Le Cinéma britannique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Don't Talk to Strange Men de Pat Jackson (1962)

Image

Un petit thriller rondement mené et produit à l'époque pour constituer un double programme avec le bien plus renommé La Solitude du coureur de fond de Tony Richardson. L'argument de départ est à la fois désuet et parfaitement d'actualité. Dans une petite ville anglaise, un pervers sème la terreur en séduisant des adolescentes qu'il assassine après les avoir amenée à le rencontrer. Le film s'ouvre sur une glaçante séquence muette voyant une jeune fille emmenée par un automobiliste. La voiture s'enfonce dans les ténèbres de cette route campagnarde tandis que s'affiche le titre lourd de sens et ne laissant aucun doute quant au terrible sort de l'adolescente dont le cadavre est découvert dès la scène suivante. Après avoir assisté aux conséquences fatales de ses manœuvres, nous verront plus précisément son mode opératoire pour séduire ses jeunes victimes. Celle-ci se présentera en la personne de Jean (Christina Gregg) qui a le malheur de répondre à la sonnerie d'une cabine vide et être rapidement subjuguée par les flatteries et le timbre séduisant de son interlocuteur.

ImageImage

La scène d'ouverture ayant suffi pour signifier le danger encouru, le scénario en contrepoint s'attache à dépeindre l'innocence de Jean immédiatement amoureuse et s'attarder sur sa famille. L'héroïne nous est ainsi immédiatement attachante ainsi que la charmante petite sœur jouée par Janina Faye (qui s'y entend en frayeur puisque ayant joué dès son plus jeune âge dans de nombreuses productions Hammer). La courte durée du film (une heure à peine) évite de rendre trop répétitif une intrigue se résumant aux rendez-vous téléphoniques entre le prédateur et sa proie puis les rêveries de cette dernière croyant avoir le prince charmant à l'autre bout du fil.

ImageImage

Tout cela nous mène à un dernier quart d'heure absolument haletant et réellement surprenant dans ses péripéties qui verront la petite sœur se confronter à son tour au tueur. La mise en scène de Pat Jackson est assez sobre pour ne pas dire plate dans l'ensemble mais est bien plus inspirée dès que le suspense s'installe. En miroir de sa scène d'ouverture tendue, Jackson use des même procédés durant son final où il installe le malaise avec un rien, l'absence de musique permettant d'exploiter l'environnement rural dans la bande son, la photo donne un tour oppressant à cette forêt gagnée par l'obscurité et la robe blanche de Jean isolée dans ce cadre illustre bien son innocence menacée. Belle idée également faire du tueur une simple voix tout au long du film même lorsqu'il apparait physiquement ce qui lui donne une aura plus inquiétante notamment lors du climax particulièrement réussi. On pourrait facilement pointer la nature dépassée du film avec ce contact fait par cabine téléphonique (ainsi que la naïveté de l'héroïne) mais le tout fonctionnerait tout aussi bien en remplaçant par internet ou le téléphone portable, preuve de l'efficacité de thriller. 4/6

ImageImage
Avatar de l’utilisateur
Commissaire Juve
Charles Foster Kane
Messages : 24564
Inscription : 13 avr. 03, 13:27
Localisation : Aux trousses de Fantômas !
Contact :

Re: Le cinéma britannique

Message par Commissaire Juve »

Je l'ai, celui-là :mrgreen: ... je disais la même chose là : test et présentation ('tain, je viens de voir qu'il n'était même référencé sur Gogol ! c'est bien la peine de se décarcasser ! :x ... ah si ! il y est... mais il est mal référencé)
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Ah oui bien vu le côté film institutionnel de prévention :mrgreen: c'est vrai que ça donne vraiment cette impression et c'est ce qui fait à chaque fois stopper net les situations avant que ça devienne trop sordide tout en restant très inquiétant. Le film tient bien cet équilibre tout en réussissant à maintenir le suspense, le début et la fin font vraiment leur petit effet. Et oui super mal référencé je n'ai même pas réussi à trouver une affiche originale...
Avatar de l’utilisateur
Commissaire Juve
Charles Foster Kane
Messages : 24564
Inscription : 13 avr. 03, 13:27
Localisation : Aux trousses de Fantômas !
Contact :

Re: Le cinéma britannique

Message par Commissaire Juve »

Hé, mais je n'avais pas lu l'encart de présentation à l'intérieur du boîtier ! (je le jure, votre honneur) Je vois qu'on dit tous la même chose. :mrgreen:

J'ai quand même découvert -- grâce à toi (puis à l'encart) -- que ces petits films servaient dans des doubles-programmes ! Tout s'explique. Et surtout, je vois que la soeur de l'héroïne de "Don't talk to strange men" -- Janina Faye -- avait déjà joué dans Never Take Sweets from a Stranger (1960) ! :lol: :lol: :lol: Tout un programme !

