Le Cinéma britannique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Une fille comme ça de Henry Cornelius (1956)

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Berlin, années 30. Christopher Isherwood, un jeune écrivain anglais, rencontre l'excentrique chanteuse Sally Bowles, fauchée comme les blés. Ils se lient d'une curieuse amitié, au cours de laquelle elle s'amuse à lui faire toutes sortes de farces. Cependant, Christopher fait office de caméra : avec une attitude impassible, il scrute et enregistre le comportement de Sally, en pensant à son avenir littéraire.

Si le synopsis semble familier aux amateurs de comédie musicale, c'est que le film a la même source que le célèbre Cabaret de Bob Fosse (1972). I am a camera est en effet la première adaptation de la nouvelle Sally Bowles issue du recueil de nouvelles Berlin Stories écrit par Christopher Isherwood et publié en 1939. Plus précisément, le film transpose l'adaptation théâtrale justement titrée I am a camera et écrite par John Van Druten jouée en 1951 en Angleterre puis à Broadway. C'est la relecture sous forme de comédie musicale à Broadway en 1966 qui servira de base au film de Bob Fosse. Le recueil et plus spécifiquement la nouvelle Sally Bowles est inspiré des années berlinoises de l'écrivain Christopher Isherwood, qui y évoquait l'hédonisme et la liberté de mœurs de cette Allemagne de la république de Weimar. C'est ce qui conduisit Christopher Isherwood à l'exil de son Angleterre natale (il s'installera aux Etats-Unis à la fin des années 30 et sera naturalisé américain en 1946) qui le rejetait pour son homosexualité. La Sally Bowles de la nouvelle correspond à Jean Ross, actrice et chanteuse fantasque avec laquelle Isherwood se liera d'amitié durant son séjour berlinois.

Le titre I am a camera correspond à la position neutre et observatrice que pense pouvoir adopter le jeune Christopher Isherwood (Laurence Harvey), encore aspirant, écrivain, de sa terre d'accueil allemande. Sans vouloir s'impliquer, il regarde de loin les frivolités de la vie nocturne berlinoise, tout comme les signes avant-coureurs de la montée du nazisme avec les discours antisémites déjà audibles et les attaques contre les commerces juifs. Des résolutions qui vont voler en éclat avec la rencontre de la tempête Sally (Julie Harris déjà interprète du rôle dans la pièce), véritable aventurière et séductrice sans le sou dont il va devenir le colocataire. Henry Cornelius dépeint avec justesse les rudesses de la vie de bohème pour le duo, au dénuement matériel s'ajoutant l'inspiration littéraire en berne de Christopher, et les rêves de luxe dans un premier temps déçus pour Sally. C'est précisément ces deux espérances qui empêchent la romance latente de se concrétiser entre eux, Christopher trouvant Sally trop superficielle et cette dernière trouvant son colocataire trop jeune, timide et surtout trop pauvre. La rencontre d'un riche et prodigue américain, Clive (Ron Randell) va bousculer leur quotidien mais aussi les éloigner des terribles réalités qui transforme la société allemande. Le réalisateur Henry Cornelius, né en Afrique du Sud, est cependant d'origine juive allemande et vécut justement à Berlin durant cette période avant de migrer en Angleterre où il deviendra un réalisateur phare du studio Ealing. Il capture donc avec subtilité ce climat social changeant, la frivolité de l'envers festif passant par le montage et les fondus enchaînés sur les lieux de plaisirs (boite de nuits, casino, champs de course) tandis que l'endroit oppressant se dessine insidieusement en arrière-plan avec les affiches d'Hitler, les prospectus de propagande haineux et les croix gammées toujours plus nombreuses sur les enseignes juives. Les deux mondes vont se rejoindre progressivement, plaçant les personnages face à leurs responsabilités. La gentille logeuse allemande se met soudain à vociférer envers les juifs, Fritz (Anton Diffring) ami du couple est confronté à un cas de conscience en tombant amoureux de Natalia (Shelley Winters), une jeune juive, et l'atmosphère se fait peu à peu irrespirable.

