Martin Scorsese
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Re: Martin Scorsese
Je partage totalement le point de vue de Jeremy, et j'ajoute que cela me désole un peu qu'Alexandre se sente obligé de se freiner dans son expression, de s'imposer des limites, quand manifestement il a beaucoup de choses stimulantes à dire. Nous sommes sur un forum de passionnés, accueillons les messages de passionnés, fleuves, riches et denses ! Et encore une fois, que ceux que la longueur décourage passent leur chemin, que ceux que ça intéresse en profitent. S'il fallait se limiter à des considérations bêtement comptables, je rappelle que le système ne permet pas de publier un message de plus de 60.000 caractères, qui peut donc être considéré comme le maximum acceptable. Celui d'Alexandre en fait moins de 10.000. Que dire, par exemple, du premier message du topic Blade Runner, qui doit être quatre à cinq fois plus long ? Ce n'est qu'un exemple, il y a en sans doute des dizaines d'autres.
Enfin bref, ce sera mon dernier message sur cette mini-polémique sans méchanceté de part et d'autre. D'autant plus que je passe du coup à la page suivante : pour les étourdis, je rappelle donc qu'Alexandre a posté sur la précédente un remarquable commentaire consacré au traitement de la musique par Scorsese. A lire par les intéressés !
PS : Tes deux photos problématiques sont désormais bien visibles, Alexandre.
Enfin bref, ce sera mon dernier message sur cette mini-polémique sans méchanceté de part et d'autre. D'autant plus que je passe du coup à la page suivante : pour les étourdis, je rappelle donc qu'Alexandre a posté sur la précédente un remarquable commentaire consacré au traitement de la musique par Scorsese. A lire par les intéressés !
PS : Tes deux photos problématiques sont désormais bien visibles, Alexandre.
- Alexandre Angel
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Re: Martin Scorsese
J'ai opéré un petit changement.Thaddeus a écrit :PS : Tes deux photos problématiques sont désormais bien visibles, Alexandre.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
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Re: Martin Scorsese
Non non non ! Mince attends, je ne voulais absolument pas provoquer ce genre de réactions, j'ai dû être maladroit (ou bêtement provocateur) dans mon message initial.Alexandre Angel a écrit :Du coup, je me sens tout coincé vu que j'ai encore des trucs à dire sur Marty (et sur tout plein de choses en générale)
Ce n'était qu'une impression personnelle, car comme d'autres l'ont dit ensuite, je trouve ça cool qu'il soit aussi possible de proposer de tels contenus sur un forum ; c'est juste que, un peu comme Spongebob l'a dit, les gros pavés comme ça, ça me freine toujours au début. Alors je me les laisse de côté, pour m'y replonger plus tard et à tête reposée. Même si trop souvent, à force de mettre ça de côté, j'oublie et je ne lis finalement jamais le contenu en question...
Mais ne te retiens surtout pas ! Je n'ai pas parole d'évangile, et je suis persuadé qu'un paquet de lecteurs (membres ou non membres du forum) sont friands de messages aussi denses et complets.
Donc continue Alex ! (je peux t'appeler Alex ?)
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Re: Martin Scorsese
Peux pas te dire, je l'ai pas lu.Thaddeus a écrit :Que dire, par exemple, du premier message du topic Blade Runner, qui doit être quatre à cinq fois plus long ?
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Re: Martin Scorsese
Ah, mais non, ne te sens pas obligé de synthétiser, ce que tu as écrit sur la musique chez Scorsese est très intéressant et méritait bien d'être développé comme tu l'as fait (je fait partie de ceux qui attendent avec impatience la partie 2 ) Et puis, les posts longs font partie de la tradition du forum. Beaucoup ne prennent pas le temps de les lire, mais d'autres le font, et pas nécessairement ceux auxquels tu pensais (j'ai fait de très bonnes rencontres par MP avec des forumeurs avec lesquels je n'échangeait jamais).Alexandre Angel a écrit :Notre forum me semblait fait pour parler cinéma, tout simplement (et je regrette qu'il n'y ait pas plus d'échanges, et je ne parle pas d'engueulades qui peuvent évidemment survenir, où on serait plusieurs à approfondir sur des films qu'on apprécierait de concert). Du moins, c'est ma conception.
