Horizons Lointains (Far Horizons - 1955) de Rudolph Maté
PARAMOUNT
Avec Charlton Heston, Donna Reed, Barbara Hale, Fred MacMurray, William Demarest, Alan Reed
Scénario : Winston Miller & Edmund H. North d'après un roman de Della Gould Emmons
Musique : Hans J. Salter
Photographie : Daniel L. Fapp (Technicolor 1.85)
Un film produit par William H. Pine & William C. Thomas pour la Paramount
Sortie USA : 20 mai 1955
Marqué au Fer (Branded) et
Le Souffle de la Violence (The Violent Men) nous avaient laissé une agréable impression mais c’était surtout grâce à de solides scénarios et une bonne interprétation d’ensemble. La mise en scène en revanche ne nous avait guère enthousiasmé.
Horizons Lointains vient nous prouver qu’effectivement, ce grand chef-opérateur n’était par ailleurs qu’un bien piètre réalisateur même si l’on peut compter quelques petites pépites à son actif, notamment dans le domaine du film noir. C’est un comble qu’une des expéditions les plus épiques de l’histoire américaine ait accouché d’un film aussi peu ample et vigoureux, aussi mollasson et intempestivement bavard, le souffle de l’aventure étant irrémédiablement absent d’une œuvre dont c’était pourtant la vocation première. Bref, on l'aura compris : sans un scénario qui tient la route et sans une troupe de comédiens motivée, Rudolph Maté, pas assez doué, est incapable de parvenir à sauver les meubles de n'importe quelle entreprise. Pour
The Far Horizons, sa mise en scène est aussi terne et dénuée d’inventivité que quasiment tout le reste. L'expédition de Lewis et Clark avait déjà lointainement inspirée Howard Hawks pour
The Big Sky (La Captive aux Yeux Clairs) ; on retrouve dans les deux films les mêmes paysages, les mêmes costumes, les mêmes embarcations, voire les mêmes personnages (celui de l’indienne dans le film de Hawks aurait d’ailleurs pris pour modèle Sacajawea, le personnage réel mis en scène dans
The Far Horizons) ; et certains plans sont vraiment ressemblants comme ceux de la file d’indiens sur les berges ou bien les hommes en train de hâler le bateau lorsque le lit de la rivière est trop bas… le tout cette fois en Technicolor. Les paysages sont magnifiques et dépaysants mais l'on reste à cent coudées au dessous du film de Hawks qu’on aurait rêvé du coup voir en couleurs.
Le Capitaine Lewis (Fred MacMurray), secrétaire du président Thomas Jefferson, est en visite chez le sénateur Hancock dont il s'est épris de la fille Julia (Barbara Hale). Il est sur le point de révéler ses sentiments à la jeune femme quant il reçoit un télégramme de Washington lui faisant demander de revenir à son poste. Les États-Unis viennent d'acheter la Louisiane aux Français et Lewis est chargé de prendre la tête d'une expédition militaire dont le but sera d'explorer ce nouveau territoire. Le Président lui demande même de poursuivre au-delà, si possible même jusqu'à l'Océan Pacifique. Lewis demande à ce que son ami le Lieutenant Clark (Charlton Heston) prenne le commandement à ses côtés ; ce qui lui est accordé. Retournant chez Hancock le lui annoncer, Lewis se rend compte que Clark s'est immiscé à sa place dans le cœur de Julia et qu'ils comptent se marier. Malgré la peine qu'il ressent, Lewis demande à Clark de le suivre et l'expédition se met en marche. Arrivé au sein d'une tribu indienne, celle des Minitari, Lewis assure à leur chef que le Président Jefferson ne recherche que la paix et qu'il ne leur sera fait aucun mal. En revanche, ils doivent accepter la souveraineté des États-Unis d'Amérique ; ce qui n'est pas du goût du chef Indien qui les laisse néanmoins repartir avec une de leurs prisonnières de la tribu des Shoshones, Sacajawea (Donna Reed), qui connaît parfaitement la région et qui s'est proposé de guider les explorateurs à travers les territoires de son peuple malgré les réticences de Clark qui ne fait pas confiance aux Peaux-Rouges. A peine la troupe remise en route que le chef des Minitari décide de lui tendre une embuscade ; c'est grâce à Sacajawea qui avait surpris une conversation dévoilant le piège que ce dernier échoue. Nombreux sont les morts dans le camp indien mais l'excursion reprend. Clark tombe amoureux de la jeune indienne pourtant déjà promise à un trappeur français, Charboneau (Alan Reed)...
