Demi-Lune a écrit :J'entends tous ces arguments, qui sont d'ailleurs relayés dans le papier au vitriol, mais inspiré, de Vincent Malausa dans L'Obs.
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"The Neon Demon" est le nouveau film de Nicolas Winding Refn, qui est un peu le Cristiano Ronaldo du cinéma contemporain : un auteur bourré de talent, que l'on aimerait admirer, mais dont l'arrogance et les simagrées de petit prince voulant jouer les Kubrick ont tendance à calmer les ardeurs de ses fans les plus transis.
Après "Drive", NWR pousse un peu plus les curseurs
Après avoir réalisé son film le plus séducteur, "Drive", le Danois aux allures de courtier en immobilier avait surpris son monde avec "Only God forgives". Un objet complètement abstrait, limite autiste, un film d'horreur claustrophobe et minéral prenant à rebrousse-poil le côté glamour de son film précédent.
"The Neon Demon" a le mérite de trancher en poussant tous les curseurs du cinéma de pure sensation de NWR à leur maximum d'intensité. Le film raconte l'arrivée à Los Angeles de Jesse, une jeune beauté diaphane (Elle Fanning) qui découvre le monde de la mode et des prédateurs qui l'environnent avant de se faire happer par un trio de femmes cannibales.
Il y a deux films dans "The Neon Demon", une série B d'horreur crasseuse qui se trame dans les recoins louches de L.A. (un vieux motel puant le viol où Jesse est menacée par quelques mâles détraqués) et un essai ésotérique sur le monde de la mode qui se transforme en trip saphique, gore et psychédélique.
Une sorte de calligraphie futuriste
Ces deux films, qui disent la passion du cinéaste pour les séries Z les plus zigouillées autant que son amour pour le vide contemporain (cinéma de velours pour salons cosy), s'entremêlent pour libérer une infinité de promesses – le conte de fée déviant, la série B creepy, le film-prototype éthéré –qui finissent toutes par s'effilocher au profit d'un long trip entièrement voué aux puissances lumineuses du cinéma.
Sur le plan de la lumière, Refn est sans égal et "The Neon demon" s'apparente à une sorte de calligraphie futuriste jouant de longs plans séquences hypnotiques. On est happé par la faculté du cinéaste à faire basculer n'importe quel espace vers une espèce d'outre monde inquiétant, lugubre et hanté par la plus radicale désolation.
Mais NWR n'est pas Kubrick et l'on sent très vite – vu qu'il ne résout rien au profit d'une mosaïque de pistes – que tout cela n'est aucunement porté par un geste fort.
De fait, le film vire plutôt à un spectacle de sons et lumières façon Jean-Michel Jarre des temps modernes : de peur de s'essouffler tant il n'a rien à dire, NWR ressemble à un DJ qui déroulerait vainement ses boucles et rubans de beauté pure. La fin complètement ratée (Refn est incapable d'aller au front et de filmer la scène de cannibalisme) résume ce qui ne fonctionne pas dans le film : l'ésotérisme, le symbolisme fin de race, la métaphore ne sont que des manières de tourner autour du pot qui empêchent le film de trouver sa cible.
Le réalisateur est-il réellement cinéaste ?
Le personnage d'Elle Fanning est pourtant porté par une belle idée, celle-ci débarquant dans un univers de femmes reptiliennes en préservant son innocence uniquement par la puissance de rayonnement de son visage. La scène satirique de casting, qui la voit s'avancer au milieu d'une foule de grues jalouses, est extraordinaire et montre précisément ce qu'est une actrice dans un monde de femmes robots : une lumière qui s'imprime plus longtemps que les autres à l'écran.
C'est au fond cette idée qui sauve "The Neon Demon". On ne peut que regretter que le projet esthétique assez fabuleux du film finisse par apparaître comme un pur simulacre : c'est pour Refn une manière d'affirmer une fois de plus son talent, mais c'est aussi une façon de multiplier les écrans pour dissimuler toutes les impuissances de son cinéma.