Il me semble avoir toujours fait gaffe sauf exception (dont mon commentaire ci-dessus) à ne pas être trop long (je fais exprès aussi d'aérer, vous avez remarqué, hein ? hein? ).
Après je vais essayer de faire un effort de synthèse à l'avenir.
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D'ailleurs, pour en revenir au sujet, j'avais adoré Life Lessons de New York Stories, mais je ne l'avais jamais revu depuis sa sortie en salle. J'avais complètement oublié Like a Rolling Stone, qui est effectivement la musique qui lance la peinture de Nick Nolte, mais j'étais tombé raide de l'utilisation de A Whiter Shade of Pale, que je ne connaissais pas à l'époque (j'étais jeune, ou pas assez vieux ), et tant mieux parce que la découverte de cette chanson dans le film de Scorsese ne m'aurait jamais fait le même effet si je l'avais découverte à la radio.
Et le générique de Casino...pour moi un des plus grands et originaux de l'histoire du cinéma. Et tu as raison, non seulement Scorsese choisit souvent admirablement ses musiques de film, mais, par ses images, la mise en scène, l'émotion ajoutée, il ajoute souvent à la musique qu'il utilise. C'est facile à dire sur A Whiter Shade of Pale, c'est peut-être exagéré sur J.S. Bach, mais après tout, pour un spectateur qui n'écoute jamais de classique, ça peut être une formidable ouverture sur une musique pas si évidente si elle est écoutée dans un cadre habituel.
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Re: Martin Scorsese
C'est passionnant, Alexandre ! Ne t'arrête pas !
Flol a écrit :Non non non ! Mince attends, je ne voulais absolument pas provoquer ce genre de réactions, j'ai dû être maladroit (ou bêtement provocateur) dans mon message initial.Alexandre Angel a écrit :Du coup, je me sens tout coincé vu que j'ai encore des trucs à dire sur Marty (et sur tout plein de choses en générale)
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Re: Martin Scorsese
Oh bah oui, pas de problèmes! alorsFlol a écrit :Donc continue Alex ! (je peux t'appeler Alex ?)
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
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Re: Martin Scorsese
Nous sommes tout à fait d'accord. Chacun peut d'ailleurs venir nous proposer des textes, s'ils sont solides comme celui d'Alexandre. Et Almodovar n'attend que toi, P&PPhnom&Penh a écrit :Il y aussi une autre solution
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Re: Martin Scorsese
SCORSESE ET LA MUSIQUE, PARTIE 2
La musique hydrate le cinéma de Martin Scorsese depuis le début de la filmographie, dès ces courts-métrages où perce d'emblée, comme une confession à la première personne, des bribes criardes de tarentelles, autant de traces d'atavisme italo-américain.
Et dès le départ, cette toile de jute tissée de souvenirs de famille trouvera à se strier de distorsions punk avant l'heure, comme ce garage rock que l'on entend dans Who's knocking at my door?.
Déjà tordu, le tout jeune cinéaste détournait très tôt la formule, plaquant sur des images malsaines (The Big Shave, 1967, premier film gore, à ma connaissance, de l'histoire du cinéma après le film amateur montrant la tête du Président Kennedy exploser) une chanson jazzy et veloutée de Bunny Berigan (I can't get started) datant de 1937 (chanson que, par ailleurs, j'entendis pour la première fois dans Chinatown).
Les années 70-80 constitueront le creuset ardent de bien des confluents : folklore italien et opéra (Mean Streets, Italianamerican, Raging Bull), jazz (Taxi Driver, via Bernard Herrmann, New York, New York), music hall (Alice doesn't live here anymore, New York, New York), tentation de la comédie musicale (New York, New York) et surtout, le rock, véhicule des obsessions de l'auteur, lancé à toute berzingue (Mean Streets, American Boy et The Last Waltz).
