Jean Cocteau (1889-1963)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6181
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Jean Cocteau (1889-1963)

Message par Thaddeus »

Image


Le sang d’un poète
À l’heure où, grâce à un mécène commun, Luis Buñuel conçoit L’Âge d’or (très supérieur), Cocteau élabore une première mise en forme cinématographique de son imaginaire. Le parallèle avec le surréalisme de l’auteur mexicain s’arrête là car cet essai expérimental bâtit sa poésie de façon cartésienne, concrète, raisonneuse, fuyant la dictée de l’inconscient et l’écriture automatique pour mieux favoriser un rêve dirigé dont il met à nu la machinerie et les ressorts. Ne reste aujourd’hui qu’un bric-à-brac terriblement dépassé, dont le schématisme illustratif d’un champ thématique qui brasse le narcissisme, la quête d’identité ou les mystères d’Éleusis bride le déploiement des effets. C’est peu dire que jamais je ne me suis senti impliqué devant cette vieillerie rassise. 2/6

La belle et la bête
Appréhender la magie non comme artifice mais comme principe réaliste, refuser la sophistication des trucages optiques pour privilégier les trouvailles concrètes, extraire le merveilleux d’une recherche artisanale qui fructifie la connivence absolue du spectateur envers l’illusion du chimérique, le pacte implicite signé avec le geste poétique de l’artiste. Si le conte fonctionne encore de nos jours, c’est parce qu’il mise sur ces croyances, parce que les miroirs qu’on y traverse, les caryatides qui y bougent, les animaux qui y parlent, ses passages enchantés et ses tableaux fabuleux, ses métamorphoses féériques et ses sortilèges de pierre, de marbre et de feu renvoient au foisonnement des greniers de l’enfance. L’amour est question de foi en l’imaginaire, c’est-à-dire, ici, dans les images. 4/6

Orphée
Cocteau regarde le monde tel qu’il est et l’appréhende pourtant comme la manifestation d’un univers invisible. Parabole et méditation sur la destinée du poète parmi les hommes, qui "désanachronise" en quelque sorte la légende et fait verser merveilleux et tragique dans le quotidien le plus réel, le film organise un vagabondage au carrefour du mythe, du fantastique et du subconscient, transcendant la promiscuité des relations humaines. Les ruines de Saint-Cyr transformées en royaume des ombres, la marche tâtonnante dans la zone intermédiaire, les faux yeux peints sur les paupières, le franchissement des portes à mercure entraînent dans un ailleurs ensorcelant, dont les sortilèges évoquent autant l’expressionnisme allemand que le Livre des Morts tibétain ou l’hallucination sous insuline. 5/6
Top 10 Année 1950

Le testament d’Orphée
Figure tutélaire d’une poésie de bric et de broc virevoltant parmi les vieux mythes et les vieilles histoires, le héros thrace sert encore de fil rouge à cette dernière dérive entre les espaces-temps, qui n’a pas de testamentaire que son titre. À condition d’avoir les shakras bien ouverts, on peut apprécier l’originalité d’une rhapsodie d’autocitations provocatrices et de flux de pensée, de beautés fugitives et d’esquisse de monstres très matériels. Parce que l’ensemble n’est pas dénué d’humour, qu’il est plaisant de retrouver Périer/Heurtebise, beau de voir les mains de Maria Casarès s’agiter sur une table, une cigarette entre les doigts, surprenant d’y découvrir Picasso ou Yul Brynner, et assez fascinant de se perdre dans ses décors minéraux, sa logique intuitive, ses métaphores ésotériques. 4/6


Mon top :

1. Orphée (1950)
2. La belle et la bête (1946)
3. Le testament d’Orphée (1960)
4. Le sang d’un poète (1930)

Artiste assez unique, dans tous les sens du terme, que Jean Cocteau. Sa poésie subtile, raffinée, intellectuelle peut-être plus que sensible, faite de visions féériques et de préciosité argotique, de rêves et de merveilleux, de cruauté grinçante et de romantisme noir, a su ménager à tous les publics un accès immédiat. Son apport à la réussite singulière du très beau deuxième film de Bresson, Les Dames du Bois de Boulogne, est aussi capital.
Avatar de l’utilisateur
HAL 9000
Doublure lumière
Messages : 619
Inscription : 4 oct. 06, 18:10

Re: Jean Cocteau (1889-1963)

Message par HAL 9000 »

Le Sang d'un poète (1930)

Cocteau signe un premier film fou, onirique, qui marque parce qu'il ne ressemble à rien d'autre. Certains films surréalistes s'en rapprochent (Un chien andalou de Buñuel), cependant Cocteau ne se revendiquait pas surréaliste.

Des scénettes courtes se succèdent, sans lien apparent. Certains thèmes sont omniprésents : la mort, l'art, la présence de corps dénudés souvent masculins... La forme est belle car on sent le désir d'invention derrière chaque plan, une forme de bouillonnement créatif incessant.

Ces cinquante minutes de film nous disent beaucoup de Cocteau et sont une manifestation de sa poétique du rêve, qui déclame sa liberté à chaque instant. David Lynch a certainement beaucoup aimé ce film.
Répondre