Cet équilibre entre burlesque et tragédie en marche fonctionne très bien, Cornelius sachant orchestrer des séquences d'une formidable drôlerie comme la thérapie de choc que subit Christopher pour une grippe, une manière ludique aussi de montrer l'ébullition culturelle d'alors en Allemagne avec cet instantané parodique de théories freudiennes (électrochocs, bains glacés et bouillants alternés). Julie Harris est formidable de gouaille et d'énergie, très attachante, même si la véritable Sally Bowles/Jean Ross qui était une intellectuelle et militante de renom se plaignit de sa mue en écervelée frivole à travers cet alter-ego littéraire, scénique et cinématographique. La tension sexuelle entre Christopher et Sally est également une invention qui perdurera dans toutes les versions, même si Cornelius est plus fidèle en ne les faisant pas "consommer" au contraire de Cabaret où ils deviennent amants. L'amitié et la dévotion mutuelle de chacun est cependant palpable, notamment grâce à un formidable Laurence Harvey qui parvient quasiment à faire oublier son physique avantageux pour incarner ce jeune homme complexé et gauche. La jolie pirouette finale relance même le jeu de fort belle manière, rendant la complicité du duo indéfectible malgré les années, et faisant de Sally une éternelle muse à défaut d'être une amante. Très joli film, certes moins flamboyant que Cabaret mais qui offre en offre une très plaisante alternative. 4,5/6
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Profondo Rosso
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

The Truth about women de Muriel Box (1957)

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Lorsque son gendre vient à lui avec une triste histoire d'une relation malheureuse et la conviction que toutes les femmes sont impossibles à aimer, le vieux Sir Humphrey Tavistock le remet tranquillement sur le droit chemin en lui narrant de vieilles anecdotes sur ses amours passés

The Truth about women est une œuvre s'inscrivant pleinement dans la démarche féministe d'une grande part de la filmographie de Muriel Box. Elle fut une des rares réalisatrices du cinéma britannique durant les années 50/60, s'imposant à force de volonté dans ce milieu masculin et condescendant à son égard. Elle a derrière elle une longue carrière de scénariste, contribuant à quelques belles réussites où elle met déjà en lumière de beaux personnages féminin comme The Brothers de David MacDonald (1947) et surtout Le Septième voile de Compton Bennett (1945), un des grands succès populaires du cinéma britannique de l'époque (et Oscar du meilleur scénario), produit au sein du studio Gainsborough. Elle épouse Sydney Box en 1935 et l'ascension de ce dernier dans les hautes sphères du cinéma britannique (il deviendra le président du studio Gainsborough à la fin des années 40 puis fondera sa compagnie London Independent Producers) va contribuer à assouvir ses ambitions de réalisatrice. Il dirigera 13 films entre 1949 et 1964, sans forcément rencontrer de véritable reconnaissance critique ou même de bénéficier de solidarité féminine puisque Jean Simmons la fera remplacer sur le tournage de Si Paris l'avait su (1950) et Kay Kendall tentera sans succès de faire de même pour Simon and Laura (1955). Après des premiers films adaptés de pièces de théâtre, elle oriente plus spécifiquement sa filmographie sur des thèmes féministes comme The Passionate Stranger (1957), Rattle of a Simple Man (1964) et donc The Truth about women.

Le film s'ouvre sur le courroux d'un mari venu chercher son épouse réfugiée chez ses beaux-parents après une querelle. Le tempérament trop indépendant de sa femme lui semble impossible à gérer, et il va falloir une leçon de vie de son beau-père, Humphrey Tavistock (Laurence Harvey), pour s'apaiser et faire évoluer sa vision du monde. Le film devient ainsi une sorte de récit à sketches où Tavistock va narrer ses amours malheureuses passées, chaque histoire constituant une fable et situation différente sur les entraves imposées aux femmes. Comme tout film à sketch, c'est très inégal et d'autant plus ici que les histoires les plus longues sont largement les moins intéressantes. Parmi les ratages manifeste on peut signaler la seconde histoire où, nommé diplomate en Turquie, Tavistock tombe amoureux d'une jeune femme vendue en esclave à un sultant pour son harem. Les clichés racistes et les dialogues désobligeants sont légion dans une Turquie arriérée dont l'esthétique fleure bon le conte des Mille et Une Nuits. Muté à Paris après cette mésaventure, Tavistock plonge cette fois dans les pires poncifs du vaudeville avec amant caché sur le balcon, mari jaloux adepte du duel et femmes vénales se mariant pour l'argent et entretenant ensuite la bagatelle avec leurs amants. Une belle image de la France et un drôle de film féministe, se dit-on à ce stade - un autre plus court segment tout aussi lourd mettra en boite les Américaines.

