Je réagis ici, faute de topic plus approprié, pour éviter de polluer davantage le fil consacré aux
Blu-ray Radiance Films.
Spike a écrit : ↑14 sept. 22, 19:01
Je ne peux pas dire que j'ai été estomaqué par la peinture des divers milieux professionnels dans les ninkyôs, qui ressemble plus en ce qui me concerne à un changement cosmétique visant à masquer la récurrence de la structure narrative (remplacez les joueurs de tripots par des bateliers, mineurs, comédiens de théâtre, ... et roulez jeunesse !).
C'est à l'évidence l'objectif premier. Renouveler le cadre pour éviter la redite totale. Mais sans être estomaqué, cela va de soi, je prends un plaisir certain à découvrir les rouages et coulisses du fonctionnement de certaines corporations des métiers de l'époque. De façon superficielle certes, mais j'y étanche une petite soif de curiosité historique. Dans le meilleur des cas, le ton et l'humeur de la narration procèdent aussi de l'observation du microcosme concerné. Et incidemment renouvellent quelque peu l'expérience de spectateur devant un spectacle a priori très normé et codifié.
C'est ainsi que je reçois
Duel à Kaminari-mon, la cinquième entrée de la série des
Nihon kyôkakuden/Japanese Yakuza/La Légende des yakuzas. Le script de Kasahara (encore lui) investit le quartier des théâtres d'Asakusa à Tokyo à la toute fin de l'ère Taishô. Par sa mise en scène Makino laisse infuser la théâtralité du kabuki dans l'action live, laissant peu de place aux habituels éclats de violence sèche. Symboliquement même le raid final de Takakura, sur la scène d'un théâtre comme il se doit, reste presque immaculé de sang.
Mais au point où j'en suis de mon infinitésimale découverte du genre, c'est sans doute
Une histoire du Kanto, la troisième entrée de cette même série également mise en scène par Makino et co-écrite par Kasahara, qui m'a le plus impressionné pour sa capacité à exploiter son potentiel documentaire. On y suit l'apprentissage du novice Ken Takakura (marin qui a manqué son embarquement pour cause d'ébriété avancée) sur le marché aux poissons de Tsukiji en pleine reconstruction juste après le séisme du Kanto. Il va s'opposer - avec le soutien épisodique d'un yakuza émérite, Tsuruta
of course - à l'affreux syndicat de gangsters qui veulent faire main basse sur ce juteux business. Non seulement la précision des saynètes dévolues à l'étude de milieu n'a pas grand chose à envier à celle de
Voici le temps des assassins, mais elle ouvre le champ à l'expression d'une sympathie non feinte pour les mouvements syndicalistes, pour le moins inhabituelle dans un genre aussi volontiers réactionnaire que le ninkyô. Au final d'ailleurs, le héros Takakura affronte les hommes de main des fauteurs de trouble à la tête des syndicalistes de la base populaire, laissant à la vedette invitée le soin d'aller châtier les pontes de l'organisation criminelle dans l'un de ces incontournables raids punitifs. Même la structure immuable du genre est ici mise à mal par la primauté portée à l'étude documentaire et sociale, ancrée à gauche (moins nettement que
The Blossom and the Sword de Katô au sortir de l'âge d'or du genre, mais quand même).
Spike a écrit : ↑14 sept. 22, 19:01
Beule a écrit : ↑14 sept. 22, 00:49En passant, et contrairement aux idées reçues, bon nombre de films ne mettent pas en scène des membres du crime organisé défendant la veuve et l'orphelin, comme tu dis, contre un gang de yakuzas affairistes et sans scrupules. Ce sont presque aussi souvent, me semble-t-il, y compris dans des les séries les plus populaires de la Tôei (
Japanese yakuza ou
Brutal tales of chivalry) des membres d'une corporation non mafieuse (ou parfois rangés des voitures). Dans ce cas ils reçoivent le plus souvent l'aide d'un yakuza "chevaleresque" (Tsuruta tient régulièrement cet emploi en guest dans des films dont la vedette est tenue par Takakura) redevable au clan. Mais le "héros" n'est pas un yakuza.
Oui, je sais. Je crois avoir déjà évoqué dans un autre sujet de discussion des films tels que
Samurai Geisha et
Bloodiest Flower (de mémoire) qui adoptent la structure narrative du
ninkyô, mais ne comptent pas de yakuzas parmi les rôles principaux.
Je n'ai pas encore vu
Samurai Geisha mais
Bloodiest Flower pousse effectivement le concept dans ses derniers retranchements, puisqu'au final ni les héros ni les vilains ne sont réellement des yakuzas (en plus d'offrir à Bin Amatsu un rôle plutôt positif
). Je me demande d'ailleurs jusqu'à quel point ce n'est pas le dénominateur commun de la série à laquelle ils se rattachent (les
Nihon jokyô-den) puisque ça vaut aussi pour
Brave Red Flower of the North de Yasuo Furuhata. Mais au moins dans cette série, c'est clair, les protagonistes principaux n'appartiennent pas au monde des yakuzas, aucun doute possible. Il en est beaucoup d'autres pour lesquels je n'en ai pris conscience que sur le tard. Parce qu'ils sont tatoués, qu'ils se donnent du "aniki" entre eux, que la famille à laquelle ils appartiennent semble régie sur un modèle pyramidal identique à celui des yakuzas. La confusion règne à un point tel qu'eux-mêmes parfois semblent oublier être extérieurs au monde du crime organisé. Dans le 4ème épisode des
Brutal Tales of Chivalry (
Showa zankyô-den: Chizome no karajishi toujours de Makino) il y a une scène très marrante qui illustre cette confusion: pour empêcher un de ses gars (fautif d'avoir porté atteinte à l'honneur de la famille) de se couper l'auriculaire, le contremaître Takakura doit intervenir in extremis en mode "T'es con ou quoi, on n'est pas des yakuzas!".
Je ne serais pas surpris de n'y avoir vu moi-même que du feu pour certains films découverts au début de mes pérégrinations dans le genre.