L'obsédé en plein jour (Oshima - 1966).
Le portrait d'un violeur (et dorénavant tueur en série) inquiétant qui pourtant un jour, s'introduit dans une maison mais, reconnaissant la servante, ne la tuera pas, au contraire de sa maîtresse. La jeune femme épargnée semble avoir un lien avec l'homme. D'ailleurs elle semble si bien le connaître que plutôt que de prévenir la police, elle écrit une longue lettre à la femme de celui-ci pour demander la permission de le dénoncer aux autorités.....
Ma connaissance du cinéma d'Oshima est encore des plus confuses pour pouvoir vraiment juger son oeuvre à sa juste valeur. Comme beaucoup, j'ai évidemment vu les oeuvres récentes ou les plus connues comme
Furyo (que j'adore cela dit),
Tabou et
L'empire des sens. Mais son cinéma des années 60 me restait encore un continent à découvrir et c'est alléché par la promesse d'une virtuosité technique affolante (verso de la jaquette du dvd !) que je me suis jeté sur le film, tel cet obsédé dont on parle, mais avec une soif avide de connaissance dans mon cas (et non une pulsion sezuelle et de mort, hein). Bref, virtuose, oui, on va y venir, c'est même assez éblouissant, mais d'un point de vue narratif, qu'en est-il d'un autre côté ?
Pour reprendre le petit ouvrage de Max Tessier consacré au cinéma japonais (*) :
"Ce qui est remarquable chez Oshima, c'est non seulement sa volonté de s'attaquer à tous les interdits de la société nippone actuelle, mais aussi l'étonnant éclectisme de son langage. Au nombre minimal de plans séquences dans Le piège (alias Une bête à nourrir, 1961), s'oppose le morcellement ahurissant de L'obsédé en plein jour, tourné en près de 2000 plans !"
Près de 2000 plans. Ah ouais.
Voilà qui laisse rêveur, d'autant plus que le travail est au final, admirable : jeu sur l'espace, sur la profondeur, échelle de plans entre le gros et le petit, aspect presque sensitif de certaines matières, morcellement de parties du corps comme dans
les Godard les plus intéressants des 60's, tout fait d'autant plus sens que le montage alterne tout ça entre divers époques, entre flash-back renseignant sur les différents personnages qui appartenaient alors à une même communauté rurale d'un même village, au présent et ce que sont devenu ces mêmes personnages principaux (avec un qui s'est perdu... euh, pendu en route, plutôt). Jusqu'ici tout va bien et il est intéressant de constater qu'Oshima à l'intelligence de ne pas perdre son spectateur en cours de route, soucieux de constamment garder en tête les motivations de chacun afin de mieux prendre le spectateur à parti.
Et pourtant on finit par un peu perdre le spectateur en cours de route, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, comme apparemment dans tous les Oshima de l'époque, parce qu'il y a une forte charge sociale et politique qui recquiert des connaissances importantes sur le Japon des années 60. En soi, ayant dû aborder pour mon mémoire de cinéma certains aspects du Japon de cette décennie, je n'ai pas été trop perdu mais je pense que certains spectateurs pourraient être largués (et encore, c'est pas
Nuit et brouillard au Japon (1960)). En même temps je trouve même que cet aspect n'est pas assez poussé.
Ensuite, et plus important, chacun des personnages m'était soit antipathique, soit pas des plus intéressants. Le violeur en question se révèle un je-m'en-foutiste égoïste, sans personnalité uniquement mû par l'instinct, nullement préoccupé de son prochain (bon en même temps vous me direz, c'est presqu'un peu normal, certes). La jeune servante est molle et parfois effacée. Le 4e protagoniste (celui qui s'est pendu), avait encore de l'honneur mais trop gentil et gagné par l'amertume envers ces contemporains, il préfère en finir. Sur ce point, j'ai apprécié qu'Oshima dresse un portrait sans concession de la jeunesse rurale telle qu'il la voit même si d'un autre côté je regrette que ce soit tailladé à la hache sans pouvoir modérer un peu envers d'autres jeunes du milieu. Oshima est trop pressé de démonter tous ses personnages dans son jeu de construction/déconstruction qu'il en oublie que la subtilité peut elle-même apporter de la force.
Il y a pourtant ce personnage d'institutrice, elle-même épouse du violeur, sans doute le meilleur personnage, le plus complexe, en fait la femme d'Oshima à l'époque. Une femme qui va expliquer pourquoi elle reste avec cet homme. De l'amour ? De la compassion ? De la jalousie ? Au fur et à mesure de l'histoire et des flash-backs, les langues se délient. Mais comme je l'ai dit, impossible de s'attacher un tant soit peu à des personnages violemment pris dans une histoire d'amour sans doute trop torturée et personnelle pour nous. Il m'a semblé que dans la dernière demi-heure du film, le film piétinait, ne savait pas sur quel pied danser, que les avis des deux femmes dans le train s'accordaient tout en changeant constamment d'avis. Qui fait quoi ? Qui aime qui ? Fallacieuse impression de voir un cinéaste ayant mené sa barque du mieux qu'il pouvait et ne sachant comment vraiment finir son film, si ce n'est sur un énième coup d'éclat (que je ne révèlerai pas ici même si je peut dire qu'il m'a assez laissé dubitatif).
Reste donc pour ma part un film assez incroyable techniquement et visuellement et dont la première partie est des plus intéressantes narrativement. Dommage donc que la fin s'emmêle pas mal les pinceaux... Je conseillerais néanmoins le film aux cinéphiles et aux cinéastes en herbe passionnés par l'esthétique de l'image. Il y a là de sacré leçons à tirer et l'on sent un bouillonnement constant durant tout le long-métrage. Y'a pas à dire, Oshima savait filmer comme un grand maître et sur ce point le film est bon ! Cela me donne envie de continuer la découverte de cette période du monsieur car apparemment, il y a des pépites sous la vase.
3/6.
- Max Tessier, éditions Armand Colin, collection 128, p.70.