A propos du double programme : ce texte un peu aride.
Le double programme apparaît quoiqu’il en soit comme une pratique spécifiquement populaire qui s’oppose directement à la sacralisation des oeuvres cinématographiques. Forcément mal vu des professionnels du cinéma, artistes en premier lieu, le double programme est supprimé par le COIC en 1940
Euh... en 1980, je peux témoigner que des salles parisiennes pratiquaient encore le double programme... C'est ainsi que j'ai vu en même temps :

- Un tueur dans la foule (Charlton Heston) + Galactica la bataille de l'espace :oops:
- Le canardeur (Clint Eastwood) + The long riders (en mai 1981, au cinéma "Le Bergère" !)
Dernière modification par Commissaire Juve le 4 août 14, 01:56, modifié 2 fois.
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Commissaire Juve a écrit : Et surtout, je vois que la soeur de l'héroïne de "Don't talk to strange men" -- Janina Faye -- avait déjà joué dans Never Take Sweets from a Stranger (1960) ! :lol: :lol: :lol: Tout un programme !
On se spécialise dans les genres qu'on peut :mrgreen: Je lui trouvais pas mal de charisme d'ailleurs à la petite soeur, plus que l'héroïne mais en regardant un peu sur wikipedia elle n'a pas fait une carrière très passionnante la Janina Faye...

edit : Le Canardeur + Alien ça c'est du double programme qui claque !
Avatar de l’utilisateur
Commissaire Juve
Charles Foster Kane
Messages : 24564
Inscription : 13 avr. 03, 13:27
Localisation : Aux trousses de Fantômas !
Contact :

Re: Le cinéma britannique

Message par Commissaire Juve »

Profondo Rosso a écrit :La Chambre indiscrète de Bryan Forbes (1962)

... il faut voir sa mine terrifiée lors de sa première nuit dans sa chambre miteuse)
Toi, tu n'as visiblement jamais passé la nuit dans une chambre infectée de cafards ! :mrgreen: Ça m'est arrivé au milieu des années 90, un 15 août, dans un hôtel 1 étoile en face de la gare d'Albi. Une nuit d'enfer (j'entendais les coups de semelle écrasant les "bugs" dans la chambre voisine)... comme dit le Noir dans "La chambre indiscrète", c'étaient d'authentiques "night bugs". Je n'ai pas dormi de la nuit et j'ai attendu le lever du jour pour sauter dans le premier train et rentrer à Paris ! :mrgreen:

Quand je suis allé signaler le problème à la réception, on m'a dit :
Va falloir cohabiter !
Au moins, on ne m'a pas accusé d'avoir apporté les "bugs" avec moi comme le fait la "sympathique" Avis Bunnage dans le film. :mrgreen:

Je m'en suis repassé une partie hier soir... brrr ! Et cet aprèm, j'ai montré les deux passages avec les "bugs" à ma mère (genre de truc qui lui fait bien dresser les cheveux sur la tête ; on a bien ri).

Après, je me suis rappelé que j'avais The pleasures girls / Les filles du plaisir (Gerry O'Hara, 1965) en BLU / DVD depuis Noël 2010 et que je ne l'avais toujours pas visionné en entier. Il était temps.

Image

A l'occasion, en me demandant ce qu'était devenue Francesca Annis (née en 1945) -- qui avait un nez bien proéminant, mais un joli sourire, de beaux yeux de biche et une façon charmante de danser -- j'ai découvert qu'elle avait été en couple avec... Ralph Fiennes (né en 1962). La vache ! :o

Incidemment : dans la filmo de Francesca Annis, je vous recommande Saturday night out (1964) présentation au commissariat... sa partie -- où elle nous la joue un peu Cosette -- est très attendrissante (quand on a l'âme fleur bleue).
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

I Was Happy Here de Desmond Davis (1966)

Image

Cass (Sarah Miles) habite à Londres où elle est mariée à un docteur. Mais le jour de noël, elle rentre seule dans le village où elle a grandi, sur la côte irlandaise. Elle reprend contact avec son premier amour, mais son mari débarque pour tenter de la récupérer.

