La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2023)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Alexandre Angel
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Alexandre Angel »

Je suis pour le film.
Le côté "installation", ou plutôt ce que j'imaginais, suscitait en moi quelque appréhension et finalement, c'est le côté "installation", justement, qui m'a séduit car j'ai eu le sentiment d'une vérité esthétique, à mille lieues de toute supercherie, de toute manipulation, de toute fausseté.
De la musique sérielle et incantatoire de Mica Levi aux effets d'étrangeté qui m'ont fait songer à Skolimowski en passant par la minutieuse restitution des looks(les photos d'archives ont du être scrutées à la loupe), c'est toute une liturgie plastique habitée par son sujet, en amont et en aval des faits, que Glazer convoque. Par exemple, je trouve qu'il y a quelque chose d'Otto Dix dans l'expressionnisme blafard des personnages.
Et Sandra Hüller est géniale dans sa façon de se déplacer disgracieusement.
En fait, Jonathan Glazer a opté pour une esthétisation digne, de la même dignité dont se parent le Mémorial de la Déportation ou le Musée d'Auschwitz. En ces lieux, il n'y a pas de travelling de Kapo.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Barry Egan
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Barry Egan »

Le propos est fort, mais cinématographiquement, esthétiquement, je trouve "Le Triomphe de la Volonté" bien plus puissant. Tu montres ce film de Glazer à un gamin en espérant qu'il va se poser des questions, dont les réponses seront assurément horribles, il va s'endormir au bout de dix minutes, alors qu'une dose de "La vie est belle" l'intriguera peut-être un peu plus. Je pense que sur de tels sujets, l'optique populaire à la Benigni/Spielberg fait plus pour le devoir de mémoire qu'une abstraction telle que celle-ci, certes très belle mais inefficace du point de vue pédagogique car elle nécessite un savoir avant de rentrer dans la salle. Là où Glazer fait fort par contre, c'est qu'il arrive à effacer tout le glamour de l'imagerie nazie, très séduisante avec ses belles croix gammées, son luxe, ses costumes. Même cette vie de rêve dans la villa elle semble puer bien fort avec toutes ces cheminées qui crachent de la grisaille autour. C'est un peu ça aussi quand on habite dans des patelins pollués à mort, encerclés d'autoroutes et d'usines...

(Ah et pour en revenir à la conversation du dessus sur capitalisme et totalitarisme, un peu d'étymologie permet de remettre les pendules à l'heure : "capital" = "cheptel" = "têtes de bétail", qu'on aime à compter ; le terme de capital désigne désormais l'argent accumulé, épargné, et cet argent permet d'acheter... tout ; le monde actuel qui cherche toujours à augmenter la masse d'argent accumulée est donc un monde totalitaire, mais ce n'est pas la faute au bétail, qui veut juste brouter tranquille. On prend trop de place sur cette planète.)
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G.T.O
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par G.T.O »

Barry Egan a écrit : 15 févr. 24, 21:21 Le propos est fort, mais cinématographiquement, esthétiquement, je trouve "Le Triomphe de la Volonté" bien plus puissant. Tu montres ce film de Glazer à un gamin en espérant qu'il va se poser des questions, dont les réponses seront assurément horribles, il va s'endormir au bout de dix minutes, alors qu'une dose de "La vie est belle" l'intriguera peut-être un peu plus. Je pense que sur de tels sujets, l'optique populaire à la Benigni/Spielberg fait plus pour le devoir de mémoire qu'une abstraction telle que celle-ci, certes très belle mais inefficace du point de vue pédagogique car elle nécessite un savoir avant de rentrer dans la salle. Là où Glazer fait fort par contre, c'est qu'il arrive à effacer tout le glamour de l'imagerie nazie, très séduisante avec ses belles croix gammées, son luxe, ses costumes. Même cette vie de rêve dans la villa elle semble puer bien fort avec toutes ces cheminées qui crachent de la grisaille autour. C'est un peu ça aussi quand on habite dans des patelins pollués à mort, encerclés d'autoroutes et d'usines...

