Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings) 1939
Scénario : Jules Furhtman d’après une idée originale de Howard Hawks ;
Photographie : Joseph Walker, Elmer Dyer ;
Son : Lodge Cunningham ;
Montage : Viola Lawrence ;
Décors : Lionel Banks ;
Musique : Dimitri Tiomkin ;
Costumes : Robert M. Kalloch ;
Réalisateur de seconde équipe : Richard Rosson ;
Durée : 121 minutes pour une production Howard Hawks pour Columbia.
Interprétation : Cary Grant (Goeff Carter), Jean Arthur (Bonnie Lee), Richard Barthelmess (Kilgallon/McPherson), Rita Hayworth (Mrs. Kilgallon), Thomas Mitchell (Kid), Sig Ruman (Dutchy), Victor Killian (Sparks), John Carroll (Shelton), Allyn Joslyn (Lee Peters), Donald Barry (Tex Gordon), Noah Beery Jr. (Joe Souther).
Nous sommes en 1938, l’année précédant le début du second conflit mondial. Les armées allemandes et japonaises viennent d’annexer des territoires en Europe et en Asie, leurs appétits expansionnistes et les jeux des alliances rendant la guerre inévitable. Les efforts de la diplomatie internationale ne font que retarder l’échéance, mais les États-Unis s’obstinent à rester neutres. Cela n’empêche pas quelques rares films américains de mettre en garde contre les dangers de contagion du fascisme dans le monde, même si la plupart des studios évitent de produire des histoires abordant le sujet. Cependant, plusieurs comités contre le nazisme se constituent à Hollywood autour de personnalités progressistes et d’artistes européens émigrés. Howard Hawks, en bon individualiste, ne se soucie guère de prendre part à des activités pacifistes, bellicistes ou politiques, l’évidente montée des périls ne semblant pas le concerner. A cette époque, il traverse également une période riche en termes affectifs : son épouse, Athole Shearer, vient d'être internée dans un hôpital psychiatrique. Hawks a rencontré la belle Slim Keith, dont il est tombé fou amoureux. Sur le plan professionnel, il se soucie surtout de gagner de l’argent afin d’éponger ses dettes de jeu, et après sa belle réussite dans le genre comique, aimerait changer de creuset pour son prochain opus. Le cinéaste et Cary Grant avaient entamé une fructueuse collaboration avec
L’Impossible Monsieur Bébé, et ils devaient se retrouver la même année sur le plateau de
Gunga Din, film d’aventures produit par la RKO. Mais les studios font marche arrière après avoir constaté qu’Hawks était un metteur en scène très lent et trop dépensier, le modeste succès public de
L’Impossible Monsieur Bébé n’ayant pas réussi à le rentabiliser d’autant que le budget initial avait été largement dépassé par le réalisateur. George Stevens est engagé pour réaliser
Gunga Din, qui dépassera pourtant son budget au point d’atteindre près de deux millions de dollars et d’en faire le film le plus cher jamais produit par cette compagnie. Malgré cela, on peut y repérer quelques thématiques hawksiennes comme les trois hommes et leur valet, annonçant en quelque sorte
Rio Bravo, ou le combat final à la dynamite. Plusieurs séquences reposent entièrement sur son système, comme la scène où Grant étrangle un étrangleur. En revanche, on peut imaginer que le rôle féminin aurait été bien plus intéressant dans son traitement. Une dernière évidence repose sur le choix des trois comédiens principaux : Victor McLaglen (star de
Une fille dans chaque port), Douglas Fairbanks Jr. (vedette de
La Patrouille de l’Aube) et bien sûr Cary Grant. Si
Gunga Din n’atteint jamais la simplicité sèche et glauque des films de Hawks, il reste une réalisation efficace, solidement ancré dans le style propre aux films épiques produits à cette époque. La même année, Hawks aurait épaulé son ami Victor Fleming pour des séquences de
Autant en emporte le vent :
« Il n’avait pas ouvert le livre. Il prétendait qu’il n’avait pas le temps. On l’avait désigné pour mettre en scène le film, alors il m’a demandé, ainsi qu’à vingt autres personnes, ce qui nous avait plu là-dedans. Ensuite, il n’a travaillé que sur les choses qui nous avaient intéressés. A moi, il m’a demandé ce qui me semblait important et j’ai répondu : « L’important, c’est que seul l’amour qu’elle éprouve pour la terre de sa plantation empêche la fille d’être une putain. » Et il a dit : « Personne ne m’avait jamais parlé de cela. Pourrais-tu m’écrire quelques scènes ? » J’ai dit : « Bien sûr ! » et j’ai écrit quelques scènes qu’il a tournées. » (Cahiers du Cinéma n° 192, juillet 1967)
