Eve (Joseph L. Mankiewicz - 1950)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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ed
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Message par ed »

Jack Sullivan a écrit :Tes intentions sont louables, Fata, mais tu participes au pourrissage ambiant, là.... Y'a vraiment personne pour venir donner un avis sur le film, le DVD ou (soyons fous!) la chronique? :cry:
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cinephage
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Message par cinephage »

Chère monstresse,

Quel bonheur de te voir t'attaquer à l'un de mes films préférés, et avec quel brio, avec quelle myriade d'informations aussi intéressantes que pertinentes !

Eve est, pour moi, le film le plus réussi d'un des réalisateurs que je tiens le plus en estime. Il concentre tous les traits caractéristiques de la patte du maître...

Une structure non-linéaire, des dialogues ludiques et d'une inventivité merveilleuse, des personnages à la personalité riche et complexe, particulièrement les rôles féminins, toujours dirigés avec une grande sensibilité.

Le film porte en sous-main la question qui traverse pour ainsi dire tous les film du père Joseph, à savoir le passage du temps comme seule chose qui ne change pas, (l'idée de perpétuelle répétition étant évoquée par le très joli plan de miroir démultiplié de Phoebe) et l'effet qu'il a sur les gens (ici, Margo Chaning)...

De The late George Apley à l'aventure de Mme Muir, ce thème du temps qui passe imprègne l'oeuvre du réalisateur (sauf, peut-être, dans le limier, film très particulier de Mankiewicz).

Ainsi, j'ai été surpris, en regardant Quelque part dans la nuit, de trouver un étrange personnage féminin qui n'a d'autre fonction dans l'intrigue que d'évoquer ce thème précis...

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MJ
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Message par MJ »

L'un des films préférés de William Friedkin! :shock:

Sinon:
Mais nous voici revenus au présent et au début du film, avec la voix off d’Addison DeWitt : Eve, que nous avons vue exposée et brisée par ses soins, triomphe, mais elle est seule et le restera, une comédienne de premier ordre qui aura piétiné les gens qui lui auront ouvert la porte. Mais cela n’est pas encore, en ce début d’années 1950 si moralisateur, un châtiment suffisant pour Eve.
Je ne connais pas grand-chose à ce film (bien que cette chronique me donne envie de m'y intéresser de plus près) mais je trouve très ironique qu'une actrice (Bette Davis) renaisse par un rôle où elle est complétement anéantie. Je ne fais qu'une supposition mais est-ce que ça pourrait être considéré comme quelque chose de tout à fait volontaire de la part de Mankiewicz? Un come-back calculé dès le départ?
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phylute
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Message par phylute »

MJ a écrit :je trouve très ironique qu'une actrice (Bette Davis) renaisse par un rôle où elle est complétement anéantie. Je ne fais qu'une supposition mais est-ce que ça pourrait être considéré comme quelque chose de tout à fait volontaire de la part de Mankiewicz? Un come-back calculé dès le départ?
Pourquoi renaître. Elle vient de tourner dans La Voleuse de Curtis Bernhardt, joue la même année dans La Garçe de King Vidor...
Si il y a une éclipse dans sa carrière, c'est après Eve et c'est plutôt Aldrich qui en "jouera" au début des années 60.
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MJ
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Message par MJ »

Ok... non parce que en lisant le début de la chronique de l'aut' poilue j'avais compris qu'avant de tourner ce film elle tournait un petit peu beaucoup en rond du haut de ses 41 ans. -je la pensais carrément has-been mais visiblement j'ai une fois de plus sur-interprété-
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Jack Sullivan
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Message par Jack Sullivan »

MJ a écrit :Ok... non parce que en lisant le début de la chronique de l'aut' poilue j'avais compris qu'avant de tourner ce film elle tournait un petit peu beaucoup en rond du haut de ses 41 ans. -je la pensais carrément has-been mais visiblement j'ai une fois de plus sur-interprété-
Pour être totalement claire, j'ai écrit ceci:
Jack Sullivan a écrit :Ce changement, en tout cas, donne une toute autre crédibilité au personnage de star capricieuse et flamboyante de Margo, et est à l’origine de la renaissance de la carrière de Bette Davis, qui depuis deux ans était entrée dans le purgatoire des acteurs qui cessent d’être rentables (« Je pensais être finie à 41 ans. Puis vint Margo Channing. »)
Je parle de renaissance de sa carrière, non d'un point de vue artistique (elle n'en était pas à jouer dans des nanards de seconde zone, tout de même), mais financier: ses films perdaient de l'argent, de plus en plus, pas au point de la qualifier pour le titre de box-office poison, mais tout de même... On commençait à ne plus vouloir aussi ardemment monter un film sur son nom. Ajoutons à cela que son caractère la rendait difficilement gérable pour le réalisateur moyen, et difficile à "caser" dans un rôle. Enfin, elle venait de quitter la Warner, pour laquelle elle avait travaillé pendant 18 ans et dont elle était une "tête de gondole" (au point d'être surnommée "le 5ème frère Warner"), et se trouvait de fait dans une espèce d'entre-deux terriblement fragilisant.

