Gustavo Hernández, réalisateur des intéressants La casa muda et de la série Adicciones, revient avec un de mes coups de coeur de ce début d'année, No dormirás. Le film était survendu par les journalistes et les producteurs, affirmant que le film provoqua la terreur chez les spectateurs de l'Argentine, son pays d'origine. Bon film d'horreur sans être insoutenable, la grande force du récit repose sur le soin apporté aux personnages, à l'atmosphère et au rythme particulier du film.
Montée en puissance efficace, le réalisateur nous happe peu à peu dans son univers, prenant le soin de présenter son univers et l'Argentine de l'époque, à savoir celle du président Raúl Alfonsín et de la démocratie partielle nouvellement acquise. Le réalisateur le fait par touches, par une phrase du père de l’héroïne, par une affiche sur un mur, mais aussi par un bref texte après l'introduction qui parle des expérimentations des médecins en place avec l'aide des Nazis, même si ce n'est pas explicitement dit. Par cette introduction, on pense savoir par avance ce que sera le récit et on se trompe lourdement. Le réalisateur fait le choix d'écarter cette partie sombre de l'histoire de l'Argentine pour proposer une approche artistique à cette insomnie volontaire de la part des protagonistes. Le réalisateur interroge les rapports des artistes à leurs mentors, à cette dévotion pratiquement maladive qu'ils ont à l'art et les sacrifices qu'ils sont prêts à commettre afin de côtoyer l'extase avec un grand E.
Le mentor ici, c'est Alma Böhm, incarné par l'hypnotique Belen Rueda, grande dame du cinéma espagnole et qui ici propose un personnage captivant et inquiétant. Tout passe par le regard de l'actrice, par sa gestuelle, pas par les dialogues. Elle a cette intensité dans le regard qui déstabilise. Le personnage est volontairement ambigu, elle a une réputation qui fait qu'elle est demandée par tous, statut dont elle n'abuse pas obligatoirement, mais qui assoit son autorité sur les comédiens qui veulent jouer pour elle. Le réalisateur joue avec les sentiments du spectateur à son égard. Nous sommes à la fois fasciné par l'aura qui se dégage d'elle, par sa prestance avant de finir terrifier par la violence malsaine qui sommeille en elle.
Notre porte d'entrée pour le récit se fait par la talentueuse, l'étoile montante, Bianca, incarnée par l'excellente actrice Eva De Dominici. Je ne sais pas si l'actrice est connue en France, mais je vous recommande Consentidos, Somos familia, Los ricos no piden permiso et surtout La fragilidad de los cuerpos, séries en provenance d'Argentine et qui montrent tout le talent de l'actrice. Son interprétation de la jeune comédienne est intense, efficace et bouleversante. Bianca est courageuse, devant s'occuper de son père, schizophrène, qu'elle protège tout en essayant de s'en éloigner. Le lien entre les deux personnages est touchant et personnellement je me retrouve assez dans son tiraillement intérieur, cette volonté de faire plaisir à ses parents tout en tentant de tracer sa propre route. Le personnage plonge à corps perdu dans l'expérimentation théâtrale de Alma tout en subissant revers sur revers, ainsi qu'une pression exercée par son amie Cecilia incarnée par la tout autant talentueuse Natalia de Molina, brillante actrice de Techo y comida de Juan Miguel del Castillo et de l'excellent Rendezvous de Guillermo Julián & Román Santiago Pidre.
L'ambiance pesante du récit, entrecoupée de quelques jump-scares faciles, mais efficace, pose un cadre qui par le supplice des personnages, angoisse le spectateur. Je dois avouer avoir sursauté à deux reprises, la seconde fois étant classique, mais vicieuse. La scène ne se terminant pas après le jump-scare et continuant à nous angoisser comme Bianca alors sous le choc de sa rencontre inattendue. La privation de sommeil peut avoir des conséquences terribles sur notre sommeil comme le démontre des expériences du passé par les gouvernements américains ou russe. Gustavo Hernández exploite le processus au maximum, nous faisant douter de ce que voit le personnage et du coup de ce que nous voyons. On plonge dans la folie en même temps que le personnage, expérimentant les angoisses du personnage principal. J'aime beaucoup l'idée de la flamme, cela n'apporte pas grand-chose au récit, mais fonctionne pour distiller une certaine angoisse chez le spectateur.
Après comme dit au début de ma chronique, le film ne fait pas peur au point d'avoir des insomnies (elle était facile je le reconnais,) mais passionne et effraie par le tableau fait des artistes et de leurs névroses. Le réalisateur saupoudre le tout de quelques twists pour la fin qu'on ne voit pas venir et qui donnent un tout autre sens à plusieurs moments du film ainsi qu'à l'idée que les êtres humains sont des éponges émotionnelles une fois la fatigue installée.
Le film a des défauts, notamment dans ses premières quarante minutes assez lentes et qui, quand on connait le sujet et notamment le climat politique de l'époque, semble inutile, mais c'est un détail qui ne dérange pas. On pourrait aussi accuser le scénario d'employer des ficelles parfois un peu grosse, notamment pour justifier la présence du personnage de Cecilia, mais je me répète, ce n'est pas dérangeant. Le casting est impeccable, le sujet est relativement bien exploité, il y a une vraie recherche d'originalité et la tension est présente. C'est une belle réussite comme on aimerait en avoir plus souvent dans le paysage fantastique.
Je vous le recommande.