Dans la réalité, Meriwheter Lewis, Capitaine de l'armée américaine, devint secrétaire du Président Thomas Jefferson en 1801. Il planifia une expédition qui devait explorer les territoires à l'Ouest du Mississippi et trouver un passage pour arriver jusque sur les côtes de l'Océan Pacifique. Avec son ami, le Lieutenant Clark, ils partirent de St Louis (Missouri) en mai 1804 et atteignirent les côtes de l'Oregon en novembre 1805. Lewis, en plus de commander la troupe, accompli un travail de naturaliste tandis que Clark s'occupa de cartographier les régions traversées. Un voyage qui dura presque un an et demi avec une seule perte à déplorer parmi les soldats constituant la troupe. Cette dernière, en empruntant une route plus au Sud, regagna sa base de départ en mars 1806 pour arriver à bon port seulement 6 mois plus tard. Lewis fut ensuite nommé gouverneur de la Louisiane mais se suicida peu après, en 1809. C'est Clark qui fut responsable de la publication de leur journal de bord écrit durant l'expédition qui compta effectivement l'indienne Sacajawea (également nommée Birdwoman) qui non seulement guida les troupes mais œuvra en tant que 'diplomate' auprès des diverses tribus indiennes rencontrées au cours de leur périple. Contrairement à sa situation dans le film où elle tombe amoureuse de Clark, elle fut accompagnée durant tout le voyage par le trappeur canadien Toussaint Charbonneau qu'elle avait épousé avant le départ et qui, contrairement à sa description dans le film, était loin d'être antipathique. Les historiens ou les lecteurs du journal de Lewis & Clark édité encore de nos jours diront que les faits relatés dans le film sont assez éloignés de la réalité. Mais on sait ce que pense Hollywood de la véracité historique et nous ne nous en offusquerons pas une fois de plus. L'important aurait été d'avoir un film épique à l'image de cette grandiose aventure ; ce qui est fort loin d'être le cas.
Les scénaristes ayant décidés de consacrer la majeure partie du film à la romance qui se fait jour entre Charlton Heston et Donna Reed, c'est l’aventure qui en pâti. Cette histoire d'amour n'étant à aucun moment convaincante, le film devient assez vite totalement insignifiant, se contentant entre deux scènes de bavardages interminables entre nos deux tourtereaux de nous montrer de très beaux paysages photographiés assez correctement. Si seulement les auteurs avaient profité de cette romance entre un blanc et une indienne pour aborder avec intelligence ou sensibilité la question des affaires indiennes, les thèmes des relations inter-raciales ou de la place de la femme dans la société ; mais le film se révèle sacrément conservateur, faisant fi de tous les films pro-indiens progressistes sortis depuis le début de la décennie. Ici, le ton est au paternalisme, les Natives (presque décrits comme des idiots) doivent obéissance au grand chef blanc sans avoir à rétorquer et l'on répète à foison que la femme se trouve bien mieux derrière ses fourneaux ou en train d'élever ses enfants que partout ailleurs. Le tout naïvement et solennellement asséné, au premier degré et sans un brin d'ironie, comme si Rudolph Maté, Winston Miller et Edmund H, North trouvaient tout ça parfaitement normal. Un film donc non seulement paresseux et ennuyeux, platement filmé et mal rythmé, mais dans le même temps plutôt réactionnaire. Et les comédiens, pourtant assez célèbres à l'époque, de ne pas faire le moindre effort pour sauver les meubles ! Seul Hans J. Salter semble s'être démené comme un beau diable pour écrire une partition pleine d'allant, de vigueur et de vitalité, non dénuée d'un lyrisme dont le film est totalement dépourvu. Grâce au compositeur, certaines séquences arrivent à faire illusion et on se sent à quelques reprises transportés par le souffle de l'aventure ; mais ces instants sont bien rares !
