Julien Duvivier (1896-1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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The Eye Of Doom
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

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The great waltz / Toute la ville danse
Le jeune et fiévreux compositeur Johan Strauss trouveras t’il le succès et fera t’il le bon choix entre la frêle boulangère Podli et la grande cantatrice Clara ? Suspense….

Ramené des USA le dvd Warner m’attendait depuis deja quelques semaines.

Pour l’admirateur de Duvivier le film est d’un intérêt limité. Il ne nous apprends rien qu’on ne sache déjà et malgré sa mise en scene souvent brillante, il ne présente pas l’interet et les qualités d’Anna Karenine, Lydia, Tales of Manhattan ou Flesh and Fantasy
Duvivier mets son grand talent au service d’une comédie musicale, pur produit hollywoodien, servi de plus par un directeur de la photo Joseph Ruttenberg (Fury, Three camarades, Brigadoon, entre autres) oscarisé pour l’occasion. Comme en plus Sternberg vient filer un coup de main sur la fin, on comprend que le film est d’une excellente tenue. Rien à dire de ce coté, la photo est superbe, les scènes dynamiques, les travellings brillants, le tout est bien entrainant comme il se doit. Ca se laisse regarder sans problème. Ou presque.
Car il faut de dire, malgré son art irréprochable, le genre ne sciait pas vraiment à Duvivier. D’ailleurs on le voit tout de suite: des que le film devient plus dramatique (la confrontation entre Mme Strauss et le conte Hohenfried) d’un coup ca décolle. On retrouve le grand Duvivier inspiré sur toute cette partie.
Je suis un peu severe car la longue scene du triomphe (on passe d’un restaurant vide à tout un quartier qui danse) est tres reussie et la scene de la fuite apres l’emeute suivi du passage enchanteur dans les bois est pas mal non plus. Et de fait tout est tres finement filmé.
Mais cela n’empêche pas un ennui sournois.
Le vrai problème est que Duvivier n’a pas la personnalité de Lubitsch. Et Miliza Korjus n’est vraiment pas, alors vraiment pas, Jeanette MacDonald. Alors quand elle chante (tres bien par ailleurs ) on s’emmerde un peu. Et elle chante souvent…. Et cadree en gros plans!
Non, la surprise pour moi est l’excellente Luise Rainer, servie par de beaux dialogues.
Elle incarne, sans niaiserie, une pureté et un amour simple et entier, qu’on ne voit pas forcément si souvent au cinéma. Son interprétation m’evoque le jeu tout en retenu, voire inexpressivité, des actrices japonaises (Hideo Takemine en tete).
Quand elle est devant la caméra il se passe quelquechose.
J’apprends qu’elle est morte en 2014 a 104 ans. Et qu’elle a recu l’oscar deux années de suite juste avant de tourner ce film.

En synthèse, une oeuvre de commande impeccablement réalisé, qui se laisse voir sans soucis, mais dont l’interet est limité (au scenes avec Luise Rainer, en ce qui me concerne).
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Cathy
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Cathy »

Elle a eu l'oscar pour visage d'Orient et pour the Great Ziegfeld. La scène au téléphone aurait inspiré à Poulenc sa Voix humaine. Perso je trouve qu'elle joue souvent très faux. Elle a peu tourné. J'aime beaucoup "Toute la ville danse" et on sent Duvivier dans la mise en scène.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Cathy a écrit : 25 nov. 23, 13:03 Elle a eu l'oscar pour visage d'Orient et pour the Great Ziegfeld. La scène au téléphone aurait inspiré à Poulenc sa Voix humaine. Perso je trouve qu'elle joue souvent très faux. Elle a peu tourné. J'aime beaucoup "Toute la ville danse" et on sent Duvivier dans la mise en scène.
Je ne sais si elle joue bien ou mal, mais les scènes où elle apparaît mon plus intéressaient / intriguaient que l’ensemble des passages chantés avec Korjus…