En revanche dès que l'on s'éloigne de cet "exotisme" rebattu, le film trouve sa voie. Le sketch d'ouverture montre le long chemin à parcourir pour Tavistock lorsqu'il tombera amoureux d'Ambrosine (Diane Cilento), jeune femme moderne vivant seule, adepte de la conduite en voiture effrénée et suffragette. Tavistock sous le charme ne peut cependant franchir le pas de ce qu'attends de lui Ambroisine suite à sa demande en mariage : vivre en union libre un an avant de franchir le pas. Notre héros n'a que des arguments sociaux et machiste à opposer à cette demande, refusant d'être entretenu par sa compagne et craignant le regard des autres quand il devra présenter celle qui vit avec lui sans être encore son épouse légitime. Ces œillères et des circonstances malheureuses vont donc les séparer. Plus tard Muriel Box orchestre un délicieux moment romantique lorsque Humphrey va se trouver coincé dans un ascenseur avec Helen (Julie Harris) jeune femme peintre en route pour se marier. L'espace confiné devient un lieu de confidence, de rapprochement et de coup de foudre saisit avec délicatesse dont les deux étrangers ressortent amoureux et prêt à se marier. Havelstock ruiné découvre alors la dévotion faite femme avec une Helen lui offrant des instants de bonheur dans le plus grand dénuement matériel avant que le sort vienne de nouveau frapper.

L'ultime sketch est aussi le plus ouvertement engagé, lorsque Humphrey en couple avec l'infirmière l'ayant soigné après-guerre voit le mari dont elle est séparée lui intenter un procès et lui réclamer une somme indécente pour réparation. Le récit est moderne est captivant, opposant une vision où la femme est un bien dont on se dispute la propriété et celle la laissant libre de ses choix de vie, le tout sous le regard inquisiteur du tribunal et de la société. Dès que Muriel Box traite son récit sous un angle intimiste, sociétal et plus spécifiquement anglais, c'est très original, touchant et réussi. Mais les quelques segments ratés tombent à l'inverse dans le cliché grossier et paradoxalement dans le machisme. Une qualité qui traverse cependant tout le film est le brio formel de Muriel Box. Le film est vraiment un régal pour les yeux, la direction artistique est somptueuse, notamment la partie française avec son esthétique Belle Epoque et ses superbes compositions de plan. La campagne anglaise dans la partie "Ambrosine" est là aussi magnifiquement capturée, le tout dans l'écrin chatoyant de la photo bariolée de Otto Heller. Très inégal donc mais pas inintéressant. 3/6
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

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Re: Le Cinéma britannique

Message par Supfiction »

AtCloseRange a écrit : 14 juin 22, 22:08
Duane Jones a écrit : 11 juin 22, 16:25 Vu récemment, film magnifique, le discours de fin est incroyable comme Michael Redgrave d'ailleurs. J'aimerais bien voir le remake de Mike Figgis avec Albert Finney.
La version avec Finney ne démérite pas même si la première version est splendide.

EDIT: well ça demande une révision :mrgreen: mais du Asquith d'abord.
AtCloseRange a écrit : 19 janv. 09, 22:39 Sa version de The Browning Version est assez loin du magnifique film d'Asquith.
Profondo Rosso a écrit : 2 sept. 12, 04:11 The Browning Version (1951)

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Contraint de prendre sa retraite d’une école publique britannique, un professeur de grec austère doit faire face à ses échecs en tant que professeur, époux, et en tant qu’homme…

Au cinéma pour ce qui est de la description du métier d'enseignant, plusieurs visions sont possibles et ont déjà été exploitées. Celle rêvée du professeur charismatique et exalté, surhomme capable de susciter l'éveil d'une classe fascinée (Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir l'archétype de cette approche), le vieil enseignant ennuyeux et bourré de tics moqués par ses élèves plutôt prétexte à grosse comédie et celle plus réaliste qui tente de retranscrire la relation élève/professeur avec justesse et sans forcer le trait mais pas forcément la plus dramatiquement intéressante (Derrière les murs). The Browning Version s'essaie courageusement à la deuxième solution pour un tirer un drame bouleversant.