Quatre ans avant La Fille de Ryan, Sarah Miles traînait déjà sa mélancolie sur fond de paysages irlandais dans ce beau et méconnu portrait de femme. A première vue, le film est une alternative féminine aux fleurons de la Nouvelle Vague anglaise et des kitchen sink drama mettant ordinairement en scène des personnages masculins rétifs à l'autorité, à une vie rangée et sans éclat. L'amalgame est d'autant plus parlant avec la présence à la réalisation de Desmond Davis qui fut le directeur photo de Tony Richardson sur A taste of Honey (1961) et La Solitude du Coureur de Fond (1963). Le film s'avère bien plus riche que cette base en y regardant de plus près sur son générique. Le scénario est en effet co écrit par Desmond Davis et la célèbre romancière irlandaise Edna O'Brien. Celle-ci se fit connaître par son ouverture et ses opinions féministes contestant l'ordre moral et familial de l'Irlande catholique et nationaliste et s'inscrivant dans le mouvement du révisionnisme culturel irlandais avec des auteurs comme John McGahern. Ses ouvrages furent interdits en Irlande à cause de leur contenu sexuel explicite et l'auteur se fit connaître au début des 60's avec sa trilogie des Country Girls (The Country Girls en 1960, The Girl with Green Eyes en 1964 et Girl in Their Married Bliss en1964) suivant le parcours et l'émancipation de Kate et Baba, deux jeunes provinciales irlandaises. Desmond Davis avait déjà adapté Edna O' Brien avec son premier film Girl with Green Eyes, celle-ci signant même le scénario. Une collaboration fructueuse qui les amène donc à travailler ensemble à nouveau sur I Was Happy There (connu aussi sous son autre titre Time Lost and Time Remembered) adapté cette fois d'une de ses nouvelles, A Woman by the Seaside. Si la dimension politique et la critique envers la société irlandaise sont absents du film, on y retrouve cependant toute les préoccupations sociales et féministes d'Edna O'Brien et l'ensemble est totalement imprégné de la si particulière atmosphère rurale irlandaise qui parcoure ses romans.

ImageImage

Le film narre le retour au pays de Cass (Sarah Miles), jeune femme irlandaise parti pour Londres cinq ans plus tôt. Le personnage déambule avec nostalgie et mélancolie à travers les paysages ruraux irlandais, avec les yeux émerveillé d'une petite fille. Elle le sait maintenant, que l'époque où elle vécut en ces terres fut la période la plus heureuse de sa vie. Une narration en flashback va ainsi nous dévoiler progressivement les causes de ce retour et de ce désenchantement. Cass à peine sortie de l'adolescence tomba folle amoureuse du pêcheur Colin (Sean Caffrey) avec lequel elle vécut une romance juvénile et passionnée. Davis fait la transition entre un même décor tour à tour nocturne dans le présent où le traverse Cass puis immaculé d'une atmosphère estivale idéalisée lors des flashbacks pour faire revivre cet amour passé. Il faudra bien David Lean pour rendre Sarah Miles plus belle à l'écran tant son visage baigné de tristesse et son regard perdu sont magnifiquement mis en valeur ici. Le film baigne dans un spleen contagieux où le sentiment dominant sera celui du regret. Bien décidée à quitter sa campagne, Cass partira à Londres mais y attendra en vain que l'y rejoigne Colin qui partit voyager autour du monde préfèrera revenir au pays. Cass livrée à elle-même et perdue dans la grande ville y cèdera à l'arrogant Matthew Langdon (Julian Glover) pour un mariage malheureux. Après une énième dispute et humiliation, elle décide donc de revenir dans son village et de peut-être renouer avec Colin qu'elle n'a jamais oublié. Seulement Matthew a également fait le voyage afin de la ramener.

ImageImage

Le film baigne constamment entre atmosphère pastorale pratiquement onirique (les nombreux inserts sur les pierres tombales typiquement irlandaise à la fin, les chants traditionnels) et idées formelle plus moderne. Le côté très contemplatif sert la dimension introspective du récit (il y a quelque chose d'Antonioni dans tout cela, Sarah Miles connaîtra d'ailleurs quelques mésaventures avec le maître italien sur Blow Up la même année) où chaque décor ou objet réveille un doux souvenir alors qu'à l'inverse toute intrusion plus brutale par un dialogue où un bruit incongru dans la bande son ramène à un épisode douloureux. On restera ainsi émerveillé par les flashbacks irlandais où une Sarah Miles radieuse déambule pleine de vie dans des extérieurs somptueux (ce travelling l'accompagnant à vélo sur la plage). Au contraire tout ce qui est associé à la ville est synonyme de solitude et d'oppression, la silhouette de Sarah Miles si épanouie dans son Irlande natale se ployant sous l'urbanité écrasante de Londres.

