspicion et de dégoût. Il lui reproche entre autres de ne pas éprouver de vraies émotions, de ne pas ressentir comme le vieil "humain" qu'il est. Clairement, dans ses paroles, il ne limite pas le constat à la personne de la journaliste mais fait d'elle le symptôme du comportement d'une génération.
En ce qui concerne la seconde scène que tu évoques, je me rappelle qu'un éminent membre de ce forum lui avait également rendu hommage :
Watkinssien a écrit : 17 janv. 21, 15:14ce moment dans Network de Sidney Lumet, où le personnage de William Holden annonce à sa femme qu'il la trompe. Tout l'amour qu'il y a dans cette scène est traité de manière extrêmement pertinente, forte et implacable. Les dialogues de Chayefsky, la mise en scène de Lumet et l'interprétation parfaite: William Holden, tout en brillante sobriété et Beatrice Straight, qui n'apparaît uniquement que dans cette séquence je crois, et qui a gagné l'Oscar du meilleur Second Rôle, tellement elle est inoubliable en 5 minutes:

Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14078
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Alexandre Angel »

J'ai revu Network hier soir et je continue d'aimer ce film réellement mais...modérément.
Et ça a toujours été comme ça, dès que je le découvrais à la télé dans les années 80 à une époque où j'étais fasciné par le cinéma US des 70', y compris celui de Sidney Lumet. Mais là où j'étais immédiatement conquis par Un Après-midi de chien ou Serpico, ça coinçait sur Network.
La VF ne devait pas arranger les choses mais j'étais gêné par un certain côté démonstratif, sursignifiant, surécrit. J'étais, bien évidemment, trop jeune pour avoir exprimé cela en ces termes mais je le ressentais. Peter Finch m'énervait à s'évanouir comme ça à la fin de ses "shows" en direct.
Plus de 40 ans après, j'éprouve toujours un peu ça et les dialogues de Chayefsky me paraissent par trop empesés (cf la rupture entre William Holden et Faye Dunaway, par ailleurs vraiment excellente). D'ailleurs on peut interroger la vraisemblance de cette relation amoureuse tant ce qui émane de chaleureux chez le personnage de Faye Dunaway ne touche qu'à son sex-appeal.
Les critiques que je formule étaient partagées à la sortie du film, si j'en crois Le Masque et la Plume sur l'air de "c'est un bon film mais pas un grand film", ce qui me semble juste dans l'ensemble. Et Ciment de conclure qu'il s'agit là plus d'un film de Paddy Chayefsky que de Sidney Lumet.

Là par contre, je trouve que c'est péremptoire.

La direction d'acteurs, la tension urbaine (même circonscrite aux bureaux) complètement new yorkaise, le montage vif d'Alan Heim, monteur de Bob Fosse, notamment lors de la première "incartade" en direct d'Howard Beale, la photo d'Owen Roizman : tout cela porte de la marque de Lumet.

De plus, je trouve que le film vieillit mieux qu'on pourrait le penser car il nous parle de notre temps de façon assez visionnaire, pointant et prévoyant, même, les dérives sauvages du capitalisme telles qu'on en finit plus d'en décrire les ravages.

Pour conclure, je dirais que le côté "démonstratif" du film trouve, avec le recul, sa justification dans ce qui l'apparente à une fable et c'est ce côté "fable" qui prime, finalement, sur le réalisme qu'on pense trouver en ouvrant la porte.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25426
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par AtCloseRange »

Alexandre Angel a écrit : 24 janv. 24, 10:08 J'ai revu Network hier soir et je continue d'aimer ce film réellement mais...modérément.
Et ça a toujours été comme ça, dès que je le découvrais à la télé dans les années 80 à une époque où j'étais fasciné par le cinéma US des 70', y compris celui de Sidney Lumet. Mais là où j'étais immédiatement conquis par Un Après-midi de chien ou Serpico, ça coinçait sur Network.
La VF ne devait pas arranger les choses mais j'étais gêné par un certain côté démonstratif, sursignifiant, surécrit. J'étais, bien évidemment, trop jeune pour avoir exprimé cela en ces termes mais je le ressentais. Peter Finch m'énervait à s'évanouir comme ça à la fin de ses "shows" en direct.
Plus de 40 ans après, j'éprouve toujours un peu ça et les dialogues de Chayefsky me paraissent par trop empesés (cf la rupture entre William Holden et Faye Dunaway, par ailleurs vraiment excellente). D'ailleurs on peut interroger la vraisemblance de cette relation amoureuse tant ce qui émane de chaleureux chez le personnage de Faye Dunaway ne touche qu'à son sex-appeal.
Les critiques que je formule étaient partagées à la sortie du film, si j'en crois Le Masque et la Plume sur l'air de "c'est un bon film mais pas un grand film", ce qui me semble juste dans l'ensemble. Et Ciment de conclure qu'il s'agit là plus d'un film de Paddy Chayefsky que de Sidney Lumet.
C'est sans doute pour ça que c'est mon préféré :mrgreen:
Et je trouve qu'il vieillit particulièrement bien (d'ailleurs je l'ai largement réévalué positivement - j'avais un peu les mêmes réserves que toi mais elles ont quasiment disparu).
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14078
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par Alexandre Angel »

AtCloseRange a écrit : 24 janv. 24, 10:44 C'est sans doute pour ça que c'est mon préféré :mrgreen:
C'est vrai ?? :o
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25426
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Network (Sidney Lumet - 1976)

Message par AtCloseRange »

Alexandre Angel a écrit : 24 janv. 24, 10:47
AtCloseRange a écrit : 24 janv. 24, 10:44 C'est sans doute pour ça que c'est mon préféré :mrgreen:
C'est vrai ?? :o
Avec A Bout de Course.
Répondre