Qui tire le premier ? / A Time for Dying - 1969
Scénario et réalisation : Budd Boetticher / Produit par Audie Murphy / Directeur de la photographie : Lucien Ballard / Musique : Harry Betts
Avec Richard Lapp (Cass Bunning), Anne Randall (Nellie Winters), Victor Jory (le juge Roy Bean), Audie Murphy (Jesse James), Robert Random (Billy Pimple), Beatrice kay (Mamie, la mère maquerelle)
Le très jeune Cass Bunning vient de quitter pour la première fois la ferme familiale pour se rendre à Silver City. Il croise quelques bandits mais parvient sans encombre jusqu'à la ville, un refuge de hors-la-loi, très animée ce soir là car on attend l'arrivée de la diligence qui doit amener en ville la dernière trouvaille de Mamie, la propriétaire de la maison close. Effectivement, elle n'avait pas menti : la plus jolie fille vue dans le coin depuis un bon moment fait son apparition sous les collibets des autres prostituées ricanant au balcon du bordel. Une jeune fille apeurée se terre au fond de la diligence sous les regards des hommes surexcités qui attendent de lui faire escorte jusqu'à son lieu de travail. L'attraction du soir est perturbée par l'intervention de Cass qui enlève la jeune fille sous les yeux des habitants. Lui ayant permis d'échapper au bordel, Cass s'interroge sur les intentions de la jeune femme. Les deux jeunes gens apprennent à se connaitre et décident de tenter leur chance ensemble. Ils passent la nuit à Vinegaroon mais au matin ils sont arrêtés par les hommes du Juge Roy Bean qui accepte de fermer les yeux sur la situation illégale du couple en fuite à condition de les marier. Le jeune couple reprend la route et prenant confiance en lui, le jeune Cass révèle à sa jeune épouse, ses véritables intentions…
Boetticher commence par nous montrer un pied tendre, un jeune homme naïf -croit-on- que l'on découvre en train de sauver un jeune lapereau prêt à être tué par une vipère qu'il abat d'un tir rapide et précis. Un indice peut-être ? Et avec les hommes ? Justement trois mines patibulaires apparaissent, se moquent de Cass, et le provoquent. Fait inhabituel, c'est Billy Timple, le très jeune homme au centre du groupe qui prend la parole. Ses compagnons ironisent d'ailleurs sur sa jeunesse mais c'est bien le Kid qui semble avoir l'ascendant sur ses compagnons. Ce n'est que le premier des Kid que l'on va croiser … L'arrivée dans la ville de Silver City à l'atmosphère assez survoltée et dans laquelle la violence semble pouvoir éclater à tout moment ne perturbe pas la quiétude apparente du jeune homme, pas plus que la première rencontre avec ses premiers bandits quelques instants auparavant. Le sauvetage de la jeune Nellie n'est d'ailleurs qu'une brève accélération du récit mais la tension retombe aussitôt après. Les deux jeunes gens font connaissance et s'interrogent sur leur avenir : Que faire dans ce monde là ? On improvise…mais plus le film avance, plus ils seront confrontés à un monde de violence dont ils essaieront de se tenir éloigné. C'est en tout cas ce que l'on croit. Entre deux mauvaises rencontres, entre Cass et la jeune fille, il va y avoir quelques moments idylliques, des parenthèses sublimes magnifiquement filmées par Boetticher (et Lucien Ballard, son directeur de la photographie). Durant ces séquences simplement mais joliment écrites, j’ai fréquemment pensé au jeune couple de
Promenade avec l'amour et la mort pris eux aussi dans une époque peu propice aux amours "courtois". A chaque fois, l'harmonie est bien vite brisée par les adultes. Le soir même de l'enlèvement, Cass et Nellie dorment à l'hôtel de Vinegaroon et sont sortis de la chambre au petit matin par les hommes de Roy Bean, le juge de la petite ville où ils avaient trouvé refuge. Bien que Cass affirme avoir respecté Nellie, il est condamné alors que les hommes de Bean l'avaient surpris assoupi sur une chaise, une carabine entre les mains, gardant la porte de la chambre dans laquelle Nellie s'était endormie. Malgré tout, Bean qui venait de prononcer une sentence de mort à l'encontre d'un tout jeune homme incapable de prouver qu'il était le propriétaire du cheval qu'il montait la veille et qui est pendu sur la colline entourant la ville immédiatement après le jugement expéditif, il se montre plus clément pour Cass et Nellie mais ils sont néanmoins mariés de force.
