Je me suis demandé après coup si le roman n'est pas en fait le fruit de l'imagination de Susan, qui inventerait le déclencheur de retrouvailles avec son ex d'il y a vingt ans pour fuir l'échec de son mariage avec Hutton et exorciser le sentiment de culpabilité né de son avortement. Le livre ne serait alors plus la revanche tardive d'un époux rejeté, mais un psychodrame fabriqué de toute pièce par l'héroïne pour parvenir à une sorte de catharsis par la fiction - et qui sait, peut-être créer les conditions d'une réconciliation aussi improbable que symbolique avec Edward, sur lequel elle n'a au fond jamais tiré un trait. Le fait que dans le livre, Susan s'identifie à Tony à la fin confirme ce que j'ai ressenti durant la projection, à savoir qu'Edward est une sorte de non-personnage qui n'existe qu'au travers des souvenirs de Susan, ou bien de Tony, son alter ego fictionnel. Du coup, toute la focalisation du récit bascule : ce n'est plus le fantomatique Edward qui tire les ficelles mais Susan qui projette sa mauvaise conscience sur un récit de fiction qu'elle élabore toute seule en l'attribuant à celui qu'elle a blessé.El Dadal a écrit :Petite note de lecture au passage: Edward choisit très distinctement son moment pour faire parvenir le manuscrit à Susan. On voit d'ailleurs la Mercedes (présente dans le livre) s'arrêter devant la grille d'entrée après qu'elle soit arrivée chez elle le premier soir. Je me suis ainsi demandé depuis combien de temps le livre était rédigé, et s'il l'avait suivie partout, telle une sorte de boogeyman omniscient. Le livre a-t-il été écrit en réaction progressive à certains éléments déterminants de la vie de Susan, comme une sorte de commentaire sur ses qualités d'artiste à elle, ou bien si tout prenait racine dans l'événement traumatique initial?
Pour séduisante qu'elle soit, cette belle théorie achoppe bien sûr sur la scène où le secrétaire particulier réceptionne la manuscrit d'Edward et lit sa lettre à haute voix. Damned... Néanmoins, le film recèle quelques indices qui peuvent laisser entendre que Susan n'est pas une protagoniste fiable dans son rapport à la réalité : la scène du téléphone portable où elle voit un monstre menacer le bébé qu'elle aurait pu avoir si elle ne s'était pas faite avorter, ou encore l'étrange coup de fil nocturne passé à sa fille, alors que rien dans le récit ne laisse entendre qu'elle eu un enfant avec Hutton (ce dernier ne parle d'ailleurs jamais d'elle). Détail qui met la puce à l''oreille : la gamine est filmée nue dans une pose qui reproduit exactement celle des corps retrouvés dans le récit de fiction. Avancer que la scène avec le secrétaire (à laquelle aucun autre personnage extérieur n'assiste) pourrait n'exister que dans l'imagination de Susan est peut-être tirer un peu trop sur la pelote de ficelle de l'éxégèse, mais si Susan invente la fille imaginaire qu'elle aurait pu avoir si elle ne s'était pas faite avorter d'Edward, pourquoi n'inventerait-elle pas aussi ce manuscrit tombé du ciel qui appuie si précisément partout où elle a mal ? Dans ces conditions, l'absence d'Edward au rendez-vous final s'expliquerait non pas par une forme de cruauté de sa part ou une absence de besoin de revoir son ex-femme, mais par le fait qu'il n'a jamais été en contact avec elle et n'a jamais écrit le livre. Susan aurait fantasmé leur relation épistolaire de A à Z, le gros plan final sur son oeil renvoyant à la cécité de Tony dans le désert.
Honnêtement je ne sais pas si cette interprétation tient la distance - ce sont juste des idées qui me sont venues après la projection. Le film est suffisamment riche pour soutenir plusieurs lectures, mais je trouve l'idée d'une Susan construisant toute seule le psychodrame qui lui permet d'affronter les démons qu'elle a refoulé jusque-là autrement plus intéressante que la vengeance par roman à clés interposé d'un ex qui a ruminé sa bile pendant dix-neuf ans. C'est aussi une lecture qui rend le personnage de Susan plus fascinant : si le livre est bien l'oeuvre d'Edward, elle n'apparaît guère que comme une bourgeoise frustrée et rongée par la culpabilité qui subit passivement la vengeance de son ex. Si par contre elle est la seule architecte de son propre tourment, le personnage acquiert une complexité nouvelle et le film propose du coup une réflexion beaucoup plus intéressante sur le rôle et le pouvoir de la fiction.