ImageImage

Cette opposition se fera également par le traitement différent des deux romances. Libre et sincère à la campagne et baignée de faux-semblants et des codes du paraître à la ville, à l'image de Matthew amant tendre et prévenant dans l'intimité et se devenant un goujat hautain en société. Loin de l'image du Swinging London, Davis fait de la ville un temple de la consumérisation et de l'hypocrisie (Matthew dissimulant la modeste profession de Cass à ses amis) où celui ne sachant pas s'adapter devient une proie aisée. C'est ce qui arrivera à Cass qui dans un moment de désespoir cède aux assauts de Matthew et qui enceinte finira par l'épouser. On retrouve d'ailleurs cette dimension sexuelle explicite autant dans cette séquence que quand plus tard Cass enjoindra avec ardeur Colin à lui faire l'amour.

ImageImage

La solution ne peut pourtant venir des hommes, que ce soit d'un présent douloureux (Matthew) ou d'un passé idéalisé (Colin) mais de Cass elle-même. Le mal-être de l'héroïne ne saurait trouver son apaisement par eux car contredisant ainsi les velléités féministes d'Edna O'Brien. La cruelle désillusion finale aurait dû conclure le film dans une douleur à vif mais dans cette idée de reconstruction individuelle nous laisse au contraire un sentiment apaisé et doux. Nous quittons ainsi Cass admirant l'horizon d'un avenir incertain mais où elle est libre de ses choix. Un bien beau film qui fait regretter que Desmond Davis ait essentiellement œuvré pour la télévision ensuite et soit finalement surtout connu pour les adieux poussifs de Ray Harryhausen avec Le Choc des Titans (1981). 5/6

Image

On reparlait de La Chambre Indiscrète plus haut, si on apprécié le Forbes on devrait vraiment être sensible à celui-ci aussi je pense.
Dernière modification par Profondo Rosso le 28 août 13, 14:44, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99636
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le cinéma britannique

Message par Jeremy Fox »

Critique de Catherine de Russie de Paul Czinner et test de son DVD qui vient de sortir chez Elephant
joe-ernst
Décorateur
Messages : 3820
Inscription : 20 mars 06, 15:11
Localisation :

Re: Le cinéma britannique

Message par joe-ernst »

Jeremy Fox a écrit :Critique de Catherine de Russie de Paul Czinner et test de son DVD qui vient de sortir chez Elephant
Je me demandais ce que valait ce film ; cette chronique me donne maintenant envie de le voir. Merci à Justin !
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99636
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le cinéma britannique

Message par Jeremy Fox »

joe-ernst a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Critique de Catherine de Russie de Paul Czinner et test de son DVD qui vient de sortir chez Elephant
Je me demandais ce que valait ce film ; cette chronique me donne maintenant envie de le voir. Merci à Justin !

Oui un grand merci à notre spécialiste du cinéma british :wink:
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99636
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le cinéma britannique

Message par Jeremy Fox »

La vie privée de Don Juan d'Alexander Korda : critique du film et test du DVD qui vient de sortir chez Elephant
feb
I want to be alone with Garbo
Messages : 8964
Inscription : 4 nov. 10, 07:47
Localisation : San Galgano

Re: Le cinéma britannique

Message par feb »

Je n'avais même pas noté cette sortie chez Elephant. Le casting me tente bien ; je vais lire ça, merci Profondo :wink:
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Four In The Morning de Anthony Simmons (1965)

Image

La Tamise aux premières lueurs de l'aube. Une vedette de la police découvre un corps inerte, le cadavre d'une jeune noyée et le conduit à la morgue. A la sortie d'un night-club, un jeune homme retrouve une entraîneuse. Une femme, lasse de passer des nuits blanches à cause de son bébé, reproche à son mari ses sorties nocturnes...

Poignant et austère mélodrame, Four In The Morning constitue un sommet du Free Cinema multi récompensé à sa sortie mais quelque peu tombé dans l'oubli depuis, sans à cause de la filmographie restreinte de Anthony Simmons. Le film s'ouvre la découverte d'un cadavre de femme sur les rives de la Tamise aux premières heures de l'aube. Tandis que les autorités s'affairent pour transporter le corps à l'hôpital, le récit narre en parallèle (ou en flashback le doute étant entretenu jusqu'au bout sur l'identité de la morte) les destins contrariés de deux couples. D'un côté celui d'une jeune mère esseulée (Judi Dench) et son époux absent (Norman Rodway) et de l'autre les déambulations d'un jeune homme (Brian Phelan) et d'une entraîneuse (Ann Lynn) qu'il a retrouvé à la fin de sa nuit de travail. Aucun de ces personnages n'est nommé, réduit à sa nature et/ou fonction première (époux/épouse, homme/femme), moyen de signifier le sentiment de solitude et d'enfermement qui sera au cœur du récit. On est là aux antipodes de l'imagerie Swinging London avec cette atmosphère de désolation matinale pour les extérieurs (le jeune couple en ballade) et de claustrophobie pour les intérieurs (le sinistre appartement des mariés) où l'environnement constitue un vrai miroir du mal être des personnages.