On se demande quand même si les auteurs se sont vraiment intéressés à leur film et s'il n'y a pas eu au départ mésentente avec les producteurs ; témoin, après maintes séquences inintéressantes trop longuement étirées, la vitesse à laquelle l'expédition a rejoint l'Océan, sans crier gare. Au détour d'un plan, alors que nous ne savons pas du tout géographiquement où en était arrivé le voyage, nous voilà une seconde après à l'autre bout des États-Unis, ayant fini la traversée du Continent pour nous retrouver sur la Côte Ouest. Alors l'arrivée de la troupe à son terminus aurait pu représenter le climax émotionnel du film, elle se trouve avoir été totalement occultée ! Non seulement nous n'avons pas pu assister à la grande scène tant attendue mais le manque de crédibilité aura été aussi pour en arriver là, tout du long flagrant. Contrairement aux hommes de Spencer Tracy dans
Le Grand Passage (Northwest Passage) de King Vidor, ceux de Lewis et Clark semblent presque jamais n'avoir éprouvé de la fatigue, étant arrivés à l'autre bout du Continent fringants et comme s'ils venaient de faire seulement 10 kilomètres à pied. Dommage que le film soit aussi ennuyeux et si peu convaincant, n'arrivant que rarement à décoller, car il bénéficiait d'atouts de départ non négligeables avec entre autres ces très beaux paysages naturels filmés pour la plupart à Jackson Hole dans le Wyoming (on pense au lac de
Saskatchewan de Raoul Walsh, aux montagnes de
Spencer's Moutain de Delmer Daves et bien évidemment aux panoramas identique à ceux de
The Big Sky d'Howard Hawks). Quant aux prologues et épilogues à costumes qui encadrent le film, se déroulant dans l'Est au sein de la bonne société, ils ne valent guère mieux.
Dans l'ensemble, au sein de l'importante production westernienne, il n'y eut encore qu 'assez peu de westerns dont le postulat de départ était épique, ceux ci ne pouvant guère s’accommoder de budgets restreints ; dommage alors que la première traversée du Continent Nord Américain tel que puisée au sein des carnets de route de deux célèbres aventuriers se soit transformée à ce point en un film aussi amorphe. Plutôt que ce film coloré mais sans rythme et sans vie, préférons alors nous souvenir d'autres titres tels
La Piste des Géants (The Big Trail) de Raoul Walsh,
Convoi de Femmes (Westward the Women) ou justement
La Captive aux Yeux Clairs d'Howard Hawks qui, s'il ne contait pas à proprement parler l'expédition du Corps of Discovery de Lewis et Clark, s'inspirait grandement de cette dernière. Là où Elisabeth Threatt était tout à fait convaincante dans la peau de l'indienne dans le film de Hawks, Donna Reed, aussi bonne comédienne qu'elle soit, fut un très mauvaise idée de casting ; il en aurait été probablement de même si le premier choix des producteurs, Leslie Caron, avait été validé. Ses partenaires ne sont pas logés à meilleure enseigne, aucun d'entre eux n'arrivant à sortir du lot, pas même Fred MacMurray qui fêtait ici son retour au studio qui l'avait révélé, la Paramount. Un bien beau ratage, verbeux et peu inspiré. Passons vite à autre chose !
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Le Souffle de la violence (The Violent Men, 1955) de Rudolph Maté
COLUMBIA
Avec Glenn Ford, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Dianne Foster, Brian Keith, Richard Jaeckel
Scénario : Harry Kleiner
Musique : Max Steiner
Photographie : W. Howard Greene & Burnett Guffey (Technicolor 2.55)
Un film produit par Lewis J. Rachmil pour la Columbia
Sortie USA : 26 janvier 1955
L’année 1955 aux USA débute à la Columbia en matière de western avec le deuxième signé Rudolph Maté, cinq ans après son premier essai dans le genre, le plaisant
Marqué au fer (Branded) dont le rôle principal était tenu par Alan Ladd. Comme ce dernier film, même si une fois encore les amateurs d’action n’ont pas été oubliés (incendies en cascades, fusillades, Stampede…),
Le Souffle de la violence est avant tout un western psychologique et mélodramatique, cependant nettement moins naïf (cette naïveté participant néanmoins du charme de
Branded) et aussi beaucoup plus violent que son prédécesseur comme l’indique son titre tout à fait justifié. Il s’agit une nouvelle fois d’un western distrayant mais, au vu du casting prestigieux et de la richesse des personnages décrits au sein d’un scénario pourtant bien conventionnel, on pouvait raisonnablement s’attendre à beaucoup mieux ; en effet, à cause principalement du réalisateur, le film n’arrive jamais vraiment à décoller, à trouver son souffle. Pour autant, il ne nous procure pas la moindre seconde d’ennui ; et c’est déjà beaucoup !
