Curtis LaForche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d'une tornade l'obsède. Des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit. Son comportement inexplicable fragilise son couple et provoque l'incompréhension de ses proches. Rien ne peut en effet vaincre la terreur qui l'habite...
Depuis sa présentation triomphale à la Semaine de la Critique en mai dernier, le deuxième long-métrage de Jeff Nicols (33 ans) ne cesse d'alimenter le buzz, allant jusqu'à être présenté de manière quasi unanime comme le grand film de ce début d'année. Qu'en est-il ?
Take Shelter se place dans la mouvance eschatologique dont de nombreux films marquants de 2011 furent les représentants. Difficile de ne pas penser en premier lieu à Melancholia et son approche intimiste du cataclysme (qu'il soit redouté ou espéré). A mes yeux, il s'agit du contre-champ radical du film de Lars Von Trier, d'une contre-proposition salutaire. Nichols se définit lui-même comme un héritier de Terrence Malick, dont il retrouve le goût de la peinture rurale, de l'attention à la texture du monde, à l'inscription des êtres et des choses dans l'ordre cosmique. Ici, le Curtis LaForche interprété par un Michael Shannon assez fabuleux est un bon père de famille, un bon époux, mû uniquement par l'amour des siens et hanté par la double terreur de les perdre et d'avoir hérité de la psychose schyzophrène dont souffre sa mère. C'est l'une des grandes idées du film, qui me semble à contre-courant de toute la remorque de fictions névrotiques et paranoïques dont nous a abreuvé le cinéma américain : loin de l'approche clinique, sarcastique, voire satirique, le réalisateur choisit l'empathie. La réussite et l'équilibre harmonieux du film tiennent dans son ocillation permanente entre les manifestations progressives de la folie du héros et l'attention tendre, précise, chaleureuse, aux gestes du quotidien, au liens qui unissent cette petite unité familiale, à la réalité quotidienne, sociale, de cette campagne américaine, entre le travail au chantier, les réunions d'école, la messe dominicale. Personnellement, j'y ai vu un grand et très beau film sur le couple et la force de la cellule familiale. Les séquences d'intimité et de complicité entre Curtis, Sam et la petite Hannah déploient des trésors de sensibilité, et construisent par touches infimes et délicates tout le propos du cinéaste. Jessica Chastain y incarne avec grâce et douceur la lumière de la raison, de l'amour qui sauve et n'abandonne pas : jamais elle ne lâche son mari, elle est son roc. A cet égard, le changement de perspective de la séquence finale, jugée ambiguë (ou frustrante, c'est selon) par certains, me semble l'ultime étape de cet investissement conjugal. Un film superbe et une éclatante réussite, pour ma part.