Concernant la mise en scène, on voit que l’on est chez Duvivier, c’est sur. L’exemple le plus frappant est la scene de l’orchestre feminin à la champagne :on demarre par un parcours typiquement Duvivier autour et millieu du groupe de musiciennes, ensuite longs travelling circulaires quand le couple commence danser autour du kiosque, avec enchaînement des prises de vue à différentes distances, puis on colle au couple qui tournoit, jusqu’à l’usage de transparences qui font carrément décollé le couple… (dejà vue dans Maria Chapedelaine entre autre)
Le film est comme beaucoup de Duvivier de cette décennie (pour pas parler des muets…) une leçon impressionnante de mise en scène.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

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Poil de carotte 1925
Chronique du calvaire d’un gamin, souffre douleur de sa mère au sein d’une famille désunie.

Mon problème avec ce film c’est d’avoir deja vu la version parlante. Qui du coup me semblé meilleure…
Ce drame a hauteur d’enfant oblige Duvivier à moderer un peu sa mise en scene volontiers enthousiaste .
Nous aurons donc moins de ses fameux travellings. Mais, en restant toujours au services de son propos, il exploite néanmoins avec succès quelques effets surprenants.
Par exemple cet étonnant et ingénieux split screen en live grace à un dispositif optique.
Ou ce passage marquant où le pere realise (enfin) la condition de son fils. Duvivier fait un plan audacieux où l’on voit le jeune Poil de carotte au quatre coins de l’image en train de trimer. Duvivier enchaîne avec une serie rapide de courts travellings avant sur le pere qui avance, qui traduit la determination montante de ce dernier.
On a aussi un festival d’incrustations, dont il faut le dire Duvivier abuse un peu.
Autre moment fort, la scene du banquet où le pere fraîchement elu maire se fait interpellé pendant son discours.
Cadrage plongeant, alternance de plans rapprochés,… Duvivier montre un fois de plus qu’il maitrise parfaitement son art.
Tres beaux passages aussi à la fete du village.
Ou dans le bouge au debut ( bouge comme seul le cinéma muet semble avoir ete capable de capter).

Le point faible du film est peut etre l’interprétation. Non pas celle du jeune x
André Heuzétres bon, qui vaut largement celle de Robert Lynen . Mais bien celle du couple Lepic. Henry Krauss n’a pas la présence d’Harry Baur. Quand à Charlotte Barbier-Krauss, avec sa moustache (qu’on espère fausse…) elle en fait trop. Elle n’est pas aidée par le personnage mais de memoire Catherine Fonteney était aussi odieuse, en plus garce, avec moins d’effets.
Le film démontre l’essence meme de la mise en scène de Duvivier, sa capacité à investir les lieux ou paysages, son audace au profit de l’emotion, sa science de la composition,…

Mais je continue de penser que la version parlante est meilleure…
Notre ami Allen John est de l’avis contraire : voir ici :

http://allenjohn.over-blog.com/2017/06/ ... -1925.html
Je lui emprunte la photo ci dessus.

Ps : j’ai profité d’un projection a la fondation Seydoux. J’y étais jamais allé (en raison de l’absence de projection en soiree).
Belle petite salle.
Quant à l’accompagnement au piano, il était tout à fait honorable mais j’accroche plus à ce style et préfère de loin voir les films sans musique ou alors avec une orchestration moderne.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par allen john »

The Eye Of Doom a écrit : 28 déc. 23, 21:08 Poil de carotte 1925
Chronique du calvaire d’un gamin, souffre douleur de sa mère au sein d’une famille désunie.

Mon problème avec ce film c’est d’avoir deja vu la version parlante. Qui du coup me semblé meilleure…
Ce drame a hauteur d’enfant oblige Duvivier à moderer un peu sa mise en scene volontiers enthousiaste .
Nous aurons donc moins de ses fameux travellings. Mais, en restant toujours au services de son propos, il exploite néanmoins avec succès quelques effets surprenants.
Par exemple cet étonnant et ingénieux split screen en live grace à un dispositif optique.
Ou ce passage marquant où le pere realise (enfin) la condition de son fils. Duvivier fait un plan audacieux où l’on voit le jeune Poil de carotte au quatre coins de l’image en train de trimer. Duvivier enchaîne avec une serie rapide de courts travellings avant sur le pere qui avance, qui traduit la determination montante de ce dernier.
On a aussi un festival d’incrustations, dont il faut le dire Duvivier abuse un peu.
Autre moment fort, la scene du banquet où le pere fraîchement elu maire se fait interpellé pendant son discours.
Cadrage plongeant, alternance de plans rapprochés,… Duvivier montre un fois de plus qu’il maitrise parfaitement son art.
Tres beaux passages aussi à la fete du village.
Ou dans le bouge au debut ( bouge comme seul le cinéma muet semble avoir ete capable de capter).