Refn se rêve en génie dans son délire narcissique de plus en plus écœurant de vanité (voir le NWR qui s'affiche au générique comme une sorte de logo de grande marque de luxe) et c'est bien ennuyeux. C'est un formidable alchimiste prenant le cinéma comme une matière ou une substance magique, capable de nous terrasser le temps de visons inouïes, mais il n'est toujours pas certain qu'il soit un cinéaste.
Duke Red a écrit :il y a vraiment des gens qui se sont attachés à Tom Hardy, Ryan Gosling et Elle Fanning ?
Je réagis juste là-dessus : mettre les trois dans un même panier est un peu de la mauvaise foi
Dans le premier cas, on a affaire à un délinquant ultra-dangereux : encore heureux que l'attachement ne soit pas au programme, ce serait comme si Kubrick voulait nous faire prendre Alex DeLarge en sympathie (au passage, je n'avais pas du tout aimé
Bronson et il n'y a aucune chance que cela arrive un jour). Dans le second cas, on a affaire à un concept (ainsi que l'explicitera la fin), celui du chevalier servant protégeant la veuve et l'orphelin. Le mec est "abstrait". C'est peut-être complètement fumeux ce qui va suivre, mais c'est moins une existence diégétique qu'une existence de cinéma qu'il a, même s'il aimerait là encore traverser le miroir (comme le fait Elle Fanning dans
The neon demon dans la séquence-pivot du Triangle). Dans le dernier cas, oui, l'attachement est possible et même recherché puisque la candeur du personnage d'Elle Fanning contraste avec le malaise qui émane du milieu qu'elle fréquente. Les lois dramatiques incitent à l'empathie, jusqu'à ce que le balancier s'inverse.
Donc seulement il est possible de s'attacher à elle, mais en plus, il est possible de s'attacher aussi au personnage de Jena Malone, et même, de façon inattendue, l'espace d'un moment furtif, au personnage d'Abbey Lee Kershaw - lorsque tel un de ces solitaires à la Michael Mann, elle porte son regard vers l'horizon de l'océan et, prise d'une indicible mélancolie, semble prendre conscience de sa futilité.
(Une semaine plus tard…)
(Pas mal le papier de Malausa - pour une fois qu'il ne verse pas dans l'outrance dédaigneuse ; je l'avais pas lu avant de faire ma critique, mais on utilise parfois les mêmes termes)
Sinon pour revenir sur cette idée d'attachement, je me suis peut-être mal exprimé : je ne parle pas tant de sympathie envers ces personnages que d'investissement émotionnel du spectateur. Alex DeLarge, pour reprendre ton exemple, a beau être un psychopathe, il n'en reste pas moins un être humain "crédible" - Kubrick nous montre assez de facettes de son existence (avec ses acolytes, ses parents, ses coups d'un soir) et injecte suffisamment d'humour noir pour qu'on se sente concerné par le sort du personnage, voire qu'on le plaigne lorsqu'il est soumis au traitement et en subit les conséquences.
Chez Refn, t'as affaire à des murs. Le plus "humain", c'est sûrement Bronson au fond, avec son côté chien fou, le mec a des émotions au moins. Après mes souvenirs du film sont vagues et le fait que le type existe vraiment joue peut-être inconsciemment. Gosling dans
Drive, je vois où tu veux en venir avec ton explication, mais ça ne me convainc pas pour autant - disons que le bonhomme reste chiant à regarder, mais ok on s'attache par ricochet à Mulligan et son môme (enfin on a pas envie qu'il leur arrive du mal quoi, je vais quand même pas dire que ces persos sont mémorables). On monte encore d'un cran dans
Only God Forgives - là le mec c'est une porte de prison, il ne dégage rien, ne ressent rien, ne s'attache à rien. Quand vient l'heure du châtiment à la fin, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre… Quant à Elle Fanning, tant qu'elle la joue innocente et fragile, je la trouve sympathique oui (quoique creuse), mais dès qu'elle passe du coté obscur ça s'arrête net, vu qu'elle n'a pas d'autres traits de caractère auquel le spectateur peut se raccrocher.