Val Guest (1911-2006)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Val Guest (1911-2006)

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Le Jour où la Terre prit feu (1961)

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Les États-Unis et l'URSS réalisent simultanément un puissant essai nucléaire dans le Cercle arctique. Des séismes et des phénomènes climatiques inhabituels se produisent par la suite. Pour la presse puis la population, la corrélation est vite faite. De son côté, Peter Stenning, un journaliste au Daily Express, un journal à sensation de Londres, découvre que le gouvernement britannique cache une terrible vérité : les essais nucléaires ont perturbé l'orbite de la Terre et celle-ci se dirige désormais vers le Soleil...

Le Jour où la Terre prit feu est une œuvre apparaissant comme une sorte de proto- film catastrophe bien avant l’explosion du genre dans les années 70. C’est en tout cas l’idée lors de ses morceaux de bravoures les plus spectaculaires et certaines visions apocalyptiques, mais le propos est bien plus riche que cela. Il s’agit d’un des projets les plus personnels de Val Guest qui mit près de huit ans à le financer, et y parvint grâce au succès de son film musical Express Bongo (1960). Bien que l’origine des anomalies affectant la Terre viennent d’essais nucléaires des deux blocs de l’URSS et des Etats-Unis dans le cercle arctique, le propos concerne moins la menace nucléaire en elle-même que la capacité de l’Homme dans sa nature profonde à courir à sa perte.

Le film offre ainsi une apocalypse à échelle humaine où les phénomènes des vont croissant. Nous le vivons depuis la rédaction d’un journal à travers le personnage de Peter Stenning (Leo McKern) qui va représenter un cheminement général de nos petites préoccupations égoïstes à une conscience d’une société au bord du gouffre. Le déplacement des premiers signes (hausse des températures, altération des lignes téléphoniques…) d’une notule aux gros titres du journal, la désinvolture initiale de Stenning dans ses investigations illustrent cela, avant que les éléments viennent rappeler l’humanité à ses responsabilités. De l’atmosphère bon enfant de la rédaction à la tension des derniers instants, et surtout de l’attitude égocentrique et détestable de Stenning jusqu’à son poignant monologue final, c’est toute une prise de conscience tardive qui se dessine pour les protagonistes face à une réalité qui se dérobe. Val Guest ne place le curseur sur ce microcosme que pour donner un visage à cette inconscience, mais le plus glaçant restent les allocutions politiques faussement rassurants émanant des postes radios et téléviseurs, enjoignant la population à ne pas paniquer face à des perturbations passagères dont les essais nucléaires ne sont pas responsables.

Un des aspects les plus glaçants du film pour un spectateur contemporain est que les anomalies climatiques lui semblent dangereusement familières. La cause en est différente dans le détail, mais similaire dans les grandes lignes à travers une course à la puissance (remplacée par la course au profit économique aujourd’hui) menée par des élites ne se préoccupant pas des conséquences sur l’environnement (dans le sens écologique comme social et humaniste) qui l’entoure. Les scènes de dérèglement climatique à grande échelle travaillent cela, spectaculaire dans leur imagerie mais à hauteur d’homme dans ses causes. On alterne entre trucages visuels dont la sidération sert presque une forme de poésie en prenant de la hauteur telle cette ville de Londres envahie par la brume, et un chaos dévastateur lorsque l’on redescend parmi le commun des mortels ayant à souffrir de la situation tel ce typhon titanesque. Val Guest renforce ainsi le réalisme des situations, notamment en insérant aussi des stock-shots de réelles catastrophes naturelles ou urbaines de l’époque, et où là aussi ce qui semblait hors-normes est désormais tristement coutumier (sécheresse, inondations, incendie de forêt…). On retrouve là le talent du réalisateur à instaurer une angoisse tangible sur ses postulats extraordinaires, comme sur ses perles sf que sont Le Monstre (1955) et La Marque (1957).

Le scénario ne perd jamais de vue les personnages dans ces réflexions, et les dote d’un cheminement passionnant. L’intérêt de Stenning ne s’éveille tout d’abord que pour la course au scoop, puis par le désir de séduire Jeannie (Jane Munro), avant d’amorcer une mue bienvenue en prenant conscience du péril en cours. Sans pousser les situations trop loin (censure oblige sans doute), Val Guest montre l’effondrement de la civilisation par le refuge hédoniste et égoïste face à l’amoncellement des privations lors de séquences glaçantes. Ce climat suffocant au propre comme au figuré finit par littéralement altérer la perception grâce à une brillante idée formelle, celle de donner une teinte dorée et brûlante à la texture de l’image pour faire ressentir la brûlure d’un soleil de plus en plus proche. La conclusion désenchantée nous laisse tragiquement à nos doutes, avec ses deux unes de journaux alternatives, l’une déclarant le monde sauvé et l’autre définitivement condamné. 5/6
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