(Ah et pour en revenir à la conversation du dessus sur capitalisme et totalitarisme, un peu d'étymologie permet de remettre les pendules à l'heure : "capital" = "cheptel" = "têtes de bétail", qu'on aime à compter ; le terme de capital désigne désormais l'argent accumulé, épargné, et cet argent permet d'acheter... tout ; le monde actuel qui cherche toujours à augmenter la masse d'argent accumulée est donc un monde totalitaire, mais ce n'est pas la faute au bétail, qui veut juste brouter tranquille. On prend trop de place sur cette planète.)
Je ne sais pas si il s'agit d'une faiblesse pédagogique de la part de Glazer à oeuvrer, comme tu dis, dans "l'abstraction". A contrario, on peut trouver plus fort, évocateur, émotionnel l'approche de Glazer que ces fictions populaires qui placent d'emblée, par l'émotion visée, le spectateur dans un sorte de confort émotionnel plus familier et donc infidèle, au regard de l'évènement. Là, où Glazer propose de faire l'expérience "alien" de l'étrangeté absolue, à la nature dérangeante d'un quotidien à la fois reconnaissable et scandaleux, sur lequel le spectateur à la curiosité piquée peut aller enquêter.
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Coxwell
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Coxwell »

Quel est le véritable inconfort dans le film de glazer ? Être heurté, choqué par la normalité de la vie nazie dépeinte sans aucune anomalie, sorte de sous Jeanne Dilmann chez les Höss vivant à côté de la Cité des électriciens de Bruay la Buissière ? Après avoir entendu 5 aboiement de chiens, deux cheminées de train et 3 cris de héron et/ou humains ? L’absence de réelle tension et dialectique entre les deux espaces empêche de faire dérailler le train (sic), la conscience du problème, car le problème du “à côté”, le camp de la mort, est véritablement mal travaillé, une cité industrielle un peu plus que “Auschwitz III Morowitz” et pas assez “Auschwitz I ou II”. Le réalisateur a tellement peur d’être taxé de symbolisme appuyé qu’il ne sait pas comment faire dialoguer la tension autrement qu’à travers 5 sons et détails de plan différents sur 1h45 de film.
Il y a mon sens, une faiblesse cinématographique, et le final de l’escalier est à mon sens une maladresse de quelqu’un qui ne sait pas exactement ce qu’il souhaite démontrer par ce film, et surtout pas comment le faire, le raccrocher péniblement avec une lecture post-moderne (et très art contemporain) du mal d’hier et d’aujourd’hui.
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Watkinssien
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Watkinssien »

Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:04 Quel est le véritable inconfort dans le film de glazer ?
Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
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Spongebob
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Spongebob »

Watkinssien a écrit : 16 févr. 24, 11:36
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:04 Quel est le véritable inconfort dans le film de glazer ?
Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
Et je pense que c'était exactement le but visé par Glazer. A ce niveau là je trouve que la réussite est totale.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Wulfa »

Barry Egan a écrit : 15 févr. 24, 21:21 Tu montres ce film de Glazer à un gamin en espérant qu'il va se poser des questions, dont les réponses seront assurément horribles, il va s'endormir au bout de dix minutes, alors qu'une dose de "La vie est belle" l'intriguera peut-être un peu plus. Je pense que sur de tels sujets, l'optique populaire à la Benigni/Spielberg fait plus pour le devoir de mémoire qu'une abstraction telle que celle-ci, certes très belle mais inefficace du point de vue pédagogique car elle nécessite un savoir avant de rentrer dans la salle.
Tous les films sur la Shoah n'ont pas besoin d'avoir une vocation pédagogique englobante, à mon humble avis, de la même manière que tous les films ne sont pas faits pour tous les publics. En revanche, il paraît indispensable de développer une certaine éthique par rapport à ce que l'on choisit de montrer. L'éthique de Glazer peut être discutée d'ailleurs, mais elle a le mérite d'être cohérente, pudique je dirais également, et de renouveler le "genre" en faisant des ponts avec nos questionnements contemporains. En tout cas, il me paraît assez inconcevable de montrer en premier lieu le film de Glazer à des adolescents pour leur enseigner les horreurs de cette époque de l'Histoire. Le film propose plutôt une autre perspective, un complément à des oeuvres sans doute plus grandes, plus édifiantes, que lui, en exceptant le film de Benigni.
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Coxwell
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Coxwell »