Le point faible du film est peut etre l’interprétation. Non pas celle du jeune x
André Heuzétres bon, qui vaut largement celle de Robert Lynen . Mais bien celle du couple Lepic. Henry Krauss n’a pas la présence d’Harry Baur. Quand à Charlotte Barbier-Krauss, avec sa moustache (qu’on espère fausse…) elle en fait trop. Elle n’est pas aidée par le personnage mais de memoire Catherine Fonteney était aussi odieuse, en plus garce, avec moins d’effets.
Le film démontre l’essence meme de la mise en scène de Duvivier, sa capacité à investir les lieux ou paysages, son audace au profit de l’emotion, sa science de la composition,…

Mais je continue de penser que la version parlante est meilleure…
Notre ami Allen John est de l’avis contraire : voir ici :

http://allenjohn.over-blog.com/2017/06/ ... -1925.html


Ps : j’ai profité d’un projection a la fondation Seydoux. J’y étais jamais allé (en raison de l’absence de projection en soiree).
Belle petite salle.
Quant à l’accompagnement au piano, il était tout à fait honorable mais j’accroche plus à ce style et préfère de loin voir les films sans musique ou alors avec une orchestration moderne.
Hop! Je me permets, ayant déjà par la grâce de la citation un pied dans la pièce! Mon point de vue sur la version muette n'a pas changé, et je continue à le préférer. Je retournerai toujours vers ces deux films de toute façon.
Je pense que l'interprétation super chargée deCharlotte Barbier-Krauss, en vérité, est à interpréter comme une volonté "impressionniste" (le mot était à la mode à cette époque dans le cinéma Français) de véhiculer le point de vue du gamin... Mais les gouts, les couleurs, la culture de chacun... tout ça n'a pas tant d'importance: je te rejoins de toute façon sur l'idée essentielle, Duvivier est un grand cinéaste et ces deux films, chacun à leur façon, sont de très grands témoignages de son talent...
Ah, et sinon, la moustache, oui oui, elle est fausse. Dame Charlotte a joué un rôle de premier plan dans La Divine Croisière (également de Duvivier) et il n'y a pas un poil disgracieux en vue. Elle a un physique, disons, différent, mais sinon, pas de balai brosse sub-nasal.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

C’est marrant parce que c’est le seul film parmis les muets où je me suis dit par moment qu’il y avais un coté « cinéma muet ». C’est con comme remarque et ca ne vaut pas pour tout le film, mais des passages ont une esthétique « cinéma muet ». Cette réflexion ne m’a pas effleuré dans les autres films (alors que fondamentalement ca doit être pareil). Signe peut etre que je ne suis pas rentrer à fond dans l’ouvrage.
Comme indiqué, le piano m’a pas mal incommodé suf la 1ere moitié.
Ca m’intéresserais vraiment de lire un texte d’analyse de la mise en scene de Duvivier, qui me fascine tant. J’ai pas la culture analytique pour saisir ce qui en fait la singularité.
Et puis il y a clairement différentes periode. Je préfère nettement celle muette et avant 1940. Ensuite Duvivier semble préférer une forme plus « classique «  meme si il n’a rien perdu de son art dans Lydia, Anna Karenine, Pot bouille et memes les Don Camillo
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Duane Jones
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Duane Jones »