Scorsese paraît régner très vite sur ce chaudron palpitant d'effluves et de pulsations dans lequel il viendra puiser l’énergie de son inspiration.
Une inspiration tressée de péché et de rédemption, de chute vertigineuse et de résurrection meurtrie, de pacte avec le Diable.
Quoi de plus naturel qu'un secret fil rouge parcourt l'ensemble de la filmographie et que cette épine dorsale soit le blues, celui des origines, de la croisée des chemins, celui qui scellait la rencontre de Robert Johnson avec Satan, ce blues auquel Scorsese consacrera une série de films qu'il produira et dont il réalise un épisode, Du Mali au Mississippi, en 2004.
Ce blues,toujours, que nous croisons parfois, éructant, incantatoire, comme dans The Wolf of Wall Street où l'on entend les invocations sauvages de Howlin'Wolf (comme de bien entendu), incarnation du retour du refoulé dans les fictions scorsesiennes, l'animalité sous la croûte de la cité en béton, le cimetière indien sur lequel on bâtit des buildings.
Le blues, dans les films de Scorsese, assure une présence discrète mais impérieuse, un rappel de l'origine anthropologique de tout ce que l'on voit sur l'écran, et suggère l'évidence d'un lien avec les Rolling Stones, le plus célèbre des groupes à s'être construits sur le blues le plus viscéral. Ces Rolling Stones présents dès Mean Streets, virevoltants dans Goodfellas et Casino auxquels Scorsese consacrera un somptueux film concert : Shine a light.
Les Stones, dans le cinéma de Marty, donnent le La de tous les états de l'homo americanus, tressautent de la gloire au déclin, convulsent quelque part entre Sodome et Gomorrhe.
Ils prennent le relais électrique de la vieille guitare slide.
Le loup hurlant en salopette sur sa véranda a beau s'être transformé en dandy anglais aux lèvres charnues: il ne s'en trouve pas domestiqué pour autant.
C'est déjà dit dans la partie 1, mais l'intrusion des Stones dans la bande son orchestre, d'une façon ou d'une autre, une rupture de tonalité caractéristique, un avant et un après que seul le geste cinématographique rend possible.
Dans Casino, avant que Mick Jagger ne déboule, un joyeux capharnaüm de blues évocateurs du "bon vieux temps" des champs de courses, de rythm&blues, de chansons enjouées célébraient les riches heures du "handicapeur" Rothstein.
Oh, quelque chose avait déjà fait tâche, et déjà, les Stones instillaient du venin en faisant glousser leurs guitares tandis que Joe Pesci fichait frénétiquement un beau stylo dans la gueule d'un fâcheux.
Mais ce n'était qu'une percée timide (si j'ose dire) qui aurait aussi bien pu provenir de Them.
Jusqu'à un certain point, tout ce que l'on entendait pouvait être connu des gangsters fréquentant les bars plus ou moins huppés de Las Vegas.
Mais probablement pas Can't you hear me knocking? (tiré de Sticky Fingers) qui nous fait coulisser d'un monde certes illicite, dur, mais cadré, professionnel à une dimension plus sauvage et archaïque.
A la croisée des chemins du syncrétisme, un travelling latéral part d'une tête d'Indien en totem, et balaie, dans un décor tex mex pour touristes, les membres de la bande de Joe Pesci, qualifiés de desperados, pour finir sur ce dernier, saisi de face et en gros plan, plus totémique que jamais (jamais Joe Pesci n'aura autant ressemblé à un indien que là où s'achève ce plan).
Les gangsters n'achètent probablement pas Sticky Fingers mais comme tous bons américains, ils en ont consommé du western! (dans Goodfellas, Joe Pesci imitait le Cisco Kid).
Dans ce décor de far west (Casino est aussi un western), les desperados prennent le pouvoir et Scorsese déroule en entier Can't you hear me knocking? pour inaugurer l'entreprise souterraine de Nicky Santoro (Joe Pesci), spécialisée dans le vol, le racket, la torture et le meurtre.
