Je profite de la remontée du topic pour y rajouter quelques-uns de mes avis écrits pour les conseils TV
Un homme est passé (Bad Day at Black Rock, 1955)
Stupéfaction à Black Rock, petite ville perdue au beau milieu du désert californien : pour la première fois depuis quatre ans, l’express de Santa Fe fait une halte. En descend un manchot que personne ne connaît et qui désire rencontrer un certain Komako. Un étrange mutisme l’accueille à ce seul nom ; un secret semble lier tous les habitants qui ne souhaitent qu’une seule chose, que l’étranger retourne chez lui très vite... John Sturges, réalisateur d’un bon nombre de très grands films durant les années 50 (dont ses westerns entre autres), signe ici son œuvre la plus souvent citée par la critique. Sur un scénario millimétré, tendu et resserré au maximum (l’action se déroule en 24 heures), le cinéaste nous offre un mélange de western (pour les décors), de film noir et de suspense parfaitement équilibré, monté au cordeau, superbement filmé (rarement à l’époque le Cinémascope aura été aussi utilisé avec autant de virtuosité) et bénéficiant d’un casting d’enfer. Un Spencer Tracy seul contre tous, parfait malgré son aversion de départ pour le personnage et qui obtiendra le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes, face à une belle brochette de "Bad Guys" interprétés par non moins que le fin du fin en ce qui les concerne : Robert Ryan, Ernest Borgnine, Dean Jagger et Lee Marvin. Rajoutez-y le toujours excellent Walter Brennan et la toujours craquante Anne Francis, laissez-vous flatter l’œil par la magnifique photographie de William C. Mellor, et laissez-vous bercer l’oreille par la puissante partition d’André Prévin. Avec tous ces éléments parfaitement agencés, il va être difficile de résister à ce très beau film sur la lâcheté collective. Une sorte de petit chef-d’œuvre.
****************************************************
Règlements de comtpes à OK Corral (Gunfight at Ok Corral, 1957)
Frontier Marshall d’Allan Dwan,
La Poursuite infernale (My Darling Clementine) de John Ford,
Sept secondes en enfer (Hour of the Gun) de John Sturges,
Tombstone de George Pan Cosmatos,
Wyatt Earp de Lawrence Kasdan : où l’on peut constater que le fait historique constitué par le fameux ‘Gunfight’ a été une grande source d’inspiration pour les réalisateurs de westerns ! Beaucoup d’éléments font même penser que l’iconoclaste et étonnant
Forty Guns de Samuel Fuller ait voulu aussi évoquer la bataille rangée entre les Earp et les Clanton. Wyatt Earp et Doc Holliday furent aussi les personnages principaux d’autres films tels que le superbe
Un Jeu risqué (Wichita) de Jacques Tourneur ou le
Doc Holliday de Frank Perry et firent des apparitions savoureuses dans
Les Cheyennes de John Ford. Autant dire que les amateurs devraient être en terrain connu avec cette histoire mais aussi que les autres ont de grande chance d’apprécier ce western psychologique de prestige et de qualité. John Sturges nous conte dans son film les quelques jours d’attente et de tensions qui ont précédé le fameux règlement de comptes. Il en profite pour nous livrer une belle méditation sur la mort, la puissance de l’argent, la loi et l’amitié (entre deux hommes que tout oppose mais qui se respectent infiniment, Earp, le shérif incorruptible et Holliday, l’aristocrate déchu à la vie dissolue) sur un scénario d’une très grande richesse psychologique écrit par l’auteur d’
Exodus, Leon Uris. Le réalisateur, qui n’en était pas à sa première réussite dans le western, mène tout ça de main de maître avec sa science habituelle du cadrage et sa parfaite direction d’acteurs. Ces derniers sont tous formidables, de Burt Lancaster en passant par John Ireland, Jo Van Fleet, Lee Van Cleef, la belle rousse Rhonda Fleming sans oublier celui qui tire la couverture à lui, l’inoubliable Holliday atteint d’une maladie incurable interprété par un immense Kirk Douglas. L’équipe technique de la Paramount engagée par Hal Wallis fait des merveilles que ce soit au niveau des costumes, des décors, de la chaude photographie brunâtre et la chanson-thème que Dimitri Tiomkin a composée pour l’occasion devient très vite entêtante. Devant l’énorme succès (amplement mérité) remporté par le film, le western retrouva une nouvelle légitimité auprès des non amateurs du genre et les producteurs décidèrent de mettre en chantier plus de westerns à gros budget au détriment de la série B. Le studio décida aussi de mettre en chantier avec la même équipe,
Le Dernier train de Gun Hill qui atteint presque le même niveau de réussite.
Gunfight at OK Corral et son splendide classicisme constitue l’un des plus beaux fleurons qui soit dans le domaine du western.
