Gros gros gros morceau,. J'aurais rarement ressenti une telle impossibilité de mettre des mots clairs et intelligibles sur un film que je venais de voir.
Il faut d'abord reconnaître à Glazer cette capacité qu'il a de faire des films qui ne ressemblent à aucun autre. Oui on peut parler d'installation d'art contemporain, mais j'ai envie de dire :
"so what ?" . Non seulement on pouvait déjà dire exactement la même chose de
Under the Skin (et beaucoup ne s'en étaient pas gênés), mais en plus je ne vois pas en quoi ce serait un argument invalidant le projet.
En revanche, je peux comprendre que l'on soit insensible au dispositif clinique, ou que l'on puisse le trouver un tantinet répétitif. Moi-même j'ai eu cette crainte, à un moment donné...si ce n'était ces switchs de point de vue (la grand-mère, la jeune domestique et ses escapades nocturnes shootées en négatif, idée incroyable bien que j'ai du mal à saisir le pourquoi du comment d'un tel choix...et en même temps, est-ce que chaque choix de mise en scène doit forcément avoir une justification ?), et surtout ce contraste évidemment saisissant entre ce quotidien terriblement normal d'une famille a priori normale et la machine de mort, probablement la pire de l'histoire de l'humanité, fonctionnant à plein régime, jour et nuit, juste de l'autre côté des murs, auquel j'ai été particulièrement sensible, sans jamais ressentir la moindre pointe d'ennui ou de lassitude (au contraire même, car je n'ai pas senti les 105 minutes passer).
Et c'est donc le moment de parler de ce sound design et de ce fameux dispositif du hors-champ. Pour ma part, j'ai un rapport aux bruits et en particulier aux sons vrombissants difficile à identifier, quasiment impalpables. Donc ici, j'ai été particulièrement bien servi par ce bruit constant, ce vrombissement tellement présent qu'il finit par devenir un simple élément du paysage sonore. Et c'est là que ça en devient troublant : pendant facile 20 minutes, ce boulot sur le son m'a rendu physiquement mal à l'aise...sans parler de ma gorge qui se serrait régulièrement, tant les cris, les coups de feu et les quelques indices disséminés ici et là des horreurs bien réelles se déroulant à quelques mètres, m'ont bouleversé.
Et puis petit à petit, sans réellement m'en rendre compte, j'ai commencé à oublier ce bruit ambiant. De la même façon que ça n'est plus qu'un bruit de fond pour la famille Höss, je me suis surpris à constater au bout d'un certain temps que c'était également devenu un bruit de fond pour moi. Ce qui rend l'horreur de la situation encore plus prégnante, à mes yeux (et mes oreilles...et mon petit cœur).
Ce qui ne m'empêche aucunement de penser que Glazer a sans doute réussi selon moi à dépeindre comme peu ont réussi à le faire cette terrible industrialisation de la mort orchestrée par les Nazis. Le tout en en montrant quasiment rien. J'ai trouvé ça très très fort. Un ciel rougeoyant, une rivière polluée par des restes humains, des cendres utilisées comme engrais, toutes ces petites choses accumulées, personnellement ça me chamboule.
Quant à la fin...autre gros morceau en tant que tel, dont j'ai bien du mal à saisir le sens. Et pour autant : est-ce si grave ? Non je ne crois pas. Parce que voir ce commandant nazi descendre les escaliers comme s'il descendait jusqu'aux abysses de l'oubli, tenter de vomir sans y parvenir comme s'il ne parvenait pas à expulser tout le mal qui est en lui, avant de constater que ce que l'histoire aura reconnu, ce sont les victimes plutôt que leurs bourreaux ; rien que tout ça, et même si je fais fausse route, je trouve ça déjà passionnant à analyser (je peine juste à comprendre pourquoi montrer ces femmes de ménage au travail : montrer l'absurdité de faire la poussière dans un four crématoire ? Montrer de nouveau des gens faisant leur travail froidement, sans se rendre compte de l'horreur présente juste derrière les vitres ? Glazer serait-il en train de comparer les femmes de ménage aux nazis ? où vais-je avec cette comparaison ? Jonathan, comment ça va la vie ?
).
Voilà : c'est un film que j'ai trouvé authentiquement passionnant, en plus d'être intellectuellement et formellement stimulant. Et des films comme ça, il y en a peu.