En gros Kaganski accusait le film d'être lepéniste avec sa vision proprette et passéiste d'une France de carte postale notamment sans immigrés. L'article est toujours lisible ici et pour un paragraphe signifiant:
Kaganski modérera son propos en déplorant notamment la passerelle vers Le Pen* mais assumera le reste. A l'époque j'avais (comme beaucoup) énormément aimé le film et avais vu dans l'article la tentative d'un scribouillard de se faire de la pub aux frais du succès du moment, aujourd'hui j'en suis (comme beaucoup?) un peu revenu et avec 20 ans de recul je me dis que la pensée se tient. Je développe:Jeunet se contente de filmer le peuple à ras de cliché, parce que c'est joli, rigolo, sympa et pittoresque. Avant d'être un film populaire, Amélie Poulain est surtout un grand film populiste. C'est tellement vrai et frappé du sceau de l'évidence que ça n'a pas échappé à nos hommes politiques de tous bords, surtout aux deux futurs candidats présidentiels qui n'ont pas loupé l'occasion de s'accrocher aux branches du succès du film. (…) Si le démagogue de La Trinité-sur-Mer [Jean-Marie Le Pen] cherchait un clip pour illustrer ses discours, promouvoir sa vision du peuple et son idée de la France, il me semble qu'Amélie Poulain serait le candidat idéal."
Il est certain que je ne prête à Jeunet aucune intention douteuse ou discours proactif, mais je pense que le succès du film en France et en particulier à l'étranger tient effectivement à l'image passéiste et fantasmatique d'une France insouciante et délestée de ses problèmes contemporains, choc pétrolier, chômage endémique, malaise des banlieues, communautarisme, ensauvagement, etc. Bien involontairement Amélie Poulain a donné naissance à ce que j'appelle la vieilleFranceploitation, films voulus comme légers et primesautiers d'une France pré mai 68, celle des Choristes, du Petit Nicolas, des 2 Guerres des boutons, de La môme, de Jean Becker, Sylvain Chomette, des propres films ultérieurs de Jeunet et même de certains projet musicaux tel Patrick Bruel et ses reprises de chansons de l'entre deux guerres.
Parallèlement à ça nous avons vu l'essor de la banlieuesploitation notamment portée par Jamel Debbouze et Luc Besson (sans doute infoutu de mettre Sarcelles sur une carte mais qui a senti le bon filon en producteur avisé qu'il fut), et les deux tendances a priori antinomiques convergeront littéralement avec le carton d'Intouchables et de ses succédanés, ou comment le plus souvent un bourgeois joué par un acteur ou actrice installé (Deneuve, Auteuil, Cluzet, Podalydès) rencontre un jeune de banlieue (joué par un profil frais -comédien ou rappeur- issu des minorités visibles, Omar Sy, Nekfeu, Camelia Jordana), et chacun s'enrichit de l'autre parce qu'au delà de nos différences nous sommes tous français.
Amélie Poulain est un (assez?) bon film qui ne roule pour personne, mais il a sans doute et contre toute attente été le révélateur d'un malaise encore latent dans la société française, qui explosera notamment avec le choc du 21 avril 2002. Tout est politique, même quand on ne fait pas de politique.
* Qu'il qualifie de politicien oublié ici. Ironiquement Le Pen passera au second tour un an plus tard...