Les questionnements plus modernes et typiques de l'époque sont pourtant au cœur de l'histoire. A l'heure de la libération des mœurs les situations sentimentales classiques se voient totalement bouleversée, que ce soit l'institution du mariage ou un simple postulat boy meets girl. Chacun des deux couples est déchirés entre une certaine tradition et des attitudes plus modernes, chacune s'avérant néfaste selon les moments. Judi Dench, jeune mère dépassée et dépressive perd donc pied par désespoir de n'être désormais plus que cela tandis et piégée tandis que son mari étouffant au sein du foyer adopte une attitude de bambocheur rigolard indigne de ses responsabilités familiales. Judi Dench, véritable masque de désespoir retenu est absolument bouleversante. C'est encore plus complexe du côté des amoureux en vadrouille qui se poursuivent et se repoussent constamment, le garçon masquant ses sentiments qu'on devine sincères sous un insistant désir charnel, la fille restant aussi dans la retenue par crainte d'être blessée. Simmons capture magnifiquement cette naissance du sentiment amoureux lors de leur longue déambulation (dont une magnifique scène en hors-bord sur la Tamise où le film se déleste de sa tonalité contemplative pour un montage percutant saisissant les étreintes du couple de manière saccadée) à travers les regards, les gestes tendres discrets et les confidences qu'ils se font sur leur passé respectif.


Là également, c'est lorsque ce début de relation prend un virage "classique" qui devrait pourtant tout résoudre (la fille avouant au garçon qu'elle l'aime) que tout s'écroule. Tout retour à un mode de fonctionnement amoureux ordinaire semble voué à l'échec et inadapté à son époque, que ce soit le mariage (ou là la tradition de la femme soumise attendant son époux de retour de beuverie est fustigée) ou une amorce de relation tuée dans l'œuf (et là à l'inverse une critique la mentalité moderne du garçon n'écoutant pas son cœur et préférant s'amuser que de se lier à cette fille) alors que dans les deux cas Simmons aura magnifiquement su faire transparaître l'amour des deux couples. On n’est pas loin ici en beaucoup plus austère du propos de Darling de John Schlesinger sorti la même année et où Julie Christie en pur produit moderne frivole était incapable de se lier à qui que ce soit.



Anthony Simmons a admis être influencé par les cinémas de John Cassavetes et d'Antonioni, du premier il laissera une grande part à l'improvisation en particulier pour le couple d'amoureux en promenade et du second il reprendra l'ambiance mortifère et dépouillée reposant grandement sur l'image notamment toutes les superbes séquences en extérieur. Visuellement le film est assez somptueux, Simmons multipliant les vues majestueuses d'un Londres fantomatique comme on l'a rarement vue et porté par la superbe photo de Larry Pizer (l'idée de départ du film venant d'ailleurs de lui lorsqu'il racontera à Simmons avoir essayé de voler un hors-bord abandonné au petit matin comme les héros du film). Entre pur stylisation et tonalité presque documentaire (Anthony Simmons fut tout d'abord documentariste) on a donc une atmosphère assez unique et dépressive dont l'aspect cotonneux imprègne progressivement le spectateur notamment grâce à la superbe musique de John Barry.


Le cadavre n'est finalement qu'une illustration de plus de cette solitude et de ce dépit typiquement urbain que Simmons achève de signifier par un final doublement plombant. Le film se conclut ainsi tout d'abord sur la morte rangée dans son compartiment à la morgue dans son compartiment avant un dernier plan sur le Waterloo Bridge où déambule les silhouettes anonymes des travailleurs vaquant à leur fonctions. Simmons y voit des morts-vivants illustrant le vers de TS Elliott issu de son poème "Wasteland" I did no know death have undone so many. Déprimant et cafardeux mais un très beau film. 5/6
Avatar de l’utilisateur
Rick Blaine
Charles Foster Kane
Messages : 24143
Inscription : 4 août 10, 13:53
Last.fm
Localisation : Paris

Re: Le cinéma britannique

Message par Rick Blaine »

Ca m'a l'air très intéressant ce film. :D

Les captures viennent du DVD Odeon?
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Oui les captures viennent du dvd très belle copie ! :wink:
Répondre