La croisée des chemins est également celle des destinées des genres musicaux, à l'image des vocations humaines (Martin Scorsese n'a-t-il pas failli vouer sa vie à la prêtrise?).
Cinéaste passeur, tout comme peu l'être Tavernier chez nous, Scorsese me fait penser à ces plaques d'aiguillage ferroviaire que l'on voit dans quelques films américains. Une oscillation et nous sommes tout de suite sur d'autres rails.
On l'a vu, le blues, pour faire très court, est le vestibule du rock. Il est aussi une musique ethnique aux racines africaines dont Scorsese, esthète et amateur, imagine, via le cinéma, une jonction entre Alan Lomax, défricheur mélomane qui enregistra et grava, dans les années 30, des dizaines d'heures de folklores hybrides des Appalaches à la Louisiane, et Peter Gabriel, patron du label RealWorld et chef de file de l'engouement, typique des années 80, pour ce que l'on a nommé world music.
D'ailleurs, la musique de La Dernière Tentation du Christ, signée de Peter Gabriel, est hébergée sur son label et lance officiellement, en 1988, le versant world de l'imaginaire scorsesien, qui impactera jusqu'à l'esthétique (quelque peu envahissante) de Kundun.
Cette autre dimension traduit chez le cinéaste un apaisement, une forme d'introspection zen, la survivance d'un mysticisme autant qu'une appétence pour les horizons (extrême)orientaux, de The Last Temptation à Silence.
"Italianité" oblige, mais pas seulement, il y a quelque chose de pasolinien chez Scorsese (provenance multiple des influences, accueil généreux de ces dernières, décors de Dante Ferretti à partir de Casino...).
Toujours à sa manière, Scorsese s'arrange pour qu'une histoire de la musique vive sa vie en s'entrelaçant avec l'intrigue du film.
Jamais, dans la filmographie, on aura autant entendu confluer des apports spécifiques aussi multiples : blues, folk celtique, percussions africaines, musique officielle de Howard Shore, participation de Jocelyn Pook (qui avait composé pour Eyes Wide Shut), Afro Celt Sound System, chanson de U2...
Gangs of New York est bien ce ventre gargouillant rêvé par Scorsese et dont la ligne directrice secrète est placée sous le fanion étrange d'Otha Turner et son fifre mystérieux qui mène la toute première et très belle première séquence.
à suivre...
La musique hydrate le cinéma de Martin Scorsese depuis le début de la filmographie, dès ces courts-métrages où perce d'emblée, comme une confession à la première personne, des bribes criardes de tarentelles, autant de traces d'atavisme italo-américain.
Et dès le départ, cette toile de jute tissée de souvenirs de famille trouvera à se strier de distorsions punk avant l'heure, comme ce garage rock que l'on entend dans Who's knocking at my door?.
Déjà tordu, le tout jeune cinéaste détournait très tôt la formule, plaquant sur des images malsaines (The Big Shave, 1967, premier film gore, à ma connaissance, de l'histoire du cinéma après le film amateur montrant la tête du Président Kennedy exploser) une chanson jazzy et veloutée de Bunny Berigan (I can't get started) datant de 1937 (chanson que, par ailleurs, j'entendis pour la première fois dans Chinatown).
Les années 70-80 constitueront le creuset ardent de bien des confluents : folklore italien et opéra (Mean Streets, Italianamerican, Raging Bull), jazz (Taxi Driver, via Bernard Herrmann, New York, New York), music hall (Alice doesn't live here anymore, New York, New York), tentation de la comédie musicale (New York, New York) et surtout, le rock, véhicule des obsessions de l'auteur, lancé à toute berzingue (Mean Streets, American Boy et The Last Waltz).
Scorsese paraît régner très vite sur ce chaudron palpitant d'effluves et de pulsations dans lequel il viendra puiser l’énergie de son inspiration.
