Après une tentative de suicide, Claude Ridder se prête à une expèrience scientifique : un voyage dans le temps. Il est ainsi projeté dans son passé, et se retrouve heureux, auprès de sa femme Catrine, un an auparavant...
La chronique du site, signée Justin Kwedi.
Max Schreck a écrit : ↑11 févr. 07, 14:01Tourné en Belgique, Resnais signe là un étonnant film de science-fiction, foncièrement poétique. Claude Rich, rescapé d'une tentative de suicide, sert de cobaye à un institut mystérieux qui a inventé une machine à voyager dans le temps. Plus précisément on va lui donner l'occasion de revivre une minute de son passé, un an plus tôt. Après cela il est censé revenir dans le présent, la machine imposant un temps de décompression de quatre minutes avant que l'on puisse l'en sortir. Mais rien ne va se passer comme prévu, et Rich ne va dès lors cesser de faire des allers-retours dans le temps, apparemment condamné à vivre et revivre des événements tantôt heureux tantôt dramatiques, jusqu'à l'épuisement.
Entre Slaughterhouse-five pour la construction temporelle aléatoire et Eternal sunshine of the spotless mind pour la reconstitution douloureuse d'un passé amoureux, le film propose au spectateur de littéralement plonger avec le protagoniste dans l'expérience. La toute première scène qu'il est amené à revivre n'est pas pour rien une scène de plongée sous-marine lors de vacances sur la côte méditerranéenne. Comme l'explique un scientifique au début, on lui a administré un traitement qui l'obligera à assister depuis son propre corps à ce passé en toute passivité, tel un dormeur éveillé. On est dans une logique incontrôlée, où l'on peut basculer à tout moment d'un événement à l'autre. Resnais utilise un montage cut, sans effet, et déroule ainsi son récit de façon totalement déconstruite. Les séquences semblent s'enchaîner dans une chronologie aléatoire, avec souvent des redites.
Rich est ici vraiment parfait, traînant son cynisme et son humour grinçant. Le film est d'ailleurs rempli de petites réflexions existentielles souvent très amusantes. Les dialogues sont signés Jacques Sternberg et on devine que l'homme aime les chats. Au final, il manquera encore des pièces au puzzle. C'est finalement un film assez dépressif, marqué dès son ouverture par la mort. La très belle musique de Penderecki, faite de choeurs, apporte une couleur très mélancolique. La construction éclatée nuit sans doute un peu à l'émotion en créant malgré tout une certaine distance, mais c'est vraiment un film à part, qui se révèle vite fascinant.
-Kaonashi Yupa- a écrit : ↑21 févr. 07, 22:59Excellent film, je trouve que c'est à partir de Je t'aime je t'aime que la filmo de Resnais est un peu moins froide. Si effectivement il reste une distance, comme tu le dis, je trouve que là, et contrairement à Hiroshima mon amour ou Muriel, on s'attache au personnage principal, et le jeu sur le montage et la narration est plus efficace, fonctionne mieux. Peut-être est-ce une impression totalement personnelle, mais ce brassage des souvenirs par ces entrecroisements et répétitions de séquences du passé reproduit à merveille ce qu'on peut ressentir dans un état second, ou simplement quand on se remémore des jours passés.
Miss Nobody a écrit : ↑2 févr. 08, 14:17Film étrange et méconnu où Renais flirte avec la science-fiction, « Je t’aime, je t’aime » mérite pourtant amplement qu’on s’y attarde. Une expérience curieuse cherchant à contrôler le temps sert de prétexte à un voyage dans la mémoire d’un homme-cobaye, détruit par une histoire d’amour singulière, à la fois glauque et passionnée, qui le conduira deux fois à la mort. Dans une atmosphère cauchemardesque d’une autre époque et d’une autre dimension, emprunte d’une mélancolie peut être un peu trop pesante, Claude Rich se perd dans un inconscient labyrinthique, dans un passé boueux qu’il est à présent condamné à revivre. A l’image de son amour souffreteux, de ses phrases sombres et spirituelles, de sa mise en scène éclatée, « Je t’aime, je t’aime » est une œuvre déstabilisante, intellectuelle, à la fois belle et profondément tragique.
