La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2023)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Barry Egan
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Barry Egan »

Watkinssien a écrit : 16 févr. 24, 11:36
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:04 Quel est le véritable inconfort dans le film de glazer ?
Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
Oui et d'ailleurs on pourrait faire le même film en changeant un peu la bande-son pour lui faire suggérer que la famille a ce magnifique pavillon juste à côté d'un aéroport dont elle doit supporter les nuisances à longueur de journée. Ces gens-là seraient horribles quand même, la femme avec son antisémitisme frontal et le mari agresseur sexuel, femme et mari qui par ailleurs s'occupent fort bien de leurs enfants (qui se font des misères entre eux) et de leur mère (qui part sans qu'on en sache la raison - elle devait en avoir marre de la cacophonie des avions).
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Barry Egan »

Spongebob a écrit : 16 févr. 24, 11:38
Watkinssien a écrit : 16 févr. 24, 11:36

Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
Et je pense que c'était exactement le but visé par Glazer. A ce niveau là je trouve que la réussite est totale.
Le problème, c'est qu'il ne s'exprime pas sur ce qu'il a souhaité faire. En conséquence, toutes les analyses se valent.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Barry Egan »

Alexandre Angel a écrit : 16 févr. 24, 16:48
tenia a écrit : 16 févr. 24, 16:26 Perso, tout le film m'a paru puer la mort, les bruits de mort, les lumières de mort, les cheminées de la mort, les idées de la mort, la fumée des trains de la mort, le mur du camp de la mort, la rivière polluée par la mort échappée du camp
Jusque dans la blancheur cadavérique, saisissante, de la peau de Höss (qui m'a paru un poil trop jeune)
D'accord sur la jeunesse de l'acteur qui incarne Höss. Par contre, je n'ai pas vu une blancheur cadavérique, mais plutôt une pâleur de sa peau. Et la peau pâle je trouve ça en général très joli, surtout chez les filles. Quand on associe ça avec sa coupe de cheveux, on a l'impression de voir un jeune punk emo/goth avec un costume SS.

Les cheminées sont très froides, stériles. La nuit, lorsqu'elles fonctionnent encore et empêchent les gens de dormir en émettant leurs flammes, ce sont encore des flammes froides, qui empêchent l'apaisement chaleureux de l'obscurité de s'installer pour que le sommeil ait lieu. C'est une mort par suractivité.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par nunu »

Barry Egan a écrit : 16 févr. 24, 17:02
Alexandre Angel a écrit : 16 févr. 24, 16:48 Jusque dans la blancheur cadavérique, saisissante, de la peau de Höss (qui m'a paru un poil trop jeune)
D'accord sur la jeunesse de l'acteur qui incarne Höss. P
Pourtant il a le même age que Hoss ou quasiment. L'acteur est né en 1979. Hoss était de 1901 don en 1943 il avait 42 ans
« Quand des hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
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Alexandre Angel
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Alexandre Angel »

nunu a écrit : 16 févr. 24, 17:20
Barry Egan a écrit : 16 févr. 24, 17:02

D'accord sur la jeunesse de l'acteur qui incarne Höss. P
Pourtant il a le même age que Hoss ou quasiment. L'acteur est né en 1979. Hoss était de 1901 don en 1943 il avait 42 ans
Oui c'est vrai mais c'est encore une époque où on fait "vieux" à 40 ans.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par AtCloseRange »

Barry Egan a écrit : 16 févr. 24, 16:52
Watkinssien a écrit : 16 févr. 24, 11:36

Cela dépend des spectateurs, je suppose. Pour ma part, c'est de me rendre compte que je me suis permis "d'oublier" les horreurs hors champs parce que je me focalisais sur les errements quotidiens de cette famille. Grosse réception artistique, du coup.
Oui et d'ailleurs on pourrait faire le même film en changeant un peu la bande-son pour lui faire suggérer que la famille a ce magnifique pavillon juste à côté d'un aéroport dont elle doit supporter les nuisances à longueur de journée. Ces gens-là seraient horribles quand même, la femme avec son antisémitisme frontal et le mari agresseur sexuel, femme et mari qui par ailleurs s'occupent fort bien de leurs enfants (qui se font des misères entre eux) et de leur mère (qui part sans qu'on en sache la raison - elle devait en avoir marre de la cacophonie des avions).
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par vic »

