Kaneto Shindô (1912-2012)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Dorian Gray
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Message par Dorian Gray »

gnome a écrit :Bien voilà, c'est fait, j'suis inscrit... :wink:
Ce qui fait de toi mon premier "vrai" membre ! :D
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gnome
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Message par gnome »

Dorian Gray a écrit :
gnome a écrit :Bien voilà, c'est fait, j'suis inscrit... :wink:
Ce qui fait de toi mon premier "vrai" membre ! :D
:oops:
J'suis ému...

Et au fait, je ne l'ai pas encore dit, mais chapeau pour le travail... :wink:
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DVD EUREKA

Message par gnome »

Pour l'avoir entre les mains, je confirme que le DVD EURAKA a vraiment une très belle image qui tient la route tant dans les gros plans (assez nombreux) que dans les (tout aussi nombreux) plans larges notamment sur les champs ballotés par le vent. L'image est une merveille. Comme l'a fait remarqué Dorian, elle est cependant parasitée (surtout au début (générique et qques passages)) par différentes taches qui apparement n'apparaissent pas sur le Criterion ou le Wild side. Ca ne m'a pas paru particulièrement gênant, mais pour le puriste de la restauration qui ne supporte pas la moindre poussière, ça peut être gênant.

Concernant les bonus, ils reprennnent les bonus du Criterion (l'intéressant document de tournage en super huit, une gallerie de photo, la reproduction dans le livret d'une des apparement multiples variantes de la fable originale...) Auxquels s'ajoute un commentaire de Shindo passionnant. Je ne l'ai pas encore terminé, mais il s'étend sur les conditions de tournage, le choix des lieux, propose des pistes d'interprétation...

Il y explique notamment au tout début que l'image des herbes ballotées par le vent est une métaphore représentant l'époque troublée à laquelle se déroule le film...

Le commentaire déborde d'anecdotes du genre..

Pour tout fan anglophile du film , c'est l'édition à avoir!!!!! :D
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gnome
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Message par gnome »

Pour ceux que ça intéresse, j'ai terminé le commentaire : L'équipe fournit pas mal d'infos et d'anecdotes de tournage même s'ils se perdent parfois dans la discussion et comme je l'ai dit quelques pistes sur les symboles utilisés (le son des oiseaux sensés symboliser la fertilité lorsque Hachi cours en proie au désir...).
Un commentaire dans l'ensemble intéressant et instructif.

Les 45 minutes de tournage super 8 sur le tournage donnent une belle idée de l'ambiance de tournage sur le terrain. Et on voit en image une série de choses évoquées dans le commentaire (Le massacre de mites le soir...)

Un document intéressant. Mais forcément muet. Perso, je l'ai regardé avec la musique de "Paris, Texas" et ça passe très bien! 8)
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Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

Très impatient de voir d'autres films du réal de L'ILE NUE, qui m'avait assez plu je dois dire (cas rare pour un film asiatique dans mon cas) j'ai été plutôt surpris. Déjà, sans avoir lu de pitch, au seul titre je m'imaginais une sorte de polar médieval, mais alors pas du tout ce que j'ai vu. C'est une sorte de conte fantastique (en tout cas le film y glisse lentement mais sûrement) qui aurait pour sujet le sexe, les pulsions et désirs humains. On a aussi un contexte de domination (la vieille sur la jeune), de perte de controle (pareil), et comme dans L'ILE NUE on a des personnages qui subissent des conditions de vie très dures et qui, pour survivre et se payer à manger doivent agir contre leur grè (les paysans de L'ILE NUE se tuent à la tache avec leurs récoltes tandis que les deux femmes tuent et revendent les objets ainsi volés). Ce dernier point est le départ de l'histoire, mais c'est très vite oublié au profit de l'invasion de l'espace vital de ces femmes par un homme en rut qui va éveiller leur libido.

