Je sors ce message des catacombes après avoir vu le film hier soir au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, dans le cadre d'UFA Film Nights.M le maudit a écrit :Les Espions
Scénario: Fritz Lang et Thea von Harbou
Année de sortie: 1928
Durée: 143 minutes
Plusieurs ouvrages et diverses sources de référence passent par-dessus Spione comme s'il n'avait à peu près jamais existé. On se contente bien souvent de dire qu'il s'agit d'un film d'espionnage dans la veine de Dr. Mabuse le joueur et qu'il fut créé pour essuyer l'échec commercial de Metropolis. Situé donc entre ce dernier et La Femme sur la lune, dernière oeuvre muette de Lang, Spione se trouve dans une zone d'ombre que peu de gens se donnaient la peine d'éclairer, du moins jusqu'à tout récemment. De nouvelles éditions américaines et européennes de ce "petit film" ont finalement permis de le visionner dans toute sa gloire, plutôt que dans la version américaine massacrée de 90 minutes.
Il est vrai que Spione peut en quelque sorte être vu comme le petit frère de Dr. Mabuse le joueur. On y retrouve une fois de plus Rudolf Klein-Rogge dans le rôle d'un puissant vilain aux multiples visages qui trône sur une organisation d'espions complexe et hyper-puissante. Cependant, étant deux fois moins long que son prédécesseur, le rythme du film est beaucoup plus rapide et les coins sont tournés un peu plus rondement. Il n'en demeure pas moins que Spione est l'ancêtre de tout film d'agent secret dans la règle du genre: un courageux agent qui porte un numéro, un vilain handicapé aux desseins les plus noirs, son acolyte femme fatale qui tombe amoureuse du héros, des poursuites en voiture, une scène de train, bref, tout y est!
C'est peut-être d'ailleurs la légère faiblesse du film: un peu trop de "twists and turns" pour sa durée et une intrigue qui s'égare quelque peu. Mais ce détail est largement rattrapé par une multitude de scènes mémorables, de celle d'ouverture qui jette en une minute les bases de l'action, en passant par le match de boxe au dance hall et le rituel seppuku, jusqu'à la finale un peu burlesque mais très efficace. Une chose est certaine, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Lang fait encore la démonstration de son flair naturel de conteur en alternant scènes d'amourettes et d'actions, scènes d'orchestration machiavélique et scènes d'enquêtes avec un timing presque impeccable.
Sur le plan artistique, Lang se montre ici en parfait contrôle de son navire. Grâce à la collaboration de l'illustre directeur photo Fritz Arno Wagner, responsable de la photographie du Nosferatu de Murnau, et avec qui Lang travailla entre autres sur Der Müde Tod, le film atteint une perfection plastique qui inspirera grandement le film noir américain, encore davantage peut-être que Mabuse le joueur. La réalisation est toujours aussi audacieuse, et l'insouciance de Lang envers les conventions du récit traditionnel confère au film un petit quelque chose de plus, sans doute cette épice langienne qui fait de Spione plus qu'un simple film d'espionnage, mais bien un monument du genre.
Je souscris totalement à ce qu'a publié M le Maudit il y a quelques années, à propos de ce film que je viens donc de découvrir.
Il s'agissait d'une copie restaurée (de bonne qualité) avec un accompagnement live: Stephen Horne (piano, accordéon et flute) et Kristoff Becker (trombone et violoncelle) avec un brillante improvisation durant 145 minutes.