Mazette, déjà 10 pages !
Vu aujourd'hui, donc un peu en vrac (je n'ai pu lu les autres commentaires, désolé pour d'éventuelles redites) : sans trop en dévoiler, en se concentrant sur la première partie, on se demande quel tempo va adopter Glazer, tout ça semble bien trop paisible (un peu habitué en ce moment à des trucs plus vifs : Sirk par exemple). Ca serait oublié la singularité du cinéaste : le sound design très rèussi, comme toujours, contribue grandement à la sidération qui nous gagne rapidement et conjugné à la rigueur documentaire de la mise en scène nous asséne le plus beau festival d'obscènité vu depuis longtemps, disons au mois les 70's et LA PEAU de Cavani. Sauf qu'ici, en apparence aucune rage ou révolte ; en cette époque post-moderne, il adopte un regard dépassionné bienvenu laissant les faits parler d'eux-même et aux spectateurs de faire le boulot émotionel et moral, surement en fonction de son rapport ou de sa proximité à la Shoah. Ici, jamais de gros plans, tout est question de (bonne) distance. Un film pour les amoureux de Jeanne Dielman. Et j'imagine que ce travail sur le hors-champs et le chapitrage rythmé par les trompettes du jugement dernier (un peu too much pour moi, mais je lui pardonne facilement) qui a du enthousiasmer l'ami GTO, il faut creuser sous cette belle chronique d'une famille presque parfaite ; amener vos pelles et vos pioches, c'est littéralement un film de pilleur de tombe (désolé pour l'humour macabre). On en est pentois, à attendre la chute inévitable qui ne viendra jamais. La légendaire rigueur organisationnelle allemande n'a rien d'une blague (j'en oublie que c'est une fiction et pas réellement un doc) et à la sortie de la salle, après la musique d'apocalypse du générique, on regarde le monde qui nous entoure autrement.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par vic »

vu sur wikipedia :

"My granddad played violin, so I think I thought there was prestige in it. [...] He escaped from prison with his violin in the Second World War. He was a German Jew, and he was arrested, but he escaped and hid out on a farm nearby. He decided the best time to ski across to neutral territory would be New Year’s Eve, because the guards would be drunk. But he left his violin at the farm, and years later he went back to get it. [...] I think I had a certain amount of obsession with it as a child."

– Levi about music and their family history



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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par vic »

TheGentlemanBat a écrit : 5 févr. 24, 22:54 Focus sur le travail d'orfèvre sonore en compagnie de Glazer (qui revient sur la genèse du projet), du sound designer Johnnie Burn et du producteur James Wilson.



Et j'ajoute cet article très intéressant qui donne la parole à un spécialiste du nazisme.

https://www.troiscouleurs.fr/article/in ... -d-interet
"...out of sight not out of mind", indeed.
Bravo Johnnie Burn !
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Coxwell »

tenia a écrit : 16 févr. 24, 16:26
Qui reviendrait finalement au discours de Leherpeur, qui semble prendre les spectateurs pour des gros cons incapables de se souvenir de ce qu'ils ont appris à l'école et de ce qui se jouait derrière le mur.

Perso, tout le film m'a paru puer la mort, les bruits de mort, les lumières de mort, les cheminées de la mort, les idées de la mort, la fumée des trains de la mort, le mur du camp de la mort, la rivière polluée par la mort échappée du camp, le directeur du camp qui passe des réunions à discuter comment cramer un max de gens, et puis qui explique au téléphone à sa femme qu'il rêve de comment gazer un max de gens, de cette petite fille qui se faufile la nuit pour planquer des pommes pour des prisonniers qui seront tués pour s'être battus pour ces pommes.

Parce que (revenons à la simplicité à nouveau) si le spectateur n'est pas capable de se souvenir de tout cela, d'intégrer tout cela : de quoi parle le film ? Qu'est venu voir le spectateur ? On est où, quand, c'est qui ces gens ? C'est la petite maison dans la prairie mais juste avec des protagonistes plus aigris ? Non, ce sont des nazis dont le mari est à la tête d'Auschwitz, où un génocide a eu lieu. Elle est là, la mort, et c'est ça, le couple Höss.