Cela fait quasiment trois années que John Parrish (Glenn Ford), ex-soldat durant la Guerre de Sécession, est arrivé dans cette région de l’Ouest américain ; il lui fallait ce climat pour soigner quelques blessures et il en avait profité pour acheter un ranch pour y faire de l’élevage. Aujourd’hui que le voilà guéri, il va enfin pouvoir accomplir le rêve de sa fiancée : vendre sa propriété et la ramener dans l’Est où ils souhaitent se marier. Ce n’est pas le fait d’avoir vu le shérif se faire froidement abattre dans la rue par Wade Matlock (Richard Jaeckel), un tueur à la solde des Wilkinson, qui le fait changer d’avis. On le lui reproche d’ailleurs car, la région étant dominée par la famille Wilkinson, on comptait encore sur lui pour contrer la soif de possession du chef de famille ; en effet, ils n’étaient plus que deux à n’avoir pas bradés leurs terres à Lew Wilkinson (Edward G. Robinson), le patriarche désormais invalide suite aux incessants combats menés contre fermiers et ranchers pour agrandir son domaine. C’est désormais son épouse Martha (Barbara Stanwyck) qui mène la barque, aidé par son beau-frère Cole (Brian Keith) qui est en fait devenu son amant. Les Wilkinson continuent à employer tous les moyens pour intimider les derniers irréductibles, dont Parrish qui refuse dans un premier temps la faible somme proposée. Néanmoins sur le point de conclure l’affaire, il se rétracte au dernier moment devant la violence employée par les hommes de main des Wilkinson qui viennent de torturer et tuer l’un de ses employés. Sa réaction va étonner tout le monde, d’une violence dont on ne le soupçonnait pas…
Un grand propriétaire tyrannique aidé par un shérif véreux contre une poignée de modestes ranchers et les sanglants combats qui s’ensuivent : on a déjà rencontré ce type de situations à de multiples reprises. Dans le déroulement de son intrigue, le scénario n’a effectivement rien de très original mais c’est dans le portrait qui nous est tracé de tous les personnages, leur évolution, que résident les principaux intérêts du film de Rudolph Maté. Comme King Vidor pour
Duel au soleil (Duel in the Sun) et Anthony Mann pour
The Furies (qui demeurent toujours à ce jour les deux références en la matière),
The Violent Men met en scène une famille de grands propriétaires terriens qui n’aurait pas dépareillée dans une tragédie de Shakespeare. On y trouve Lew (Edward G. Robinson), un patriarche despote, amoindri par le fait d’avoir quasiment perdu l’usage de ses jambes, mais continuant à vouloir régner en maître sur la vallée, n’envisageant pas une seule seconde que ce soit son épouse Martha qui, sous ses allures de femme douce, aimante, loyale et attentionnée, mène désormais la barque ; Martha (Barbara Stanwyck), encore plus cupide que son mari, n’hésite pas non plus à le cocufier avec… Cole, son jeune beau-frère ; Cole (Brian Keith), que son frère avait appelé à l’aide suite à son accident, peu loquace, est en fait celui qui dirige en sous main toutes les viles opérations destinées à intimider les éleveurs récalcitrants à vendre leurs terres, et qui, tout en ayant une liaison avec sa belle-sœur, en entretient une autre avec une jeune et fringante mexicaine ; enfin, Judith (Dianne Foster), la fille du couple, témoin de l’adultère de sa mère, n’ayant de ce fait plus aucun respect pour elle mais n’osant pas en informer son père de peur de le blesser. Dégouttée par l’ambiance délétère de la maison, elle encourage même les ennemis de la famille à ne pas se laisser faire par ses parents ; et en l’occurrence, elle essaie même de décourager Parrish de leurs vendre ses terres.