J'avais préféré la version muette de Poil de carotte mais j'ai dû mal à me souvenir de la raison... :|
Je crois que je l'avais trouvé le film mieux écrit et je n'ai pas trouvé de grosses différences d'interprétation entre Henry Krauss et Harry Baur (de même avec Robert Lynen et André Heuzé).
The Eye Of Doom a écrit : 28 déc. 23, 21:47 Ca m’intéresserais vraiment de lire un texte d’analyse de la mise en scene de Duvivier, qui me fascine tant
Pareil. Je suis toujours fasciné par sa mise en scène. Ses films sont tous formellement très travaillés même dans ceux que j'aime le moins, je trouve toujours des séquences qui m'impressionnent.
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cinephage
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par cinephage »

Duane Jones a écrit : 29 déc. 23, 11:11 J'avais préféré la version muette de Poil de carotte mais j'ai dû mal à me souvenir de la raison... :|
Je crois que je l'avais trouvé le film mieux écrit et je n'ai pas trouvé de grosses différences d'interprétation entre Henry Krauss et Harry Baur (de même avec Robert Lynen et André Heuzé).
The Eye Of Doom a écrit : 28 déc. 23, 21:47 Ca m’intéresserais vraiment de lire un texte d’analyse de la mise en scene de Duvivier, qui me fascine tant
Pareil. Je suis toujours fasciné par sa mise en scène. Ses films sont tous formellement très travaillés même dans ceux que j'aime le moins, je trouve toujours des séquences qui m'impressionnent.
Clairement l'utilisation des extérieurs et des décors. J'imagine que le son était plus contraignant et qu'il n'a pas eu la même liberté. Les deux films restent honorables, cela dit.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Julia-Nicole »

The Eye Of Doom a écrit : 28 déc. 23, 21:47
Ca m’intéresserais vraiment de lire un texte d’analyse de la mise en scene de Duvivier, qui me fascine tant. J’ai pas la culture analytique pour saisir ce qui en fait la singularité.
L'excellente biographie d'Eric Bonnefille Julien Duvivier - Le mal aimant du cinéma français, parue en 2002, devrait répondre, au moins en partie, à vos interrogations.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Julia-Nicole a écrit :
The Eye Of Doom a écrit :
Ca m’intéresserais vraiment de lire un texte d’analyse de la mise en scene de Duvivier, qui me fascine tant. J’ai pas la culture analytique pour saisir ce qui en fait la singularité.
L'excellente biographie d'Eric Bonnefille Julien Duvivier - Le mal aimant du cinéma français, parue en 2002, devrait répondre, au moins en partie, à vos interrogations.
Merci mais l’ouvrage, indispensable, est un biographie et non un ouvrage d’analyse critique .
Dernière modification par The Eye Of Doom le 18 avr. 24, 21:55, modifié 1 fois.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

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La femme et le pantin
Durant la feria de Seville, une belle blonde francaise croise du regard d’un quadra beau gosse, riche et tombeur. Qui sera la proie de l’autre ?

Le film n’a pas bonne réputation et je m’attendais à trouver un comparse à Boulevard au fond du fond de la filmo de Duvivier.
Il n’en ait rien.
Attention le film n’en est pas un chef d’oeuvre pour autant mais il a, je trouve, une belle personnalité et des qualités.

Tout d’abord plastique.
La surprise c’est la couleur.
Sauf erreur de ma part c’est le premier film de Duvivier en couleur (le seul autre sera son dernier, Diaboliquement votre) et franchement pour un « novice », Duvivier s’en tire tres bien! La photo est chaude, vives, et Duvivier exploite bien ambiance, decors et costumes, en toutes circonstances. Sans donner dans le decoratif plus que ne requiert l’intrigue.
Le coté « carte postale » de Seville devait faire partie du cahier des charges et Duvivier s’en acquitte avec finesse.
Les scenes « folkloriques » abondent mais, mais Duvivier nous les montrent pour ce qu’elles sont : un spectacle, un artifice. On n’en sort d’ailleurs assez peu, du spectacle et de l’artifice…
Le ton est donné d’entrée par le commentaire assez cynique livré sur la Feria.
Au delà du folklorique imposé, l’art du cadrage et de la mise en scène est bien constant, notamment dans quelques scènes anodines (le tenancier du cabaret bas gamme nourrissant ses volailles, la sortie du commissariat, l’echapée à cheval,…).
Sur le fond, ce qui surprend c’est deux choses:
D’abord la crudité et la dureté du propos. Duvivier et ses scénaristes, ont à coeur de rendre compte de la réalité des situations et des personnages, au delà de la chatoyance des couleurs et la beauté de l’artifice. Réalité de la prostitution et du metier d’artistes, fatuité de hidalgo, … jusqu’au personnage du père, ancien collabo antisemite condamné à l’exil. Tres beau personnage aussi de l’épouse handicapée,… Et dans un autre registre pour le patron de cabaret incarné par un Dario Moreno excellent. Ses dialogues avec Matteo sont tres bons.
Bref on est bien 100% chez Duvivier!

