Electroma (Thomas Bangalter & Guy-Manuel de Homem-Christo alias les
Daft Punk - 2006).
Warning : Big Spoilers.
Dans un monde indéterminé, des robots tentent à tout prix de devenir humains...
Daft Punk,
part two. Au cours de la même soirée au Gaumont Parnasse
(voir par ici), deux films étaient projetés, Electroma, l'expérimental et contemplatif film du duo musical était le second. L'occasion pour moi de regarder d'un regard presqu' ironique dans la salle les gens venus comme en pantoufles voir un film aussi coloré qu'I
nterstella alors qu'en fait c'est presque tout l'opposé. Alors qu'est-ce donc qu'
Electroma me direz vous ? Tout simplement une fable humaniste de science-fiction taillée dans du road-movie fortement imprégné des 70's.
Oh oui, tu la sens bien l'influence de Gus Van Sant ici.
Electroma comparé à Interstella 5555 est presqu'entièrement le projet du duo musical cette fois-ci. Pour preuve, ce sont chacun des deux Daft qui réalisent cette fois --Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo--, le premier s'occupant même de la photographie avec un soin dans l'esthétique qui force le respect (d'autant plus qu'il me semble qu'il tenait une caméra pour la première fois !). Quand au film en lui-même, il est traversé à la fois par le respect des autres road-movies pré-existants (tiens, une scène d'explosion revue 3 fois sous différents angles ici m'évoque un peu le Zabriskie Point d'Antonioni maintenant que j'y pense. C'est troublant), des références cinéphiliques en vrac (principalement le Gerry de Gus van Sant --plans dans la voiture sur lesquels on pourrait mettre du Arvo Pärt, plans-séquences sur la marche des personnages dans le désert étirés à mort afin de faire ressentir la temporalité au spectateur-- ainsi que le 2001 l'odyssée de l'espace de Kubrick et le THX-1138 de George Lucas --Contraste noir et blanc clinique et extrême à faire pâlir d'envie un Roberto Rodriguez sur fond de symétrie quasi-parfaite dans la scène du laboratoire--...), comme d'une vraie touche personnelle sensible, n'appartenant au fond qu'a lui.
On se croirait dans le vaisseau
Discovery de
2001 (tiens,
Discovery, les
Daft punk, la date de sortie (2001) du disque...matière à creuser
).
Car le film est ponctué d'idées en vrac qui ne doivent finalement rien aux autres, surgies d'on ne sait où, sans doute de nulle part et partout. Déjà, un parti-pris, celui de diviser le film en autant de chapitre en mettant des inserts de fragments de flammes (faisant en fait écho à la fin du film comme on s'en aperçoit lors du visionnage) fascinants. Ensuite, de peupler tous les êtres quasiment de masques à leur effigie afin de créer une population entièrement mécanique. Le contraste avec leurs masques à têtes d'humains qu'on jurerait issus des Guignols de l'info ne fait que prolonger la stupeur et le sourire bienvenus (je soupçonne ces têtes d'être celles, à peine caricaturées, de Bangalter et Homem-Christo). Et puis, plus le film avance, plus il débouche sur une sorte d'errance touchante des personnages. Pas de paroles, que des non-dits, des plans étirés, des jeux d'angles et de flou.
Le désert, filmé avec une sensualité incroyable sur fond de Linda Perhacs.
A ce stade, le manque affectif se fait confondre avec le désert, celui-ci devient un personnage à part entière où l'espace d'un instant les dunes sont filmées comme autant de courbes d'un corps de femme, jusqu'à pousser cette idée folle dans ses retranchements...
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- on débouche sur un sexe féminin filmé en contrejour, ce qui donne une étrange dune de sable et d'herbe et l'on met quelques secondes de retard à s'apercevoir que quelque chose cloche !
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- Les personnages-mêmes des robots qu'incarnent les Daft Punk, ou plutôt leur imagerie est elle-même poussée à bout, jusqu'à les doter de boutons d'auto-destruction, de quelque chose d'encore plus mécaniquement étrange sous le casque dont se dotent les musiciens, de fragments éparpillés, de corps qu'on brûle...
Et le plus stupéfiant dans cet étrange voyage reste sans doute cette esthétique à la limite du radical, jouant parfois sciemment sur l'empathie du spectateur (un plan-séquence notamment encore plus long que chez Tarkovski ou Van Sant --mais largement moins vain pour moi que le fait de filmer un couloir avec un mec qui balaie comme chez McQueen (
Hunger) (j'avoue ce jour là j'ai souffert le martyre
). Ici il nous faut faire ressentir la douleur de la perte à travers l'errance et la marche, douleur qui, là aussi, règle la logique de destruction et de mort jusqu'au bout comme si les robots étaient indissociables, ne fonctionnant qu'en duo. Et Daft Punk sans l'un de ses membres, ce n'est effectivement plus Daft Punk -- semble conçu uniquement sur la durée afin de briser les nerfs de celui qui regarde... ou presque), cette absence de paroles de tout le film, cette musique volontairement 70's (les Daft ne font que s'occuper de quelques effets sonores mais sinon on navigue entre Todd Rundgren, Curtis Mayfield, Brian Eno, Linda Perhacs et j'en passe), les plans de paysages et les références...
Si vous acceptez de faire le voyage dans un film au rythme lent, que vous aimez être surpris par une certaine esthétique, que vous préférez les robots et la science-fiction utopiste à la musique électronique qui fait vibrer le plancher et l'animation japonaise, allez voir ce film, vous ne le regretterez pas. Si vous aimez ce que j'ai cité auparavant, regardez le aussi.
Si vous m'aimez bien, regardez le aussi aussi.
5/6.