Une inspiration tressée de péché et de rédemption, de chute vertigineuse et de résurrection meurtrie, de pacte avec le Diable.
Quoi de plus naturel qu'un secret fil rouge parcourt l'ensemble de la filmographie et que cette épine dorsale soit le blues, celui des origines, de la croisée des chemins, celui qui scellait la rencontre de Robert Johnson avec Satan, ce blues auquel Scorsese consacrera une série de films qu'il produira et dont il réalise un épisode, Du Mali au Mississippi, en 2004.
Ce blues,toujours, que nous croisons parfois, éructant, incantatoire, comme dans The Wolf of Wall Street où l'on entend les invocations sauvages de Howlin'Wolf (comme de bien entendu), incarnation du retour du refoulé dans les fictions scorsesiennes, l'animalité sous la croûte de la cité en béton, le cimetière indien sur lequel on bâtit des buildings.
Le blues, dans les films de Scorsese, assure une présence discrète mais impérieuse, un rappel de l'origine anthropologique de tout ce que l'on voit sur l'écran, et suggère l'évidence d'un lien avec les Rolling Stones, le plus célèbre des groupes à s'être construits sur le blues le plus viscéral. Ces Rolling Stones présents dès Mean Streets, virevoltants dans Goodfellas et Casino auxquels Scorsese consacrera un somptueux film concert : Shine a light.
Les Stones, dans le cinéma de Marty, donnent le La de tous les états de l'homo americanus, tressautent de la gloire au déclin, convulsent quelque part entre Sodome et Gomorrhe.
Ils prennent le relais électrique de la vieille guitare slide.
Le loup hurlant en salopette sur sa véranda a beau s'être transformé en dandy anglais aux lèvres charnues: il ne s'en trouve pas domestiqué pour autant.
C'est déjà dit dans la partie 1, mais l'intrusion des Stones dans la bande son orchestre, d'une façon ou d'une autre, une rupture de tonalité caractéristique, un avant et un après que seul le geste cinématographique rend possible.
Dans Casino, avant que Mick Jagger ne déboule, un joyeux capharnaüm de blues évocateurs du "bon vieux temps" des champs de courses, de rythm&blues, de chansons enjouées célébraient les riches heures du "handicapeur" Rothstein.
Oh, quelque chose avait déjà fait tâche, et déjà, les Stones instillaient du venin en faisant glousser leurs guitares tandis que Joe Pesci fichait frénétiquement un beau stylo dans la gueule d'un fâcheux.
Mais ce n'était qu'une percée timide (si j'ose dire) qui aurait aussi bien pu provenir de Them.
Jusqu'à un certain point, tout ce que l'on entendait pouvait être connu des gangsters fréquentant les bars plus ou moins huppés de Las Vegas.
Mais probablement pas Can't you hear me knocking? (tiré de Sticky Fingers) qui nous fait coulisser d'un monde certes illicite, dur, mais cadré, professionnel à une dimension plus sauvage et archaïque.
A la croisée des chemins du syncrétisme, un travelling latéral part d'une tête d'Indien en totem, et balaie, dans un décor tex mex pour touristes, les membres de la bande de Joe Pesci, qualifiés de desperados, pour finir sur ce dernier, saisi de face et en gros plan, plus totémique que jamais (jamais Joe Pesci n'aura autant ressemblé à un indien que là où s'achève ce plan).
Les gangsters n'achètent probablement pas Sticky Fingers mais comme tous bons américains, ils en ont consommé du western! (dans Goodfellas, Joe Pesci imitait le Cisco Kid).
Dans ce décor de far west (Casino est aussi un western), les desperados prennent le pouvoir et Scorsese déroule en entier Can't you hear me knocking? pour inaugurer l'entreprise souterraine de Nicky Santoro (Joe Pesci), spécialisée dans le vol, le racket, la torture et le meurtre.
La croisée des chemins est également celle des destinées des genres musicaux, à l'image des vocations humaines (Martin Scorsese n'a-t-il pas failli vouer sa vie à la prêtrise?).