Je n'ai pas tout saisi, surtout vers la fin (il faudrait qu'on m'explique qui est dans la hutte du mec, pour ne pas en dire trop) où le temps est ellipsé au maximum: on reste quasiment dans des scènes de nuit, au fur et à mesure que la fin du film approche. Ce qui est indéniable c'est le sens du cadre, les éclairages. C'est limite expressioniste parfois. Et j'ai failli oublier un détail très important, presque le 4e personnage principal de l'histoire (peut-être le 1er d'ailleurs, en importance): les champs de roseaux où cela se passe. Excellent décor qui renforce encore plus l'ambiance particulière.

Un peu barré, mystérieux, mais intéressant encore une fois.
francis moury
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Eureka

Message par francis moury »

Intéressante comparaison dont je remercie bien sincèrement "Dorian Gray".

Quatre remarques toutes simples :

1) On y voit une chose qui saute aux yeux : l'édition Euréka présente davantage d'image. En hauteur comme en largeur.

2) Mais la copie chimique utilisée pour l'édition Euréka semble en plus mauvais état que celle des deux autres éditions.

3) Dans les 3 cas, il s'agit de 2.35 compatible 16/9 : si vous voulez voir l'image exacte correspondante à celle qu'on voit en salle, le 2.35 compatible 4/3 s'en rapproche bien davantage. Il est cependant possible de reproduire correctement du 2.35 en 16/9 mais les éditeurs ne le font que très rarement. Cf. : mes captures du générique de KWAIDAN dans la section Image du test du film de référence sur http://www.dvdrama.com

4) Une des trois éditions présente une image nettement plus sombre que elle des deux autres. Malheureusement il me semble que c'est l'Euréka, donc celle du milieu si ma mémoire est bonne ?
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Alligator
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Re: Onibaba - Kaneto Shindô

Message par Alligator »

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Personnellement, c'est mon premier Shindo et je découvre un cinéaste au style propre évident.
De très belle facture, avec un cinémascope astucieux, voire sublime. L'art de photographier la nature dans son mouvement est ici superbement maitrisé. Les hautes herbes plient sous le vent et forment un océan de solitude que le bruissement des herbes rend encore plus vivant.

Si l'histoire en elle même est superbement illustrée par la caméra, le jeu des personnages plutôt naturel, la beauté de la photographie avec un travail sur le noir et blanc fort admirable (les scènes de nuit sont aussi belles que celles de jour), si la caméra s'attarde volontiers sur les paysages fantômatiques d'une nature vivante (délicat paradoxe, véritable gageure de la mise en scène), l'évolution des personnages me parait tourner un peu en rond, ou plutôt n'aboutir qu'à très peu de choses intéressantes, peu profondes. La portée autre que symbolique se dérobe à ma sagacité. Hum hum.

Quoiqu'il en soit, le spectacle visuel est au rendez-vous et c'est une heureuse surprise.
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Re: Onibaba - Kaneto Shindô

Message par Alligator »

N'ayant pas trop envie de créer un topic sur ce seul film, je me permets d'investir celui-là et de l'élargir à son auteur. Si personne n'y voit d'inconvénient.

Yabu no naka no kuroneko (The black cat from the grove) (Kaneto Shindô, 1968) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... oneko.html

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_______________

Le précédent Kaneto Shindô que j'ai vu avait développé en moi une étrange paix, une fausse paix, une quiétude d'apparence, une réelle et concrète attention, faite de tension et d'intérêt intenses. Ce style de cinéma est très proche de la nature, des corps et des esprits, de la magie, du mystère, une riche palette de sensations et de sentiments, entre étrangeté et réalité. Ce Kuroneko est tout aussi plein de ces parures et ces caractères identitaires.

