("- Moi je voudrais qu'on se perde et qu'on sorte plus jamais, comme dans la forêt de Brocéliande. - T'es pas con ?" On notera son goût de ne pas féminiser certains termes.)Ender a écrit : ↑14 avr. 24, 18:29 D'après ce que tu dis de ton rapport à son cinéma, je pronostique que tu aimeras À ma sœur. Aussi, j'avoue, parce que je ne vois pas comment il est possible de ne pas aimer ce film (et pourtant dieu sait que...)
Le ton y est monstrueusement juste, pour ma part ici Breillat touche et électrise le mieux le nerf qu'elle vise à chaque fois. Trouver du vrai au-delà ou au-dessous du naturel, contre le naturel (tout contre) est une des grandes affaires du cinéma français, et au moins cette fois-ci, elle a tenu la clé dans ses mains et passé la porte qui mène à la vérité toute nue, comme l'héroïne de Barbe Bleue (mieux que dans sa quand même jolie adaptation du conte, en 2009).
Une des grandes beautés d'A ma sœur est de réussir à être fondamentalement antinaturaliste en dépit des signes extérieurs. Ces signes, ce sont la trivialité du décor, des situations ; et la famille bourgeoise en vacances ; les longues prises... ces surfaces planes sont creusées pour communiquer avec un monde secret, le conte de fées, le merveilleux. Tout y renvoie : comptines macabres que se chantonne la protagoniste, bague volée, ce dialogue entre sœurs qui marchent dans une pauvre forêt : "j'aime les forêts, elles ouvrent des possibilités infinies, c'est comme entrer dans Brocéliande - T'es pas con toi ?" (je cite très à peu près). Et ce premier amant au goût de sucre frelaté d'amourette de vacances avec son renifleur lamentable, mais aussi de sel du vampire, qui s'introduit dans la chambre virginale. La fin assez mal-aimée du film s'éclaire parfaitement à la lumière du merveilleux, c'est la conclusion idéale.
Bon pronostic... Je pourrais jamais dire "parfait" pour un film où on voit la trombine de ce crétin de Romain Goupil, mais il y a Arsinée Khanjian, ça rattrape.
Tu as raison de partir de la question du naturel, c'est un de ses films qui se confronte à l'héritage compliqué de Pialat pour sa propre mise en scène (je connais moins en détails le début de son oeuvre, mais la filiation m'y paraît plus un donné que thématisée comme ici, par l'intrusion des éléments quasi-fantastiques que tu pointes, ou d'une violence qui amène vers les codes du genre, mouvement que même Police qu'elle scénarisait n'effectuait pas). Cette fin est d'autant plus forte d'être le vrai point de départ : un fait-divers avéré. Il y a du Crash, aussi, dans le rapport aux véhicules. La Mercedes c'est d'ailleurs un signe qui circule entre ses films, comme le rock impromptu.
Et c'est effectivement hyper-tenu, elle a dû se dire qu'au vu de ce qu'elle montrait, il ne fallait pas un bout de gras. Ca produit des moments très volatiles, déstabilisants parce qu'instables (je prenais un peu en pitié l'amant d'abord refusé juste avant qu'il ne se comporte en parfait salaud). C'est une atmosphère où l'air est raréfié : par moments c'est étouffant mais ça peut aussi avoir sa grâce particulière, éthérée. Il y a une exigence terrible, une intransigeance du cadrage très idéaliste, en fait. Alors que ça montre une fille qui désire toujours trop ingérer ou se barbouiller (quoi qu'elle veuille aussi retrancher, avec sa robe), c'est filmé à l'os.
Je suis peut-être plus sentimental que je ne le pensais, mais je trouve son cinéma très dur. Une âpreté qui se traduit même dans des détails comme l'absence quasi-systématique de préliminaires... Des juxtapositions au-delà de la cruauté (un banana-split vs une première pelle)... Mais ça peut aussi être généreux, d'une franchise libératrice ("il t'a déjà oublié"), de se montrer aussi brusque, à son plus désagréable, dans la vindicte constante : finalement elle est peut-être là la parenté pialatienne (avec le risque fréquent d'ériger l'amertume en sagesse). Je sais pas à quel point faut s'endurcir, face à une vie amoureuse qui fait rarement de cadeaux, mais c'est une oeuvre où prendre un peu de cuir.