De l’autre côté de la barrière, nous trouvons les modestes éleveurs dont le scénariste Harry Kleiner (dont le premier scénario était celui de
Fallen Angel – Crime passionnel de Otto Preminger) nous dépeint également des portraits assez éloignés de ce que l’on pouvait attendre et à vrai dire guère plus reluisants ; plus que les ranchers qui ne représentent en fait qu’un groupe indistinct, c’est au personnage au départ moralement ambigu interprété par Glenn Ford auquel je faisais allusion ainsi qu’au couple qu’il forme avec sa fiancée. Cette dernière tout d’abord qui ne voit en son amoureux qu’une porte de sortie vers l’Est ; elle se serait accrochée à n’importe qui d’autre lui ayant offert cette possibilité de quitter cette région qu’elle exècre : "
I want to get out of here - and nothing is going to stop me". Guère fréquentable la donzelle ! Quant au héros de l’histoire, la plus grande originalité lui est donc due. Pendant 45 minutes (soit pile la moitié du film), il se fiche de ce qui se passe dans la vallée du moment qu’on ne vienne pas lui chercher des noises : "
What happens in this valley is no concern of mine!" Il a beau assister à des meurtres de sang froid comme dans le préambule, il ne fait pas un geste pour se rebeller ; faisant mine du contraire, il est prêt à accepter n’importe quelle offre pour sa propriété ; malgré les reproches de ses hommes, il refuse de contrer le despote de la région… Un homme à priori égoïste et faible mais dont on se rend finalement compte qu’il s’agit avant tout d’une grande lucidité : "
J’ai vu des tas d’hommes fiers mourir pendant la guerre ; seuls les très forts et les très riches peuvent se permettre d’avoir du tempérament. " Mais un homme tenant de tels discours, reculant devant l’adversité, fuyant les ‘histoires’, peut-il être crédible en véritable héros de western ?! Asses troublant en tout cas ! Que l’on se rassure, la morale sera sauve et le héros sera blanchi ; à mi parcours, ayant assisté à un trop plein de violence, il décide de prendre les armes et, fort de son expérience militaire, de la dispenser à son tour jusqu’à faire capituler l’ennemi. Dommage alors que les scénaristes n’aient pas insisté sur une autre sombre facette du personnage ; sa violence justement ! En tout les cas, un personnage non idéaliste qui tranche d’avec les héros habituels.
On le constate : pas mal de pistes intéressantes au niveau de la description des personnages mais le scénario étant par ailleurs assez dense au niveau de l’intrigue, l’auteur oublie de les enrichir plus avant d’autant qu’il n’a eu à sa disposition que 90 trop courtes minutes pour mener le tout à son terme, là où il lui aurait sans doute fallu au minimum une demi-heure de plus. A ce propos, il n’y a qu’à voir le happy-end totalement bâclé, voire même ridicule. Et puis, Rudolph Maté n’est décidément pas un grand directeur d’acteurs : que ce soient Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson ou Glenn Ford, s’ils sont loin d’être mauvais, on les a néanmoins souvent connus plus inspirés, faute peut-être à ce manque d’approfondissement de leurs personnages ; quant aux comédiens moins chevronnés, ils s’avèrent fades, voire même pour certains assez mauvais, notamment les deux autres actrices principales, Dianne Foster et la totalement transparente May Wynn. C’est peut-être finalement Brian Keith qui tire le mieux son épingle du jeu, le fait de paraissant ‘sous-jouer’ le rendant encore plus menaçant. Niveau mise en scène, ce n’est pas nécessairement ça non plus. Si Maté fut un grand chef opérateur, il fut aussi un assez piètre cinéaste dans l’ensemble ; en tout cas il fut bien plus convaincant dans le film noir (
Mort à l’arrivée – DOA ;
Midi, gare centrale – Union Station) que dans le western même si ces derniers n’ont jamais rien eu de honteux. D’ailleurs, le plus réussi dans
Le Souffle de la violence, ce sont justement les scènes de violence d’une noirceur assez étonnantes et auxquelles participe à chaque fois l’un des meilleurs secondes rôles des années 50, Richard Jaeckel : la mort du shérif, tué dans le dos et à bout portant en tout début de film ; la torture et le meurtre d’un des employés de Parrish par Wade et ses hommes ; et à mi-parcours, la mort de Wade tué à son tour à bout portant par Parrish. Toutes ces séquences sont d’une sécheresse et d’une cruauté directement issues du film noir. Les pures scènes d’action comme batailles et chevauchées sont en revanche bien moins mémorables, faute à un budget qui semblait limité, obligeant le metteur en scène à utiliser des stock-shots récents mais très mal intégrés au reste des séquences.