Ou bien le final n'est pas là dessus mais plutôt, comme discuté ailleurs, sur la remontée partielle et finalement vaine de la conscience de Rudolf, qui se retrouve à deux doigts de "vomir le mal", et finalement non, il reprend ensuite comme si de rien n'était, alors qu'il vient de se voir apparaître que ce sont, au final, les gens qu'il essaie d'effacer qui seront au coeur des musées, et non lui, son idéologie, son régime, et ce qui a été structuré avec tout ça, mais qu'au final, les petites mains de la maison des bons petits soldats du régime génocidaire ont été remplacées par les petites mains du souvenir des victimes de l'horreur. Même petit personnel, mais au service d'une autre cause, l'usage personnel contre le souvenir collectif.
Je rappelle qu'une critique n'est jamais rien d'autre que son appréciation personnelle, qui convoque son bagage intellectuel, et son package affectif. Il n'est pas question de projeter ce que serait le spectateur A ou B, et de ce qu'il faudrait faire pour plaire à une majorité. J'évoque les critiques me concernant et les faiblesses cinématographiques. Pas ce que le film devrait être pour les autres. Je n'ai pas lu ce qu'a écrit Leherpeur (je ne sais même pas qui est ce journaliste, et comme je ne lis quasiment jamais les critiques professionnelles...).

Ceci étant dit, la simple présentation et l'accumulation descriptive de la famille Höss ne peut pas me provoquer de l'effroi de par son sujet. Je ne suis pas étonné de ce qui est présenté, et la glace autour de la peinture sociale et politique de cette famille est complètement attendue, convenue quand on connaît le sujet. Par conséquent, la tension est pour moi, dépendante de l'articulation avec l'autre espace. La dialectique entre les deux espaces, et à mon sens, l'espace alternatif, l'altérité au delà du mur dialogue peu ou pas pour me permettre de créer une tension - de cinéma - sur le long terme (je l'ai précisé plus haut dans cette discussion). Les 20 premières minutes créent l'anomalie essentiellement sonore, ensuite, plus rien ou presque ne provoquera - cinématographiquement - un "accident", que ce soit dans l'écriture ou la mise en scène permettant de susciter l'attention, l'étonnement. Le dispositif est pris dans son propre piège passé les 20-30 minutes. Le tunnel de glace s'installe, le train ne déraillera plus sur le plan de la mise en scène. La glace remplace la tension (qui implique des variations plus ou moins fortes dans l'écriture ou le dispositif mise en scénique - je rappelle que c'est du cinéma, pas un documentaire didactique).
Pour la partie en gras, Höss aurait pu s'arrêter dans l'escalier sans ces deux plans émétiques. Le toussotement moral absurde qui vient en fin de partie, tenter de faire tressaillir en dernière instance - faute d'une très grande prudence auparavant, par un petit effet de manche, de raccrocher le canal d'une morale qui est très maladroitement amenée. Quant aux petites mains d'avant et d'aujourd'hui, l'insertion me semble incongrue dans le dispositif décrit précédemment.
Dernière modification par Coxwell le 17 févr. 24, 09:23, modifié 2 fois.
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Message par Coxwell »

Barry Egan a écrit : 16 févr. 24, 16:45
Coxwell a écrit : 16 févr. 24, 11:56

"Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde" disait Camus.
Evitons d'utiliser des concepts comme celui de "totalitaire", de le galvauder par un usage inapproprié, d'affaiblir la réalité de certaines époques, de la mécanique de fonctionnement en même temps que la finalité des projets associés.
J'utilise les mots dans le sens que je souhaite, et si je peux, j'essaie même d'en inventer. C'est pas comme si on était figés, bon sang !
Le concept de totalitarisme a mis des décennies à être affiné et conceptualisé pour permettre de donner du sens à des réalités historiques différentes et semblables de par leurs racines, mécanismes et projets. Si le concept est discuté et surtout testé dans sa résistance épistémologique par l'éclairage et l'étude renouvelé du passé, il n'a pas vocation à être affaibli dans son sens en le réduisant à n'importe quel autre mot ou réalité qui traverse l'esprit, car il existe d'autres mots, mais surtout d'autres concepts pour éclairer d'autres réalités. Interchanger n'importe quel concept avec un autre revient à vouloir créer des aberrations intellectuelles et affaiblir la science, la connaissance. Associer le capitalisme voire le néo libéralisme (qui est souvent la variation réductrice et affaiblissante du premier dans la critique populaire contemporaine) est tout simplement antinomique puisque l'un des paramètres essentiels du totalitarisme est la condamnation du libéral (quelle que soit sa nature ou ses manifestations) et le contrôle absolu de l'Etat-parti qui entend diriger l'ensemble du corps social, économique, culturel.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Wulfa »

