Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Tina Quintero
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Tina Quintero »

Wulfa a écrit : 19 avr. 24, 14:10 R.M.N. ... plus j'y pense plus je me dis qu'il s'agit là d'une oeuvre d'importance, au vu du nombres de parallèles que je fais avec lui sur plusieurs sorties récentes.
Excellent film en effet, toujours en tête après 2 ans. Ce n'est pas pour rien qu'il était 3e au classement des sorties 2022 sur ce forum.
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innaperfekt_
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par innaperfekt_ »

J'ai été voir Profession Reporter hier soir, présenté (assez lamentablement) par Dominique Païni en 15 minutes (et retour à Paris direct) qui a cité Le Mal n'existe pas comme étant un chef d'oeuvre très antonionien.
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Alibabass
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Alibabass »

Karras :
Idem (6,5) : A mon avis, un film qui interpelle plus les "urbains".
... WTF ?! là il faut m'expliquer.
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Karras
Howard Hughes
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Karras »

Alibabass a écrit : 20 avr. 24, 17:46 Karras :
Idem (6,5) : A mon avis, un film qui interpelle plus les "urbains".
... WTF ?! là il faut m'expliquer.
Disons que les longues séquences de promenade en foret, ne m'ont pas spécialement "éblouies", comme j'ai pu lire dans certaines critiques. Mais, je comprends que ça peut être une respiration pour certains... Et, au passage, c'est quand même bien moins ambitieux que R.M.N.
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Alibabass
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Alibabass »

Dak ... parce-que parler d'un film qui interpelle plus les "urbains" c'est quand même assez réducteur. C'est le genre de chose que j'ai entendu trop de fois dans le Hip-Hop "oui la musique urbaine" On dirait un Directeur artistique ^^. Sinon, pour info, j'ai, à l'image du film Memoria, plus apprécié les séquences de promenade en foret. Surement du fait que je viens de la campagne. Et que, comme la campagne, le cinéma, quand on enlève les tableaux power point pour plus de rentabilité, est un ilot d'imagination pensé dans la mise en scène. Et donc hors des villes. Et donc, le film.

Dans R.M.N la scène étonnante et sous tension est assez marqué par un esprit d'une Europe qui continue à pourrir par trop de protectionniste. Et elle touche juste. Dans Le Mal n'existe pas, le débat est plus une affaire d'épure de la parole, pour mieux retourner les communicants dans leurs propre hypocrisie. Et ça, pour faire transition avec les "urbains" c'est la déconstruction de "l'urbain". L'urbain crée un espace cliché New-Age. Rien de réel. Du faux ... et c'est même pas le débat du film :uhuh: .
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Lohmann
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Lohmann »

Je ne sais pas quel film est le plus ambitieux, mais ce qui est certain c'est que le Hamaguchi est bien plus maîtrisé. Dans l'épisode de la Gêne occasionnée publié ce matin les deux scènes de discussions publiques dans Le Mal n’existe pas et R.M.N. sont également mises en perspective, et Bégaudeau relève bien les raisons qui font d'Hamaguchi un bien meilleur metteur en scène que Mungiu (qui ne fait jamais dans cette scène que resservir une recette mille fois vue).
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Wulfa
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Wulfa »

Je réponds à ton message Lohmann, mais sans avoir encore écouté l'émission de la Gêne occasionnée.

Il est vrai que de dire que le dernier film d'Hamaguchi serait moins ambitieux que R.M.N. est assez réducteur. Pour préciser ma pensée, je dirais plutôt qu'il est moins dense, et qu'il convoque moins de thématiques sociales et sociétales, développe moins d'embranchements narratifs et de personnages de manière fluide et cohérente. A l'avantage de Le Mal n'existe pas, il y a une dimension parabolique plus intéressante (nature/culture), plus poétique (scènes de nature), qui en fait quand un même un film tout à fait singulier et hautement respectable, posant un nouveau jalon intéressant chez ce cinéaste qui me passionne. Cela dit, la fin ne me paraît pas suffisamment amenée et préparée (même si les indices - ténus - sont bien là), et j'ai eu le même problème avec Drive my car où le surgissement d'une certaine violence m'avait paru, et me paraît toujours, totalement disproportionnée.

Concernant la mise en scène, et comme je l'ai dit précédemment, le film d'Hamaguchi est à mon sens plus "expérimental" et propose donc une certaine singularité qui tranche avec, disons, "l'académisme" du Mungiu (je ne trouve pas d'autres mots et sans doute celui-ci n'est pas le plus approprié - je ne suis pas un spectateur spécialiste). Cependant, et c'est un avis très personnel et tout à fait discutable, je trouve que certaines propositions de mise en scène dans Le Mal n'existe pas, sont maladroites et m'ont un peu sorti du film (la caméra à l'arrière de la voiture notamment, quelques longueurs au début).