L'accompagnement sonore est superbe. Que ce soit dans les bruissements de la nature, le vent dans les feuilles ou dans les hautes herbes, le balancement des bambous, l'eau engloutie par des gorges assoiffées, les murmures ou les cris des êtres humains, ou bien que ce soit dans la bande musicale emplie de percussions aux tonalités très proches des sons de la nature, une musique de bois, le film place le son au cœur du dispositif de narration pour rythmer les actions des personnages et le déroulement du récit. Le décor en devient vivant, organique, il accompagne les morts comme les vivants. On entre ainsi dans un monde où nature et surnaturel sont intimement liés, où l'étrange est vrai et la vérité maquillée. Le visionnage devient une expérience sensitive, très douce.

La mise en image, imaginative, est plutôt contemplative la plupart du temps et s'encanaille parfois sur les séquences oniriques et magiques avec un gros travail sur les décors, les fumées, les maquillages, les ralentis, beaucoup d'effets spéciaux qui accentuent l'aspect fantastique que prend le film.

Peut-être pourrait-on faire au film le reproche d'être un tout petit peu long? Hum, chipotage.

C'est un très bel objet qui produit des atmosphères différentes mais toujours reliées entre elles par un style marquant, original et sensuel. Belle expérience visuelle et romantique. Encore une belle pierre à l'édifice cinématographique nippon. Arigato.
bruce randylan
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Re: Onibaba - Kaneto Shindô

Message par bruce randylan »

Alligator a écrit :N'ayant pas trop envie de créer un topic sur ce seul film, je me permets d'investir celui-là et de l'élargir à son auteur. Si personne n'y voit d'inconvénient.
Non, ça me va très bien. Ca m'évite d'en créer un aussi :fiou:

L'homme (Kaneto Shindo - 1962)
Programmé dans le cadre ATG de la Maison de la Culture du Japon et pour cause c'est la première œuvre distribuée par l'ATG

Lors d'une sortie en pleine mer pour pêcher, un navire avec 4 occupants se trouve en pleine tempête. Sans mât, moteur ni moyen de prévenir du secours, le bateau et ses passagers sont immobilisés en plein océan. Avec peu de nourriture et de l'eau douce, l'équipage se scindent bientôt en deux groupes : le commandant et son neveu qui veulent rationaliser au maximum les vivres pour durer le plus longtemps tandis que les 2 employés (un homme et une femme) sont d'avis d'en profiter tout de suite puisqu'ils se savent condamner.
La tension, la chaleur, la soif, le temps qui passent, le soleil, la stagnation, la fatigue, la paranoïa et la faim... Surtout la faim... Que faire ?


Tourné juste après l'île nue, Kaneto Shindo livre une nouvelle histoire cruelle qui se veut une nouvelle parabole sur une humanité peu reluisante. Sa fable aurait sans doute été plus efficace avec une dernière partie réussie qui reste le point noir de ce film. Une conclusion décevante qui ne va pas jusqu'au bout de son principe et s'égare dans une ultime séquence à la limite du grotesque gâchant la bonne impression des 90 minutes précédentes.

Car ça commençait plutôt bien, voire très bien. Le début est frais, avec des personnages hauts en couleurs et bons vivants et plein d'entrain. Puis la tempête assez spectaculaire et bien filmé avec un système D ingénieux. Et enfin la lente et longue attente. Une attente de plus en plus douloureuse qui pousse au bord de la folie faisant naître suspicions, hallucinations, affrontements et une faim qui pousserait même à l'inconcevable.

La réalisation de Shindo est immersive au possible avec un scope noir et blanc qui dynamise beaucoup ce huit-clos en pleine mer dont une bonne partie est tourné dans la cale du navire. Il alterne scènes très découpées (qui oppose les points de vues pour traduire la tension, le malaise et la haine montants) et longs plans qui captent en une prise toute la folie qui s'empare des survivants comme dans ce plan-séquence en 360° où les 2 employés commencent à penser à la solution la plus radicale pour survivre.
Shindo fait preuve d'un excellent sens de l'espace dans la manière dont les personnages se l'approprient et qui peut faire office de métaphore sociale. Sa réalisation est en tout cas très inspiré avec de plus un très beau noir et blanc qui rend aveuglant et inquiétant le jour et rend rassurant les fonds du navire où la démence peut germer plus facilement car couper du monde.
Il parvient à mettre en image l'univers mental de ses personnages sans tomber dans les effets de style démonstratifs : quelques furtifs flash-backs, une lumière étouffante, l'absence de repère temporel, les ellipses, la durée des plans, les mouvements de caméra etc... Et il y a bien-sûr un casting qui ne fait pas toujours dans la sobriété mais qui va avec l'histoire.