Watkinssien a écrit : 16 févr. 24, 11:36
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:04 Quel est le véritable inconfort dans le film de glazer ?
Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
Le film part du principe que l'oubli de la réalité du camp permettrait d'être choqué par l'attention sur le quotidien de cette famille. Mais le spectateur peut-il être étonné, choqué que la famille de Höss vivent dans ses conditions, dans cet espace physique et mental alternatif (où l'idéologie a nourri tous les dignitaires nazis du bonheur régressif étendu dans le Lebensraum à l'Est), une famille qui ne peut être altérée par cette "autre réalité" qu'on ne voit pas ?
Si ce n'est pas le cas, on assiste donc à un tunnel lisse de représentation qui n'est jamais altéré par un dispositif de cinéma sur cet "ailleurs". Que cela fasse 30mn ou 1h45 ne change dès lors, plus grand chose à la proposition. D'ailleurs l'escalier final et le toussotement constituent le grain de sable maladroitement inséré dans une mécanique cinématographique très statique.
Dernière modification par Coxwell le 16 févr. 24, 12:15, modifié 3 fois.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Coxwell »

Barry Egan a écrit : 15 févr. 24, 21:21
(Ah et pour en revenir à la conversation du dessus sur capitalisme et totalitarisme, un peu d'étymologie permet de remettre les pendules à l'heure : "capital" = "cheptel" = "têtes de bétail", qu'on aime à compter ; le terme de capital désigne désormais l'argent accumulé, épargné, et cet argent permet d'acheter... tout ; le monde actuel qui cherche toujours à augmenter la masse d'argent accumulée est donc un monde totalitaire, mais ce n'est pas la faute au bétail, qui veut juste brouter tranquille. On prend trop de place sur cette planète.)
"Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde" disait Camus.
Evitons d'utiliser des concepts comme celui de "totalitaire", de le galvauder par un usage inapproprié, d'affaiblir la réalité de certaines époques, de la mécanique de fonctionnement en même temps que la finalité des projets associés.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par nunu »

Spongebob a écrit : 16 févr. 24, 11:38
Watkinssien a écrit : 16 févr. 24, 11:36

Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
Et je pense que c'était exactement le but visé par Glazer. A ce niveau là je trouve que la réussite est totale.
Perso j'ai trouvé cette famille très sympathique, dans sa grande maison avec son grand jardin (et des grands couloirs par contre :D ), qui reçoit sa famille comme n'importe qui d'autre, le père qui passe la petite barrière et qui se rend a son travail juste a coté, comme ses employés qui peuvent vivre sur leur lieu de travail. Et puis la rivière pas loin, endroit très bucolique. non c'est la famille idéale.
« Quand des hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par tenia »