Coxwell a écrit : 17 févr. 24, 08:56 Le tunnel de glace s'installe, le train ne déraillera plus sur le plan de la mise en scène. La glace remplace la tension (qui implique des variations plus ou moins fortes dans l'écriture ou le dispositif mise en scénique - je rappelle que c'est du cinéma, pas un documentaire didactique).
À l'inverse, c'est ce choix délibéré de l'absence d'achoppement, qui me rend intéressant la proposition de Glazer. Nous suivons des personnages qui ne dévieront jamais de l'idéal aveugle qu'ils se sont forgés. C'est justement la force de cet aveuglement immonde qui fait pour moi la tension du film. La scène au bord de l'eau est assez éclairante en ce sens, et l'une des plus réussies, car assez dérangeante. Le personnage d'Hedwig Höss y expose son projet de vie, relativement louable, mais qui repose évidemment sur des accommodations tout à fait atroces. Elle est là, l'idée, certes convenue, qui me fait apprécier le projet du film : voir comment l'humain s'accommode du pire suivant son idéal. Ce n'est pas la première œuvre à en parler, assurément pas la dernière, et peut-être a-t-on fait mieux, mais Jonathan Glazer va au bout de son dispositif d'enfermement, et en choisissant le très sensible sujet de la Shoah.
Coxwell a écrit : 17 févr. 24, 08:56 Le toussotement moral absurde qui vient en fin de partie, tenter de faire tressaillir en dernière instance - faute d'une très grande prudence auparavant, par un petit effet de manche, de raccrocher le canal d'une morale qui est très maladroitement amenée. Quant aux petites mains d'avant et d'aujourd'hui, l'insertion me semble incongrue dans le dispositif décrit précédemment.
J'aime beaucoup cet épilogue, la lente descente dans l'escalier noir, même si à la première vision j'avais été un peu décontenancé par le bond dans le présent. Cependant, je l'analyserai moins comme un toussotement moral, que comme la révélation du hiatus entre le corps et l'esprit du personnage de Rudolf Höss. Convaincu du bien de son entreprise en son esprit, son corps reste malgré tout tributaire de toutes les horreurs vues, entendues, senties, commises. De là ensuite ce choix du bond dans le présent, qui rappelle que ce qui ne passe pas chez lui, la trace des horreurs qu'il a tenté d'effacer sont encore là dans le présent, malgré la mort de tous.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Coxwell »

Wulfa a écrit : 17 févr. 24, 10:05
À l'inverse, c'est ce choix délibéré de l'absence d'achoppement, qui me rend intéressant la proposition de Glazer. Nous suivons des personnages qui ne dévieront jamais de l'idéal aveugle qu'ils se sont forgés. C'est justement la force de cet aveuglement immonde qui fait pour moi la tension du film. La scène au bord de l'eau est assez éclairante en ce sens, et l'une des plus réussies, car assez dérangeante. Le personnage d'Hedwig Höss y expose son projet de vie, relativement louable, mais qui repose évidemment sur des accommodations tout à fait atroces. Elle est là, l'idée, certes convenue, qui me fait apprécier le projet du film : voir comment l'humain s'accommode du pire suivant son idéal. Ce n'est pas la première œuvre à en parler, assurément pas la dernière, et peut-être a-t-on fait mieux, mais Jonathan Glazer va au bout de son dispositif d'enfermement, et en choisissant le très sensible sujet de la Shoah.
Comme je l'écrivais au-dessus, l'espace alternatif "du à côté", est peu cinématographiquement articulé avec l'espace de la famille. Pas suffisamment en tout cas pour que je ressente une tension. Puisque narrativement ou expérimentalement, il n'y aura plus de dynamique, on peut donc suivre 20mn comme 1h des personnages qui vivent dans leur bonheur nazi. Pourquoi 1h ou 20 mn ? Je ne sais pas exactement, le propos devient ensuite une sorte d'exposition plastique muséifiée - et inutilement longue.
J'aime beaucoup cet épilogue, la lente descente dans l'escalier noir, même si à la première vision j'avais été un peu décontenancé par le bond dans le présent. Cependant, je l'analyserai moins comme un toussotement moral, que comme la révélation du hiatus entre le corps et l'esprit du personnage de Rudolf Höss. Convaincu du bien de son entreprise en son esprit, son corps reste malgré tout tributaire de toutes les horreurs vues, entendues, senties, commises. De là ensuite ce choix du bond dans le présent, qui rappelle que ce qui ne passe pas chez lui, la trace des horreurs qu'il a tenté d'effacer sont encore là dans le présent, malgré la mort de tous.
Pour éviter le ridicule de croire que le corps de Höss exprime le conflit intérieur de l'horreur perpétrée et exposée (ce qui est quand même bien maladroit, surtout que le film se veut jusque là descriptif, quasi naturaliste dans le parcours familial et politique d'un personnage - qui de toute façon n'a jamais exprimé la moindre dénégation même lors du procès polonais de 1946, ni même en tant que témoin à Nuremberg auparavant), serait d'associer ce corps toussotant avec la pollution du camp et de l'air, et d'y voir une interrogation justement sur la santé du protagoniste, exposée à la matérialité du problème.
Dernière modification par Coxwell le 17 févr. 24, 10:32, modifié 2 fois.
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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par Alexandre Angel »