Le prisonnier a écrit : ↑11 avr. 09, 17:13Je trouve que la science-fiction dans ce film n'est qu'un prétexte scénaristique pour pouvoir proposer une narration éclatée. Et ça gêne beaucoup l'amateur du genre que je suis ! Le film n'a pas besoin de sa longue introduction, de tout ce décorum pseudo-scientifique, complètement inutiles. D'ailleurs d'autres cinéastes (je pense bien sûr à Lynch) arrivent très bien à faire des films labyrinthiques sans justification scénaristique.
Je n'ai pas accroché au film (je pense que j'ai un problème avec le cinéma de Resnais), que je trouve distant et vain, à l'image de ces dialogues bien trop écrits. Je ne retiens que la magnifique musique de Penderecki, et cette incroyable lettre surréaliste que lit le personnage de Claude Rich (lettre dont j'aimerai bien trouver le texte...)
Federico a écrit : ↑11 sept. 10, 23:21J'ai également de plus en plus de mal avec le cinéma de Resnais, y compris avec des oeuvres que j'avais plutôt aimées par le passé. Mais Je t'aime, je t'aime, malgré ses défauts est très émouvant. Une des rares incursions du cinéma cartésien français dans la SF, même si il s'agit avant tout d'une oeuvre poétique et mélancolique (à rapprocher, même si je mets ce dernier bien plus haut, de l'atmosphère du Solaris de Tarkovski). Un film qui doit aussi beaucoup au scénario de Jacques Sternberg. L'éditeur Eric Losfeld en avait publié le découpage en 1969, accompagné de nombreuses photos, superbe bouquin épuisé depuis des lustres mais qu'on doit pouvoir encore dégotter d'occas'.
Quant au texte de la lettre pataphysique et oulipienne, le voici :
Cher monsieur,
Nous avons bien reçu votre honorée du 24 courant et nous adraptons d’y druiser filistre. Nous sommes enclaptés de trécoindre que vous n’avez jamais surflenger le doulet pustrule que nous vous avons galopté le 12 de ce pystre. Etant donné les amistrèzes, nous allons sans galare vous trifler un autre flyndre et nous articlusons que vous le lomifrez cette tyre dans les ostres les plus grafs.
Avec tous nos ramyres les plus clestrés, nous vous creptons d’ensilencer nos estancyles ptérofuges.
Inutile de préciser que lue par Claude Rich, c'est un régal total. A part lui, seul l'autre grand Claude (Piéplu) aurait pu réussir à prononcer de telles phrases absconses avec le sérieux d'un clerc de notaire allumé.
Anorya a écrit : ↑8 déc. 08, 13:35Resnais qui s'aventure dans la science-fiction, ce n'est pas sans rappeler quelque chose de similaire par son ami Chris Marker, lequel à d'ailleurs un peu contribué car il aidait le scénariste et écrivain Jacques Sternberg sur le film de Resnais. Et comme pour La Jetée, nous avons affaire à une histoire de voyages dans le temps qui se concentre là aussi sur l'amour mais avec un certain désenchantement et une noirceur similaire pour traiter aussi moins brutalement (mais tout aussi insidieusement) de la mort. Claude Rich apporte un humour formidable à sec et paye de sa personne pour livrer une très bonne prestation sur des musiques belles et surréalistes de Penderecki et malgré quelques longueurs, c'est un bon Resnais à redécouvrir.Un bon Resnais malgré quelques longueurs vers la fin. 4,5/6
Là où le drame rejoint la réalité c'est que le film parle de suicide en toile de fond (le personnage de Claude Rich a tenté de se suicider dès le début du film d'où le fait qu'on le récupère comme cobaye pour les expériences temporelles vu qu'il n'a plus rien à perdre) et que plusieurs années plus tard, les deux actrices principales mélancoliques de ce film se sont suicidées. Comme si Resnais l'avait d'instinct plus ou moins senti et voulu graver leur visages tristes sur la pellicule.