Wulfa a écrit : 16 févr. 24, 11:43En tout cas, il me paraît assez inconcevable de montrer en premier lieu le film de Glazer à des adolescents pour leur enseigner les horreurs de cette époque de l'Histoire.
C'est ce que j'allais répondre : a priori, pour commencer, ça me semble tout simplement pas forcément un film à montrer à "un gamin" comme ça. Le film est clairement basé sur le fait que le spectateur sait de quoi on parle, où se situe, ce qui se joue derrière le mur, ce que les sons entendus signifient. On ne peut pas y aller à froid, sans savoir justement ce dont il retourne et que Glazer a choisi de ne pas montrer frontalement. Ce serait aller à l'envers que de montrer le film de Glazer et supposer que "le gamin" comblera le reste tout seul, alors que non.
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:04Être heurté, choqué par la normalité de la vie nazie dépeinte sans aucune anomalie, sorte de sous Jeanne Dilmann chez les Höss vivant à côté de la Cité des électriciens de Bruay la Buissière ?
La vie banale, juste à côté de l'horreur, de ceux la permettant et la perpétuant.
Et comme discuté plus tôt dans le topic et qui semble ici y faire référence : je ne comprends pas la référence à Jeanne Dilmann sauf à vouloir signifier un film s'inscrivant dans la volonté consciente de l'ennui, de la répétition, et ce dans le temps long avec une intrigue quasi inexistante. Or, ce n'est pas le cas de La zone d'intérêt, un film qui a une intrigue plus conséquente que ça, des évènements bien plus clairs aussi, qui suivent notamment l'évolution du parcours de Rudolf, et ne s'inscrit absolument pas dans "l'ennui volontaire".
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:04le final de l’escalier est à mon sens une maladresse de quelqu’un qui ne sait pas exactement ce qu’il souhaite démontrer par ce film, et surtout pas comment le faire, le raccrocher péniblement avec une lecture post-moderne (et très art contemporain) du mal d’hier et d’aujourd’hui.
(Curieux de savoir ce qui signifie la remarque "très art contemporain" mais bref) Je crois que Glazer sait pertinemment le propos qu'il met dans son film, en tout cas ça me parait assez présomptueux de se dire que non, c'est juste qu'il ne "sait pas exactement ce qu’il souhaite démontrer par ce film, et surtout pas comment le faire" à travers ce final, alors qu'il a été assez largement discuté et expliqué de façon assez cohérente avec le reste du film.
Et il est tout aussi clair que si on estime que le film fait le lien entre "le mal d'hier et d'aujourd'hui", alors il le fait dans son ensemble et non uniquement par cette scène (et c'est tout le film qui serait de l'ordre de "le monde tourne pendant que la souffrance se joue à nos portes - valable en 43 comme en 2023").
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:51choqué par l'attention sur le quotidien de cette famille
Ce n'est pas l'attention sur le quotidien qui choque : c'est ce quotidien en lui-même.
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:51 D'ailleurs l'escalier final et le toussotement constituent le grain de sable maladroitement inséré dans une mécanique cinématographique très statique.
Je comprends pas en quoi l'insertion serait "maladroite".
Dernière modification par tenia le 16 févr. 24, 16:24, modifié 2 fois.
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Coxwell
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Coxwell »

J’ai argumenté au dessus sur l’absence de réalité ou presque du camp - de la mort. Par conséquent, la famille Höss ne provoque rien de particulièrement surprenant, considérant ce que j’ai déjà évoqué au dessus.
Quant au toussotement du passé qui ne passe pas, l’Histoire restée silencieuse, plan de coupe sur le Auschwitz silencieux contemporain je trouve cela au mieux maladroit, au pire, grossier.
Je pourrais le défendre en disant que maladroitement il fait le lien sur l’hygiénisme et son héritage. La maison, le couloir à Orianenburg et Auschwitz nettoyé aujourd’hui, la transcendance de l’hygiène faite politique. :arrow:
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Message par tenia »

Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 16:12J’ai argumenté au dessus sur l’absence de réalité ou presque du camp - de la mort. Par conséquent, la famille Höss ne provoque rien de particulièrement surprenant, considérant ce que j’ai déjà évoqué au dessus.
Qui reviendrait finalement au discours de Leherpeur, qui semble prendre les spectateurs pour des gros cons incapables de se souvenir de ce qu'ils ont appris à l'école et de ce qui se jouait derrière le mur.

Perso, tout le film m'a paru puer la mort, les bruits de mort, les lumières de mort, les cheminées de la mort, les idées de la mort, la fumée des trains de la mort, le mur du camp de la mort, la rivière polluée par la mort échappée du camp, le directeur du camp qui passe des réunions à discuter comment cramer un max de gens, et puis qui explique au téléphone à sa femme qu'il rêve de comment gazer un max de gens, de cette petite fille qui se faufile la nuit pour planquer des pommes pour des prisonniers qui seront tués pour s'être battus pour ces pommes.

