Encore un numéro passionnant de
Cinéastes de Notre Temps.
Marcel Pagnol ou le cinéma tel qu'on le parle (1966) d'André S. Labarthe - 109 min
Avec ce numéro consacré à Pagnol, on aborde les sujets de prédilection du metteur en scène: la Provence et les provençaux, le rapport son-image et les rapports théâtre-cinéma. Pagnol est interviewé dans la première partie dans sa maison de Cagnes-sur-mer. On retrouve aussi Charles Blavette, un des derniers survivants de la troupe de Pagnol. Il se lamente sur la disparition du vrai marseillais: [avé l'assent] "
Maintenant, il y a des marseillais qui courrent ! Avant, les marseillais disaient toujours qu'il fera jour demain, on a le temps..." Il y a déjà une nostalgie du temps passé chez tous les participants. Pagnol dit ne pas pouvoir regarder ses premiers films car il l'impression de voir un cimetière, presque tous ses interprètes sont déjà morts.
Marcel Pagnol explique la différence entre marseillais et provençaux. Quand il est né en 1895 à La Treille (qui n'est qu'à 20 km de Marseille), les gens du cru vivaient renfermé sur eux-même. Il faut dire qu'il n'y avait pas de route, seulement un chemin difficile d'accès. Les provençaux étaient rudes, ne parlaient pas le français, seulement le patois. Ils restaient dans leur village, descendaient rarement dans la plaine, et encore moins à la ville. Si vous arriviez d'un village situé à 10km, vous étiez un étranger. Alors que Marseille était un port avec des influences grecques et même suédoises. Il s'intéresse aux provençaux car ce sont des gens rudes et simples. Quand on l'interroge sur la méchanceté de certains de ses personnages comme Ugolin, il répond qu'il ne pense pas à mal. Ugolin est seulement un être simple qui ne se rend pas compte du mal qu'il commet. Pour lui, les provençaux sont mélancoliques, alors que les marseillais respirent la joie de vivre.
Pagnol explique comment il est devenu metteur en scène après avoir suivi le tournage de
Marius, réalisé par Alexandre Korda. Il a ensuite acheté des caméras et tout l'équipement technique, puis, plus tard, créé un studio à Marseille. Tout le personnel qu'il embauche n'est pas issu du cinéma car il n'y avait jamais eu de studio à Marseille. On retrouve donc parmi ses techniciens Marius Brouquier qui était maçon. Il a construit le village de
Regain au milieu des collines pour le film. Les techniciens survivants se souviennent tous avec un immense plaisir des longs tournages -qui ressemblaient presque à des vacances!- où tout le monde dormait sur place pendant des mois. La petite industrie artisanale de Pagnol devient de plus en plus importante quand il se lance aussi dans la distribution de films. Il n'a presque plus le temps de faire des films car il est submergé par le management. Puis, en 1938, André Hugon qui avait loué son studio lui fait faux bond. Il doit tourner quelque chose rapidement pour faire tourner la machine. Il écrit donc un petit film de 45-50 min
La femme du boulanger pour Maupi. Mais, Maupi lui dit que c'est un rôle pour Raimu et que son film fait au moins deux heures! Pagnol reconnaît qu'avoir un peu de pression de temps en temps vous oblige à réaliser des films que peut-être vous ne feriez pas.
La conception du cinéma parlant de Pagnol explique son attitude vis-à-vis de la caméra. Une fois que les plans sont fixés, il va écouter la scène dans le camion du preneur de son. Le son lui suffit pour juger si la scène est réussie. Il n'aime pas faire de multiples prises et parfois il enregistre une répétition à l'insu des interprètes. Il arrive souvent qu'ils tournent une bobine entière d'un seul coup. Il n'aime pas les plans courts et saccadés. Les mouvements de caméra intempestifs ne sont pas pour lui. Il préfère laisser les acteurs libres de développer leurs personnages sur de longs plans séquences et ainsi capter leurs interprétations. Il s'intéresse quand même au montage puisqu'il organise des 'previews' à l'américaine dans des cinémas marseillais pour jauger les réactions du public et modifier ainsi le montage du film (une réplique là ou une scène entière qui ne marche pas). Il se sent vraiment comme un dramaturge qui modifie sa pièce juqu'à la première.
Sur le rapport théâtre-cinéma, Pagnol a été vilipendé par les critiques. On a dit qu'il faisait du 'théâtre en conserve' (encore plus insultant que théâtre filmé selon lui). Son point de vue est que les premiers films parlants étaient surtout des films avec bruitages et quelques dialogues. Il a voulu faire des films où les dialogues étaient prépondérants. Il reconnaît avoir aimé Griffith, Chaplin et Clair au muet. Mais, pour lui, cinéma parlant et muet sont deux entités totalement différentes. De toutes façons, un metteur en scène, pour lui, n'est qu'un interprète. Le créateur c'est celui qui est l'auteur du sujet, du scénario.
Au total, ce documentaire donne une image passionnante d'un Pagnol fier de son artisanat au cinéma, qui n'oublie jamais son passé de dramaturge.