Ensuite le personnage central.
Je ne connais du roman que l’adaptation de Sternberg, qui n’a rien à voir avec celle de Duvivier.
Ici Eva est une jeune femme qui n’a rien d’une « femme fatale ». Elle est évidemment tres belle, le sait et n’hésite pas à s’en servir. Mais son vrai statut, qui donne tout le sens dramatique du film, est :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Qu’elle est vierge
On peut dire que ce film est le long recit du chemin vers la perte de la virginité.
Tres beau final d’ailleurs avec la clé et l’escalier.
On comprend qu’Eva est profondément amoureuse de Matteo et que si elle le mène en bourrique c’est dans une jeu qui n’a de pervers que l’apparence.
Ici bien sur arrive la question Bardot….
Bonne actrice, mauvaise actrice,…. Qu’aurait donné le film avec une autre ? Un film meilleur ? Peut etre.
Mais disons que 80% du temps je l’ai trouvé plutot bonne et en tout bien investi dans le personnage, rendant compte de son coté « nature » et fantasque.
On peut lire sur la page Wikipedia les excellent souvenir de BB sur le tournage. Tres drôle !

In fine un film beaucoup intéressant que sa réputation, 100% Duvivier. Un film qu’on a envie de défendre.

Une inattendue bonne surprise.

Je cite pour conclure (source wikipedia):

« L'Espagne aidant, La Femme et le Pantin est un film extraordinairement pudique.[...] Cette beauté classique, à la fois morale et physique, faite d'élégance, de spontanéité et d'exigence presque abstraite, Duvivier la rejoint plus directement que Vadim, ne l'envisageant que dans ce qu'elle a de plus épuré. »
— Luc Moullet, Cahiers du cinéma, n°94, avril 1959
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

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Au bonheur des dames
Une jeune femme monte à Paris pour habiter chez son oncle. Celui ci tient un petit commerce miteux, broyé par le grand magasin ouvert en face.

On retrouve Duvivier au sommet de son art, et de son inventivité.
L’introduction qui nous fait vivre le tourbillon d’emotion, de bruits, de mouvements de la jeune provinciale débarquant de la gare. En même temps que l’omniprésence et l’agressivité de la publicité pour le vaisseau commercial.
Jusque qu’au trac tombant du ciel tel la voix de dieux.
Surimpression, montage, cascades de plans, …. On y est vraiment.

La mise en scène s’assagit un peu ensuite mais reprends vite du poil de la bête avec plusieurs temps fort : la découverte du grand magasin, « l’examen » d’embauche, le restaurant d’entreprise, la journée de festivités en bord de seine et enfin l’incroyable final.

Tout les plans sont multimètrés. Les plus impressionnant sont ceux qui embrassent une foule de figurants, véhicules,… qui semblent (sont ?) pris sur le vif.