Aussi, ce choix de casting est clairement délibéré, et il me semble bien que je suis claire sur ce point dans ma chronique: il faut une actrice d'âge mûrissant, qui ne trouve plus aussi facilement des rôles, qui a perdu un peu de sa superbe mais mord toujours, et avec tous ces paramètres il est vraiment, vraiment difficile à l'époque de ne pas arriver à Bette Davis.

Comme le souligne phylute, le véritable déclin de la carrière de Bette Davis n'est cependant pas encore intervenu lorsque débute Eve. Ceci dit, ni elle ni aucun autre membre du casting ne connaîtra de rôle aussi marquant que celui qu'ils occupent dans ce film, à l'exception notable de Marilyn Monroe dont la carrière ne faisait que commencer.

Margo n'est pas anéantie, et loin s'en faut, à la fin du film (dans le passage que cite MJ je dis bien que Eve l'est, à un moment donné): mais ça il faudrait que tu voies le film, MJ, pour le comprendre, car je me suis refusée à déflorer toute l'intrigue.

Pour donner une idée un peu plus exacte du degré de ressemblance entre Bette et Margo: Davis disait elle-même dans ses mémoires qu'elle n'a jamais vraiment su jusqu'à quel point elle était tombée amoureuse de Gary Merrill ou de Bill Sampson, de même qu'elle avait toujours ignoré s'il l'aimait elle ou Margo Channing. Mais dans tous les cas, elle sentait confusément que Gary était sa dernière chance de prétendre au bonheur conjugal, et que plus que jamais, à son âge d'alors, elle voulait tout tenter pour l'obtenir.

PS: cinéphage, merci.
PS bis: kayman, jette-toi sur ce film, enfin, t'es grand maintenant!
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Message par Strum »

Belle chronique, Jack, pour un film qui m'avait ébloui par l'intelligence de son scénario et les fulgurances de ses dialogues. En outre, il y a là un équilibre parfait entre d'une part la mise en abyme et la réflexivité que l'on peut déceler dans le film par rapport au cinéma (le théatre ne servant que de paravent) et à Bette Davis et d'autre part l'excitation qu'il procure ; cela va à toute allure et l'on ne s'ennuie jamais.
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Ouf Je Respire
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Message par Ouf Je Respire »

Je me dois de revoir ce film. Il faut dire qu'avec toutes les qualités qu'on peut lui prêter, je ne suis pas un grand fan des films qui traitent des dessous d'Hollywood (idem donc pour les Ensorcelés). Attention, je ne dis pas que ces films sont fades, ou mal construits, mes premières impressions sont d'ailleurs toujours très enthousiastes, mais ces films vieillissent mal dans ma tête. Peut-être un problème d'absence d'identification à cet univers et de compassion envers les personnages.
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Jack Sullivan
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Message par Jack Sullivan »

Ouf tirez pas sur Kennedy a écrit :Je me dois de revoir ce film. Il faut dire qu'avec toutes les qualités qu'on peut lui prêter, je ne suis pas un grand fan des films qui traitent des dessous d'Hollywood (idem donc pour les Ensorcelés). Attention, je ne dis pas que ces films sont fades, ou mal construits, mes premières impressions sont d'ailleurs toujours très enthousiastes, mais ces films vieillissent mal dans ma tête. Peut-être un problème d'absence d'identification à cet univers et de compassion envers les personnages.
Bon alors là je monte au créneau :mrgreen:
Eve est certes une critique "par la bande" (puisqu'indirecte) de la manière dont Hollywood traite ses interprètes "usagés" mais aussi ses auteurs (là on voit clairement la patte d'un Mankiewicz assez désabusé de ne pas se sentir reconnu à sa juste valeur... eh oui, même avec deux Oscars en poche à l'époque, et bientôt quatre!). Mais le film est bien plus que cela: le portrait d'une femme qui a le choix entre se cramponner à sa carrière, domaine dans lequel elle n'a plus rien à prouver et qui ne génère que conflits autour d'elles, et le lâcher-prise (relatif) pour une conquête plus intime et plus satisfaisante sur le long-terme (considérant la volatilité des allégeances dans le monde du spectacle): la vie de couple. Margo, dont Addison dit d'elle qu'elle est magnifique lorsqu'elle s'apitoie sur son propre sort, tombe le masque de la star et met ses peurs à nu devant Bill puis Karen, elle ne pourrait pas être plus humaine, plus simplement désemparée, plus digne d'être aimée. Surtout comparée à une Eve si glaçante à force d'être lisse et uniformément avenante.
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Ouf Je Respire
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Message par Ouf Je Respire »