En dernier lieu, les deux grandes scènes d'assemblée populaire, celles qui relient le plus R.M.N. et Le Mal n'existe pas (avec leur fin tout aussi étonnante), sont évidemment intéressantes à comparer, mais il faut aussi raison garder et je ne souhaite pas les comparer pour savoir laquelle serait la meilleure des deux (d'autant plus que les termes du débat ne sont pas les mêmes). Hamaguchi est un grand maître du dialogue et du rythme, nous en avons encore la preuve ici. Le film de Mungiu, plus "classique", mise beaucoup sur le plan séquence à caméra fixe (dans mon souvenir un peu lointain maintenant) qui lui permet d'avoir une magnifique composition donnant à voir et à entendre les tumultes du débat et ses impasses, rassemblant dans le même mouvement les enjeux du collectif et de l'individu (on se rappellera que pendant ce débat, les deux personnages principaux rejouent au centre du cadre leur relation empêchée). Finalement, et j'abrège, Hamaguchi me paraît plus sentencieux dans son propos, mais non moins puissant.
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MJ
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par MJ »

Ca me paraît exagéré de parler d'"expérimental", mais j'ai cela dit pensé au Godard de la période numérique* pour le piqué de l'image, le sens de la coupe musciale, le visuel du titre, aussi...
Quel plaisir de voir Hagamuchi mettre son sens de la construction au service d'un film aussi sensoriel, formellement expressif (le premier travelling sur les arbres qui étend en quelque sorte le sentiment que donnait à voir le nuage d'ouverture de Senses)... Quant à l'environnementalisme finalement assez rurbain à sa manière, il a le mérite d'en troubler les lignes avec son intelligence diabolique.

https://eikoishibashi.bandcamp.com/albu ... -not-exist **

EDIT :
* Cc Alibabass
** Jim O'Rourke pas crédité sur Imdb mais au générique de fin (je percute qu'il a aussi contribué à Drive My Car)...
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Lohmann »

Ce que Wulfa appelle de l'expérimentalisme, je le comprends surtout comme une cohérence de mise en scène, qui lui est propre et donc unique (l'inverse de la mise en scène de Mungiu dans la fameuse scène justement). Godard est une influence assumée (il en parle en interview), il parle également de Ford (je n'ai pas lu l'interview dans les Cahiers, mais à ce que l'on m'en a rapporté la première version de Gift était un collage d'extraits de différent films de Ford). Il dit s'en être inspiré en particulier pour sa manière de filmer les paysages, j'y ai surtout pensé pour le rapport Takumi/Hana qui m'a fortement rappelé celui de Fonda/Temple dans Fort Apache.
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Wulfa
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Wulfa »

Oui le mot expérimental n'est pas approprié. Je n'ai pas trouvé mieux sur le moment et je remercie Lohmann d'avoir très bien expliqué ce que je voulais dire.
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Mama Grande!
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Re: Le Mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi - 2024)

Message par Mama Grande! »

Vu hier soir et je n'avais pas été terrassé autant par un film récent depuis un bon moment.

C'est simple, j'ai trouvé que le film se dirigeait lentement vers une beauté cachée et violente, la beauté de la nature sauvage qui nous attrape pour nous dominer. J'ai été d'autant plus surpris que je n'ai pas eu l'impression d'assister à un film d'esthète: les plans ne sont pas léchés, la photo est plutôt naturaliste, et si la lumière automnale est belle par elle-même, je n'ai pas vu les clair-obscurs et éclairages artificiels qui font souvent la marque de l'esthète.
Puis au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans la forêt et que celle-ci se fait trouble, menaçante, elle se fait de plus en plus belle. C'est quand on vient troubler son ordre et qu'elle se manifeste, dans sa colère et sa violence, et nous paralyse en nous éblouissant. Le plan sur la Tokyoïte seule sur le seuil de la maison, dans la lumière du soir, qui écoute l'annonce de la disparition de la gamine, m'a laissé sans voix. Il m'a rappelé la beauté simple du soleil qui après la pluie éclaire un Tatar dans Andrei Roublev, qui s'impose avec évidence et souveraineté là où d'autres se "contentent" de la recréer. Ainsi il nous amène vers ce final ouvert, désarçonnant (quelques rires nerveux dans la salle lors du générique), et qui laisse une plaie ouverte.

Hamaguchi est un grand cinéaste. Toujours cinéaste du verbe (ici aussi, les scènes de dialogue sont fantastiques), il montre qu'il peut capturer le langage pré-humain, le langage des éléments, que les urbains ignorent. Takumi m'a un peu fait penser au Dersou Ouzala de Kurosawa, même si moins sympathique, plus bourru. S'exprimant dans un langage direct et sans les détours si chers à la langue japonaise, il est ce passeur qui décide qui est digne d'habiter la nature ou pas, et qui tient à l'écart ceux qui troubleront son équilibre, quand bien même ils tenteraient dans des tentatives attachantes comme Takahashi de se remettre en cause (splendide scène de la hache). Il n'est pas le Mal, il est la Force vitale, qui permet à l'eau de s'écouler et aux plantes de pousser. Sur un thème voisin, on pense aussi au récent As Bestas de Sorogoyen, même si le traitement est complètement différent.

Le Mal n'existe pas est un film déconcertant par moments, qui ne fera clairement pas l'unanimité (je peux déjà le voir sur les avis du forum), mais pour ma part, même si j'attends de voir son impact sur la durée, c'est de ces films qui me rappellent pourquoi j'aime le cinéma.

PS: j'ai cherché sur Google et le glamping existe vraiment :lol: ça ne m'étonne qu'à moitié, mais comme quoi, la réalité est déjà tellement caricaturale qu'on a plus besoin d'imaginer grand chose.
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