L'image du jeune homme vacille quand on apprend de sa bouche même que ce fils de fermier a été formé au tir par un père très habile un pistolet en main et qu’il avait fait rêver son jeune fils avec ses récits contant les exploits des légendes de l'ouest…et aujourd'hui le jeune Cass rêve de pouvoir enfin se mesurer à eux. Pourtant, s'il est habile pour tirer sur une cible immobile comme il l'avait déjà démontré dans le saloon de Silver City provoquant l'admiration des piliers de bar et s'il impressionne aussi Nellie un peu plus tard en lui faisant une démonstration de tir sur un cactus provoquant là aussi des exclamations enthousiastes, dès qu'il lui fait part de ses rêves, se mesurer aux légendes de l'ouest, elle prend peur et se fâche. Cette dispute est interrompue par 3 hommes. L'un d'eux, menaçant, prend la parole et on comprend immédiatement qu'il prend de haut le jeune homme. En raison des scènes précédentes, l'entrainement au tir très probant, la vantardise de Cass et les propos qu'il tient sur ses intentions, on s'attend la encore à un duel mais il n'en est rien. Boetticher joue avec nos nerfs et remet à plus tard les explications car Cass a, pour l'instant, encore besoin de recevoir une dernière leçon. L'homme qui prend la parole lui demande de jeter ses armes et de baisser son pantalon pour gêner ses mouvements et être ainsi en position de force. L’inconnu entend sans doute humilier Cass sous les yeux de sa jeune femme, mais une humiliation en douceur sans agressivité aucune, et il emploie surtout un ton professoral, le félicite pour son habilité au tir mais le sermonne pour s'être laisser surprendre puis finit par décliner son identité et celles de ses compagnons : Frank, Jesse James et Bob Ford. Quand James apprend que les deux jeunes gens ont l'intention de retourner à Silver City, il les dissuade, les prévenant que sa bande a l'intention d'attaquer la banque de la ville et Ils prennent enfin congés. Pour le jeune Cass, ce sera la dernière leçon, une sorte de « Masterclass » … mais il ne saura pas en tenir compte.
On croise donc de nombreuses célébrités du western. Soit on en entend parler : les légendes de Lilly Langtree, Wes Harding et James Cantrill sont évoqués par Cass car son père les avaient croisé. Lily Langtree est à nouveau évoquée par Roy Bean puis on croise Jesse James et sa bande mais c'est la figure de Billy The Kid qui semble avoir le plus intéressé Boetticher. Si son nom est d’abord évoqué à plusieurs reprises, on en croise plusieurs de ces gamins tueurs, d'abord un premier Kid, le jeune Billy Pimple, mais le principal est bien sûr le jeune Cass qui n'est donc pas qu'une victime de l'époque puisque ce qui lui arrive, et par conséquent ce qui arrive au couple, il en est le principal responsable. Constatant l'accumulation de célébrités que l'on croise ou dont on entend parler, je ne comprenais pas pourquoi Boetticher avait ouvert son film par la confrontation potentiellement explosive -mais avortée- entre deux Kid "non historiques". Comme il se doit, l'explication et la raison d'être de ce choix curieux vient à la fin … C’est cette variation sur la culture de la violence en Amérique qui rend le film si passionnant. Le jeune Cass semble bien jeune, bien seul et bien peu armé (jeu de mot) pour survivre dans un monde comme celui qui est décrit mais finalement s'il fait de mauvaises rencontres, ce n'est pas ce qui le tue. Il rencontre même les moins recommandables qui soient, et pour finir l'un de ceux qui fout le plus les miquettes (Jesse James) mais si ce dernier l'humilie, c’est surtout pour dissuader Cass de jouer les durs. Il lui donne des conseils ; il le prévient pour le raid qui se prépare et il est donc absolument bienveillant avec les jeunes gens, ce qui était quand même un angle singulier pour montrer la "terreur" de l'ouest.