Cinéaste passeur, tout comme peu l'être Tavernier chez nous, Scorsese me fait penser à ces plaques d'aiguillage ferroviaire que l'on voit dans quelques films américains. Une oscillation et nous sommes tout de suite sur d'autres rails.
On l'a vu, le blues, pour faire très court, est le vestibule du rock. Il est aussi une musique ethnique aux racines africaines dont Scorsese, esthète et amateur, imagine, via le cinéma, une jonction entre Alan Lomax, défricheur mélomane qui enregistra et grava, dans les années 30, des dizaines d'heures de folklores hybrides des Appalaches à la Louisiane, et Peter Gabriel, patron du label RealWorld et chef de file de l'engouement, typique des années 80, pour ce que l'on a nommé world music.
D'ailleurs, la musique de La Dernière Tentation du Christ, signée de Peter Gabriel, est hébergée sur son label et lance officiellement, en 1988, le versant world de l'imaginaire scorsesien, qui impactera jusqu'à l'esthétique (quelque peu envahissante) de Kundun.
Cette autre dimension traduit chez le cinéaste un apaisement, une forme d'introspection zen, la survivance d'un mysticisme autant qu'une appétence pour les horizons (extrême)orientaux, de The Last Temptation à Silence.
"Italianité" oblige, mais pas seulement, il y a quelque chose de pasolinien chez Scorsese (provenance multiple des influences, accueil généreux de ces dernières, décors de Dante Ferretti à partir de Casino...).
Mais c'est dans Gangs of New York, film creuset sur le creuset américain, que se rassemblent, comme pour un séminaire, et s'entremêlent les vaisseaux sanguins qui irriguent l'oeuvre du maestro.
Toujours à sa manière, Scorsese s'arrange pour qu'une histoire de la musique vive sa vie en s'entrelaçant avec l'intrigue du film.
Jamais, dans la filmographie, on aura autant entendu confluer des apports spécifiques aussi multiples : blues, folk celtique, percussions africaines, musique officielle de Howard Shore, participation de Jocelyn Pook (qui avait composé pour Eyes Wide Shut), Afro Celt Sound System, chanson de U2...
Gangs of New York est bien ce ventre gargouillant rêvé par Scorsese et dont la ligne directrice secrète est placée sous le fanion étrange d'Otha Turner et son fifre mystérieux qui mène la toute première et très belle première séquence.
à suivre...
Dernière modification par Alexandre Angel le 13 juil. 19, 10:49, modifié 1 fois.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
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Re: Martin Scorsese
Alexandre, je me joins également aux louangeurs, beaux textes. Scorsese internalise si bien la musique extra-diégétique (à la différence de Tarantino qui l'emploie de manière plus ouvertement référencée) que ça méritait effectivement un sujet.
À titre personnel, je pense que les moments musicaux les plus forts de sa carrière sont ceux qui recomposent le matériau, le malaxent et en créent une version autonome. Je pense illico au Whiter Shade of Pale de Life Lessons, que tu as cité, ainsi que la démentielle utilisation du Jump into the Fire de Harry Nilsson qui accompagne la folle dernière journée d'Henry Hill dans le troisième acte des Affranchis. Ton exemple des Stones dans ta 2e partie est très intéressant, car il s'agit pour moi d'un cas d'école : un groupe dont je n'ai que faire, mais dont les morceaux semblent avoir été faits pour Scorsese (nonobstant ses documentaires, que je trouve imbitables, et où Scorsese fait montre d'une platitude de papy rocker exaspérante). Et ce gros plan de Joe Pesci! Merci de m'y avoir rappelé.
Point de dissension : je ne vois aucune coloration new worldesque à Kundun. Rappelons que Philip Glass a composé la musique en symbiose avec le scénario, une dizaine de pistes ayant même été finalisées avant qu'une seule image ne soit tournée. Telma Schoonmaker et Scorsese ont donc calé leur montage sur les compositions mathématiques de Glass et non l'inverse, ce qui entérine le côté abstrait et géométrique du film.