Cependant, dès que le metteur en scène arrive à s’affranchir de l’intrigue, dès qu’il se décide à prendre son temps (presqu’une minute) pour nous faire voir son héros se rendre de son ranch à celui des Wilkinsonsen traversant les magnifiques paysages de Lone Pine et des Alabama Hills, il nous fait entrevoir le souffle qu’aurait pu avoir son film sur la durée. Il faut dire qu’il a été grandement aidé pour cette séquence par la très belle photographie en scope de W. Howard Greene & Burnett Guffey et surtout par Max Steiner qui croit dur comme fer à ce qu’il compose, s’évertuant à livrer un score dont l’intensité dramatique aurait pu faire prendre son envol au film s’il n’avait pas été le seul à autant y croire. En effet, faisant des infidélités à la Warner, son studio de prédilection (il venait déjà de le faire, déjà pour la Columbia, avec sa musique composé pour
Ouragan sur le Caine d’Edward Dmytryk), Max Steiner se surpasse à quelques reprises et notamment au cours de cette scène de déambulation. Dommage donc que le scénario soit si déséquilibré (après une mise en place intéressante et volubile, on passe à un condensé d’action non-stop bâclé et manquant singulièrement de souffle), la psychologie des personnages si peu développée et que la mise en scène soit si paresseuse (y compris dans son utilisation du scope) car il y avait assez d’éléments pour faire un grand et beau western. Rien de fulgurant mais rien de déshonorant non plus car qu’on ne s’y trompe pas ; malgré tous ses défauts, le spectacle demeure bien plaisant !
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Terre sans pardon (Three Violent People - 1957) de Rudolph Maté
PARAMOUNT
Avec Charlton Heston, Anne Baxter, Gilbert Roland, Tom Tryon, Forrest Tucker
Scénario : James Edward Grant
Musique : Walter Scharf
Photographie : Loyal Griggs (Technicolor 1.85)
Un film produit par Hugh Brown pour la Paramount
Sortie USA : 09 février 1957
Quelques semaines après la sortie de
Drango (Le Pays de la haine) réalisé par Hall Bartlett, voici à nouveau un western ayant pour toile de fonds une période qui a immédiatement suivie la Guerre de Sécession, celle dite de ‘la reconstruction’ ; une ère heureusement de courte durée au cours de laquelle, après la mort de Lincoln, un gouvernement provisoire s’est installé et a envoyé des ‘Carpetbaggers’ essayer de s’approprier toutes les terres des ex-confédérés en les pressant de taxes colossales dont il était quasiment impossible de s’acquitter.
Three Violent People est le dernier des six westerns signés par Rudolph Maté. On peut désormais affirmer preuves à l’appui que cet immense chef-opérateur n’aura pas spécialement brillé en tant que réalisateur, tout du moins dans le genre ; on se souviendra de lui surtout grâce au film noir. Néanmoins, il ne nous aura pas moins délivré quelques plaisants westerns à commencer par son premier essai,
Marqué au fer (Branded) avec Alan Ladd, mais aussi, toujours dans le drame westernien familial et psychologique, peut-être sa plus belle réussite,
Le Souffle de la violence (The Violent Men) avec Glenn Ford. Dans le domaine du western fantaisiste, les plutôt bien rythmés
Le Siège de la rivière rouge (Siege at Red River) avec Van Johnson et surtout
Les Années sauvages (The Rawhide Years) avec Tony Curtis, nous auront également grandement diverti. Un cursus finalement pas désagréable si ce n’est mémorable, simplement ‘gâché’ par un western d’aventure sans souffle et totalement raté,
Horizons lointains (The Far Horizons), ainsi que par un troisième mélodrame westernien, celui qui nous concerne ici, pas spécialement mauvais mais franchement très moyen, en tout cas sacrément décevant. Charlton Heston, tête d’affiche de ces deux films, n’aura pas vraiment porté chance au cinéaste.