Et finalement, ce ne sont pas les mauvaises rencontres avec ces "terreurs historiques" qui le faisaient fantasmer - tout comme ils faisaient fantasmer son père - qui cause la perte de Cass puisque c'est à un autre gamin que Cass doit sa perte. C'est sans doute qu'il aura été éduqué tout comme lui dans une culture de la violence (le père de Cass l'a nourri au mythe des grands flingueurs et l'a initié au tir rapide). Cette éducation lui aura été certes utile en une occasion puisque Cass se montre au moins une fois héroïque " à l'ancienne " (quand il enlève la jeune fille du bordel qui lui est promis) mais il y a un moment de rupture lorsque - en confiance - Cass confit à la jeune fille ses rêves de gloire et qu'il lui fait cette démonstration de tir qui soulève son enthousiasme. La fascination des armes ; la puissance qu'elles confèrent … Rideau. Irrécupérables. Si les petits garçons ont semble t'il le choix entre fermier et gunfighter, le sort des jeunes filles n'est pas beaucoup plus enviable. Ayant donc échappé de peu au bordel, Nellie déclare à Cass qu'il est difficile pour une fille de trouver un travail décent et que même si l'on croit parfois l'avoir trouvé, on tombe souvent sur des patrons qui ne le sont pas toujours … Alors la prostitution finalement…ou bien tiens, le mariage ! Boetticher montre donc certaines réalités de l'ouest qui furent longtemps occultées ou édulcorées dans le genre, par exemple la prostitution, et qu'il soit aussi explicite sur les perpectives d'avenir d'une jeune et jolie fille dans l'ouest américain à cette époque là n’était pas encore si courant.
Il fait même preuve d’un brin de complaisance pour montrer la vulgarité des filles du bordel … Et plus tard, le bal qui suit le mariage forcé de Cass et Nellie tourne lui aussi à la boufonade : on y force Cass à danser avec la chaise vide dans laquelle est réputée s'être assise jadis Lilly Langtree. Ce dernier western de Boetticher - et même le dernier film de fiction tout court du metteur en scène - tranche donc singulièrement avec ses westerns de la décennie précédente mais c'est un film que devraient aimer les admirateurs des autres grandes oeuvres iconoclastes qui vont suivre (Juge et hors-la-loi, ceux de Altman …). On regrette quand même parfois un peu les épures du grand Boetticher. Le très grand classicisme et l'économie de moyen prodigieux que l'on pouvait voir notamment dans la série de chefs d'oeuvre tournés avec Randolph Scott sont remplacés ici un style affecté dont on perçoit un peu trop les intentions : jouer avec les codes du genre, avec certains stéréotypes que Boetticher s'amuse à traiter de manière décalée et en convoquant au passage une bonne partie des célébrités de l'ouest dans un récit pourtant très court, en partie pour s'en moquer ou pour tenter une démystification. Il maltraite surtout le juge Roy Bean, un alcoolique édentée qui la nuit laisse tremper son dentier dans un verre rempli de whisky ; dentier qu'il ôte et remet en place aussi souvent qu'il émet les sentences de mort à la chaine. Le rôle est joué de manière énoooorme par le vétéran Victor Jory. On ne retrouve pas tout à fait non plus la maitrise formelle du réalisateur, en terme de mise en scène, de montage, de construction du scénario. Mais d’une part, le film a été charcuté et - en amont- le manque de moyens semble évident. C’est d’ailleurs ce qui explique ce casting de jeunes inconnus qui tiennent les premiers rôles ... et surtout une bévue navrante car elle montre bien l'état de la carrière du metteur en scène au moment de ce tournage : L'arrivée de Cass à Silver City se fait de jour mais dans le prolongement de cette séquence, après avoir déposé son cheval chez le maréchal ferrant, on se retrouve…de nuit. Encore une fois, ce raté s'explique par le minuscule budget affecté à la réalisation de ce film produit d'ailleurs par Audie Murphy (remarquable en Jesse James) à une époque où Boetticher était ruiné.
Ce western dont la morale pourrait être : "Ne laissez pas vos gosses jouer aux cow-boys" est parfois maladroit mais encore passionnant et à voir ; et pas seulement par les complétistes. Final désespérant. Plus pessimiste, y'a pas. DVD gravé (vost)
Epilogue (attention : spoiler visuel)
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