A cette époque, Hawks est donc en mauvais termes avec la MGM, Goldwyn et la RKO. Cependant, il entretient toujours de bons rapports avec la Warner Bros et surtout, la Columbia. Avec ces deux studios, il jouit du privilège de pouvoir travailler sans signer de contrats à long terme et quand bon lui semble. Après son éviction de
Gunga Din, il va donc tourner deux films avec Cary Grant pour Columbia. Le premier sera
Seuls les anges ont des ailes, qui renoue avec sa passion pour l’aviation. Hawks demande à Jules Furthman d’écrire le scénario d’après une idée originale du cinéaste. La distribution va se faire en fonction de certaines références : le rôle de Kilgallon est attribué à Richard Barthelmess, une des vedettes de
La Patrouille de l'aube. Le personnage de Bonnie est clairement inspiré de Marlene Dietrich dans les sept films de Josef Von Sternberg, sans sophistication et avec plus d’humanité. Mais pendant le tournage, elle ne se plie guère aux directives d’Hawks dans ce sens, ce qui ne nuit pas trop au film (contrairement à ce qu’on a pu dire), et accentue même la place d’outsider que le scénario lui assigne, marquant également l’opposition de nature et de jeu avec Rita Hayworth, qui tient ici son premier rôle important dans le personnage de l’épouse de Kilgallon, rôle qui fera d’elle une des stars les plus célèbres de l’âge d’or d’Hollywood.
Bonnie Lee fait escale à Barranca, un port d’Amérique du Sud. Elle y rencontre les pilotes américains d’une compagnie aéropostale que dirige Goeffrey Carter, surnommée Geoff. Amusée, elle accepte de sortir avec un de ces aviateurs. Mais ce dernier se tue le soir-même en essayant d’atterrir sans visibilité. Sous l’emprise d’un sentiment de culpabilité, la jeune fille réagit violemment face à la réaction indifférente des autres pilotes. Puis, s’habituant à leur code de vie, elle décide de rester parmi eux et se met en tête de séduire Goeff. Le lendemain, un nouveau pilote arrive avec son épouse qui n’est autre que Judy, une ancienne maîtresse de Goeff. Le mari, Kilgallon, ignore cette liaison, mais il a aussi un secret : autrefois, il abandonna son avion en flammes, sans porter secours à son copilote. Ce dernier était justement le frère de Kid, l’un des aviateurs de la compagnie. Kilgallon est démasqué, mais Goeff le conserve dans l’équipe et lui confie certaines des missions les plus périlleuses. Kilgallon s’en acquitte parfaitement. Plus tard, Bonnie blesse Goeff afin de l’empêcher de partir pour une mission suicidaire. Cela oblige Kid, dont la vue est déficiente, à faire équipe avec Kilgallon. Lors de l’opération, un condor fracasse l’habitacle et blesse grièvement Kid. Faisant preuve d’un courage insensé, parvient à ramener l’avion en flammes à la base, s’en sortant avec quelques brûlures. Cela le réhabilite aux yeux de tous. Mais, la nuque brisée, Kid ne tarde pas à mourir. Alors, Geoff part effectuer la mission, en compagnie d’un autre pilote, tout autant éclopé que lui. Auparavant, à l’aide d’une pièce truquée, il a fait comprendre à Bonnie qu’il souhaitait qu’elle l’attende.
Seuls les anges ont des ailes, sur un plan purement formel, est le premier film du cinéaste dont l’imagerie se présente comme totalement irréaliste. Plus encore que dans
Ville sans loi, le décor et les éclairages sont marqués par une théâtralisation volontaire et une schématisation qu’accentuent l’utilisation de la brume et les signes succincts d’un exotisme fabriqué de toutes pièces. L’usage habile des maquettes d’avion renforce d’ailleurs cette impression d’artifice, d’autant plus que les scènes documentaires tournées par une seconde équipe (encore une fois l’excellent Richard Rosson) créent un effet de contrepoint par leur souci de réalisme. Toutefois, cette panoplie du factice ne freine jamais le plaisir du spectateur sans doute parce qu’elle compose ainsi toute une architecture qui, comme dans une bande-dessinée, sous-tend une tapisserie de l’imaginaire et dévoile cependant des réalités. Un tel choix du mode de représentation permet de nous rappeler combien Hawks a horreur du naturalisme. S’il peut avoir du goût pour le documentaire, c’est pour mieux éviter de mêler le réel. D’ailleurs,
Seuls les anges ont des ailes est théâtralisé au possible, comme la plupart des futurs chefs d’œuvres du cinéaste. Cette volonté stylistique aboutit à la simplicité, voire à l’abstraction, tout en parvenant à nourrir la structure et la dynamique du film.
