bruce randylan a écrit :Du Victorin Jasset
Et ça continue
Balaoo (Victorin Jasset 1913)
Avec son sens du rythme et ses rebondissements feuilletonesques, Victorin Jasset était tout disposé à croiser à plusieurs reprises l'univers de Gaston Leroux. Il adapte ici un roman où un scientifique parvient à donner à un grand primate une apparence humaine qui va bientôt échapper à son contrôle.
Comme le singe est interprété par le très athlétique Lucien Bataille, Jasset lui donne de nombreuses occasions de faire la démonstrations de ses dons d’acrobates en s'accrochant à des branches ou se jetant depuis plusieurs mètres de haut. Il apparaît ainsi régulièrement en bondissant par tous les bords de l'écran (et souvent celui supérieur !).
Le film ne possède donc pas de temps mort, avec une cadence typique de l'efficacité du cinéaste qui sait toujours trouver des cadres inspirés qu'on soit en intérieur ou en extérieur. La photographie est aussi très soignée, particulièrement lors de la séquence de l'agression nocturne dont le découpage est assez virtuose (pour l'époque) où Jasset utilise avec intelligence la lumière, la profondeur de champ et des trucages simples (Bataille marchant au plafond).
Par contre, le scénario pâtit du rythme du film qui manque tout de même beaucoup de crédibilité et rate le portrait de son héros qui aurait pu trouver une jolie dimension tragique. Toutefois je me demande si la copie n'est pas incomplète car on sent de nombreux trous, voire de séquences absentes qui avaient l'air primordiales (la rencontre avec le chasseur par exemple).
Hara-kiri (Marie-Louise Iribe, Henri Debain - 1928)
Derrière ce titre se cache une sorte de variation du fameux Madame Butterfly : cette fois, c'est une occidentale qui tombe amoureuse d'un asiatique, au point d'abandonner son mari.
Contrairement à beaucoup d’œuvres de cette époque exploitant maladroitement la dimension exotique,
Hara-Kiri surprend sur 2 points assez inhabituels. Tout d'abord, on sent un réel respect pour la culture asiatique, en particulier japonaise. Non seulement 90% des personnages asiatiques sont joués par des vrais comédiens chinois et japonais (à commencer par l'amant de l'héroïne) mais en plus tout ce qui se rapporte aux costumes, à l'architecture et au cérémonial est vraiment fidèle à la réalité.
L'autre point surprenant est le traitement du personnage féminin qui quitte donc son époux (déjà métisse) pour s'enfuir avec son amant japonais pour une relation et un comportement qui ne sont jamais condamnés ni jugés. On sent même beaucoup de compassion dans ce portrait qu'on pourrait aisément qualifier de féministe.
La raison qui explique ceci provient sans doute du fait que son actrice Marie-Louise Iribe a repris le tournage après le départ d'Henri Debain. Ce dernier aurait en effet claqué la porte après avoir reçu une gifle de Iribe qui lui reprochait ses choix de mises en scènes.
A la vision du film, on peut sans trop de mal deviner qui a filmé quoi tant certains passages sont statiques et dénués d'émotions tandis que d'autres sont vibrants, poignants et virtuoses. L'ouverture est à ce titre une petite merveille de délicatesse et de raffinement où l'on suit l'héroïne finir sa valise, retirer son alliance pour la glisser dans la lettre d'adieu qu'elle laisse à son mari. Sans jamais voir son visage, sa gestuelle et le travail sur le cadre et les mouvements d'appareil rendent palpables le trouble du personnages. Une sensibilité rare et de manière de coller au personnage féminin qui m'a fait pensé au début de
Madame De.
La suite est donc plus inégale, alternant élégants mouvements d'appareil, virtuosité parfois gratuite (une caméra à l'épaule qui suit un policier franchir les portes d'un hôtel) et séquences platement illustratives et sans éclat. Comme l'histoire est un peu invraisemblable dans ses grandes lignes, l'émotion retombe un peu avant de resurgir dans le dernier acte qui renoue avec le brio du début pour une dimension bien plus dramatique. Iribe n'hésite pas alors à utiliser plusieurs procédés avant-gardistes du meilleur effet comme la caméra subjective parcourue de larmes ou un incroyable effet d'éclairage très théâtral sur l'héroïne se tenant debout derrière une porte. Les 10-15 dernières minutes ainsi possèdent un forte intensité dramatique qui parviennent à dépasser les conventions mélodramatiques. De plus les costumes comme les décors participent vraiment à l'implication du spectateur... Ce qui n'était pas donné étant l'accompagnement musical électronique qui desservait vraiment le film.
Malgré un milieu un peu terne, le début, sa fin et la justesse du traitement en font un mélodrame vraiment recommandable.
Le hasard des projections ont fait que j'ai découvert
Narayana (Léon Poirier - 1920) le lendemain qui possède quelques similitudes avec ce
Hara-Kiri. Cette fois un homme dénué d'empathie se trouve en possession d'une statuette représentant une divinité orientale qui peut lui permettre d’exhausser 5 vœux... mais le dernier sera au prix de sa mort.
Certes
Narayana a été tourné 8 ans avant
Hara-kiri mais cela n'excuse pas totalement son folklore exotique qui mélange tout et n'importe quoi pour un univers assez grotesque.
Je n'ai donc pas vraiment accroché à ce mélodrame que j'ai trouvé bien trop terne et étriqué. La réalisation manque cruellement d'aération malgré quelques idées visuelles intéressantes (l'aquarium). C'est surtout les enjeux et les personnages qui m'ont laissés de marbre.