James Ivory

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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shubby
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Re: James Ivory

Message par shubby »

Roilo Pintu a écrit : 20 juin 23, 21:58 Découverte de Chambre avec vue, captivé par Helena Bonham-Carter qui joue Lucy et qui lors de son voyage en Toscane, croise George (magnétique Julian Sands)
https://www.voici.fr/news-people/lacteu ... ire-759466
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Profondo Rosso
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Re: James Ivory

Message par Profondo Rosso »

Maurice (1987)

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Maurice et Clive s'aiment d'un amour chaste mais passionné. Pourtant, après l'arrestation pour outrage aux moeurs de leur ami Risley, ouvertement homosexuel, Clive craint d'être compromis dans la bonne société londonienne. Il renonce alors à son amour interdit, et épouse Anne...

Maurice est la pièce centrale de la trilogie d’adaptations que consacre James Ivory à E.M. Foster, se situant entre Chambre avec vue (1986) et Retour à Howards Ends (1991). Le roman éponyme de Foster fut écrit en 1913 mais publié bien plus tard en 1971 et à titre posthume, un an après la mort de l’auteur. La raison est son sujet sulfureux puisqu’abordant explicitement l’homosexualité dans un récit largement autobiographique. Alors en pleine explosion de l’épidémie du sida et alors que les gays sont largement stigmatisés, Maurice est une œuvre salutaire dans une Angleterre à la longue tradition homophobe puisqu’il fut un des pays occidentaux à maintenir le plus tard les lois rendant l’homosexualité illégale, jusqu’en 1967 (et passible de peine de mort jusqu’en 1836). Maurice va donc dépeindre dans le contexte de l’Angleterre édouardienne les amours torturées entre Maurice (James Wilby) et Clive (Hugh Grant), deux jeunes hommes évoluant dans la bonne société anglaise. James Ivory met en parallèle l’éducation et les milieux respectifs des deux personnages pour signifier ce qui les rapprochera et les opposera. L’ouverture sur l’enfance de Maurice dépeint comme un adulte tente maladroitement d’expliquer « les choses de la vie » au garçonnet et se réfugie dans un charabia incompréhensible ainsi que la définition de la « norme » reposant sur l’amour d’un homme et d’une femme. Des années plus tard et désormais étudiant à Cambridge, Maurice forgé par cette éducation morale est une personnalité des plus conformiste. La rencontre avec Clive, les sentiments inédits pour lui qui en découlent, vont le faire basculer.

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Le campus est un microcosme de la société édouardienne, mais aussi un refuge à cette dernière dans l’insouciance d’une jeunesse sans responsabilité. Maurice et Clive peuvent ainsi timidement se laisser aller à une certaine tendresse mutuelle, sans totalement comprendre ce qui leur arrive, ni savoir où cela va les mener. Le plus ouvert semble initialement être Clive, s’amusant de la pudibonderie de Maurice quad celui-ci ne s’offusque pas des omissions à l’ambivalence sexuelle de la culture hellénique dans les cours de leur doyen. Il y a une acceptation intellectuelle de l’homosexualité par Clive, que ce soit dans son principe ou même ses propres sentiments qu’il va finir par avouer à Maurice. Ce dernier, choqué le repousse dans un premier temps, ravivant toutes les protections de Clive soudainement très distant. Pour retrouver l’intimité et la confiance de son ami, Maurice surmonte ainsi ses clivages moraux pour assumer pleinement cet amour et finalement s’avérer le plus tendre et ardent des deux. Clive refusera cependant toujours de « consommer » cet amour, incapable lui de transcender dans son cas les carcans sociaux qu’induiraient son homosexualité.

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James Ivory ne juge jamais ses personnages et au contraire n’oublie jamais d’appuyer le contexte entourant cette romance avortée, notamment la répression policière et l’opprobre publique mettant au ban de la société un homosexuel démasqué, quel que soit sa position. La trajectoire inversée des deux héros est ainsi passionnante. Clive vit cette pression sociale presque physiologiquement en craignant la menace d’être découvert, s’effondrant pour renaître en personnalité conformiste rejetant son penchant et en se réfugiant dans le mariage. Maurice qui semblait le plus timoré des deux s’avère un être passionné sombrant dans de vifs tourments une fois rejeté. Les retrouvailles des personnages adultes sont paradoxalement dépourvues de toute tension sexuelle, de tout risque de rechute tant l’armure de normalité (Clive endossant dans son port, sa coiffure et ses costume « l’uniforme » du parfait gentleman) de l’un semble repousser l’émotivité à fleur de peau de l’autre. L’enjeu amoureux se déplace subtilement en y ajoutant une forme de réflexion sociale.

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Clive a des ambitions politiques et prône dans ses discours un intérêt pour les classes inférieures, tout en se montrant des plus condescendant et peu préoccupé au quotidien par le sort de ses domestiques. Par petite touche, Ivory montre que Maurice bien que forgé dans le même moule est capable de davantage d’empathie, notamment lors de la scène où il aide le garde-chasse Scudder (Rupert Graves) à déplacer le piano à cause d’une fuite au plafond. Ce simple geste amical en fait une figure moins cynique que Clive, ce que Scudder saura déceler en plus de l’orientation sexuelle commune. Au prix de nombreux atermoiements et hésitations, l’amour et l’acceptation de soi surmonte donc à la fois les barrières morales et sociales, éléments fondamentaux dans une société anglaise si marquée par les clivages de classe. Il est d’ailleurs intéressant que dans la VO, les protagonistes usent du terme « share » (partager en français) pour dire qu’ils ont couchés ensemble. Ce partage impossible de la classe dominante est aussi celui de Clive dans ses amours réfrénées - annonçant chez Ivory le Anthony Hopkins prisonnier des conventions de Les Vestiges du jour (1993).

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Ivory reste allusif dans les situations (la probable absence de sexe dans le mariage de façade de Clive) et finement explicite par l’image (le final où Clive forge les barreaux de sa propre prison d’intégrité en refermant les volets de la chambre conjugale) pour émouvoir quant au sort de Clive, et ardent et sensuel par illustrer la libération physique et psychique qui découlent des amours de Maurice et Scudder. La dernière partie semble tendre vers la tragédie et au contraire le film (et bien sûr le livre) accepte une conclusion idéalisée, et presque de conte. A ceux qui trouverai cette issue naïve, il faut rappeler le passif filmique de l’homosexualité à l’écran. Les rares films progressistes et explicites sur le sujet comme Victim de Basil Dearden (1961) ou La Rumeur de William Wyler (1961) faisaient certes montre de compassion envers les gays mais définissaient leur penchant comme une sorte de malédiction leur promettant un destin tragique lors des conclusions. Maurice est donc un des premiers films grand public à ne pas montrer l’homosexualité comme une fatalité chez ceux qui l’assument, ce qui dû probablement toucher cette communauté dans le contexte encore hostile des années 80. 5/6
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