Anthony Mann (1906-1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Re: Anthony Mann (1906-1967)

Message par Watkinssien »

Non, Beule ce que tu avances est très intéressant et même à prendre en compte si l'on réfléchit sur la portée des paysages en tant que décors symboliques et/ou illustratifs.

Pour ma part, l'élargissement du cadre dans ce western précis me parait pertinent dans la mesure où, malgré les nombreuses traversées (celui d'un convoi de bétail), les paysages sont majestueux, touffus, denses mais immenses.

Cette immensité est moins traduite par la verticalité (même si parfois visuellement, le danger peut provenir de quelque chose au-dessus des personnages, comme l'avalanche) que par l'impression de ne pas avancer.

Plus précisément les paysages apparaissent proches des héros et en même temps si lointains, comme quelque chose de très difficile à atteindre. Le titre original souligne d'ailleurs cet aspect: The Far Country révèle encore une forme d'inaccessibilité et l'aspect ratio du cadre 2.00 par exemple me semble connecté à cette idée. Pas du 2.35 ou 2.55 pour écraser complètement la verticalité, pas du 1.37 pour diminuer l'horizontalité, mais une forme hybride entre ces différents choix. Une verticalité mise en place qui lutte contre la longueur des lignes, d'éloignements géographiques sur l'objectif des personnages (en tout cas celui de Stewart).
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Beule
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Re: Anthony Mann (1906-1967)

Message par Beule »

Watkinssien a écrit : 4 avr. 24, 15:36
Cette immensité est moins traduite par la verticalité (même si parfois visuellement, le danger peut provenir de quelque chose au-dessus des personnages, comme l'avalanche) que par l'impression de ne pas avancer.
C'est précisément sur ce point que nos regards divergent, à mon avis.

Pour moi, The Far Country ne nous convie pas à un long itinéraire géographique, celui du convoi de bétail dans toute sa pénibilité quotidienne et sa lente procession ouvrant une piste vers une destination lointaine, avec son lot d'avanies, de difficultés liées au relief (façonThe Big Trail, précurseur de l'écran large, The Tall Men ou même Red River), qui pourrait - peut-être - légitimer pareil ratio. Ça, c'est synthétisé et évacué en quelques échanges laconiques entre Stewart et Brennan dès l'arrivée du troupeau du Wyoming à Seattle. Il s'agit simplement de traverser une frontière et de franchir quelques cols, et pour un peu on pourrait dire, comme Brennan le faisait remarquer plus tôt, que le bétail semble se gérer tout seul. Pour moi ce dernier tronçon physique, finalement assez bref, se double surtout de la symbolique de l'itinéraire moral, longtemps retardé. Il est fait d'autant d'obstacles (//verticalité prépondérante) qu'il s'agit de franchir ou contourner et qui font écho aux possibles soubresauts de la conscience sociale, inexistante jusque là, du personnage de Stewart : motiver ses choix et faire profiter la collectivité de son expérience, ou fuir ses responsabilités et se repaître dans le confort de l'individualisme à tous crins. La séquence de l'arbitrage quant à la possibilité de suivre la piste au regard des risques d'avalanche en étant bien évidemment l'exemple le plus flagrant.

Bon je reconnais que ce sont des notions qui doivent paraître bien fumeuses à beaucoup :wink: . J'en resterai là.
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Profondo Rosso
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Re: Anthony Mann (1906-1967)

Message par Profondo Rosso »

Du sang dans le désert (1957)

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Le chasseur de primes vétéran Morg Hickman débarque dans une ville livrée à la peur. Le shérif ayant été tué, c'est le jeune et inexpérimenté Ben Owens qui le remplace, espère-t-il définitivement. Afin de prouver sa témérité dans sa fonction, Ben demande à Morg de lui enseigner comment appliquer la loi.

