Bien que je sois admiratif face à ses facultés visuelles et son imaginaire débridé, j'entretiens un rapport assez frustrant avec Terry Gilliam dont les films, du moins pour ceux que j'ai vus, sont à mon sens souvent, et à degré variable, autant émaillés de fulgurances que de faiblesses (généralement rythmiques et scénaristiques).
Les Aventures du baron de Münchausen ne déroge pas tout à fait à ce constat, mais cela n'en demeure pas moins une œuvre hautement estimable. Pour moi, ce film est assez caractéristique de l'aisance de Gilliam à se confronter à l'imaginaire et à l'onirisme, mais il est également illustratif de cette propension qu'a facilement le réalisateur à ne vite plus savoir canaliser son trop-plein d'énergie et d'idées. Certes, les conditions particulièrement chaotiques qui ont marquées la concrétisation du film sont évidemment à prendre en compte, mais le film n'en reste pas moins, plus d'une fois, un joyeux foutoir en dents de scie, où Gilliam enchaîne une à une les visions les plus fantastiques au gré d'un rythme clairement inégal et d'une mise en scène tellement exubérante qu'elle peut finir par en être un peu épuisante.
Le montage du film ne donne pas une grande impression de fluidité et, si l'on y ajoute la structure par "épisodes" de l'histoire, la lisibilité de l'ensemble en pâtit légèrement. On peut concéder que cela participe de l'affolement et de l'urgence de certaines situations (la bataille finale, par exemple), ou que ces aspérités créent volontairement ou involontairement un contexte plus favorable encore à l'intrusion du rêve et de l'enchantement. Mais personnellement je regrette un peu ce côté foutraque qui crée des déséquilibres entre différentes séquences (ainsi, la scène chez le Sultan ou celle chez Vulcain paraissent immédiatement mieux structurées que celle sur la Lune ou dans le théâtre), tout en reconnaissant paradoxalement que l'anarchie créative de Gilliam rend le film d'autant plus attachant. On sent en effet que le réalisateur est mû d'une soif inextinguible de grandiosité et de démesure pour son sujet, et qu'il s'acharne à traduire visuellement les péripéties du conte de la façon la plus inventive et enchanteresse possible, et sans aucun cynisme. Le conte étant le champ de l'imaginaire par excellence, Gilliam ne semble rien se refuser pour réaliser la meilleure des adaptations, celle qui se doit d'être un émerveillement continu.
Avec son exceptionnelle faculté à créer des images folles, et son goût prononcé pour la fable et les frontières indistinctes entre le réel et l'imagination, Terry Gilliam est le réalisateur tout trouvé et il ne se prive pas de le démontrer sur
Les Aventures du baron de Münchausen. Sa mise en scène développe un sens et un timing de l'idée visuelle absolument stupéfiant. Toute chaotique que soit l'expérience de ce film, chaque scène possède son lot de trouvailles, qui vont de la jubilation à l'ébahissement. Comment, en effet, oublier cette fascinante Naissance de Vénus botticellienne angéliquement animée ? Comment ne pas s'extasier face aux visions pharaoniques que nous propose Gilliam, de l'envol d'une montgolfière de fortune aux apparitions acrobatiques d'une Mort squelettique ? Deux collaborateurs me paraissent essentiels dans cet aboutissement formel. Le premier est le chef op' Giuseppe Rotunno, qui imprime au film de sublimes tons mordorés, ou lorgnant clairement vers la peinture "rocaille" du XVIIIe. Le second, évidemment, est le décorateur italien Dante Ferretti.
Auréolé du défi fou qu'a été
Le Nom de la Rose, Ferretti sert à Gilliam son expérience du décor excessif et onirique acquise chez Fellini. Sa direction artistique, tout bonnement prodigieuse, demeure à mes yeux l'une des plus abouties et incroyables du cinéma des années 1980. En Ferretti, Gilliam trouve momentanément l'homme à même de le suivre dans les idées formelles les plus folles. Cette collaboration, hélas unique, demeure un remarquable exemple d'associations de sensibilités totalement convergentes. Ferretti accouche de décors monstrueux, aussi bien dans leur superficie (il suffit de voir les grands travellings de Gilliam dans la Ville bombardée) que dans leur puissance incroyablement féérique. Forcément incomplet au vu du nombre de décors que compte le film, le chapitre du livre
Ferretti : the art of production design consacré à
Münchausen permet cependant, à la lecture des peintures préparatoires de l'artiste italien, de constater que ses visions ont été scrupuleusement matérialisées par un Gilliam sans doute comblé par leur force expressive, et que cette œuvre demeure l'une de celles dont Ferretti est le plus fier. On le comprend aisément quand on découvre avec émerveillement les délabrements de la Ville, les panneaux coulissants de la ville sur la Lune, les peintures rococo du Palais de Vulcain ou sa Salle de Bal toute de cascades et de fontaines crachantes...
Une scène qu'il faut se pincer les paupières pour la croire.
Un peu à l'instar de l'ouverture sur la scène du théâtre,
Les Aventures du baron de Münchausen s'apparente à la recréation d'une machinerie baroque et sophistiquée, une sorte de comédie-ballet de Molière et Lully pleine d'innovations techniques, et dont l'évidence de ses trucages n'altère en rien le pouvoir magique de leur réalisation. Ce film de Gilliam a quelque chose de profondément artisanal dans le sens noble du terme, comme une pièce filmée mise en abyme (ce qui rejoint le propos du film) et que l'on jouerait à l'aide de discrets cordages, de tentures peintes et de trappes invisibles. L'humour n'est pas forcément toujours très abouti et le résultat a beau être en dents de scie, il n'empêche qu'il n'en reste pas moins impressionnant et euphorisant. J'ajoute que John Neville tient sans doute là le rôle de sa vie. Quant à Uma Thurman en Vénus... c'est simple, je ne m'en suis jamais remis.