Anthony Asquith adapte ici la pièce éponyme de Terence Rattigan qui en signe également le scénario. On assiste ici au portrait quelque peu pathétique d'Andrew Crocker-Harris (Michael Redgraves) un homme usé par la vie et son métier qu'il pratique sans aucune flamme ni passion, son attitude éteinte déteignant sur ses élèves qu'ils ennuient, ses collègues qui ne le respectent pas et surtout sa femme (Jean Kent) qui le méprise. Anthony Asquith souligne cet aspect dès les premières minutes où il retarde longuement la première apparition de Crocker-Harris. Son nom n'est évoqué que par moquerie (The Crock) ou consternation par les élèves et différents protagonistes tandis que défilent des figures séduisantes de professeurs le cours de science enjoué du personnage de Nigel Patrick ou le jeune successeur interprété par Ronald Howard. Quand arrive effectivement Crocker-Harris, le fossé est d'autant plus cruel par rapport à ce qui a précédé. Tout dans l'attitude de ce dernier concourt à créer un mur infranchissable entre lui et ses élèves avec son attitude austère, son phrasé ennuyeux, son approche sans attrait de sa discipline pourtant si riche (les lettres classiques) et au final le plus important (ce qu'une réplique appuiera) le manque d'humanité.

Crocker-Harris vit ses dernières heures dans cet établissement pour cause de santé et va alors se confronter à ses échecs. Brutalement mis face au mépris et à la piètre opinion que les autres ont de lui par diverses humiliations (notamment le déplacement de son discours d'adieu aux élèves) cet homme que les ans ont rendu indifférent à son environnement va devoir douloureusement se remettre en question. Crocker-Harris est en quelque sorte l'anti Mr Chips, où dans le film de Sam Woods (1939) Robert Donat réussissait à surmonter les mêmes défauts en en faisant une excentricité qui amusait et le rapprochait finalement de ses élèves. Crocker-Harris n'a plus cette force là tant son foyer le ramène également à son échec (au contraire de Mr Chips dont le renouveau correspond à une rencontre amoureuse) avec une épouse qui le déteste et le trompe ouvertement. Michael Redgraves donne une interprétation fabuleuse de ce personnage éteint, le pas lourd et le regard sans vie derrière ses épaisses lunettes. Tous les procédés narratifs et la mise en scène d'Asquith n'auront eu de cesse à souligner l'isolement auquel est condamné Crocker-Harris par ce caractère, par cette absence du début, la manière de le détacher de son interlocuteur dans l'échelle de plan (et la profondeur de champ), les champs contre champs lourd de sens de lui seul face à une entité collective (le discours final, les scènes de classe) ou son monologue face à son successeur.

Derrière la pitié que suscite Crocker-Harris, quelques motifs d'espoirs sont néanmoins amorcés avec la manière dont le bouscule Nigel Patrick et surtout les tentatives d'un élève de susciter son attention. C'est ce dernier point qui donne les moments les plus poignants, ceux où Crocker-Harris laisse enfin ses sentiments plus que la simple fonction s'exprimer derrière son attitude. Son visage s'illumine pour la première fois lorsqu'il raconte la traduction qu'il fit d'Agamemnon dans sa jeunesse et craque même totalement après toutes les contrariétés qui ont précédés lorsque son élève lui en offre une traduction, cette Browning Version qui donne son titre au film.Si le chemin de la rédemption semble encore long, Terence Rattigan semble tout de même faire preuve de plus d'optimisme à travers les changements qu'il apporte au film par rapport à la pièce. Celle-ci s'achevait avant le discours final de Crocker-Harris qui nous est cette fois montré en forme de poignante catharsis et une ultime entrevue avec le jeune Taplow peut nous laisser croire que peut-être notre héros saura enfin partager son savoir avec l'étincelle indispensable à son noble métier. 5,5/6
Ayant vu la version de 1951, je peux désormais comparer (bien que n’ayant pas revu le remake récemment). Eh bien, moi je trouve que le remake apporte quelque chose et c’est essentiellement grâce à Greta Scacchi et son personnage bien plus complexe et touchant que l’original joué par Jean Kent. Il y a le jeu de Greta mais je pense que c’est probablement déjà dans l’écriture du personnage. Celui de Jean Kent est sans pitié, totalement égoïste et cruel. C’est tout à fait crédible mais on pourra préférer comme c’est mon cas le remake qui apporte ce relent d’amour ou au moins de respect entre ce couple dans les déchirantes scènes finales. En revanche, par effet de balancier, le revirement de Nigel Patrick apparaît plus touchant peut-être dans le film original.
Deux excellents films au final et deux versions alternatives bien que très proches puisque l’on y trouve de nombreuses scènes très similaires.
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