Mais Duvivier est l’homme des travellings. On est particulièrement gâté. La camera avance, recule, en plan serré, large, en frontal ou lateral,..,, toujours pour servir un objectif précis.
Le long travelling sur les employés quittant leur table au restaurant est remarquable. On fait carrément le tour de la salle.
Patrice Leconte dans un des bonus évoque l’idée que Duvivier aurait vu cette adaptation du roman de Zola sous l’angle des opportunités de mises en scène.
On peut abonder dans ce sens.
Le metteur en scène semble peu intéressé par la trame narrative du film. Il n’est pas aussi investi que dans Poil de carotte, La divine croisière ou Le tourbillon de Paris.
Il faut dire que cette chronique mecanique de la mort du petit commerce, matinée d’intrigues sentimentales peu vraisemblables manque de finesse.
Qu’importe, Duvivier saisit le message, l’epoque, l’ambiance et les traduit visuellement. D’où les impressionnantes évocations de l’écosystème capitaliste du grands magasins : publicité, recrutement, hiérarchie, restauration du personnel, soldes, team building au soleil comme on dit aujourd’hui,…
Pour être honnête, je trouvais que le film ronronnait tout de même un peu, jusqu’au travelling incroyable, camera sur l’épaule (!!), qui n’a rien à envier à un De palma, accompagnant l’oncle, arme a la main. Et la panique finale.
Du tres grand Duvivier donc du tres grand cinéma tout court.
Le meilleur est donc à la fin.
Quant à l’épilogue, disons au mieux que le propos laisse songeur.

Un mot sur l’interprétation pour dire que j’ai pas vraiment accroché à Dita Parlo, qui surjoue pas mal, de même d’ailleurs que la plupart des interpretes. Cela n’ote rien aux qualités du film mais n’accompagne pas la modernité de la forme.

En conclusion, un film à la forme éblouissante, qui compense via des visions saisissantes un propos un peu simpliste.

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Thaddeus
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Thaddeus »

Je crois que tu es le plus grand fan de Julien Duvivier au monde, The Eye of Doom.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Voila.
Avec Au bonheur des dames je termine le coffret Lobster, que j’aurais savouré sur 24 mois.
Que dire sinon que ce fut une revelation, y compris pour un admirateur fervent de Duvivier.

Duvivier avait donc eu une vie cinématographique avant la décennie fabuleuse ouverte par David Golder.
Et quelle vie !

Une fois de plus, il semble incroyable aujourd’hui que ses talents de metteur en scène et disons un gros mot, d’auteur, n’ait pas été reconnus.

Il s’avère dès le milieu des années 20 un artiste hors pair du travelling, du capture des corps, des foules, des lieux,…
Il fut audacieux, expérimentant sans vergogne mais jamais avec dogmatisme ou discours théoriques, … bref toujours au service du spectateur et du cinema avec un grand C.
Cette découverte de l’oeuvre muette est donc essentielle.

Puisqu’il faut probablement faire un ranking, je dirais ceci:

Indispensables :
La divine croisière
Le tourbillon de Paris


Incontournables, pour des raisons différentes selon les films:
La vie miraculeuse de Therese Martin: l’entree au carmen
Au bonheur des dames : le travelling à l’épaule
L’agonie de Jerusalem : le meeting syndical et la passion du christ sur les lieux memes.
Poil de carotte : voir l’avis de Allen Jone de ci dessus

Secondaires mais plaisants :
Le mariage de Melle Beuleman
Maman Colibri
: le bal masqué et sa sensualité exacerbée vaut toutefois le detour
Les mystères de la tour Eiffel

Je remercierai jamais assez l’équipe de Lobster et tout les participants à ce projet.

Thaddeus a écrit : 2 mai 24, 20:15 Je crois que tu es le plus grand fan de Julien Duvivier au monde, The Eye of Doom.
J’en sais rien.
La mise en scene de ce type me bouleverse, c’est comme Sternberg ou Kurosawa ou Keaton.
Je ne suis pas assez expert pour comprendre pourquoi.
Je pense que cela a voir avec la capacité à investir l’espace et s’y deplacer (d’où ma fascination pour ses travelling), et son sens des corps et leurs interactions (d’où des scenes de groupe fabuleuses). Mais c’est pas suffisant. Une urgence, un sens de la synthèse,…

Je cite toujours ce critique de Criterion, Michael Koresky, pour David Golder, qui dit que la camera de Duvivier rode sur le plateau comme une panthère aux aguets . (….The camera tracks through these spaces like a prowling panther)
A ce jour, c’est la plus belle image que j’ai jamais lu sur son cinéma et sur sa force.
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