La Guerre civile vient de se terminer. Le Capitaine Colt Saunders (Charlton Heston) de l’ex-armée confédérée revient dans son Texas natal. Voulant prendre la défense de Lorna Hunter (Anne Baxter), une jeune femme qui vient de lui taper dans l’œil à sa descente de diligence, il se fait assommer par les railleurs Yankees. Lorna le conduit dans une chambre d’hôtel afin qu’il y soit soigné et profite de son évanouissement pour lui subtiliser les 900 dollars qu’il avait en poche. Lorsqu’elle apprend par une vieille connaissance, Ruby LaSalle (Elaine Stritch), tenancière de l’hôtel de la ville, que Saunders est un des ranchers les plus riches de la région, elle retourne le voir espérant le séduire. Sans rien connaître de son passé et sur un coup de tête, Saunders lui propose immédiatement de la prendre pour épouse ; ce qu’elle accepte aussitôt. Les voilà partis pour le ranch Bar S ! En arrivant sur le domaine familial, Colt a la désagréable surprise de voir que la brebis galeuse de la famille, déshéritée par son grand-père, son frère Beauregard (Tom Tryon), est revenu pour réclamer son dû. Se sentant responsable de son infirmité (il lui manque un bras), Colt accepte de vivre à nouveau à ses côtés et de lui octroyer la part qui lui revient. D’autre part, Harrison (Bruce Bennett), l’envoyé corrompu du gouvernement provisoire du Texas, lui demande d’imposantes taxes, espérant secrètement qu’il ne puisse pas s’en acquitter et soit ainsi obligé de vendre son domaine. La situation empire lorsqu’un autre ‘carpetbaggers’ reconnait Lorna ; à partir du moment où Saunders sait que son épouse fut une femme de petite vertu, il la répudie. Mais le régisseur du domaine, le probe Innociencio (Gilbert Roland), qui vient avec succès de gérer le ranch pendant cinq ans, continue à veiller au grain et, avec l’aide de ses cinq fils, va essayer d’arranger les problèmes, y compris les peines de cœur de ses patrons…
James Edward Grant à l’écriture, Loyal Griggs à la photographie, le couple Néfertiti/Moïse des
Dix Commandements de Cecil B. DeMille à nouveau reformé, ainsi que de nombreux éléments dramatiques et historiques à priori très intéressants sur le papier : tout ceci n’est malheureusement pas suffisant pour faire de ce
Three Violent People (comprenne le titre qui pourra) un mélodrame westernien captivant. Il commençait pourtant plutôt bien, un peu la manière du début d'
Autant en emporte le vent, avec, au travers de longues séquences très bien dialoguées, la présentation du personnage culotté et haut en couleurs interprété par Anne Baxter et ses relations fougueuses avec Charlton Heston. Le prenant de prime abord pour un parfait pigeon, elle finit par tomber sous son charme (la richesse en faisant néanmoins partie : on ne passe pas de roublarde en chef à amoureuse passionnée en un tournemain). Après un intéressant prologue plantant le décor de cette époque de l’après Guerre de Sécession au cours de laquelle les ex-confédérés furent malmenés par les envoyés sans scrupules du gouvernement provisoire, les 20 minutes suivantes se rapprochent donc plus de la comédie romantique et vaudevillesque que du western. Les scènes qui voient rassemblées Anne Baxter et Elaine Stritch sont même assez jubilatoires et cela continue de la sorte jusqu’à la fameuse séquence des ‘dessous’ (Charlton Heston prend Anne Baxter par les pieds et la secoue pour voir s’il tombera son argent volé de sous les jupons de la demoiselle). Malgré une mise en scène paresseuse et impersonnelle ainsi qu’une musique insipide, on se prend à rêver que le film se poursuive aussi plaisamment d’autant que les dialogues sont bien relevés, que les costumes d’Anne Baxter sont un régal pour les yeux tout comme la sublime photographie de Loyal Griggs… Puis, sans que ça ne paraisse crédible une seule seconde, alors qu’il est censé plein de bon sens et de droiture ("
Le Rio Grande dévie son cours. Pas un Saunders" dit-on de lui), Colt demande de but en blanc à Lorna de l’épouser alors qu’ils ne se connaissent que depuis cinq minutes ! Plus tard, le revirement subi à l’encontre de sa femme, lorsqu’il vient à apprendre son passé sordide, n’est guère plus convaincant et son personnage devient par la même occasion assez haïssable par sa muflerie, son étroitesse d’esprit et sa bêtise. Mais surtout, dès que l’on passe, avant même la fin du premier tiers, de la comédie au drame, tout devient bien plus conventionnel et sans presque aucune surprise.
