Et pour une présentation plus complèteNoboru Nakamura (1913-1981) se fit connaître dans les années 1950 pour des comédies, des romances et des drames familiaux tournés dans le style moderne et léger dit "Ofuna", la marque de fabrique de la Shochiku, le grand studio où il a réalisé l’essentiel de son œuvre, comme Yasujiro Ozu. Au cours des années 1960, il signa de très raffinés portraits de femmes à l’esthétique précieuse et à la narration dépouillée. Ses films, à deux reprises nommés aux Oscars ("Kyoto", "Portraits de Chieko"), sont ainsi devenus l’élégante vitrine d’une certaine conception formaliste et littéraire du cinéma japonais. Avec le recul nécessaire, son œuvre contient une épaisseur insoupçonnée et il convient d’en gratter la surface à travers la douzaine de films composant cette première grande rétrospective en dehors du Japon.
http://www.mcjp.fr/media/mcjp/155532-en ... kamura.pdf
Le plaisir en famille (1951)
Un salary-man peine à joindre les deux bouts pour entretenir sa famille, au grand désarroi de sa cadette qui découvre par hasard leur grande précarité et se pose des questions sur ses études de peinture.
Titre le plus ancien de cette rétrospective, le plaisir en famille est une chronique familiale typique de la Shochiku dont l'auteur le plus connus demeure évidement Yasujiro Ozu. Ce n'est pas pour rien qu'on retrouve dans le premier rôle masculin Chishû Ryu
Entre tendresse, comédie, drame et tonalité douce amer, ce petit film simple et modeste dresse un portrait d'une classe moyenne japonaise un peu coincé entre les premières heures de la société de consommation et une économie encore titubante de l'après-guerre. Nakamura ne cherche pas à faire dans le social ou le néo-réalisme et reste centrer sur les membres de cette famille, surtout les parents et leur plus grand fille interprétée par Hideko Takamine. L'attention du cinéaste est donc focalisée sur ses comédiens et leurs réactions plus ou moins imperceptibles pour leur proche. La direction d'acteurs est ainsi un modèle du genre où un léger mouvement des lèvres, un regard hésitant quelques secondes, un geste maladroit traduisent beaucoup plus de sentiment qu'une longue discussion.
L'une des séquences les plus réussis à ce niveau est la fête organisée par les enfants en l'honneur de leur père qui vient d'obtenir une prime pour son travail dévoué... sans savoir que ce dernier n'ose leur avouer qu'il s'est fait voler l'ensemble de l'argent par un pickpocket. Le découpage est précis, fluide, toujours dans le bon timing.
Le style de Nakumura est celui d'une assurance tranquille qui ne s'impose pas mais vient en soulignement.
Plusieurs moments font ainsi preuve d'une très beau tact tout en finesse : Takamine découvrant que sa mère a placé ses bijoux au mont de piété, les excuses du mari à son épouse pour la vie un peu rude qu'il lui a fait vivre, leur regret à ne pas avoir dépensé immédiatement l'argent de la prime et un décès que le cinéaste effleure en 4-5 plans aussi sublimes que brefs : des pots de fleurs ramenés de l’hôpital, un portrait dessiné à la main posé sur un bureau, une jeune femme assise mélancoliquement dans des hautes herbes. C'est d'une sobriété exemplaire et un modèle de raffinement.
L'émotion tout en retenue est toujours toujours présente, frémissante à la surface sans faire de vague ni de remous. L'échange entre la mère évoque pour la première à sa fille ses rêves abandonnés vibre elle aussi d'une sensibilité très touchante sans chercher forcément à faire couler le maquillage.
Le scénario en revanche lui manque de surprise, on sait dès le début que le happy end sera inévitable et il apparaîtra en effet in-extrémis durant les dernières minutes. On est alors plus dans les conventions des films positifs un peu trop naïvement facile et qui tranche un peu avec des séquences plus lucides et réalistes comme la visite chez un peintre professionnel qui peine à cacher son dédain face à des tableaux médiocres.
Pas un chef d'oeuvre donc mais Nakamura n'avait de toute façon pas cette ambition, ce qui joue aussi en sa faveur.
Trois vieilles dames (1974)
Une veuve voit débarquer chez elle sa belle-sœur et la maîtresse de son époux qui veulent toutes deux habiter chez elle.
Cette fois, c'est le film le plus tardif de cette rétro !
Le début fait très peur avec un style visuel proche des films des années 50 (mais en couleur) qui donne l'impression que le cinéaste est à côté de la plaque et n'a pas su évoluer pour une oeuvre totalement anachronique. Fort heureusement, ça ne concerne que l'introduction et ne servait que de clin d’œil pour rappeler le passé des 3 actrices principales qui avaient justement connu leurs heures de gloire 20 ans auparavant : Kinuyo Tanaka, Michiyo Kogure, Aiko Mimasu.
Une fois que l'histoire prend place dans la maison de la veuve, Nakamura devient moins passéiste, mais avec toujours cette discrétion qui pourrait faire croire à un académisme pépère. Pourtant, le découpage est loin de jouer la banalité et propose au contraire une belle variétés de cadrages sans jamais tomber dans l’exercice de style démonstratif (et sans avoir non plus la virtuosité de la bête élégante de Kawashima, THE référence du genre).
Dans le même ordre d'idée, la photographie est tout autant travaillée mais ne cherche pas à impressionner la rétine.
La mise en scène parvient ainsi à faire oublier la dimension théâtrale du scénario qui reste un huit-clos avec une demi-douzaine de personnages.
Quant au film, c'est une comédie assez savoureuse au final même s'il faut un peu de temps à apprécier le style de jeux des acteurs qui reproduisent la dimension espiègle et cabotine des années 1950 pour un interprétation assez appuyé donc, surtout chez les actrices les plus jeunes. Une fois accepté ce parti pris, on s'amuse beaucoup des vacheries que se lancent ce trio de femmes que rien de devait réunir sur le papier. Kinuyo Tanaka est d'ailleurs excellente dans son rôle et vole littéralement la vedette à chaque scène.
Pourtant derrière l'humour, on sent poindre un discours plus grave et amer sur la vieillesse et la place des personnages âgées dans la société. Ce malaise et cette mélancolie iront en s'accentuant pour donner quelques passages là aussi assez poignant quand ces vieilles dames laissent exprimer leurs véritables sentiments ou lorsque qu'un collègue du mari décédé vient vivre dans la remise de la maison, chassé par sa fille qui trouve sa retraite trop maigre pour un ancien de la finance.
L'épilogue va même encore plus loin en poussant jusqu'au malaise grinçant, un poil trop démonstratif sans doute mais qui demeure assez culotté dans sa critique de l’hypocrisie des institutions socio-politiques.
Une belle découverte dans l'ensemble qui parvient à parler avec humour et tendresse d'un sujet délicat sans pathos ni bons sentiments envahissant.