Peter Ibbetson - Henry Hathaway (1935)
Peter Ibbetson (Gary Cooper) est un homme marqué par un traumatisme alors qu'il n'était qu'un garçon : suite au décès de sa mère, le jeune Peter (Dickie Moore) doit partir pour l'Angleterre avec son oncle et se séparer de sa petite voisine Mimsey (Virginia Weidler) avec laquelle il a noué des liens forts qui dépassent la simple amitié. Devenu un architecte talentueux dans le Londres du XIXème siècle, Peter se rend dans la propriété d’un lord anglais, le Duc de Towers (John Halliday), qui a pour épouse Mary (Ann Harding) dans laquelle il reconnaît la petite Mimsey. La femme se rapproche de cet homme qu'elle a toujours aimée et le Duc, qui ne peut que constater cet amour (re)naissant, ordonne à sa femme de ne plus revoir son amour d'enfance. Alors qu'il est sur le point de quitter la propriété, Peter Ibbetson tue accidentellement le Duc et se voit emprisonné a vie. Mary et Peter ne peuvent plus se voir physiquement mais se retrouvent dans leurs rêves pour vivre cette vie qui a été brisée....
De la part de Henry Hathaway, on ne s'attend pas à découvrir un film comme
Peter Ibbetson. On est plus habitué à voir de ce réalisateur des films noirs comme
Appelez nord 777,
Le Carrefour de la Mort ou
L’impasse Tragique, des films d'aventures comme
Les 3 lanciers du Bengale ou
Prince Valiant ou tout simplement des westerns comme
Le Jardin du Diable.
Peter Ibbetson est un film qui se démarque complètement de la production des années 30 où règnent, entres autres, les films de gangsters et les comédies musicales.
Peter Ibbetson est un film à part, baignant dans une atmosphère onirique dès le générique du début, où l'amour transcende la vie réelle, où les rêves sont la continuité d'une vie brisée par la mort et qui offrent la possibilité aux 2 "amants" de vivre une vie idéale, artificielle, qui remplace une vie où tout les a séparés. Le film de Hathaway se divise très clairement en 3 chapitres qui sont 3 segments de la vie de Peter Ibbetson et qui mélangent réalité et rêves.
La première partie du film prend place à Paris pendant la jeunesse de Peter (alors appelé Gogo par la petite fille) et de Mimsey. La caméra du réalisateur nous fait découvrir, malgré des chamailleries qui semblent être celles d'un frère et d'une soeur, l'amour qui existe entre ce jeune garçon et cette fragile petite fille. Dickie Moore et Virginia Weidler sont réellement émouvants dans cette première partie et il est difficile de ne pas croire à la sincérité de l'amour que se portent les 2 jeunes enfants.
Le décès de la mère du jeune homme marque le début de leur séparation et met fin à cette vie d'insouciance dans ce cadre idyllique que représentent la maison et le jardin. L'oncle anglais vient briser le lien entre les 2 enfants et le jeune Pierre devient Peter Ibbetson sur le chemin qui l'emmène vers sa nouvelle vie.
Cette première partie est l'occasion pour Hathaway de mettre en avant 2 éléments importants que nous allons retrouver dans les 3 parties : la présence constante de barreaux entre les Peter et Mary et l'importance du contact physique matérialisé par cette main de Peter entourant celle plus fine et fragile de Mary...
La seconde partie du film est basée sur l’existence solitaire de Peter Ibbetson qui est envahi par ce qui peut s'apparenter à du spleen. Le jeune garçon devenu architecte s'ennuie à Londres et ne peut oublier cette cicatrice malgré une escapade parisienne où il rencontre une jeune anglaise bien entreprenante (Ida Lupino). Au contraire, ce voyage est l'occasion pour lui de revenir sur les traces de son enfance en se rendant dans la maison qu'il a quittée précipitamment et où il se souvient de tous les détails comme la balançoire et le banc où il retrouvait Mimsey. De retour en Angleterre, il se rend sur la propriété du Duc de Towers et rencontre sa femme qui souhaite restaurer ses écuries mais les 2 personnes ne semblent pas se reconnaitre lors leur première rencontre.
Hathaway n'oublie pas de placer ces 2 personnes de chaque coté de la grille....
...et c'est un rêve commun qui va leur fait comprendre qu'ils se sont enfin retrouvés....
...mais ces retrouvailles vont se terminer sur un malheur et une nouvelle séparation des 2 jeunes gens...
...symbolisée par un plan sur les 2 mains.
Vient enfin la 3ème et dernière partie. Hathaway nous transporte entre une réalité - qui montre la souffrance physique de Peter emprisonné et condamné à finir sa vie allongée à cause des maltraitances des gardiens et la souffrance mentale de Mary qui ne peut être aux cotés ce celui qu'elle aime - et le rêve qui permet aux 2 amants de se libérer et de vivre leur amour là où il s'était arrêté. La présence des barreaux prend ici tout son sens puisque Peter Ibbetson est prisonnier dans cette vie réelle et ne peut compter que sur les rêves pour retrouver Mary...sa bien-aimée apparait alors dans la cellule, lui tend cette main qui doit le délivrer, le transporter vers leur monde en s'affranchissant de ces deux barrière que sont les barreaux de la cellule et sa paralysie...
Ce dernier chapitre repose sur un onirisme d'une grande beauté où la superbe photo N&B du film prend tout son sens et permet à Hathaway de plonger les 2 jeunes gens, ainsi que le spectateur, dans un monde idéal. La force du film de Henry Hathaway est de créer un univers fantastique où le spectateur ne perçoit plus la séparation entre réalité et rêves : Peter Ibbetson rejoint-il réellement Mary dans ses rêves où échappe-t-il à une réalité qui le fait souffrir grâce aux visions de celle qu'il aime ? La fin du 3ème chapitre est le point culminant de l'aspect onirique du film car malgré la mort de Mary au sein de leur rêve - Hathaway montre une fois de plus l'importance du contact entre Peter et Mary lorsque celle-ci lui demande de tenir ses mains -...
...celui-ci ne s'arrête pas et Peter rejoint définitivement Mary dans la mort dans une scène finale parfaite. Le rêve perd sa fonction initiale qui était de leur permettre de se retrouver pour devenir la "dernière marche" du chemin qui les mène vers un
au-delà.
Hathaway rappelle une dernière fois l'importance du contact physique entre Peter et Mary mais sans filmer leurs mains comme ce fut le cas à la fin des chapitres 1 et 2 : ici ce sont les gants perdus par Mary lors de sa mort qui servent de contact entre la jeune femme matérialisée par la lumière et Peter qui la rejoint après avoir rendu son dernier souffle dans l'ombre de sa cellule.
Peter Ibbetson fait partie de mon top personnel, un film qui frôle, à mes yeux, la perfection, exempt de défauts, un film dont le dénouement final me touche beaucoup et que je rapproche à chaque vision d'un autre superbe film qu'est
L'aventure de Madame Muir. Le film de Hathaway repose sur une photo superbe, une mise en scène idéale et surtout sur 2 acteurs parfaits : Gary Cooper est un acteur d'une classe incroyable et qui retranscrit à l'écran toute l'émotion de son personnage. Ann Harding est quant à elle magnifique de beauté et de douceur, je ne peux imaginer une autre actrice dans le rôle de Mary tellement l'actrice est superbe dans ce film (
même pas la suédoise ).
Peter Ibbetson illustre l’amour dans ce qu’il a de plus fort, l'amour qui permet de s’affranchir des barrières de la vie réelle et outrepasser la mort...un chef d'oeuvre pour moi.