En effet, dès que le couple arrive dans le domaine familial de Colt, le film change de ton mais n’arrive presque jamais plus à décoller ; un comble pour un mélodrame qui semblait vouloir prendre la direction d’un film comme
Duel au soleil de King Vidor. Mais là où ce dernier devenait génial par son outrance et sa démesure, le film de Maté est totalement dépourvu de l’un comme de l’autre. Un mélodrame sans la moindre emphase ou forte sensibilité pourrait en quelque sorte être considéré comme une comédie sans humour ; dans te tels cas de figure, le résultat n'est que rarement attrayant ! On imagine ce qu'une telle histoire aurait pu donner sous la houlette de Michael Curtiz, au début pressenti pour réaliser le film. Ici, que ce soient les relations entre Colt et son frère manchot, celles se faisant jour entre ce dernier et Lorna, ou encore le banal conflit entre ranchers et carpetbaggers, rien ne sort de l’ordinaire, ou alors rien n’est suffisamment approfondi pour que ces différents éléments de l’intrigue continuent à nous tenir en haleine. Et là, la faute n’en incombe plus seulement à la mise en scène cotonneuse de Rudolph Maté mais il s’agit également bel et bien d’un problème d’écriture. James Edward Grant a-t-il eu la mainmise totale sur son scénario ? Il semblerait que non et que, s’il est resté le seul crédité au générique, il aurait été ‘aidé’ par deux autres personnes. L’impression qu’il en ressort est que les auteurs n’ont pas tous été sur la même longueur d’ondes concernant l’avancée de l’intrigue ou le ton à donner à leur histoire. Car même les retournements de situations ou coups de théâtres paraissent factices et (ou) trop rapides, voire peu crédibles ni convaincants. Tout comme le personnage interprété par un Gilbert Roland sous-employé, celui du contremaitre fidèle qui ne s’exprime que rarement sans un lyrisme souvent plus niaiseux que poétique, ce qui ressort encore plus lorsqu’il est entouré de ses cinq fils aux sourires de godiches. "
Ma belle dame, maintenant que vous êtes parmi nous, le soleil se lèvera chaque matin sur les pentes verdoyantes de la Cordillère. L’herbe sera plus verte, le grain poussera plus vite, et la lune montante repeindra les montagnes d'argent grâce à votre présence. C'est pourquoi Senora, nous vous souhaitons bienvenue au ranch BAR S, ainsi que dans nos cœurs" déclamera Innocencio pour accueillir sa nouvelle patronne. Gilbert Roland aura le même style de phrases ampoulées à débiter lorsqu’il devra expliquer l’amour à l’un de ses fils ; autant dire que l’on passe parfois très près du ridicule ; heureusement que Gilbert Roland est un comédien chevronné (inoubliable par exemple dans
La Dame et le toréador de Budd Boetticher) et que dans sa bouche de tels discours arrivent néanmoins -tout juste- à passer. Dommage qu’il ait été rendu aussi irritant car sinon son personnage était très attachant, symbole de l’amitié indéfectible, du bon sens et de la raison.
Le reste de la distribution est composé par une Anne Baxter que l’on aura rarement vu aussi belle (merci également à Edith Head pour la multiplicité de ses splendides costumes), un Charlton Heston à nouveau dans la peau d'un macho et d'un mufle (personnage qui ressemble d’ailleurs beaucoup à celui qu’il tenait dans l’étonnant
The Naked Jungle de Byron Haskin), un Tom Tryon qui se sort plutôt bien d’un protagoniste infirme écrit à la truelle, et de deux seconds rôles plutôt convaincants du côté des vils envoyés du gouvernement, Bruce Bennett et surtout Forrest Tucker qui était déjà le partenaire de Charlton Heston dans le plaisant
Pony Express de Jerry Hopper. Si l’ensemble, presque jamais ennuyeux, nous aura néanmoins paru trop convenu et un peu lourd faute à un script et à une mise en scène peu inspirés, plastiquement, le film est néanmoins un régal pour les yeux grâce à l’alchimie qui s’opère entre le travail de Loyal Griggs (
Shane), le Technicolor et la Vistavision. Parmi les points positifs, on trouve aussi une très belle séquence initiée par Anne Baxter, lorsque celle-ci, sur le point de quitter le foyer familial en laissant son nouveau-né à son mari, lui tient un beau discours sur le droit à l’erreur : “
When you're raising the boy, try to remember something. The people aren't perfect. They make mistakes. And when they do, they suffer, they pay. So when he makes his mistakes, try to find it in you to forgive him.” Et enfin, le duel final entre Charlton Heston et Tom Tryon bénéficie d’une idée intéressante pour entretenir le suspense : une bouteille d’alcool est retournée ouverte sur la table et les deux adversaires doivent dégainer une fois le récipient complètement vide. Pour résumer, un début assez jubilatoire, quelques bonnes idées, une photographie splendide et un casting correct pour un résultat certes pas déshonorant mais dans l'ensemble bâclé et assez insipide.