Rappelons en premier lieu que la nature est toujours hostile chez Hawks. Et qu’elle puisse créer des êtres humains n’incline pas son jugement. Il estime justement qu’elle peut engendrer des êtres faibles : les « héros » suicidaires des
Chemins de la Gloire, le savant de
L’Impossible Monsieur Bébé ou Johnny Lovo dans
Scarface. Ainsi, dans
Seuls les anges ont des ailes, l’oraison funèbre du pilote qui meurt au début du film se résume à ces mots : « Il n’était pas assez fort ». Cependant, la nature peut aussi accoucher de tyrans psychopathes : Tony Camonte, Pancho Villa dans
Viva Villa !, Chamalis dans
Ville sans loi ou, dans une moindre mesure, Barney dans
Le Vandale. Ces personnages-là ne peuvent communiquer avec la nature qu’en la détruisant. Ils ont toujours besoin d’accessoires venus de la civilisation pour pouvoir s’assumer. Il s’agit généralement d’objets mécaniques : autos (
La Foule Hurle), avion (
La Patrouille de l’aube), bateaux (
Le Harpon Rouge), mitraillettes (
Scarface). Cela leur sert de prothèse, et comme le crochet du personnage d’Edward G. Robinson dans
Le Harpon Rouge, remplace ce que la nature a omis de leur donner, ou ce qu’elle leur a pris. Les enfants et les animaux échappent à cette invalidité car ils sont encore en osmose avec la nature, ils s’y adaptent par l’instinct, ce qui leur donne un caractère monstrueux quand ils se trouvent livrés à eux-mêmes au sein d’un lieu social organisé. En fait, la femme est la seule à pouvoir communiquer avec la nature tout autant qu’avec le lieu social. Cela lui donne une supériorité sur l’homme qui, lui, refuse de s’adapter et veut dominer la nature (ou le lieu social) à l’aide d’inventions dangereuses et porteuses (ou donneuses) de mort. Dès qu’elle débarque au port, Bonnie affiche un désir instinctif de s’adapter à ce qui l’environne. Elle observe un couple de danseurs indigènes et participe à leur chanson. Ensuite, elle accepte de sortir avec un pilote, et adopte tout d'abord une réaction d’éducation et de civilisation à l’annonce de sa mort. Elle s'indigne de la réaction des autres pilotes qui continuent à vivre normalement et à se détendre. La fameuse scène du steak, souvent analysé, illustre parfaitement cette dynamique. Finalement, Bonnie va réussir à conjuguer son comportement avec celui de la micro société qu’elle vient de rencontrer. Poussée par son instinct amoureux, elle tente même de se durcir afin de séduire Goeff, le chef de ces grands gosses trop téméraires. Son choix se porte sur lui car il paraît probablement le moins humain et le plus mécanique de tous. Ne pouvant imposer la nature à celui-ci, Bonnie doit passer indirectement par la machine - le revolver - pour poser la marque de son désir sur lui. Mais alors, elle fait sortir l’infirmité morale qu’il porte en lui. Par cet acte accidentel, l’homme-machine retrouve l’état d’homme-nature.
