Le poulpe
Le Poulpe est un mec bien. Il fréquente assidûment les bistrots de la capitale, toujours prêt à élucider les faits divers les plus embrouillés, accessoirement à défendre la veuve et l’orphelin. Un mec bien tant qu’on ne lui cherche pas des noises : tendre avec la shampooineuse de son cœur, ou brut de décoffrage lorsque des marlous le précipitent dans un marigot facho. Selon la cuisson, donc. Le film qui porte son surnom, lui, est un mets dont on déguste le sang d’encre sans chercher à vraiment comprendre les tenants et aboutissants d’une histoire filandreuse, quelque part entre la truculence de Gotlib et la série noire de Simenon : ambiance portuaire et lugubre garantie couleur locale, défilé de trognes patibulaires, répliques ping-pong, rythme yo-yo entre indolence et coups d’accélérateur. Une réussite. 4/6
Une affaire privée
Nicloux poursuit dans la veine du film noir bien typé, à la française (non américanisé) et contemporain (nulle trace d’Audiard ou de Gabin dans le rétroviseur). Il y a donc la disparition d’une donzelle argentée, des interrogatoires divers, des faux indices, les figures pittoresques d’une faune nocturne interlope, l’implication personnelle du privé à la nonchalance blasée, carburant à la clope et à la 1664, qui supporte son existence lasse plus qu’il ne la prend en main. Tout cela sent la gueule de bois et le tabac froid, exsude le désenchantement et la solitude, dans une atmosphère de matin blême et de déglingue caoutchouteuse parfois traversée d’humour noir. Mais la somme des références finit par peser sur l’entreprise, qui penche trop du côté de la recette appliquée et finit par sembler un peu machinal. 4/6
Cette femme-là
Comme la grenouille à grande gueule devant le crocodile, la robuste Josiane Balasko se fait passer pour une petite gueule, et son contre-emploi est étonnant : cheveux d’ébène, visage impassible, bouche entrouverte, regard fixe, elle n’est plus qu’un crépuscule de femme, consumée de douleur, égarée dans un passé traumatique et plongée au sein d’une enquête cauchemardesque où percent des visions fantasmatiques. Avec un sens du climat délétère qu’on ne peut lui enlever, l’auteur transforme des bois obscurs flagellés par la pluie en huis clos, calfeutre ses personnages dans d’étroits décors grenat et marron, confère des allures de sépulcre à une façade enneigée. Hélas, parce que ce climat glauque et fantomatique ne renvoie qu’à des mystères artificiels, le film se déballonne bien avant l’élucidation. 3/6
Mon top :
1. Le poulpe (1998)
2. Une affaire privée (2002)
3. Cette femme-là (2003)
Une maîtrise indubitable de la technique, une faculté à privilégier l’expression du climat sur l’explication du scénario, un goût prononcé pour la série noire : au genre très codé du polar, le cinéaste a su donner un certain cachet. Mais n'ayant rien vu de lui depuis plus de vingt ans, ce jugement demanderait à être actualisé.