Joe Wilson a écrit : ↑4 mars 12, 14:19Mes impressions sont partagées...j'ai trouvé que les conditions de l'expérience scientifique étaient décrites avec trop d'insistance, donnant au film une rigidité pesante alors qu'il parvient à s'épanouir dans l'effervescence créative.
Claude Rich livre par contre une interprétation magnifique, et saisit la variété des émotions de son rôle avec une formidable aisance. Le temps s'évanouit sous ses yeux, dévoilant le visage de l'euphorie, de l'insouciance, puis de la désillusion. Le montage de Resnais est exemplaire, à la fois circulaire et construit sur des ruptures, déroutant et fascinant dans les détours qu'il emprunte.
Demi-Lune a écrit : ↑28 oct. 13, 09:56Il y a quelque chose de tout à fait fragile et en même temps fascinant dans le déroulé de ce film. La déstructuration de la narration, les scènes parfois réduites à de simples fragments cognitifs, les effets volontaires de répétition, comme un disque rayé... il y a toujours le risque d'être irrité ou lassé par ce procédé très théorique (mais pas si hermétique que ça). On peut d'ailleurs trouver qu'il s'essouffle dans les vingt dernières minutes, pourtant les plus capitales, à force d'embrouillements discutables.
Mais la manière dont le montage émiette comme un puzzle les instantanés d'une vie, qui ne s'appréhende dès lors plus de façon linéaire mais par vue d'ensemble d'associations illogiques, est franchement magistrale. C'est probablement l'un des plus grands travaux de montage que j'aie vus. Eternal sunshine of the spotless mind lui doit pratiquement tout de ce point de vue. Resnais bouleverse les repères et les perspectives narratives, propose une expérience incroyable de temps relativisé, dans le sillon de L'année dernière à Marienbad. Les chœurs bidouillés de Penderecki, cette capsule-tumeur improbable, une souris sur une plage... l'équilibre reste ténu et je comprends que cela puisse paraître atrocement auteurisant (les dialogues Nouvelle Vague, le jeu neutre de Rich, etc).
La limite du film tient sans doute dans son extériorité aux événements : on assiste en spectateur à l'émiettement des souvenirs d'une vie, mais souvent sans chaleur, sans émotion... sans incarnation. De sorte que j'ai personnellement du mal à voir dans ce film autre chose qu'un objet expérimental, certes génial, mais qui aurait pu être bien plus. A cet égard le parallèle de Père Jules avec La jetée est fondé : en vingt minutes et images fixes, il y a une vague émotionnelle qui fait à mon sens défaut au film de Resnais, par ailleurs très quelconque en termes esthétiques (il est loin le noir et blanc hypnotique des premiers films).
Federico a écrit : ↑28 oct. 13, 11:01Bien vu ton rapprochement avec Eternal sunshine of the spotless mind. Les similitudes sont même parfois énormes, et pas qu'en terme de montage. C'est un des films de Resnais que je préfère tout en lui reconnaissant ce que tu as noté : une froideur et une distanciation constante qui ôte une grande part d'émotion (tout en étant tout de même moins glaçant que L'année dernière à Marienbad). Plus incarné, cela aurait pu devenir tarkovskien, façon Solaris. D'un autre côté, cet aspect presque mortifère est cohérent du point de vue du personnage central : un homme qui n'attend plus rien de la vie, un suicidé pour la science qui s'offre en cobaye parce que perdu pour perdu, c'est sa seule chance de revoir sa compagne disparue. Et puis Rich est génial dans la scène du courrier oulipien.
Je serais un peu moins sévère sur l'esthétique. Certes, l'image est un peu "brûlée" mais j'aime énormément le design de la capsule qui annonce le Moebius des années 70.
Barry Egan a écrit : ↑18 oct. 20, 11:05Le mouvement de la pensée qui se souvient, l'exaltant, le bon, le triste, l'anodin, le lourd et le léger. La condition terrestre encore plus que la condition humaine. Tous des souris qui donnons notre langue aux chats. Et parfois on sourit.