Tout au long du film, le cinéaste nous prépare à cette révélation en accumulant les indices : Geoff n’a jamais d’allumettes, car il redoute le feu, qui le brûle aussi intérieurement, retient ses pulsions sentimentales et sexuelles, n’utilise la séduction que pour dominer les autres afin de préserver l’organisation de la machine qu’il dirige, mais n’y trouve aucune jouissance sexuelle. Dès qu’il est impliqué dans la mise en scène d’un autre, il se brûle, par exemple avec la cafetière, ou se fait « brûler », dans la séquence du coup de feu accidentel. L’espace essentiel de son pouvoir et sa puissance sexuelle, toujours contenue, ne peut passer que par une communication invisible : le micro, l’allusion, le silence. Cela place Geoff dans le domaine de la théorie. Il ne quittera ce champ qu’à trois reprises : lors du premier vol (qu’on ne voit pas à l’écran) et cela lui permet de fuir une relation affectueuse avec Bonnie ; les larmes qu’il verse à la mort de Kid, le seul être humain avec qui il communiquait dans le jeu et le mensonge avoué ; et enfin le dernier vol, effectué en état d’invalidité physique. Au cours de ces trois moments, la nature l’aspire dans son hostilité et ses contradictions. Car généralement, Geoff reste à terre. Là, son état est proche de celui de ses hommes. Comme eux, il piétine à l’intérieur d’une clôture comprenant le bar, le restaurant, l’hôtel et l’aérodrome, puisque ces quatre espaces sont circonscrits dans le même lieu. Lorsque les aviateurs s’en échappent, c’est pour s’emprisonner à l’intérieur de la carlingue de leur machine volante et en devenir une partie intégrée. Dans cette situation, si l’avion est détruit, ils le sont également. Un seul membre de l’équipe ne partage pas ce lot. Il s’agit du guetteur installé sur une falaise excentrée dans la montagne. Un animal partage sa solitude, l’aidant ainsi à être plus proche d’une nature dont il doit indiquer toutes les variations météorologiques à sa base. L’enfermement physique et professionnel de ces porteurs de courriers s’augmente d’une prison morale. Si on excepte l’aviateur qui meurt au début du film, dont nous voyons la petite amie indigène, nous ne connaîtrons jamais leur passé social et sentimental. Ce seront les êtres venus de l’extérieur de cette cellule tropicale qui feront refluer des éléments du passé chez des individus qui se croyaient protégés par tous les artifices. En premier lieu, Bonnie provoque la nostalgie car elle leur rappelle leur patrie. Ce trouble causera la maladresse fatale d’un des pilotes. Le lendemain, l’arrivée du couple Kilgallon contraindra deux hommes à retrouver leur passé affectif : Kid se rappelle son frère et se laisse envahir par la haine et la douleur, au point de menacer Kilgallon. Geoff, lui, retrouve une ancienne maîtresse. Quant à Kilgallon, intégré physiquement au groupe, il est marginalisé par son passé.
A partir de cet instant, le mécanisme des lieux (construit sur l’instant) ne peut que basculer. La crise augmente le danger des missions de celui des conflits humains. Ils s’imbriquent alors pour former un conglomérat de vaudeville, de comédie et de tragédie, à la fois étrange, génial et redoutablement efficace. Quand les traces dissimulées remontent à la surface, la nature humaine rejoint aussitôt l’hostilité de la nature cosmique. Cette alliance provoque la destruction de plusieurs rouages de la mécanique. Une invalidité s’installe, selon des lois naturelles : Kidd ne voit plus assez bien pour voler. Son état lui fait perdre sa protection morale et retourne cruellement sa nature d’homme. Sans son avion, il est un impotent, ce que Hawks nous avait déjà démontré dans ses films précédents. Son infirmité provoque alors sa colère envers un autre pilote et il lui brise le bras. La tension monte puisque c’est ensuite son ennemi qui le remplace. Par ailleurs, le « déraillement » de Bonnie provoque l’invalidité temporaire de Geoff. Pour que la machine continue de tourner, il faut que Kilgallon pilote avec (le presque aveugle) Kid. Agressé par la nature hostile (le condor), Kilgallon sauve l’avion et Kid, effaçant enfin la marque de son passé honteux. Il s’y brûle néanmoins les mains et se retrouve, à son tour, importent pour quelques jours. Mais le Kid meurt, même s’il était déjà mort de ne plus pouvoir voler, et cette mort permet à Kilgallon de naître une deuxième fois. On peut voir ici une référence, consciente ou pas, à
Lord Jim et la seconde chance selon Conrad. Kid disparu, Geoff récupère sa pièce truquée, l’autre secret dérisoire de son compagnon. A ce stade du film, Bonnie (dont nous ne connaissons que vaguement le passé de « chorus girl ») est ébranlée par le constat qu’elle fait de la réalité de ce lieu totalement clos, et pourtant conçu pour assurer la communication et la transmission, un paradoxe qu’Hawks ne manque pas de souligner. Il ne reste alors plus que deux choses à faire pour relancer la machinerie : Geoff accepte Bonnie en lui mentant par le biais de la pièce truquée dont il lui laisse deviner le secret. Ensuite, il allie son invalidité (donnée par Bonnie) à celle d’un autre pilote (donnée par Kid) pour recommencer le transport aérien du courrier. Mais dans les deux cas, Geoff allie son invalidité à celle de l’autre : physique pour l’aviateur et morale pour Bonnie. Cette vérité profonde est révélée par le faux (la pièce à double face). C’est le signe d’une convention finalement acceptée pour que subsiste encore le mouvement général, et non plus le nickel pirouettant dans la main d’un personnage de
Scarface, marquant l’instant, l’instinct et la mort.
