Considérations sur Raoul Walsh (3)
Raoul Walsh, au débotté, c’est quoi?
Revenons, sans trop nous appesantir, sur l’enfance et les films.
Chacun y trouvera d’éventuelles correspondances avec son vécu mais mes années 70 ont été imprégnées par un certain nombre de «vieux» films des années 40 et 50 (parfois 60), surtout américains, qui étaient présents sur le peu de chaînes (et d’horaires) disponibles sur le petit écran. Le nombre de ces films vus ne devait pas être effarant car c’était certainement un peu toujours les mêmes, quoique.
Mais ce qu’il y a de sûr est que mes années 70, comprenant ma petite enfance, mon enfance puis ma préadolescence, ont été placées sous le signe du cinéma populaire américain, le plus évidemment excitant et exotique, qui affichait en queue de générique le nom de réalisateurs dont je réalisais mal qu’il l’étaient mais dont je repérais les noms, non pas, puisque je viens de dire que je ne connaissais pas ce à quoi ils se rapportaient, en tant que repères stylistiques mais plutôt dans la mesure où ils signalaient une communauté, un cercle d’occurrences propices à une esthétique, un imaginaire et un décor au sein desquels je devais trouver, même inconsciemment, mon bonheur.
Pendant la première moitié des années 70, je vis des films comme ça plutôt le dimanche après-midi (sur la une et sur la deux) puisque je n’était pas autorisé à regarder la télévision le soir.
Puis, à partir de 1975, le champ d’amplitude put s’élargir avec le mardi soir (because pas d’école le lendemain) mais aussi, plus sporadiquement, le dimanche et le jeudi soir.
C’est ainsi que cohabitaient, pèle mêle, en mon champ de vision aussi bien, que ce soit avant (plus rarement), ou après 1975, les noms de John Ford, Henry King et King Vidor (de ce «king» si expressif à l’oreille), Howard Hawks, Henry Hathaway, Anthony Mann, Delmer Daves, Fritz Lang, peut-être William Wellman à cause de
Buffalo Bill .
Ces noms ne suscitaient aucune curiosité particulière. Ils étaient synonymes d’une notion que j’ignorais totalement mais que je ressentais intensément: Hollywood.
Mais l’Hollywood du dimanche après-midi et du mardi soir, l’Hollywood qui fleure bon la poussière, les chevaux et les coups de feu dont il a fallu qu’on m’explique que lorsque une fumée était bruyamment évacuée d’un canon , ça voulait dire qu’un type, plus loin, passait de vie à trépas.
Je rassure le lecteur, c’était avant mes 7 ans.
Et bien sûr, dans le lot, il y avait Raoul Walsh.
Ah ce nom..
On a dit du nom de Marlène Dietrich qu’il commençait comme une caresse et se terminait en coup de fouet.
Et bien je dirais que le nom de Raoul Walsh commence comme un roucoulement hispanique et se termine aussi par un coup de fouet, mais pas du genre SM: plutôt délié, sinueux, ouvert au grand large. Un coup de fouet qui vous débouche les sinus à vie et vous fait respirer le grand large.
Le milieu des années 80 ayant sonné comme un appel surpuissant à explorer ce qu’il y avait derrière les noms énumérés plus haut, on fit plus intime connaissance avec des œuvres qu’on avait connu en ordre dispersé.
Rio Bravo…ah..c’était Howard Hawks !
Le Brigand bien aimé..Henry King. Quant à
L’Appât et
Winchester 73, vus deux ou même trois fois, on les devait à Anthony Mann.
Au jeu des sept familles, on se dépatouillait pas mal, la passion exploratrice naissante et la curiosité aidant: à Anthony Mann on accordait une attention électrisée par le sentiment d’une tension opaque, d’une passerelle reliant âge classique et modernité.
Ford, on connaissait un peu. Un prof nous avait fait voir projetés
La Chevauchée fantastique et
Les Raisins de la colère, que nous connaissions de toute façon grâce au ciné-club d’Antenne 2 et aux présentations fiévreuses de Claude Jean-Philippe.
Les choses s’agençaient tranquillement et tandis que Fritz Lang, le grand cinéaste allemand de
Metropolis et de
M le Maudit, se révélait être celui qui avait ourdi
Les Contrebandiers de Moonfleet, splendide sortilège stevensonien qui m’avait effrayé à peine quelques années plus tôt, il ne restait plus qu’à identifier les films dont la paternité revenait à Raoul Walsh, cinéaste auquel les ciné-clubs consacraient peu de cycles, finalement, mais dont le nom résonnait en moi comme le ferait un écho.
C’est ainsi que petit à petit, les opus du borgne le plus élégant d’Hollywood, se rappelèrent à mon bon souvenir à la façon des balises jaunes crevant la surface de l’océan dans
Les Dents de la mer.
Deux sources d’émulation coïncidaient: la découverte, au début de la vie d’étudiant, par plusieurs poteaux du même âge de
La Vallée de la peur, immense sommet de l’œuvre, et de
La Fille du désert, et, parallèlement, les mots enflammés du prof évoqué plus haut, devenu un ami, qui claironnait que les plus beaux morceaux de cinéma américain, c’était chez Walsh qu’il les avait trouvés.
Parmi ceux-ci, et toujours d’après mon prof, il y avait la tempête de
L’Esclave libre, la crise de nerfs de James Cagney dans
L’Enfer est à lui (découvert en 80 dans un cycle films noirs), l’extraordinaire séquence de
La Charge fantastique (pas «la chevauchée» hein..) où Erroll Flynn saoule la gueule d’Arthur Kennedy.
Et aussi la scène de la mort du célèbre flibustier dans
Barbe Noire, le Pirate: film RKO mal produit, pas très bien joué (sauf par Robert Newton, grandiose), ni écrit, mais dont je suis complètement amoureux parce que ce Walsh, je l’ai vu petit, un après-midi que j’avais été dispensé d’école, et que, en effet, Barbe-Noire, enterré jusqu’au cou, la tête exposée à la marée haute qui le submerge petit à petit, à en immerger la caméra, alors oui, ça, c’est vraiment du cinéma, éclaboussé par le génie d’un artisan au talent cosmogonique.
Cette séquence indélébile, c’était à Walsh que je la devais.
Il allait y en avoir beaucoup, beaucoup d’autres..
à suivre (toujours)