Du sang dans le désert est un western qui détonne en partie dans le corpus d’Anthony Mann au sein du genre. Il s’agit en effet d’un film exclusivement urbain, alors que le cinéaste nous avait habitué à sa maîtrise des grands espaces reculés, notamment dans le légendaire cycle signé avec James Stewart (Winchester 73 (1950), Les Affameurs (1952), L'Appât (1953), Je suis un aventurier (1954) L'Homme de la plaine (1955)). On y retrouve le thème cher à Anthony Mann du combat de l’homme pour préserver ou retrouver une humanité perdue, sa quête de retour à la civilisation. Cela est représenté ici par Morg Hickman (Henry Fonda), chasseur de prime sans scrupule de passage dans une petite ville pour y déposer sa dernière prise (plus morte que vive) et empocher sa prime. Il trouve en ces lieux Ben Owens (Anthony Perkins) un jeune shérif gauche, inexpérimenté et dépassé par la violence galopante au sein de la ville. L’histoire va ainsi marier deux tendances, tout d’abord celle propre aux thèmes manniens évoqués plus haut, Hickman en prenant Owens sous son aile et en côtoyant d’autres parias locaux (une jeune veuve ayant un enfant métissé indien) se reconnectant au monde qui l’entoure et retrouvant un certain sens de la justice.

L’autre versant du film est une sorte de synthèse là aussi thématique de deux westerns emblématiques des années 50. Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952) humanisait la figure du shérif en montrant un Gary Cooper aux abois devant à une menace imminente pour laquelle il réclamait en vain l’aide de ses concitoyens. Horrifié par ce héros « lâche », Howard Hawks apportait sa réponse à Zinnemann avec Rio Bravo (1959), tout en bravoure nonchalante et ode tendre à la communion virile faisant face au danger. Dans le film d’Anthony Mann, Owens représente cet idéal de shérif vertueux mais qui n’a pas les aptitudes de faire appliquer la loi. Hickman dispose de cette expérience mais est dépourvu du sens moral, ne s’embarrassant plus depuis longtemps à ramener ses cibles vivantes. Le rapprochement des deux personnages les influences mutuellement, un dilemme moral (le lynchage de deux criminels par les hommes de la ville) les forçant à évoluer ou mourir (concrètement ou symboliquement). Anthony Mann parvient à traduire ces questionnements grâce aux dialogues subtils du scénario de Borden Chase, et par son brio formel. La topographie de la ville, et plus particulièrement d’une ruelle théâtre des deux grands duels du film, installent les forces en présence par l’image et le sens de l’espace de Mann. Défié par Bart Bogardus (Neville Brand), le tyran de la ville, Anthony Perkins est le pantin de son adversaire, incapable de choisir entre maintenir une distance qui amorcerait le duel ou un rapprochement qui découragerait Bogardus – car à bout portant la légitime défense n’a plus de valeur. Dans un coin du cadre, stoïque et ne déviant jamais de sa position, Hickman veille et va sauver la mise du shérif en désarmant à la carabine Bogardus. A la toute fin du film et riche des enseignements d’Hickman, Bowens maîtrisera en ce même lieu l’espace et gagnera le duel à la fois psychologique et armé.

Concernant Hickman, Anthony Mann en fait un être hanté par la mort et un paria lors de la scène d’ouverture dans le panoramique accompagnant son arrivée en ville, le cadavre de son « butin » jonché sur un cheval. La dernière scène déploie le mouvement exactement inverse lors de son départ, désormais accompagné et rattaché à la vie puisqu’en passe de fonder une nouvelle famille. Le développement est passionnant, tout en proposant une galerie de seconds rôles réussis comme ce vieux et truculent médecin (John McIntire) dont le sort funeste offre une des scènes les plus touchantes du film. Il manque ces fameux grands espaces et un vrai morceau de bravoure impressionnant (malgré une efficace scène d’embuscade dans une grotte) pour hisser le film à la hauteur des chefs d’œuvres westerns de Mann, mais c’est néanmoins une belle réussite.On peut soupçonner Sergio Leone et Tonino Valerii d'avoir eu un peu ce film en tête pour Mon nom est personne (1973), tant le western spaghetti semble être le rejeton insolent du film d'Anthony Mann avec un Henry Fonda génial en mentor à la force tranquille dans les deux cas. 4,5/6
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