Parce que (revenons à la simplicité à nouveau) si le spectateur n'est pas capable de se souvenir de tout cela, d'intégrer tout cela : de quoi parle le film ? Qu'est venu voir le spectateur ? On est où, quand, c'est qui ces gens ? C'est la petite maison dans la prairie mais juste avec des protagonistes plus aigris ? Non, ce sont des nazis dont le mari est à la tête d'Auschwitz, où un génocide a eu lieu. Elle est là, la mort, et c'est ça, le couple Höss.
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 16:12Quant au toussotement du passé qui ne passe pas, l’Histoire restée silencieuse, plan de coupe sur le Auschwitz silencieux contemporain je trouve cela au mieux maladroit, au pire, grossier. Je pourrais le défendre en disant que maladroitement il fait le lien sur l’hygiénisme et son héritage. La maison, le couloir à Orianenburg et Auschwitz nettoyé aujourd’hui, la transcendance de l’hygiène faite politique. :arrow:
Ou bien le final n'est pas là dessus mais plutôt, comme discuté ailleurs, sur la remontée partielle et finalement vaine de la conscience de Rudolf, qui se retrouve à deux doigts de "vomir le mal", et finalement non, il reprend ensuite comme si de rien n'était, alors qu'il vient de se voir apparaître que ce sont, au final, les gens qu'il essaie d'effacer qui seront au coeur des musées, et non lui, son idéologie, son régime, et ce qui a été structuré avec tout ça, mais qu'au final, les petites mains de la maison des bons petits soldats du régime génocidaire ont été remplacées par les petites mains du souvenir des victimes de l'horreur. Même petit personnel, mais au service d'une autre cause, l'usage personnel contre le souvenir collectif.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Barry Egan »

Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:56
Barry Egan a écrit : 15 févr. 24, 21:21
(Ah et pour en revenir à la conversation du dessus sur capitalisme et totalitarisme, un peu d'étymologie permet de remettre les pendules à l'heure : "capital" = "cheptel" = "têtes de bétail", qu'on aime à compter ; le terme de capital désigne désormais l'argent accumulé, épargné, et cet argent permet d'acheter... tout ; le monde actuel qui cherche toujours à augmenter la masse d'argent accumulée est donc un monde totalitaire, mais ce n'est pas la faute au bétail, qui veut juste brouter tranquille. On prend trop de place sur cette planète.)
"Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde" disait Camus.
Evitons d'utiliser des concepts comme celui de "totalitaire", de le galvauder par un usage inapproprié, d'affaiblir la réalité de certaines époques, de la mécanique de fonctionnement en même temps que la finalité des projets associés.
J'utilise les mots dans le sens que je souhaite, et si je peux, j'essaie même d'en inventer. C'est pas comme si on était figés, bon sang !
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Message par Alexandre Angel »

tenia a écrit : 16 févr. 24, 16:26 Ou bien le final n'est pas là dessus mais plutôt, comme discuté ailleurs, sur la remontée partielle et finalement vaine de la conscience de Rudolf, qui se retrouve à deux doigts de "vomir le mal", et finalement non, il reprend ensuite comme si de rien n'était, alors qu'il vient de se voir apparaître que ce sont, au final, les gens qu'il essaie d'effacer qui seront au coeur des musées, et non lui, son idéologie, son régime, et ce qui a été structuré avec tout ça, mais qu'au final, les petites mains de la maison des bons petits soldats du régime génocidaire ont été remplacées par les petites mains du souvenir des victimes de l'horreur. Même petit personnel, mais au service d'une autre cause, l'usage personnel contre le souvenir collectif.
C'est très important de replacer tout cela dans le contexte de ce qui vient de se décider et qui n'a pas été beaucoup commenté ici, à savoir une Shoah dans la Shoah : la décision épouvantable de déporter 700 000 juifs hongrois alors que dans quatre mois, l'Allemagne perd la guerre.
Sur ces 700 000 juifs de Hongrie, très peu en reviendront. On ose pas imaginer l'horreur absolue de ce qu'ont du être ces quelque 4 mois de déportation et d'assassinats, à un rythme industriel, avec une énergie que les Nazis ne mobilisaient même plus face à la contre-offensive russe.

C'est au sortir de cette réunion que Höss dégueule.
tenia a écrit : 16 févr. 24, 16:26 Perso, tout le film m'a paru puer la mort, les bruits de mort, les lumières de mort, les cheminées de la mort, les idées de la mort, la fumée des trains de la mort, le mur du camp de la mort, la rivière polluée par la mort échappée du camp
Jusque dans la blancheur cadavérique, saisissante, de la peau de Höss (qui m'a paru un poil trop jeune).

Très en phase avec ton analyse.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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