Du très bon travail pour un film prenant même si le rythme suit aussi l'attente et la lente agonie. Dommage donc pour le dénouement décevant.
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Re: Onibaba (Kaneto Shindô - 1964)

Message par magobei »

Du coup, ne vaudrait-il pas la peine de renommer ce topic? Shindo mérite bien un topic dédié... Avis à l'auteur et/ou aux modos :wink:
A noter que Janus Films a ressorti récemment Kuroneko en salles aux USA, donc on peut espérer une édition BR.
"In a sense, making movies is itself a quest. A quest for an alternative world, a world that is more satisfactory than the one we live in. That's what first appealed to me about making films. It seemed to me a wonderful idea that you could remake the world, hopefully a bit better, braver, and more beautiful than it was presented to us." John Boorman
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gnome
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Re: Onibaba (Kaneto Shindô - 1964)

Message par gnome »

Personnellement, il m'avait un peu déçu, Kuroneko alors même que j'aime beaucoup le cinéaste pour ce que j'en ai vu. Onibaba avait été une terrible découverte.

Voilà ce que j'en écrivais dans le topic naphtalinnippon :
- Kuroneko de Kaneto Shindo 7.5/10
Un cran en dessous d'Onibaba cette histoire d'une mère et d'une épouse violées et assassinées par un poignée de samouraïs en déroute. Laissées pour mortes dans leur maison incendiées, suite à un pacte avec les forces obscures et par la "magie" d'un chat noir, elles vont revenir à la vie et n'auront de cesse de se venger des samouraïs jusqu'à ce que le fils (et époux) parti à la guerre ne revienne... en samouraï... Après le viol et l'incendie de la maison, la première partie se fait assez répétitive avec une série de meurtres perpétrés par les deux femmes damnées. Meurtres très bien mis en scène avec quelques très beaux plans comme celui où la jeune femme se déshabille derrière un voile. La mise en scène est intelligente mais le processus se montre un peu trop redondant. Ce n'est qu'à l'arrivée du fils que le film gagne réellement en profondeur avec le dilemme de l'épouse et les états d'âme de ce samouraï contraint par sa hiérarchie à combattre celles qu'il aime. Pas le chef d'oeuvre attendu, ni le meilleur film de Shindo, mais un bon film assurément.

J'en profite pour poster la chronique que j'avais fait d'Onibaba sur feu Chambara.net (attention spoilers possibles):
Onibaba

Dans un Japon médiéval déchiré par d’interminables luttes intestines, deux femmes, une mère et sa belle-fille, sont obligées de tuer et dépouiller les samouraïs égarés pour survivre et subvenir à leurs besoins tout en attendant le retour du fils (et mari) et la fin des conflits pour reprendre une vie normale et cultiver à nouveau comme avant. Cette petite association fonctionne bien jusqu’au jour où revient Hachi, compagnon d’arme du fils, qui leur apprend le décès de ce dernier au combat. Installé dans une hutte non loin de celle des femmes, Hachi ne tardera pas à être attiré par la jeune veuve, compromettant ainsi le fragile équilibre qui l’unissait à sa belle-mère.