Wulfa a écrit : 17 févr. 24, 10:05 J'aime beaucoup cet épilogue, la lente descente dans l'escalier noir, même si à la première vision j'avais été un peu décontenancé par le bond dans le présent. Cependant, je l'analyserai moins comme un toussotement moral, que comme la révélation du hiatus entre le corps et l'esprit du personnage de Rudolf Höss. Convaincu du bien de son entreprise en son esprit, son corps reste malgré tout tributaire de toutes les horreurs vues, entendues, senties, commises.
En ce sens, c'est assez proche de ce que fait Jonathan Littell avec Auer, héros de son roman Les Bienveillantes, qui est, par bien des aspects, tout aussi discutable que La Zone d'intérêt mais aussi également imprégnant et fort.
La comparaison s'arrête là, Auer, tout fonctionnaire zélé qu'il soit, parait moins fanatisé, plus indépendant d'esprit et plus observateur que "praticien" de l'horreur. Il n'en est pas moins nazi et c'est son rapport la fois nauséeux et froid à tout ce qu'il observe qui se rappelle à mon souvenir sur cet escalier de La Zone d'intérêt.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer - 2024)

Message par tenia »

Coxwell a écrit : 17 févr. 24, 10:22Pourquoi 1h ou 20 mn ? Je ne sais pas exactement, le propos devient ensuite une sorte d'exposition plastique muséifiée - et inutilement longue.
Alors que c'est pile poil ce qui permet la routine du quotidien pour eux, puis y amener 2 éléments perturbateurs permettant de voir comment ils s'en accomodent (ou non) :
- l'aller-retour de la mère d'Hedwig
Spoiler (cliquez pour afficher)
(et ce qu'il raconte d'une part des personnes périphériques à tout cela, celle qui savent sans savoir, sans voir notamment, "l'inconscient collectif" sa satisfaisant de l'abstrait, mais aussi la réaction d'Hedwig quand sa mère part subitement, et Hedwig frustrée et en colère de voir sa mère ne pas se être fière de sa fille, de tout le confort qu'elle a pu construire pour sa famille et qu'elle souhaitait montrer et offrir à sa mère, mère qui se révèle ingrate et incapable d'en profiter réellement.
- l'évolution de la carrière de Rudolf, de la réunion sur le crématorium à sa séparation d'Hedwig puis son retour puis enfin, donc, via "l'épilogue".
Coxwell a écrit : 17 févr. 24, 10:22serait d'associer ce corps toussotant avec la pollution du camp et de l'air, et d'y voir une interrogation justement sur la santé du protagoniste, exposée à la matérialité du problème.
Il me semble qu'à aucun moment c'est le sujet du film, ni son propos, ni même un sujet vaguement touché du doigt, et je ne vois pas trop comment on peut partir de ce qui relève d'une scène assez instinctivement à évaluer sous l'angle psy pour en arriver à "c'est nul car en fait ça aurait du parler pollution de l'air".
Non pas, cela étant, qu'on puisse l'y rattacher, Wulfa étant à deux doigts de le faire finalement (il n'y a pas grande distance entre "le corps reste tributaire de toutes les horreurs senties" et "à force de respirer de la fumée de cheminée de crematorium").

Je percute par ailleurs que thématiquement, ce n'est probablement pas neutre que le seul moment où le film nous montre frontalement le camp, c'est sous sa forme actuelle muséifiée, un lieu de souvenir et d'entretien du souvenir des victimes et non de destruction et d'effacement.
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