À titre personnel, je pense que les moments musicaux les plus forts de sa carrière sont ceux qui recomposent le matériau, le malaxent et en créent une version autonome. Je pense illico au Whiter Shade of Pale de Life Lessons, que tu as cité, ainsi que la démentielle utilisation du Jump into the Fire de Harry Nilsson qui accompagne la folle dernière journée d'Henry Hill dans le troisième acte des Affranchis. Ton exemple des Stones dans ta 2e partie est très intéressant, car il s'agit pour moi d'un cas d'école : un groupe dont je n'ai que faire, mais dont les morceaux semblent avoir été faits pour Scorsese (nonobstant ses documentaires, que je trouve imbitables, et où Scorsese fait montre d'une platitude de papy rocker exaspérante). Et ce gros plan de Joe Pesci! Merci de m'y avoir rappelé.
Point de dissension : je ne vois aucune coloration new worldesque à Kundun. Rappelons que Philip Glass a composé la musique en symbiose avec le scénario, une dizaine de pistes ayant même été finalisées avant qu'une seule image ne soit tournée. Telma Schoonmaker et Scorsese ont donc calé leur montage sur les compositions mathématiques de Glass et non l'inverse, ce qui entérine le côté abstrait et géométrique du film.
- Alexandre Angel
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Re: Martin Scorsese
Merci à vous
Ah oui!! Et longtemps je n'ai pas su qu'il s'agissait d'Harry Nilsson.El Dadal a écrit : la démentielle utilisation du Jump into the Fire de Harry Nilsson qui accompagne la folle dernière journée d'Henry Hill dans le troisième acte des Affranchis.
En fait, je ne parlais pas , pour le coup, de la musique (et merci pour les précisions que tu donnes), mais de l'esprit plastique et formel du film. Je lui trouve un côté "United Colors of Benetton" et je n'aime pas du tout cette plongée sur les moines massacrés.El Dadal a écrit :Point de dissension : je ne vois aucune coloration new worldesque à Kundun.
Sur les Stones, il n'y en a qu'un à ma connaissance et c'est Shine a light, que j'aime beaucoup malgré Christina AguileraEl Dadal a écrit :Ton exemple des Stones dans ta 2e partie est très intéressant, car il s'agit pour moi d'un cas d'école : un groupe dont je n'ai que faire, mais dont les morceaux semblent avoir été faits pour Scorsese (nonobstant ses documentaires, que je trouve imbitables, et où Scorsese fait montre d'une platitude de papy rocker exaspérante)
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Re: Martin Scorsese
Le désaccord devient totalAlexandre Angel a écrit : En fait, je ne parlais pas , pour le coup, de la musique (et merci pour les précisions que tu donnes), mais de l'esprit plastique et formel du film. Je lui trouve un côté "United Colors of Benetton" et je n'aime pas du tout cette plongée sur les moines massacrés.
Fait-on ce reproche à Zhang Yimou par exemple? C'est pas très fair play!
Et en ce qui concerne ce plan en particulier, que je trouve très fort, je ne crois pas qu'on puisse l'aimer. C'est le but. Scorsese reprendra d'ailleurs plusieurs fois la composition par la suite (Gangs of New York, Shutter Island...).
Je parlais de ses documentaires musicaux en généralAlexandre Angel a écrit : Sur les Stones, il n'y en a qu'un à ma connaissance et c'est Shine a light, que j'aime beaucoup malgré Christina Aguilera
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Re: Martin Scorsese
Eh bien , tu vas pas être déçu car je vais aborder les docus incessamment! Et là on est déjà pas d'accordEl Dadal a écrit :Je parlais de ses documentaires musicaux en général
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
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Re: Martin Scorsese
Tu me rassures déjà!Alexandre Angel a écrit :Eh bien , tu vas pas être déçu car je vais aborder les docus incessamment! Et là on est déjà pas d'accordEl Dadal a écrit :Je parlais de ses documentaires musicaux en général
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