Après avoir mis en scène une série de films sociaux et sur le désastre que fut Hiroshima sa ville natale, Kaneto Shindo obtient la consécration critique en 1960 avec « L’île nue (Hadaka no shima) », grand prix au festival international du film de Moscou. Il traverse ensuite une période un peu plus creuse où la reconnaissance publique et critique ne suit plus et décide de se tourner vers un cinéma plus populaire et commercial en injectant dans « Onibaba » des éléments érotiques et horrifiques. Il n’en oublie pas pour autant ses considérations socialistes à travers la description de la misère paysanne incarnée par les deux femmes (volontairement sans nom) obligées de tuer pour survivre. Une misère consécutive au départ des hommes et à une guerre civile (l’action du film se situe durant la période Sengoku au 15 - 16ème siècle) dont elles (la paysannerie) ne comprend pas les enjeux (voir à ce titre le dialogue avec le samouraï masqué (« Ils meurent en vain » dira la vielle femme)). Ayant perdu presque toute humanité, elles sont condamnées à vivre quasi à l’état de bêtes une vie réduite aux pulsions de base (se nourrir puis, avec l’arrivée de Hachi pulsions sexuelles).
A ce titre, le trou (Le trou, profond et sombre. Ses ténèbres existent depuis les temps anciens.) est pour Kaneto Shindo, une métaphore de cette misère noire séculaire dans laquelle est plongée et meurt cette paysannerie. Une misère qu’il connaît bien puisque qu’il est lui-même fils de paysan. La jalousie de la plus âgée vis-à-vis de Hachi est guidée d’ailleurs autant par la rivalité sexuelle qui se développe vis-à-vis de sa belle-fille que par la crainte que cette relation puisse bien la priver de cette belle-fille dont elle a besoin pour tuer et donc… survivre.
Shindo s’inspire pour son film d’une fable bouddhiste de Saint Rennyo intitulée « Le masque de chair », mais en détourne le sens pour aborder le sujet qui l’intéresse : le désir, les pulsions sexuelles… Dans la fable originale, une jeune femme se rend au temple tous les soirs pour prier. Sa belle-mère n’aimant pas cela se couvre d’un masque de démon pour l’effrayer et la dissuader de se rendre au temple. Bouddha voyant cela décide de la punir en fixant définitivement le masque à son visage. Elle ne sera libérée du sortilège qu’en priant Bouddha intensément.
Ici, il n’est évidemment pas question de temple, mais d’un homme seul de retour des combats, de femmes livrées à elles-mêmes, d’attirance mutuelle et d’assouvissement de désir sexuel. La sexualité des personnages est le thème central du film et Shindo la filme avec sensualité dans un superbe noir et blanc contrasté. Il met en scène le désir qui monte chez Hachi lorsqu’il regarde la jeune femme battre le linge, chez la vieille lorsqu’elle les observe faisant l’amour ; mais il montre aussi que l’inassouvissement de ce désir peut avoir de terribles conséquences (Hachi court dans les herbes en proie à une sorte de folie, de frénésie avant de se rouler dans l’herbe comme un animal, la vieille se caresse contre un arbre…). Le film décrit bien le jeu des séductions mais aussi la jalousie montante de la belle-mère ; jalousie toujours plus maladive que les rencontres entre les deux amants chargées d’érotisme se font plus fréquentes. Jalousie qui va la mener à sa perte…
La pulsion sexuelle et l’amour sont plus forts que tout et plus importants que tout. Tel est un des messages du film. L’attirance qu’a la jeune femme pour Hachi finira par lui faire braver le démon (qu’elle avait craint jusque là) et lorsqu’elle parlera à Hachi de l’enfer que sa belle-mère lui avait prédit pour leur relation, celui-ci lui répond : « Pécher ? Des gens font ça depuis des milliers d’années… Mais j’irais en enfer pour toi ! ». Cette relation constitue d'ailleurs pour la jeune femme, dès lors qu'elle est entamée, une échappatoire à la routine de survie qui est la sienne. Ses journées ne sont plus seulement rythmées par les gestes quotidiens, elles sont motivées par cette relation et ne se déroulent plus que dans l'attente du soir, moment privilégié de la rencontre. Cette relation lui permet en quelque sorte de vivre un peu, là où elle ne faisait que survivre avant. Seule la mort semble être plus forte que tout. Une mort omniprésente dans le film, crue, cruelle, en opposition avec la fraîcheur de la relation entre Hachi et la jeune femme. Une mort vécue au quotidien par ces temps troublés.
Un film brutal, cruel, sensuel aussi, où la mort a le goût sale de la boue et de la fange et l’amour celui des corps mouillés de sueur s’étreignant à l’abri des roseaux. A découvrir d’urgence !
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bruce randylan
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Re: Onibaba (Kaneto Shindô - 1964)