****************************************************
Le Trésor du pendu (The Law and Jake Wade, 1958)
Wade, ancien hors-la-loi devenu shérif, vient faire échapper de prison Hollister, son ancien coéquipier qui, sans cela, aurait fini au bout d’une corde. Après ça, il retourne dans sa petite ville auprès de sa fiancée espérant y retrouver la tranquillité. En effet, il pense désormais en avoir fini avec ses dettes, Hollister lui ayant aussi auparavant sauvé une fois la vie. Mais ce dernier n’a pas oublié que Wade avait caché le butin d’un de leurs anciens hold-up et espère le lui faire restituer... Tourné dans la filmographie westernienne de John Sturges entre les superbes
Règlements de comptes à OK Corral et
Le Dernier train de Gun Hill,
Le Trésor du pendu ne possède pas la force de ces deux grands films par la faute de personnages pour lesquels nous éprouvons un peu moins d’empathie, que ce soit les protagonistes masculins ou féminins (le rôle que tient Patricia Owens ne servant ici que de faire-valoir) et d’un scénario chargé d’une moindre charge émotionnelle. Ceci étant dit et malgré sa froideur, nous nous trouvons une nouvelle fois devant un western de très grande classe, brillamment mis en scène, photographié et interprété. John Sturges nous confirme sa science de l’espace et du cadrage et n’a décidément pas son pareil pour mettre en boite d’efficaces scènes de batailles ; après celle de
Fort Bravo puis le fameux Gunfight à OK Corral, il nous délivre ici une nouvelle séquence anthologique, celle de l’attaque indienne nocturne dans un village fantôme. Sinon, une intrigue tendue et pleine de suspense dans laquelle évoluent des personnages troubles et ambigus, que ce soit le bad guy, rôle dévolu à un Richard Widmark en grande forme, ou celui interprété par Robert Taylor (tout de noir vêtu comme il l’était déjà dans Le Réfractaire) ; le scénariste William Bowers nous fait rapidement comprendre que ces deux ex-associés ne devaient pas être liés que par l’amitié ce qui rend leurs relations encore plus fortes et complexes. Ajoutez à ça des décors naturels sauvages et grandioses, une très belle partition (étonnamment, le compositeur n’apparaît pas dans le générique) et quelques savoureux seconds rôles comme l’inquiétant Henry Silva ou le "Docteur McCoy" de la série originale de
Star Trek, DeForest Kelley ; tout ces ingrédients parfaitement agencés et vous voilà devant l’un des très bons westerns psychologiques des années 50, ceux que certains ont nommés les "sur-westerns".
****************************************************
Le Dernier train de Gun Hill (Last train From Gun Hill, 1959)
Matt Morgan, shérif de la petite localité de Pawnee, s'est juré de retrouver les deux assassins de sa jeune épouse, une Indienne qui vient d’être violée avant d'être abattue. Son fils, témoin du meurtre, ayant réussi à s'échapper, est revenu sur un cheval appartenant à l'un des coupables. La selle porte la marque d'un vieil ami de Matt, Craig Belden, un gros propriétaire devenu le maître d'une petite ville voisine, Gun Hill. La vérité se fait vite jour : l’un des coupables est le propre fils de Craig qui refuse de le livrer à la justice… Suite au succès colossal et mérité recueilli par le précédent western de Sturges,
Règlement de comptes à OK Corral, Hal Wallis décide de réunir deux ans plus tard à peu près la même équipe gagnante et, si son résultat au box office fut bien moindre, la réussite artistique est de nouveau au rendez-vous.. Un modèle d'écriture (scénario extrêmement tendu et resserré) et de mise en scène (précision des cadrages, topographie superbement appréhendée, séquences urbaines ou de grands espaces tout aussi réussies....) pour une véritable tragédie au casting parfait et utilisant à merveille un budget assez important que l'on sent dans le luxe de détails apportés aux décors et aux costumes. Même Dimitri Tiomkin, compositeur pas toujours d’une finesse immodérée, était dans un de ses très bons jours se préparant à nous sortir son chef d'œuvre musical, celui de
Alamo. Kirk Douglas est extraordinaire dans ce rôle ambigu d’un homme que la vengeance fait devenir limite plus sadique que les meurtriers (voir l’étonnante séquence au cours de laquelle il décrit à son prisonnier l’enfer qu’il va vivre lorsqu’il va être condamné à la pendaison). Une superbe réussite.
****************************************************
Sept secondes en enfer (Hour of the Gun, 1967)
Certainement le meilleur film de John Sturges après sa prestigieuse décennie des années 50.
Hour of the Gun débute là ou finissait
Gunfight at OK Corral mais le ton en est totalement différent. Rythme lent, action dédramatisée pour un western dépressif au scénario plus qu'intéressant sur la politique de l'époque en arrière-fond et sur une vengeance dissimulée sous couvert de la loi, et au cours de laquelle son plus digne et son plus célèbre représentant, Wyatt Earp, la bafoue allègrement. Le très beau score de Jerry Goldsmith accentue le caractère plutôt nostalgique de ce western crépusculaire dans lequel les personnages n'expriment pas leurs sentiments et où l'on note une absence totale de présence féminine. James Garner est impeccable, tout en underplaying et le film comporte son lot de fulgurances sèches comme le "meurtre" de Warshaw par Wyatt Earp ou le duel final entre Earp et Clanton. L'émotion point par en-dessous, s'agissant de l'amitié que l'on sent bien présente entre Earp et Doc Holiday, lui aussi interprété avec talent par Jason Robards. Du classicisme crépusculaire comme avait pu l'être le sublime Coups de feu dans la Sierra de Peckinpah sans que jamais Sturges ne lorgne sur le western italien qui avait beaucoup de succès à l'époque. Une intéressante réussite qui n'atteint cependant pas le niveau de ses cinq westerns des années 50.