Oui, d'accord. Je comprends. Mais, bizarrement, je n'ai aucune compassion pour Margo Channing (on parle du personnage du film, hein quoique :mrgreen: ). Je ne saurais expliquer pourquoi. Une nouvelle vision s'impose.
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Message par Strum »

Ouf tirez pas sur Kennedy a écrit :Oui, d'accord. Je comprends. Mais, bizarrement, je n'ai aucune compassion pour Margo Channing (on parle du personnage du film, hein quoique :mrgreen: ). Je ne saurais expliquer pourquoi. Une nouvelle vision s'impose.
Ce n'est pas forcément de la compassion que l'on ressent vis-à-vis de Margo, c'est plutôt de l'admiration. Cette admiration naît devant le spectacle de sa dignité. Margo est toujours digne face aux évènements ; le fond de son caractère, c'est la noblesse. C'est cette dignité, éclatante parce qu'elle cotoie des personnages près à tous les compromis, toutes les bassesses, qui crée les liens d'empathie qui l'unissent peu à peu avec le spectateur et qui fait que l'on se place à ses côtés, admiratif. Voilà pourquoi on l'aime dans la défaite, car quelque part sa défaite n'en est une que pour les vaniteux, pour ceux qui tiennent aux apparences et à l'apparat.
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Message par cinephage »

Ouf tirez pas sur Kennedy a écrit :Il faut dire qu'avec toutes les qualités qu'on peut lui prêter, je ne suis pas un grand fan des films qui traitent des dessous d'Hollywood (idem donc pour les Ensorcelés). Attention, je ne dis pas que ces films sont fades, ou mal construits, mes premières impressions sont d'ailleurs toujours très enthousiastes, mais ces films vieillissent mal dans ma tête. Peut-être un problème d'absence d'identification à cet univers et de compassion envers les personnages.
Un artiste finissant fatalement par avoir envie de parler de ce qu'il connait bien et de ce qu'il vit, c'est un sujet régulièrement visité au fil de l'histoire, et qui laisse des films bien souvent personnels. Que ces films abordent le problème de l'artiste, de la reconnaissance, et du travail impliqué de façon frontale (15 jours ailleurs, les feux de la rampe) ou plus indirectement (Sunset Boulevard, Cabaret, Les chaussons rouges...), ce sont des films qui mettent en avant la reflexion de l'artiste sur son travail, sur ses perspectives, sur son entourage immédiat, sur lui-même, en somme.

Des Ensorcelés à Bandwagon, en passant par la nuit américaine ou le dernier nabab, d'une étoile est née à All that Jazz, je trouve pour ma part un intérêt certain à ce type de films, au sein desquels Eve figure avec magnificence, qui oblige de facto les intervenants à se mouiller un peu, en tout cas plus que sur un film évoquant la guerre civile ou le casse du siècle.

Le problème alors, à mes yeux, est moins de m'identifier au détective ou au cow boy, mais plutôt d'écouter ces artistes me parler de leur vie, de leurs doutes, de leurs inquiétudes, et, le temps d'un film, de les comprendre (un peu) et de les laisser m'émouvoir (beaucoup).
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Message par kayman »

Jack Sullivan a écrit : PS bis: kayman, jette-ti sur ce film, enfin, t'es grand maintenant!
a y est, grosse claque...
je pensais le voir en deux fois, ayant commencé super tard, et finalement je suis resté scotché jusqu'au bout à plus de 3h du mat.

L'ayant enfin lu, bravo pour ta chronique, vraiment.
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Jack Sullivan
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Message par Jack Sullivan »

Merci monsieur :oops: De la part de quelqu'un qui m'a donné tellement d'envies de films, c'est un compliment qui me touche.
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Boubakar
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Message par Boubakar »

Cette chronique, ainsi qu'une a faite Roy, est parmi les meilleures que j'ai lu sur DVDCLASSIK. Jack, tu comptes faire d'autres critiques ?
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