Message par bruce randylan »

Histoire singulière à l'est du fleuve (1992)
Un écrivain solitaire se lie à une prostituée rencontrée un soir d'orage. Ils deviennent bientôt amoureux et projettent de vivre ensemble.

Avec l'homme Kaneto Shindo, signait la première œuvre de l'ATG, avec ce titre-ci il signe la dernière.
Une jolie conclusion dans un film, certes académique, mais très bien raconté, très bien joué et très prenant. Le ton est décontracté, naturel, spontané mais non dénué de mélancolie et de gravité. L'histoire est très épuré pour ne garder que l'essentiel sans être parasiter par de nombreux second rôles, sous-intrigues ou changement de registre. On reste sur l'histoire d'amour avant tout.
il est très intéressant de la comparer avec la version de Shiro Toyoda qui livrait un film plus frais et chaleureux mais aussi moins équilibré dans son scénario et qui souffrait de quelques défauts à la limite du frontière du mélo. La grosse différence vient du fait que dans la version Toyoda, l'écrivain est marié et que son épouse essaye de retrouver une place dans le couple.
En celà, les deux titres se répondent et se complètent très bien, loin de se répéter. Une habile variation sans savoir laquelle est la plus proche du roman de Kafu Nagai.

En tout cas, le film reste une bonne surprise. Le film aurait eut plus d'idée graphiques (comme l'ombre chinoise de la locomotive passant derrière l'écrivain en train de faire l'amour), ça ne m'aurait pas déplu mais ça ne m'a pas empêché de profiter de cette histoire pas si singulière.
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Re: Onibaba (Kaneto Shindô - 1964)

Message par Demi-Lune »

Un travail d'atmosphère de premier ordre pour un grand film, sensitif, fascinant, qu'il serait restrictif de catégoriser dans la J-horror. Shindo transcende un récit volontairement minimaliste en dotant sa mise en images (esthétiquement remarquable) d'une fièvre, d'une sensualité, d'un malaise indescriptible - rarement des plans sur des hautes herbes s'agitant au gré du vent auront été aussi inquiétants. L'ouverture muette tient du génie. En fonctionnant sur une forme de lenteur calculée, presque ritualisée, Onibaba happe le spectateur dans un voyage étrange, suffocant, quasi onirique... Shindo semble vouloir nous aspirer dans son trou béant, dérangeant, vaginal. Les images diffusent un charme obsédant auquel n'est pas étranger l'érotisme du film, pour le moins inattendu. Va falloir que je me penche sur L’Île nue au plus vite.
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Re: Onibaba (Kaneto Shindô - 1964)

Message par Père Jules »

Demi-Lune a écrit :Va falloir que je me penche sur L’Île nue au plus vite.
Ça me parait être une obligation. Content en tout cas que tu aies complètement adhéré à ce film.
Je me permets également de te conseiller La femme des sables de Teshigahara. ;)
Dernière modification par Père Jules le 24 déc. 12, 11:03, modifié 1 fois.
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Demi-Lune
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Re: Onibaba (Kaneto Shindô - 1964)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit :Je me permets également de te conseiller La femme des sables que Teshigahara. ;)
C'est pas Anorya qui dirait le contraire. :mrgreen: Oui, il fait partie de ma petite liste depuis quelques temps. :wink:
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