Dans
Seuls les Anges ont des Ailes, on notera que les catastrophes aériennes n’interviennent qu’à cause de l’opacité du ciel (comme dans
Brumes, auquel le film renvoie sans cesse). Par manque de clarté, le vautour aveuglé s’écrase, tout comme le vautour aveuglé traverse la cabine de la machine volante. Par son entité même, la nature est hostile, incontrôlable, rebelle et indestructible. Malgré sa science, l’homme ne peut en être que victime. Chez Hawks, le paradoxe s’installe ici entre la cellule protectrice, où un monde artificiel s’organise, et le besoin d’être détruit en explorant l’extérieur de ce lieu. Il ne prend pas de véritable parti sur cet état des choses. Son écriture a d’autres buts : capturer l’ineffable pour mettre en crise les concepts de réalité, tout en maîtrisant la représentation d’un monde qui repose sur des artifices et des mécanismes, comme il le souligne nettement par l’emploi visible du studio, espace où le cinéaste peut se permettre de réinventer la nature à sa guise et en toute sécurité.
Si, comme j’ai tenté de le démontrer,
Seuls les anges ont des ailes doit beaucoup à la qualité du scénario de Jules Furthman et aux relations qu’il développe entre ses personnages, il ne serait presque rien dans le talent de ses interprètes. Déjà, on se félicite du choix de Richard Barthelmess, idéal pour le rôle avec son visage marqué par les cicatrices et les blessures du passé. Présenté au début du film comme un personnage antipathique, il finira par susciter l’affection du spectateur grâce au jeu subtilement intériorisé de cet acteur malheureusement encore méconnu. On a loué maintes et maintes fois l’interprétation de Cary Grant (qui peut se dire cinéphile et ne pas avoir au moins un film de l’acteur dans son panthéon personnel ?) mais si on ne devait retenir qu’une poignée de chefs d’œuvre dans son impressionnante filmographie,
Seuls les anges ont des ailes en ferait assurément partie. Il donne toute sa profondeur au personnage tourmenté de Goeff, adoptant un jeu froid qui permettra de révéler progressivement le cœur d’or du pilote. L’alchimie est parfaite avec Jean Arthur, comme toujours pétillante de malice, d’énergie et de fraîcheur, insolemment belle et remplie de féminité. Le long-métrage se distingue également par son remarquable choix de seconds rôles, tous familiers des cinéphiles. Thomas Mitchell est le plus remarquable d’entre eux, constituant un des personnages les plus attachants du film. Les sympathiques Allyn Joslyn (le cousin du
Ciel peut attendre) ou Sig Ruman (toujours chez Lubitsch, mémorable dans
Ninotchka) complètent le casting. Mais la véritable révélation de
Seuls les anges ont des ailes est bel et bien la toute jeune Rita Hayworth, qui, à 21 ans, crève littéralement l’écran. Dotée d’une classe naturelle, elle éblouit le spectateur par sa beauté et son charme. Le mythe commence tout juste à se construire, tandis que la carrière d’Hawks commence à prendre un envol définitif :
Seuls les anges ont des ailes est bel et bien le film de la maturité pour l’auteur de
Rio Bravo, bien plus que
L’Impossible Monsieur Bébé. C'est aussi, et surtout, un chef d'oeuvre unanimement célébré pour ses qualités cinématographiques, toutes proches de la perfection. Depuis les sept films de Josef Von Sternberg tournés avec Marlene Dietrich, aucun cinéaste hollywoodien n'était parvenu à restituer à l'écran autant de poésie visuelle, d'audacieuse stylisation dans la peinture du comportement et de philosophie personnelle excentrique et sans concessions, tout en conservant une force simple et discrète.
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